La lettre juridique n°548 du 21 novembre 2013 : Fiscalité internationale

[Evénement] Le contrôle fiscal des entreprises mondialisées : à la recherche de la substance - Compte rendu de la soirée d'étude annuelle du Groupement français de l'IFA du 13 novembre 2013

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N9422BT7

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[Evénement] Le contrôle fiscal des entreprises mondialisées : à la recherche de la substance - Compte rendu de la soirée d'étude annuelle du Groupement français de l'IFA du 13 novembre 2013. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/11338024-evenementlecontrolefiscaldesentreprisesmondialiseesalarecherchedelasubstancecompterend
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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 21 Novembre 2013

Le 13 novembre 2013, c'est au siège du Medef, avenue Bosquet, entre la Tour Eiffel et l'Ecole militaire, que le Groupement français de l'IFA a donné rendez-vous à de très nombreux fiscalistes sur le thème de la substance dans le cadre du contrôle fiscal des entreprises mondiales. Philippe Derouin, avocat, Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom LLP, a animé les débats entre les quatre intervenants à cette soirée d'étude, représentants du monde des entreprises, de l'administration fiscale et du Conseil d'Etat. La substance, notion qui ne rencontre pas de définition juridique précise, est pourtant au coeur de toutes les discussions relatives à l'application de la fiscalité dans une situation internationale. Pour palper cette substance, l'administration fiscale française et les entreprises sont dans une situation de déséquilibre : alors que les entreprises connaissent parfaitement leurs affaires, l'administration n'a accès à cette connaissance que difficilement, même si la loi vient soutenir de plus en plus sa recherche constante d'information. Les questions relatives à la fiscalité internationales tournent généralement autour de trois thèmes : les prix de transfert, les problèmes de qualification différente selon les lois nationales (dans lesquels se trouvent les produits hybrides) et le fameux "tax treaty shopping". Olivier Sivieude, chef du service du contrôle fiscal à la Direction générale des finances publiques, depuis quinze jours à la date de la conférence, constate, et il n'est pas le seul, que les entreprises sont de plus en plus multinationales. Nous sommes aujourd'hui dans un contexte où il n'existe pas de véritable régulation fiscale internationale. Par exemple, dans l'Union européenne, les taux d'impôt sur les sociétés varient de 10 % à 36 %, sans compter les pays qui pratiquent une fiscalité des entreprises à taux nul. Mais au-delà de ces taux, il faut bien comprendre que certaines opérations bénéficient de régimes plus ou moins favorables d'un pays à un autre. La grande variété d'imposition nourrit forcément les envies d'optimisation légale et d'évasion fiscale illégale.

Aujourd'hui, le Trésor a deux grandes inquiétudes : respecter les enjeux budgétaires en évitant la perte de substance en France, tout d'abord. Cette forte inquiétude est accréditée par les chiffres en termes de taux effectif d'imposition des entreprises (selon lesquels les grands groupes ont un taux effectif d'imposition beaucoup plus bas que les PME notamment), même s'il faut les manier avec précaution. Ensuite, l'inquiétude porte sur l'élément d'équité. Comment une PME peut-elle entrer en concurrence avec une entreprise importante, alors qu'elles n'ont pas les mêmes charges fiscales ? En effet, une grande entreprise peut optimiser son imposition, ce qu'une PME n'a pas les moyens de faire. Il en résulte des problématiques de distorsion de concurrence.

A cette double inquiétude répond une double stratégie : en premier lieu, l'administration cherche à savoir ce qui se passe au-delà des frontières. L'administration fiscale est déséquilibrée par rapport aux sociétés. Ces dernières ont une stratégie d'implantation à l'international, elles savent donc quelle fiscalité s'applique dans tel ou tel pays. L'administration n'a pas ce savoir. Elle peut l'acquérir par deux voies, soit en recourant à l'assistance fiscale internationale, soit en demandant aux entreprises de lui fournir des informations, via leurs déclarations, en cas d'inversion de la charge de la preuve (notamment sur le fondement de l'article 209 B du CGI N° Lexbase : L9422IT7). En second lieu, la loi donne de plus en plus de moyens au service dans le cadre des contrôles fiscaux, du droit de communication et du droit d'enquête. Concernant ce dernier, l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0277IW8) est de plus en plus utilisé par l'administration qui contrôle ainsi si ce que l'entreprise déclare est conforme à la réalité.

