Réf. : Cass. soc., 6 novembre 2013, n° 12-15.953, F-P+B (N° Lexbase : A2104KPM)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV
le 21 Novembre 2013
Résumé
Par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de l'entreprise. Il est en conséquence en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération. |
I - La requalification du contrat
Parce que le contrat de travail à durée indéterminée "est la forme normale et générale de la relation de travail" (C. trav., art. L. 1221-2, al. 1er N° Lexbase : L8930IAY), le contrat de travail à durée déterminée est, au moins d'un point de vue juridique, un contrat d'exception. A ce titre, sa validité est soumise par la loi à de strictes exigences relatives, notamment, aux cas dans lesquels il peut être recouru à ce type de contrat, à sa durée ou encore à sa forme. Le non-respect de ces règles par l'employeur est, de façon très générale, sanctionné par la requalification du contrat illégal en contrat à durée indéterminée. Plus exactement, l'article L. 1245-1 du Code du travail dispose qu'"est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance" d'un certain nombre de dispositions qu'il énumère.
Venant sanctionner les manquements de l'employeur (1), on sait que cette requalification ne peut être demandée que par le salarié, à l'exclusion de l'employeur et de l'AGS ; le juge ne pouvant pas non plus prononcer d'office cette sanction (2). Pour en revenir au salarié, la Cour de cassation a, très justement, décidé qu'il lui reste possible de solliciter la requalification du contrat de travail à durée déterminée irrégulier, alors même qu'il a été engagé, après l'échéance du terme, par contrat à durée indéterminée (3). C'est ce qui s'était produit dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt sous examen.
En l'espèce, après avoir travaillé au service d'une entreprise du 30 juin 1995 au 20 décembre 2000, dans le cadre de cinquante-deux contrats à durée déterminée, M. X a été engagé par contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2001. Il a alors saisi la juridiction prud'homale d'une demande en requalification de l'intégralité de la relation contractuelle en un contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes.
Pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés afférente, l'arrêt attaqué a retenu que la reprise d'ancienneté serait prise en compte en cas de succession ininterrompue de contrats à durée déterminée ou si le salarié, en cas d'interruption, établissait qu'il s'était tenu à la disposition de l'entreprise. Dans ce cas de relation contractuelle continue, l'ancienneté du salarié serait acquise à compter de la première embauche. L'intéressé ne rapportant pas la preuve d'une relation contractuelle continue, il ne peut prétendre à une reprise d'ancienneté depuis le premier jour du premier contrat de travail.
La décision des juges du fond est censurée par la Cour de cassation au visa de l'article L. 1245-1 du Code du travail. Ainsi qu'elle l'affirme, "en statuant ainsi, alors que par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié était réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche au sein de La Poste et qu'il était en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération, la cour d'appel a violé le texte susvisé".
II - Les effets de la requalification du contrat
Dès lors qu'en raison de l'irrégularité qui l'affecte, un contrat à durée déterminée est requalifié en contrat à durée indéterminée, il n'y a aucune difficulté à identifier la date de prise d'effet de cette requalification. Elle est à situer à la date de conclusion du contrat requalifié. Le problème est tout autre lorsque, comme en l'espèce, le salarié a travaillé pour le compte d'une même entreprise dans le cadre d'une succession de contrats à durée déterminée. A quelle date, dans ce cas, faire remonter les effets de la requalification ?
A cette question, la Cour de cassation apporte une réponse tranchée : le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche. La solution n'est pas nouvelle, puisqu'elle avait déjà été énoncée, en des termes identiques, dans un arrêt en date du 24 juin 2003, qui n'avait toutefois pas été publié (4). Au regard de cette décision, l'apport de l'arrêt commenté réside dans le fait que la Cour de cassation retient la même solution dans une hypothèse où, à s'en tenir à l'argumentation développée par l'employeur dans son pourvoi, les contrats à durée déterminée ne s'étaient pas succédés de façon ininterrompue. On doit approuver la Cour de cassation de n'avoir pas tenu compte de cet argument pour cette raison que la requalification conduit, précisément, à réputer à durée indéterminée les contrats de travail à durée indéterminée illégaux.
Pour autant, la solution retenue exige d'être précisée car, à notre sens, elle ne saurait être mécaniquement appliquée dès lors que le salarié demandeur a conclu une succession de contrats à durée déterminée avec un même employeur. Si le salarié doit être réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche, c'est, nous dit la Cour de cassation, "par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée" (5). L'emploi du pluriel revêt, de notre point de vue, une importance certaine. Il suffit, à cet égard, d'imaginer la situation dans laquelle un salarié ayant, par exemple, conclu trois contrats de travail à durée déterminée successifs avec un même employeur, seul le dernier d'entre eux serait irrégulier.
A n'en point douter, et conformément aux prescriptions de l'article L. 1245-1 du Code du travail, ce contrat doit être réputé à durée indéterminée. Mais cela ne remet pas en cause la validité des deux autres contrats. Partant, la requalification doit ici prendre effet à la date de conclusion du dernier contrat. En revanche, la solution retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté doit être mise en oeuvre si tous les contrats sont irréguliers (6), peu important, nous l'avons déjà indiqué, qu'ils ne se soient pas succédés de façon ininterrompue. On peut aussi penser que le salarié devrait être réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche dès lors que seul le premier contrat à durée déterminée conclu est irrégulier (7). Reste à savoir, dans un tel cas, ce qu'il adviendrait des contrats à durée déterminée conclus postérieurement.
