La lettre juridique n°548 du 21 novembre 2013 : Avocats/Procédure

[Evénement] Des perquisitions au domicile et en cabinet d'avocat : théorie et pratique de la contestation - Compte rendu de la réunion "Campus 2013" du barreau de Paris du 9 juillet 2013

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[Evénement] Des perquisitions au domicile et en cabinet d'avocat : théorie et pratique de la contestation - Compte rendu de la réunion "Campus 2013" du barreau de Paris du 9 juillet 2013. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/11338040-evenement-des-perquisitions-au-domicile-et-en-cabinet-davocat-theorie-et-pratique-de-la-contestation
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par La rédaction

le 21 Novembre 2013

Dans le cadre de "Campus 2013" qui s'est déroulé durant trois jours, les 9, 10 et 11 juillet 2013, à la maison de l'Unesco, s'est tenue une conférence intitulée " Des perquisitions au domicile et en cabinet d'avocat : théorie et pratique de la contestation", animée par Maître Vincent Nioré, avocat au barreau de Paris, ancien membre du conseil de l'Ordre. Les éditions juridiques Lexbase présentes à cette occasion vous en proposent un compte rendu.
I - Le régime des perquisitions de droit commun : l'article 56-1 du Code de procédure pénale

La loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 (N° Lexbase : L4971HDH) a renforcé les droits de la défense et la protection du secret professionnel.

Les perquisitions, au cabinet ou au domicile d'un avocat, ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du Bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par ce magistrat indiquant la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci.

Le magistrat instructeur, ou le représentant du Parquet en charge de la perquisition (s'il s'agit d'une enquête préliminaire avec autorisation du Juge des libertés et de la détention pour la perquisition sans assentiment -C. pr. pén., art. 76, al. 3 N° Lexbase : L7225IMK-), a l'obligation de porter cette décision dès le début de la perquisition à la connaissance du Bâtonnier ou de son délégué.

Maître Vincent Nioré insiste bien sur le fait que seuls le Bâtonnier ou son délégué, et le magistrat, ont le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents et données dématérialisées se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie à l'exclusion des enquêteurs.

Le texte de l'article 56-1 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3557IGT) ne prévoit pas l'assistance d'un avocat au cours de la perquisition devant le Juge des libertés et de la détention et ce, contrairement aux textes régissant les visites domiciliaires fiscales, celles de l'Autorité de la concurrence ou encore celles de l'Autorité des marchés financiers.

Par un arrêt rendu le 3 avril 2013 (Cass. crim., 3 avril 2013, n° 12-88.021 N° Lexbase : A1074KCR), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la QPC portée par un avocat perquisitionné puis mis en examen, au motif que la QPC ne présente pas à l'évidence de caractère sérieux dès lors que la disposition contestée prévoit des garanties de procédure sauvegardant le libre exercice de la profession d'avocat.

Pourtant, selon Maître Nioré, la jurisprudence de la CEDH décide que la perquisition en cabinet d'avocat constitue une "ingérence" dans le "domicile" que constitue le cabinet d'avocat destinée à permettre d'apporter la preuve de la commission par l'avocat d'une infraction et porte dès lors atteinte au secret professionnel dont le Bâtonnier ou son délégué est le garant par sa présence, qualifiée par la CEDH de "garantie spéciale de procédure". Elle doit être "proportionnée" au but poursuivi, ainsi que le juge la CEDH qui distingue, contrairement au droit interne, l'avocat contre lequel n'existe antérieurement à la perquisition aucun indice de sa participation à la commission d'une infraction de celui contre lequel existent de tels indices.

La perquisition en cabinet d'avocat, autrement dénommée ingérence ou intrusion, n'est jamais précédée d'une démonstration préalable de la participation de l'avocat à la commission d'une infraction si bien que tant l'autorité judiciaire que l'autorité administrative se révèlent en pratique friandes d'informations qui, parce qu'elles sont logées au domicile ou au cabinet de l'avocat, doivent à raison de leur nature secrète, être systématiquement appréhendées.

Il est important de rappeler, pour Vincent Nioré, que le Bâtonnier, ou son délégué, n'est pas le juge de son confrère. Il a pour rôle non seulement la protection du secret professionnel mais aussi, à travers la contestation de l'irrégularité d'une mesure coercitive, la protection de la présomption d'innocence associée à un devoir universel d'humanité.

La contestation du Bâtonnier ou de son délégué est de deux ordres : la protection du secret professionnel de l'avocat, d'une part, et la protection des droits de la défense par la contestation de l'étendue de la saisie, d'autre part.