Edouard Marcus, sous-directeur de la Sous-direction E à la Direction de la législation fiscale, explique qu'on assiste aujourd'hui à une évolution décisive de la manière dont fonctionne l'économie internationale. Désormais, les entreprises s'organisent au niveau mondial. De plus, la dématérialisation a pris un poids énorme, et ignore l'espace. De même, le poids des incorporels a augmenté, alors qu'ils sont plus difficiles à localiser.

La législation fiscale s'efforce d'offrir un traitement fiscal adapté et sécurisé à ces situations.

Dans les dernières lois, le même raisonnement juridique est appliqué : une situation à risque est déterminée, et une réponse législative est apportée. C'est le cas concernant les ETNC, en 2010, avec l'article 238 A du CGI (N° Lexbase : L3230IGQ), de l'amendement "Carrez" en 2011 (CGI, art. 219, IX N° Lexbase : L5717IXZ) et de la réforme de l'article 209 B.

En 2010, la France a mis en place une liste des pays et territoires non coopératifs, qui a pour conséquence fiscale que les entreprises implantées dans ces zones devaient démontrer que leur présence sur place répond à un besoin économique. Sinon, et par principe, un taux supérieur d'imposition s'applique et les charges correspond à des transferts de valeur vers ces lieux ne sont pas déductibles.

En 2011, le législateur a mis en valeur une situation à risque dans laquelle une structure française était endettée parce qu'elle avait opéré des financements qu'elle n'avait pas décidé de façon autonome, dans le but de bénéficier de la législation favorable française sur la dette. Lorsqu'une société française finance une opération, par souscription d'une dette, elle doit démontrer que la décision a sa substance en France, en son sein. Ce dispositif a été nommé amendement "Carrez", du nom de l'auteur de cette insertion législative.

En 2012, l'article 209 B du CGI prévoit une inversion de la charge de la preuve en cas de contrôle d'une filiale dans un ETNC. Il s'agit, pour la société mère française, de démontrer que l'implantation répond à un besoin réel, et pas seulement à une opportunité fiscale.

Cette inversion de la charge de la preuve est un compromis entre la lutte contre les abus et la proportionnalité entre le niveau de contrôle et le niveau de risque.

Concernant les obligations documentaires en matière de prix de transfert, l'idée est de s'adapter aux nouveaux modes de transmission de l'information. Les entreprises doivent fournir des renseignements de manière graduée ; les grandes entreprises sont sous le coup de l'article L. 13 AA du LPF (N° Lexbase : L9700IW8), et envoient automatiquement leurs données sur leurs prix de transfert, alors que les entreprises plus petites ne doivent formuler ces informations que sur demande, en application de l'article L. 13 AB (N° Lexbase : L0637IH3). L'objectif est d'assurer la transparence. Ces règles sont un facteur de sécurité pour les entreprises. La documentation des prix de transfert fait l'objet de débats au sein de l'OCDE, dans le cadre du projet "BEPS" (Plan d'action concernant l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, adopté en juillet 2013 par le G 20 et conduit par l'OCDE pendant les 18 à 24 mois à venir). Si l'Union européenne a posé des principes à ses Etats membres, c'est maintenant au niveau mondial que de telles règles vont être adoptées.

Première partie : la substance des entités

Quel est le critère de la substance ? Quel est le sens de cette notion pour une société qui ne détient que des actifs ? Quid des holdings d'incorporels ?

La substance des entités étrangères : approche par les moyens ou par les fonctions ?

