La lettre juridique n°550 du 5 décembre 2013 : Éditorial

Le maire : ce monarchomaque du XXIème siècle

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Si le soufflet du mécontentement et de la résistance municipale au "mariage pour tous" semble retomber, notamment à la suite de l'exclusion constitutionnelle de toute clause de conscience, qui serait le terreau d'une inégalité territoriale devant la loi, il n'en va pas de même pour la réforme de l'organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires, fruit du décret n° 2013-77 du 24 janvier 2013. La grogne des corps constitués est bien réelle, unissant dans un même concert d'opprobre, maires, syndicats de parents et syndicats d'enseignants. Et, ils sont tous unis dans un esprit singulièrement non partisan, puisque que la majorité d'entre eux critiquent non pas le passage aux quatre journées et demie de temps scolaire hebdomadaire, mais principalement le manque de moyens financiers alloués à la mise en place des activités périscolaires prenant le relais des temps d'enseignement, et l'inégalité territoriale de fait induite par ce manque de dotation.

A titre de préambule et en quelques chiffres, la réforme concerne près de 24 000 communes (sur 32 000) -toutes n'étant pas pourvues d'une école municipale-. Seules 3 850 d'entre elles ont sauté le pas lors de la rentrée scolaire 2013/2014 ; l'application de la réforme devrait donc battre son plein lors de la prochaine rentrée. Aujourd'hui, les premiers retours d'expérience concernent donc 20 % des élèves de maternelle et du primaire. Et, 81 % des communes ayant adopté ce nouveau rythme scolaire n'ont manifesté aucun problème particulier, selon les statistiques ministérielles.

Face à la froideur des chiffres, il y a le sang chaud de certains maires qui, arrêtés après arrêtés, refusent d'appliquer la réforme gouvernementale des rythmes scolaires, même pour la rentrée 2014/2015. Le fondement de leur action : le caractère abrupt de la réforme (sans négociation avec les principaux intéressés) et son caractère réglementaire. Pour être plus précis, l'organisation du temps scolaire n'est pas de la compétence municipale, mais bien de celle du Gouvernement, et singulièrement de celle du ministère de l'Education nationale -encore qu'il n'est pas exceptionnel que le ministère accorde quelque latitude en la matière, à titre expérimental, aux communes, notamment en ce qui concerne le calendrier des vacances scolaires ou les reports des journées "travaillées" en contrepartie des vernaculaires "journées des maires"-. C'est donc bien le pouvoir réglementaire qui tient sous sa coupe les rythmes scolaires, au même titre que les programmes et les moyens affectés pour l'enseignement. En revanche, chacun aura compris que le bât blesse concernant les activités périscolaires permettant soit de faire le pont entre deux temps de scolarité, soit d'amener l'élève à la sortie de l'école à l'horaire usuel de 16h30. Et, rien n'oblige le maire à organiser et financer de telles activités, puisque la loi est absente des débats, sinon pour prévoir un fond d'amorçage, communément jugé insuffisant.

On notera, au passage, que la tentative de légalisation du sujet est tombée à l'eau, la proposition de loi du 23 octobre 2013 permettant le libre choix des maires concernant les rythmes scolaires dans l'enseignement du premier degré n'ayant pas fait long feu devant la volée de bois vert de la majorité parlementaire.

Enfin, la crispation sur le sujet est telle et la fronde municipale devant être tuée dans l'oeuf, il est intimé aux préfets de contester, devant les juridictions administratives, les arrêtés litigieux pris par les maires récalcitrants.

Mais, il est une chose d'assigner en justice un maire ou une municipalité refusant l'application de la loi (par exemple, toujours et encore la loi relative au "mariage pour tous") ; et, il en est une autre de porter l'affaire sur le fondement d'un décret, fortement contesté, seul véhicule normatif contestable, mais qui n'oblige en rien le pendant périscolaire de la réforme, coeur même de la désobéissance civile des maires. Car, ne nous payons pas de mots : désobéissance civile il y a, même si aucune loi n'est de la partie. Et, c'est de l'illégalité de cette désobéissance dont devra se saisir le juge administratif dans un contentieux qui sera scruté à la loupe.

Dans Théorie de la justice, John Rawls définit la désobéissance civile comme "un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. En agissant ainsi, on s'adresse au sens de la justice de la majorité de la communauté et on déclare que, selon une opinion mûrement réfléchie, les principes de coopération sociale entre des êtres libres et égaux ne sont pas actuellement respectés". Et, pour ces maires contestataires, l'inégalité sociale et territoriale induite par l'absence de moyens suffisants affectés aux activités périscolaires rompt avec le principe d'égalité au sein de l'Education nationale, et avec la "coopération sociale". Tous les éléments de caractérisation de la désobéissance civile sont bien présents : ces arrêtés litigieux ont été pris de manière consciente et intentionnelle ; ils ont été pris de manière publique, en conseil municipal, et médiatisés ; ce ne sont pas des actes isolés, mais ils souhaitent s'inscrire dans une démarche contestataire collective ; ils sont "pacifiques", par nature ; ils n'ont été pris que dans le but de rouvrir le débat et changer les modalités d'application de la réforme ; enfin, ils se réfèrent à plusieurs normes supérieures (le principe d'égalité, l'intérêt de l'enfant, l'autonomie des collectivités territoriales). Tous les marqueurs sont présents.

Reste donc au juge administratif à déclarer cette désobéissance civile contra réglementaire ; chose peu commune il faut l'avouer. Et, il devra le faire en confrontant les arrêtés litigieux à l'un des principes fondamentaux de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen, à valeur constitutionnelle : la résistance à l'oppression. "Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression" nous enseigne-t-il. Alors, se pourrait-il que le juge reconnaisse un droit à la désobéissance civile, même limité, compte tenu des circonstances particulières d'adoption du décret contesté et de la complaisance de tous (ou presque) à l'égard de la fronde de ces élus locaux ?

Il y a peu de chance que les maires assignés soient portés au rang des Gandhi, Martin Luther King ou autre Antigone, pour les plus classiques ! Mais, on pourra toute de même leur reconnaître la verve de ces Duplessis-Mornay, Hotman, Théodore de Bèze, qui en leur temps contestaient le pouvoir absolu de la monarchie. Ce n'est pas le principe du gouvernement démocratique que ces maires contestent, mais seulement une certaine pratique du pouvoir. Ce n'est pas le ministre qu'ils attaquent, mais le "tyran", c'est-à-dire le ministre légitime qui, par sa pratique du pouvoir, se fait "tyran"... Et, du point de vue monarchomaque, quand le ministre se fait "tyran", ses sujets peuvent lui résister... On n'ira pas jusqu'à se référer à Thomas d'Aquin et à sa théorie du tyrannicide... Mais, jusqu'où la situation peut-elle dégénérer, si le ministère ne fait que leur répondre de manière robotisée : "Toute résistance est inutile" ?

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