Le Code de procédure pénale range les perquisitions parmi "les transports, perquisitions et saisies" régis par les dispositions de l'article 92 (N° Lexbase : L7166A48), en vertu desquelles "le juge d'instruction peut se transporter sur les lieux pour y effectuer toutes constatations utiles ou procéder à des perquisitions. Il en donne avis au procureur de la République, qui a la faculté de l'accompagner".

L'article 56-1 est logé au chapitre 1er des crimes et délits flagrants du Titre 2 des enquêtes et des contrôles d'identité. Cet article ne fait nullement référence au secret professionnel et aux droits de la défense. Il prévoit simplement la faculté, à laquelle le juge ne peut pas s'opposer, pour le Bâtonnier ou son délégué, de contester la saisie, s'il l'estime "irrégulière".

Seul l'article 56 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3895IRP) fait référence, dans d'autres hypothèses, au "respect du secret professionnel et des droits de la défense".

Et l'intervenant de souligner que toutes ces dispositions sont à peine de nullité (C. pr. pén., art. 59, al. 2 N° Lexbase : L4444DGP).

Les textes sur le secret professionnel sont codifiés au sein du RIN (N° Lexbase : L4063IP8).

L'avocat est le confident nécessaire du client. Le secret professionnel de l'avocat est d'ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps.

Le secret professionnel couvre en toutes matières, dans le domaine du conseil ou celui de la défense, et quels qu'en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique...) :

- les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci ; et Maître Nioré appelle l'auditoire à faire attention aux projets et notes manuscrites ;

- les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention officielle ; là encore, l'intervenant invite à être vigilant face aux correspondances qualifiées à tort officielles et qui en réalité sont confidentielles (cf. Cass. civ 1, 20 janvier 2011, n° 08-20.077 N° Lexbase : A2742GQM : production de courriers déconfidentialisés par un Bâtonnier alors que ces pièces devaient être écartées des débats comme violant le principe de confidentialité absolue des correspondances échangées entre avocats ; l'arrêt attaqué retient que le principe de l'égalité des armes permet au défendeur à la preuve de l'existence d'une transaction de produire la totalité du dossier couvert par la confidentialité pour faire échec à la demande de son adversaire qui a fait lever partiellement la confidentialité pour ne produire que les pièces nécessaires à ses prétentions ; or "en se déterminant ainsi sans avoir préalablement statué sur la validité de la production des pièces versées aux débats par chacune des parties, la cour a méconnu les exigences du texte susvisé") ;

- les notes d'entretien et plus généralement toutes les pièces du dossier, toutes les informations et confidences reçues par l'avocat dans l'exercice de la profession ;

- le nom des clients et l'agenda de l'avocat ;

- les règlements pécuniaires et tous maniements de fonds effectués en application de l'article 27, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) ;

- les informations demandées par les commissaires aux comptes ou tous tiers (informations qui ne peuvent être communiquées par l'avocat qu'à son client).

Il est constamment rappelé par le Juge des libertés et de la détention que peuvent être saisis au cabinet d'un avocat :

- d'une part, les documents qui ne bénéficieraient pas de la protection du secret professionnel ; Maître Nioré rappelle que l'article 56-1 du Code de procédure pénale vise aussi les "objets" dont par exemple le téléphone portable dont il faut demander le placement sous scellés fermés ;

- d'autre part, ceux qui, couverts par cette protection, seraient susceptibles de se rattacher directement ("de manière intrinsèque") à la commission d'une infraction et de nature à rendre vraisemblable l'implication de l'avocat dans les faits concernés, en qualité d'auteur ou de complice.

Par un arrêt rendu le 8 janvier 2013 (Cass. crim., 8 janvier 2013, n° 12-90.063, F-D N° Lexbase : A5069I37), la Chambre criminelle de la Cour de cassation a précisé que le Bâtonnier, au titre des prérogatives de l'article 56-1 du Code de procédure pénale, était en charge d'une mission d'auxiliaire de justice pour la protection des droits de la défense.

Dans l'hypothèse d'un avocat gardé à vue, simultanément perquisitionné (dès lors contre lequel existent des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis ou tenté de commettre une infraction), la contestation s'imposera de plus fort car il appartiendra au Juge des libertés et de la détention de dire si les documents saisis contiennent en eux-mêmes l'indice de la participation de l'avocat à la commission d'une infraction et ce par une analyse de chaque pièce.