Pierre Collin, conseiller d'Etat, constate qu'il n'existe pas vraiment de critère objectif. La substance se définit au cas par cas, selon les situations et les sociétés. Le mot "substance" n'apparaît que très rarement dans les décisions de justice, même s'il est souvent sous-entendu.

Seule l'étude de la jurisprudence du Conseil d'Etat permet de se faire une idée de ce qu'est la substance. Ainsi, dans une décision du 18 mai 2005 (CE 3° et 8° s-s-r., 18 mai 2005, n° 267087, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3517DI4), le Conseil d'Etat a décidé, dans le cas de la constitution d'une holding 1929 au Luxembourg par une société française, que l'abus de droit était constitué, en ce que le montage avait pour effet de modifier la qualification de sommes considérées comme des intérêts en dividendes, par leur passage par la holding, qui les reverse, dans le cadre du régime mère/fille sous forme de dividende exonéré à sa détentrice. La Haute juridiction a qualifié l'opération d'abus de droit parce que la holding n'avait été créée que dans le but de transformer les intérêts en dividendes. En effet, le juge relève que société était sous l'entière dépendance d'un seul associé. Elle n'avait pas de capacité propre. Les questions que se posent les juges sont les suivantes : l'actif de la société est-il en lien avec son objet ? La société a-t-elle une compétence propre ? La société a-t-elle une vraie vie sociale (avec des assemblées générales d'actionnaires, des conseils d'administration, etc.) ? L'activité doit, en outre, être réalisée par des gens compétents. La société doit présenter une compétence spéciale, avoir une raison d'être économique.

La notion de substance était sous-jacente aux arrêts du Conseil d'Etat avant même qu'il ne découvre la notion d'abus de droit, dans l'arrêt "Janfin" (CE Section, 27 septembre 2006, n° 260050, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3224DRT). Avant, il n'était pas besoin de vérifier si l'intention du législateur était méconnue, puisqu'il était réputé ne pas vouloir créer des situations dans lesquelles des sociétés sans substance sont créées dans un but fiscal.

Pour un contre-exemple à l'arrêt du 18 mai 2005, Pierre Collin présente la décision "Alcatel" (CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2011, n° 322610, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5429HNE), dans laquelle il était question d'une société française utilisant un centre de coordination en Belgique pour gérer la trésorerie du groupe. Le Conseil d'Etat a considéré qu'il y avait substance en l'espèce, le centre faisant usage d'un véritable savoir-faire, employant cinquante personnes, réalisant un véritable chiffre d'affaires et exerçant une activité réelle.

En réalité, la question de la substance dépend de la logique de l'opération et de la création de la société. Cette affirmation est corroborée par les décisions du Comité de l'abus de droit, notamment en 2010 (séance n° 6 du 7 décembre 2010, affaire n° 2010-12), dans une affaire mettant en scène une société américaine apportant une filiale française à une holding danoise. Ce montage a permis d'éviter la retenue à la source prévue par la Convention fiscale franco-américaine (N° Lexbase : L5151IEI), mais la holding danoise ayant une véritable activité, l'opération a été validée.

Philippe Derouin pose la question : faut-il du personnel propre ? Est-ce que la délégation de personnel est prise en compte comme un critère de la substance ? Selon ses souvenirs, la holding danoise précitée n'avait pas de personnel. Selon Pierre Collin, la présence de personnel propre n'est pas une condition sine qua non. Il faut qu'il y ait une cohérence d'ensemble, il n'existe pas de critère absolu et objectif. Edouard Marcus pose à son tour une question : quelle est la substance de la localisation ? Le premier critère de la substance est l'incorporation juridique, critère de droit des sociétés (comme rappelé dans Cass. Ass. plén., 21 décembre 1990, n° 88-15.744 N° Lexbase : A9548ATS). Evidemment, il est des situations dans lesquelles l'immatriculation d'une société ne reflète pas sa substance, et dans ce cas-là l'administration va rechercher le siège de direction effective. Il est rappelé qu'en 2008, l'OCDE a supprimé des commentaires du Modèle de convention fiscale le paragraphe portant sur le faisceau d'indices à utiliser pour déterminer le siège de direction effective (lire N° Lexbase : E8356ETN). La France a alors posé une réserve, selon laquelle elle ne tenait pas compte de cette suppression et continuerait d'appliquer ce paragraphe. Concernant la présence ou l'absence de personnel, la question se pose : qu'est-ce qu'une entité juridique dont la seule fonction est de détenir des titres ? S'agit-il d'une véritable société ? Il ne faut pas négliger l'importance de la notion de siège de direction effective, car les conséquences en cas de remise en cause de sa localisation géographique peuvent être très importantes. En effet, en l'absence d'établissement stable, le pays dans lequel se trouve le siège de direction effective pourra imposer les revenus mondiaux de l'entreprise.