Cela étant précisé, une dernière remarque doit, à ce stade, être faite. Si le salarié doit être réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche, ne faut-il pas considérer que cette relation, devenue à durée indéterminée par l'effet de la requalification, a pris fin à l'échéance du dernier contrat à durée déterminée conclu ? La réponse à cette question ne fait guère de difficulté si aucun contrat n'a ensuite été conclu. En ce cas, l'échéance précitée doit être qualifiée de licenciement, avec toutes les conséquences que cela implique. Le fait qu'un contrat à durée indéterminée ait été conclu a posteriori, en l'espèce pratiquement une année après l'échéance du dernier contrat à durée déterminée, modifie-t-il la solution ? On est tenté de répondre par la négative ; ce qui signifie que, postérieurement à son "licenciement", le salarié a été embauché dans le cadre d'un nouveau contrat de travail. L'arrêt sous examen fait cependant naître le doute, la Cour de cassation affirmant que le salarié est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ; ce qui tendrait à signifier qu'elle n'a subi aucune interruption (8). Mais il est vrai qu'elle n'était pas expressément appelée à répondre à cette question.
Dès lors que, par l'effet de la requalification des contrats à durée déterminée, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche, l'ancienneté du salarié doit, à l'évidence, se calculer à compter de cette même date. Par suite, et ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, le salarié est en droit d'obtenir la reconstitution de sa carrière ainsi que la régularisation de sa rémunération afin de tenir compte de cette ancienneté nouvelle (9). Il reste que l'on peut se demander, mais cela nous ramène à une question posée précédemment, si cette "reconstitution" et cette "régularisation" doivent être uniquement réalisées jusqu'à l'échéance du dernier contrat à durée déterminée ou si le salarié peut y prétendre également au regard de la relation contractuelle en cours.
S'agissant de la "régularisation de sa rémunération" que le salarié est en droit d'obtenir, elle fait naître une interrogation quant au fait de savoir si le salarié peut prétendre à des rappels de salaires pour les périodes situées entre chaque contrat à durée déterminée (10). La Cour de cassation l'a admis, mais à la stricte condition que le salarié démontre qu'il s'était tenu à la disposition de son employeur (11). L'arrêt commenté ne semble pas de nature à remettre en cause cette dernière solution. Il faut tout d'abord remarquer qu'elle avait été retenue postérieurement à la décision précitée en date du 24 juin 2003. Ensuite, ce n'est pas parce que le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de sa première embauche qu'il doit être rémunéré pour des périodes pendant lesquelles il ne s'est pas tenu à la disposition de son employeur.
(1) Cette "requalification sanction" doit donc être distinguée de la "requalification interprétation" qui est en réalité une simple opération de qualification par le juge.
(2) V. les obs. de. G. Auzero et E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 28ème éd., 2014, n° 246 et la jurisprudence citée.
(3) Cass. soc., 1er février 2000, n° 98-41.624, publié (N° Lexbase : A4885AGZ) : Dr. soc., 2000, p. 516, note Cl. Roy-Loustaunau. La solution doit être approuvée, dans la mesure où la conclusion du contrat à durée indéterminée n'a pas pour effet d'effacer le manquement commis par l'employeur dans la conclusion du contrat à durée déterminée.
(4) Cass. soc., 24 juin 2003, n° 01-40.757, FS-D (N° Lexbase : A9771C8E) : "[...] par l'effet de la requalification de leurs contrats à durée déterminée, les salariés étaient réputés avoir occupé un emploi à durée indéterminée de guichetier depuis le jour de leur première embauche au sein du GIE Pari mutuel hippodrome et qu'ils étaient en droit d'obtenir la reconstitution de leur carrière ainsi que la régularisation de leur rémunération [...]".
(5) Nous soulignons.
(6) La situation peut susciter l'étonnement, même si l'arrêt commenté démontre qu'elle n'est pas une hypothèse d'école. Outre qu'il n'est pas inimaginable que chaque contrat puisse être irrégulier pour, par exemple, ne pas comporter de terme, la mention d'un cas de recours précis, ou encore la signature des parties, on pense surtout au cas dans lequel le juge constatera que les contrats auront été conclus pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
(7) Si c'est le deuxième contrat qui est, seul, irrégulier, la requalification doit opérer à la date de sa conclusion.
(8) Il faut cependant relever que la Cour de cassation affirme que le salarié "était" réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée et non "est" réputé avoir occupé un tel emploi depuis le jour de sa première embauche.
(9) Reconstitution et régularisation qui devront être opérées en contemplation des textes légaux et, surtout, conventionnels.
(10) La même question peut être posée pour la période située entre la fin du dernier contrat à durée déterminée et la conclusion du contrat à durée indéterminée, si tant est que l'on doive considérer que ce dernier contrat se fond dans une relation à durée indéterminée globale.
(11) Cass. soc., 7 juillet 2010, n° 08-40.893, F-D (N° Lexbase : A2201E4B) ; Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 09-43.385, FS-P+B (N° Lexbase : A1313HYB). Un arrêt très récent, pour le moins discutable, conduit à se demander si la charge de cette preuve pèse encore sur le salarié : Cass. soc., 23 octobre 2013, n° 12-14.237, FS-P+B (N° Lexbase : A4679KNM), v. les obs. de S. Tournaux, La preuve de l'obligation de fournir du travail au salarié, Lexbase Hebdo n° 547 du 14 novembre 2013 - édition sociale (N° Lexbase : N9325BTK).
Décision
Cass. soc., 6 novembre 2013, n° 12-15.953, F-P+B (N° Lexbase : A2104KPM). Cassation de CA Nancy, 25 janvier 2012 Texte visé : C. trav., art. L. 1245-1 (N° Lexbase : L5747IA4). Mots-clefs : contrats à durée déterminée, succession, requalification, prise d'effets. Lien base : (N° Lexbase : E7874ESG). |
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