II - Les régimes particuliers des visites domiciliaires assimilées aux perquisitions

La présence du Bâtonnier ou de son délégué n'est prévue que par l'article L. 621 -12 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5203IXY) qui renvoie directement aux dispositions de l'article 56-1 du Code de procédure pénale dans les termes suivants (alinéa 10) : "lorsque la visite domiciliaire est effectuée dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile, dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, dans le cabinet d'un médecin, d'un notaire, d'un avoué ou d'un huissier, les dispositions des articles 56-1, 56-2 ou 56-3 du Code de procédure pénale, selon le cas, sont applicables".

Elles instituent la superposition de deux voies de recours différentes, l'une devant le Juge des libertés et de la détention dont l'ordonnance est insusceptible de recours, l'autre devant le premier Président de la cour dont l'ordonnance est susceptible de pourvoi.

Elles doivent être étendues aux articles L. 16 B du Livre des procédures fiscales (N° Lexbase : L0277IW8) et L. 450-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L2208IEI) en tant qu'elles consacrent l'existence de deux voies différentes de contestation de la saisie, l'une devant le premier Président de la cour, l'autre devant le JLD.

III - Propositions

Maître Vincent Nioré a proposé plusieurs pistes de réflexions et d'améliorations du régime actuel :

- aucune remise de document couvert par le secret professionnel ne peut intervenir sur réquisition du Parquet ou injonction d'un juge spontanément par un avocat sans consultation préalable du Bâtonnier ou de son délégué qui peut s'opposer à une telle remise en notifiant son opposition au magistrat poursuivant ;

- aucune visite ou intrusion ne peut avoir lieu à quelque titre que ce soit dans un cabinet d'avocat sans présence du Bâtonnier ou de son délégué dont le rôle est de protéger le secret professionnel de l'avocat et les droits de la défense, particulièrement la présomption d'innocence voire de tout type de secret protégé par la loi ;

- une perquisition en cabinet d'avocat ne devrait pouvoir être effectuée que pour autant qu'existent des indices graves ou concordants antérieurs à la décision du magistrat de perquisitionner, de la participation de l'avocat à une infraction ainsi que le juge la CEDH, et la saisie possible que pour autant que les documents papiers ou informatiques contiennent en eux-mêmes ces indices ;

- doivent être interdites les perquisitions qui permettent d'obtenir "des éléments de preuve" alors que l'avocat n'est nullement concerné par la procédure pénale en cours, et qui sont obtenus par des moyens que la CEDH assimile à des procédés de "contrainte" ou de "pressions" ou comme procédant d'une "coercition abusive" (cf., CEDH, 3 mai 2001, req. n° 31827/96 N° Lexbase : A7081AW8) ;

- un appel -notion de recours effectif- doit être possible devant le premier Président de la cour contre la décision du juge d'instruction de perquisitionner (décision qualifiée tantôt, selon l'intervenant, de "procès-verbal de transport sur les lieux", tantôt d'"ordonnance de perquisitionner" !) ou du JLD en matière d'enquête préliminaire comme le permettent les dispositions des articles L. 16 B du LPF, L. 450-4 du Code de commerce et L. 621-12 du Code monétaire et financier s'agissant de l'ordonnance du JLD ;

- la simple prise de connaissance de la décision de perquisitionner par le délégué du Bâtonnier au début de cette mesure est insuffisante pour l'intervenant ; en effet, Vincent Nioré souligne l'importance pour le délégué du Bâtonnier de pouvoir avoir accès aux éléments -en tous cas essentiels- de la procédure d'enquête ou d'instruction qui mettent délibérément en cause l'avocat et ce, en début de perquisition ;

- le délégué du Bâtonnier doit en tout état de cause avoir accès au dossier de la procédure d'instruction ou au dossier d'enquête lors de l'audience des plaidoiries du JLD qui lui-même se fait communiquer le dossier pour cette audience sans le soumettre au délégué du Bâtonnier ;

- l'ordonnance de versement des pièces couvertes par le secret professionnel, prise par le JLD à l'issue du débat sur l'ouverture des scellés, doit pouvoir être frappée d'appel devant le premier Président de la cour dont l'ordonnance doit être susceptible de pourvoi en cassation (de la même manière que le premier Président de la cour d'appel connaît des recours contre le déroulement des opérations de visite ou de saisie : LPF, art. L. 16 B ; C. com., art. L. 450-4 ; et C. mon. fin., art. L. 621-12) ;

- il doit être précisé dans le texte de l'article 56-1 que l'avocat, objet de la perquisition, doit pouvoir bénéficier de l'assistance d'un conseil lors de la perquisition et en tout cas lors de l'audience du JLD ;

- enfin, les articles L. 16 B du LPF et L. 450-4 du Code de commerce doivent prévoir la présence du Bâtonnier ou de son délégué dans les termes de l'article 56-1 du Code de procédure pénale.

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