Catherine Henton, Directeur fiscal du groupe Sanofi, considère qu'il y a un problème sur la question du siège car les dirigeants vont de par le monde, et gèrent leurs affaires à distance de plus en plus fréquemment. Le lieu où se tient le conseil d'administration, critère français de la détermination du siège de direction, critère géographique, est dépassé par les nouvelles technologies. Il serait temps d'évoluer sur ce sujet.

L'établissement stable : l'établissement voulu, l'établissement subi

Que faire lorsqu'un établissement stable en France détient des titres de participation uniquement ? Olivier Sivieude préconise l'utilisation du rescrit fiscal, afin de sécuriser l'activité de cet établissement au regard de l'administration.

Concernant l'établissement stable subi, la problématique porte sur la qualification d'activité accessoire ou auxiliaire. De plus, la question de l'application des exceptions à l'arrêt "Zimmer" (CE 10° et 9° s-s-r., 31 mars 2010, n° 304715, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4168EUW), selon laquelle, en principe, un commissionnaire qui agit dans le cadre normal de son mandat ne peut pas constituer un établissement stable de son commettant, se pose.

L'administration cherche notamment la qualification d'établissement stable dans le cas de fonds d'investissement et de sociétés du numérique. L'article L. 16 B du LPF est très utilisé pour déterminer l'existence stable en France. Or, les trois conditions de cet article, qui autorise, sous le contrôle du juge, les agents des impôts à pratiquer des visites et des saisies, sont : les ventes et achats sans factures ; les factures fictives ; la non tenue de la comptabilité. Les sociétés du CAC 40 ont une comptabilité tenue exactement par des professionnels. Mais cette comptabilité est à l'étranger. Effectivement, une société dont l'administration estime qu'elle a un établissement stable en France ne dépose pas de déclaration dans notre pays, puisque, pour elle, elle n'y est pas implantée. Le service, soutenu par le juge, utilise pourtant cette circonstance pour fonder une demande d'autorisation de visite et de saisies. N'y a-t-il pas distorsion entre le sort d'un établissement stable supposé et une succursale, dont la loi française n'oblige pas la tenue d'une comptabilité sur place ? De plus, la CJUE a déjà considéré qu'une législation obligeant à ce que soit tenue une comptabilité locale était contraire à la liberté d'établissement (CJCE, 15 mai 1997, aff. C-250/95 N° Lexbase : A0119AWC). Alors, l'administration détourne-t-elle la procédure de l'article L. 16 B ?

En outre, Philippe Derouin souligne la problématique des saisies d'informations sur serveurs. En effet, l'administration qui opère une visite de société prend un accès sur les serveurs de cette dernière. Or, ces serveurs contiennent des informations beaucoup plus larges que celles concernant la seule société visitée. La Cour de cassation a déjà considéré que cette procédure était valide (Cass. crim., 24 avril 2013, n° 12-80.334, F-D N° Lexbase : A6991KCW).

Olivier Sivieude répond que l'administration est confrontée à des situations d'activité immatérielle, et que l'article L. 16 B est un moyen efficace pour contrôler l'indépendance des établissements situés sur le territoire français. Il rappelle qu'en cette matière seule la Direction nationale des enquêtes fiscales est compétente. L'administration effectue 250 perquisitions par an, dont 60 % sur un sujet international (qui peut être de la TVA). Il y en a donc peu. Effectivement, la jurisprudence relative à l'article L. 16 B valide les procédures engagées en cas de non déclaration ou d'omission des règles comptables.
Concernant les serveurs, la loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L7970IUQ) a modernisé le droit de perquisition en rendant possibles les saisies informatiques, même sur un serveur situé à l'étranger.

Sur le sujet de l'exploitation des résultats de la perquisition, il est constaté aujourd'hui un dialogue de sourd entre l'entreprise qui réfute l'existence d'un établissement stable et l'administration qui met en demeure de déclarer en France. Est-il possible d'avoir un échange sur le principe de l'imposition ou la taxation d'office est-elle automatique ? Olivier Sivieude explique qu'en réalité, c'est une procédure hybride, entre taxation d'office et examen contradictoire, qui est mise en oeuvre. Dans le cadre d'une taxation d'office, un avis de vérification est envoyé, puis une notification, que la société peut contester.

Philippe Derouin rappelle que, selon le Conseil d'Etat, il doit y avoir en premier lieu l'engagement d'une procédure de taxation d'office et en second lieu un débat contradictoire, alors que pour la Cour de cassation, c'est l'inverse. Pierre Collin ajoute qu'il n'y a pas de séquençage des débats.

Concernant la procédure amiable (article 25 du Modèle de convention OCDE N° Lexbase : L6769ITU ; lire N° Lexbase : E8512ETG), visant à régler, d'Etat à Etat, les cas de double imposition non prévus par une convention fiscale, Edouard Marcus constate qu'il y a ouverture d'une telle procédure même lorsque des pénalités pour mauvaise foi sont appliquées, alors que la France n'y est pas obligée. La procédure amiable ne revêt pas les mêmes garanties que les procédures contradictoires françaises. En effet, il s'agit pour deux Etats partenaires de régler une situation qui leur avait échappé, et de savoir lequel d'entre eux aura le droit d'imposer. L'entreprise est associée à la procédure lors de la phase de préparation du dossier, durant laquelle l'administration fiscale va matérialiser ses arguments pour convaincre l'autre administration de son droit d'imposer. Si une telle procédure ne marche pas, rien ne se passe, car aucune obligation de résultat n'y est attachée. Il est possible de passer devant un arbitre, mais ces procédures sont très lourdes.

Deuxième partie : la substance des transactions

Le bénéficiaire effectif et l'abus des conventions

La notion de bénéficiaire effectif est peu présente en droit français, c'est une notion relevant plutôt du droit international. Il existe peu d'arrêts mettant en oeuvre le bénéficiaire effectif : les arrêts "Diebold Courtage" (CE 8° et 9° s-s-r., 13 octobre 1999, n° 191191, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3307AXR) et "Bank of Scotland" (CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2006, n° 283314, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3666DTX).

En 2009, le Conseil d'Etat a rendu un avis (CE avis, 31 mars 2009, n° 382545) par lequel il précise que la question du bénéficiaire effectif ne se pose que concernant des revenus sortant, en application d'une convention fiscale internationale. Mais de nombreux Etats aimeraient que cette notion s'applique aussi aux revenus entrants.

Quelle est la définition du bénéficiaire effectif ? L'OCDE a d'abord utilisé cette notion dans le cadre des trusts anglo-saxons. Dans la jurisprudence nationale, les arrêts "Axa" (CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305586, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8913EKC) et "Goldfarb" (CE 8° et 3° s-s-r., 7 septembre 2009, n° 305596, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8914EKD) du Conseil d'Etat du 7 septembre 2009 précisent que le porteur du titre, son propriétaire, supporte les risques, et que c'est donc lui le bénéficiaire effectif. Pierre Collin ajoute que le juge recherche la réalité économique derrière l'apparence créée pour l'application de l'impôt. Le reversement d'une somme par la personne qui l'a reçue ne constitue pas un critère, car il peut s'agir de deux opérations commerciales distinctes. Le bénéficiaire effectif est celui dont l'identité a été camouflée par le biais d'un montage.

La notion de bénéficiaire effectif, en droit interne, entre dans celle de l'abus de droit. L'examen se fait au cas par cas.

Edouard Marcus considère que la signature d'une convention fiscale a pour but de lutter contre la double imposition, mais aussi de rendre le droit plus lisible et d'apporter de la sécurité économique aux opérations. C'est pour cela qu'il n'y a pas de règle générale sur le bénéficiaire effectif (en effet, dans les conventions fiscales, la notion de bénéficiaire effectif revient dans les clauses relatives à des revenus, comme les dividendes, les intérêts et les redevances ; il n'existe pas de clause spécifique sur cette notion). En cas d'abus, c'est-à-dire si le bénéficiaire effectif a été caché pour permettre à l'opération d'entrer dans le champ de la convention, alors cette dernière ne s'applique pas.
L'expression "bénéficiaire effectif" existe aussi dans le CGI, à son annexe III, dans le texte de l'article 49 I ter (N° Lexbase : L7034ISC). Il s'agit d'une importation de la Directive "épargne" (Directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 N° Lexbase : L6608BH9). La notion se retrouve dans plus de 80 % des conventions, celles signées après 1974, date de l'apparition de la convention modèle de l'OCDE.

Les critères du bénéficiaire effectif sont :
- matériels. Il faut qu'un bénéficiaire effectif existe. Il doit donc être pourvu de substance ;
- juridique et économique. Le bénéficiaire effectif doit avoir juridiquement le droit de percevoir le revenu ;
- subjectif. Quand un bénéficiaire est créé pour tenir le rôle de l'homme de paille, ce n'est pas un bénéficiaire effectif. Sa création a été motivée par le besoin de détourner la convention fiscale.

Quel est le support de la règle du bénéficiaire effectif ? En France, les critères sont dans les conventions fiscales internationales. Pour la plupart de ses partenaires, la notion est aussi définie en droit interne. La Convention France-Etats-Unis est intéressante, car le modèle américain y a été incorporé, selon lequel le bénéficiaire effectif a cette qualité que s'il remplit plusieurs conditions. La pratique Outre-Atlantique est donc à l'inverse de la France. Par principe, la France considère que celui qui perçoit le revenu est le bénéficiaire effectif, et elle ne remet en cause sa qualité que si elle identifie un abus. Aux Etats-Unis, en revanche, pour être bénéficiaire effectif, il faut être reconnu comme tel a priori, en remplissant des conditions.

Les hybrides et la double non-imposition

Les hybrides concernent le cas dans lequel un produit obtient une qualification différente (et le régime fiscal qui lui est attaché) dans le pays de résidence de son bénéficiaire ou de sa source. Cette différence de qualification peut conduire à une double exonération. Cette situation fonctionne tant que chacun des deux pays en cause ignore la législation de l'autre. Aujourd'hui, certains redressements sur des montages abusifs sont rendus possibles parce que l'administration fiscale française s'est renseignée sur le régime fiscal de l'autre pays. A noter que dans le projet de loi de finances pour 2014, un article porte sur les prêts entre entreprises liées, et prévoit qu'ils sont déductibles si les intérêts les rémunérant sont imposés à au moins un quart de l'impôt français dans le pays dans lesquels ils sont versés. Il est donc tenu compte de la fiscalité étrangère pour l'application de la loi française. Cette preuve est un exercice difficile car celui qui reçoit les intérêts n'est pas forcément le contribuable, par exemple dans le cas des sociétés de personnes. Ce critère des sociétés de personnes a déjà été retenu par le comité de l'abus de droit concernant les ORA (obligations remboursables en actions). Lors des discussions sur le projet de loi, la situation des sociétés de personnes a été prise en compte.

Pierre Collin constate que le Conseil d'Etat est moins audacieux que le comité de l'abus de droit fiscal, car il lui importe peu que le but ait été d'éluder l'impôt étranger. La manière d'interpréter la convention peut influer sur la décision rendue. Or, l'interprétation est souvent téléologique, et le but de la convention est d'éviter les doubles impositions, pas les doubles exonérations.

Catherine Henton prend l'exemple d'une mesure fiscale au Brésil qui a pour effet de donner à certains dividendes la qualification d'intérêt. Le revenu est perçu par une société française et déduit au Brésil est-il taxé en France ? Selon Pierre Collin, cela dépend en réalité de savoir si l'opération relève d'un montage abusif ou d'une gestion normale. La Convention souhaite éviter la double imposition mais elle ne s'applique lorsque la situation devient abusive.

Edouard Marcus voit les hybrides comme un réel problème fiscal car la situation n'est pas confortable pour les Etats. Ils créent un trou noir propice à la distorsion de concurrence. Les entreprises peuvent utiliser les hybrides dans des activités économiques mais aussi rechercher l'intérêt fiscal de cette utilisation, pour que l'opération ne soit taxée qu'une fois, voire pas taxée du tout. Le problème des hybrides au sein de l'Union européenne est l'application de la Directive "mère/fille" (Directive 90/435/CE du Conseil du 23 juillet 1990 N° Lexbase : L7669AUL), qui exonère les transferts de tout ce qui est qualifié de dividendes entre sociétés liées. Depuis 2003, les Etats de l'Union tiennent à jour une liste des Etats dans lesquels l'IS ne s'applique pas à certaines sociétés.
L'OCDE a d'ailleurs recensé les montages les plus optimisants, et souvent ces opérations font appel à des produits hybrides. Il faudrait un cadre juridique qui offrirait des règles aux entreprises, plutôt que de devoir passer par un contrôle fiscal et des redressements.

Peut-on lier l'application d'un régime fiscal français au traitement fiscal à l'étranger ? L'administration française l'appelle de ses voeux. Dans les conventions internationales, il existe déjà des clauses de "linking rule", qui prévoient que, si un résident n'est pas imposé dans son Etat de résidence, alors il n'est pas considéré comme un résident et la convention ne s'applique pas. Sinon, certaines clauses stipulent que, si un des Etats, à qui revient le pouvoir d'imposer, n'exerce pas son droit, l'autre Etat peut le faire. Ces clauses permettent de ne pas avoir à lister les Etats qui n'imposent pas.

Les hybrides sont aujourd'hui l'un des plus gros problèmes de fiscalité internationale.

Philippe Derouin souligne avec humour que c'est l'Irlande qui a été la première à lier l'application de son régime fiscal sur la déduction des prêts participatifs à une imposition à l'étranger. Ce serait donc l'Irlande qui serait le modèle du projet de loi de finances pour 2014 et du projet "BEPS" de l'OCDE !

Les prix de transfert

Les prix de transfert sont une géolocalisation des recettes d'un groupe.

Catherine Henton relève que les entreprises, sur la problématique des prix de transfert, sont en constante recherche du comparable. Aujourd'hui, les prix de pleine concurrence doivent être fabriqués. En effet, 60 % du commerce international est intragroupe. Dans un groupe intégré verticalement (c'est-à-dire avec intégration des fournisseurs et intermédiaires), c'est très difficile d'obtenir des prix de pleine concurrence. En fait, les prix de transfert amènent à une analyse fonctionnelle servant à déterminer la valeur d'une prestation. Les entreprises et même l'administration doivent se partager des bases de données de comparables pour établir leurs prix de transfert.

Les Etats-Unis ont la législation la plus sophistiquée en matière de prix de transfert. En Chine, la mentalité change. Alors qu'auparavant le marché chinois était un marché de travail, maintenant c'est un marché de consommation. L'Etat chinois réclame sa part sur les recettes réalisées avec les clients chinois. La France semble s'intéresser seulement aux sociétés qui exportent, pour l'application de la législation des prix de transfert, pas à celles qui importent.

L'OCDE se pose de nombreuses questions sur les prix de transfert sur les incorporels (lire, par exemple, Prix de transfert et incorporels : l'OCDE modifie ses principes directeurs, Lexbase Hebdo n° 502 du 17 octobre 2012 - édition fiscale N° Lexbase : N3949BTG). Avant, les incorporels étaient tous juridiques, il s'agissait des marques, des licences, des brevets. Désormais, de nouvelles valeurs incorporelles font leur entrée sur le marché : par exemple, c'est une valeur que d'être présent sur le marché chinois. Ce sont ce que les anglo-saxons appellent les "soft intangibles". Sanofi s'implique dans les recherches de l'OCDE sur les incorporels et leur valorisation. Le monde n'est pas stable au regard des prix de transfert, un édifice avait été construit qui est en train de dégringoler à cause des bouleversements économiques récents, les nouvelles technologies et les nouvelles sources de valeurs.

Edouard Marcus estime qu'il y a des principes simples à préserver. Certains ont une approche du "tout économique", qui ne tient compte ni des contrats, ni de la comptabilité. Ce n'est pas la position défendue par l'administration. Cette dernière considère qu'il faut commencer par regarder l'organisation juridique d'une entreprise et observer l'organisation économique qu'en cas d'abus. Sinon, il en ressort trop d'insécurité pour les acteurs.

La vision de la nature des prix de transfert repose sur des fondamentaux.
Les groupes peuvent organiser leur répartition de valeurs, alors que les PME sont en situation de pleine concurrence. La Convention modèle de l'OCDE effectue un compromis en autorisant que les Etats utilisent, pour réglementer les prix de transfert, un autre critère que celui des prix de pleine concurrence (mais il faut tout de même que le résultat soit proche de ces derniers). Une solution basée sur une répartition proportionnelle entre les Etats, selon le chiffre d'affaires par exemple, ou une autre clé de répartition (masse salariale, coûts de production), est inimaginable en l'état actuel des choses. Une telle construction est un travail de titan.
L'administration fiscale française est contre l'idée de prendre en compte le marché comme une fonction de prise de valeur. Pour elle, un incorporel doit avoir une valeur sur un marché.
Le secteur du numérique est très à part. Il a créé une manière nouvelle de faire des affaires. Les datas sont créées par collecte auprès des internautes dans des zones dans lesquelles ces entreprises ne sont pas implantées.

Catherine Henton a des difficultés avec le contrôle fiscal et ses actualités. En effet, obligation est faite aux entreprises de savoir ce qu'il se passe dans leur groupe dans le monde. A la limite, c'est simple pour le siège français, mais pour une filiale ? De plus, elle demande quel est l'intérêt pour l'administration fiscale française d'avoir accès à l'intégralité des comptes d'une entreprise, comme la comptabilité analytique (comme prévu par le projet de loi de finances pour 2014) ? L'administration souhaite obtenir le plus d'informations possibles, mais n'y a-t-il pas là un déclin du débat oral et contradictoire, dans la mesure où toutes ces informations ne sont pas consultées sur place par l'administration lors d'un contrôle mais directement sur les déclarations fiscales ? De plus, cela pose un réel problème de confidentialité.

Olivier Sivieude assure être un fanatique du débat oral et contradictoire, pensant que cela fait gagner du temps. Demander des informations aux entreprises ne porterait pas, selon lui, atteinte à ce débat. Au contraire, l'administration aura dans les mains une documentation de qualité qui lui permettra ensuite d'opérer un contrôle et un dialogue de qualité. Cette meilleure information du service va élever le débat oral et contradictoire. Il ne faut pas avoir peur d'une administration moderne. De toute manière, avant aussi l'administration avait accès à la comptabilité, maintenant c'est simplement automatique et a priori, pas dans le cadre d'un contrôle. On gagne du temps.

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