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N9210BTB
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 14 Novembre 2013
Dès lors, ont été retenus seulement quelques thèmes -il a été jugé inutile de revenir sur les fondamentaux du décret "Magendie" (décret n° 2009-1524, du 9 décembre 2009 N° Lexbase : L0292IGW) et de la procédure ; non plus de rappeler ses délais et ses sanctions-. Aussi, Emmanuel Jullien propose-t-il de faire un focus sur un certain nombre de difficultés et, surtout, sur les éclairages nouveaux de la jurisprudence qui permettent de voir cette procédure sous un jour meilleur. En premier lieu, cette conférence abordera le thème du RPVA et de la notification des actes, non pas pour examiner les aspects matériels de cette communication, mais pour étudier la portée de ce vecteur de communication, et savoir ce que l'on peut exactement transmettre, notifier, déposer par cette voie nouvelle. Sera examiné, ensuite, le domaine des nouvelles dispositions des articles 908 (N° Lexbase : L0162IPP) et 911 (N° Lexbase : L0351IT8) du Code de procédure civile : ce sont ces dispositions qui prévoient ces délais et ces sanctions, et qui ne s'appliquent pas à l'ensemble des procédures. Très rapidement, ensuite, le conférencier propose de revenir sur l'assignation aux intimés qui pose quelques difficultés et quelques problèmes. Puis, seront abordés deux thèmes, plus longuement, parce qu'ils sont au coeur du métier d'avocat et des difficultés que ces derniers rencontrent : ce sont toutes les difficultés liées aux conclusions et celles liées, ensuite, à la communication des pièces. Enfin, le Président Chauvin dira quelques mots de l'instruction matérielle des dossiers et de la plaidoirie interactive à laquelle il est particulièrement attaché.
I - Le RPVA et la notification des actes
C'est donc Monsieur Bencimon qui évoque, en premier lieu, la question du RPVA au regard notamment des problèmes qui s'attachent à la notification des actes et des conclusions principalement.
A - Les textes
Il rappelle, tout d'abord, que les textes qui régissent la matière sont situés au sein du Code de procédure civile, au livre 1er, titre 21, plus précisément aux articles 748-1 (N° Lexbase : L0378IG4) à 748-7 de ce code et à l'article 930-1 (N° Lexbase : L0362ITL) s'agissant de la procédure devant les cours d'appel. L'autre texte auquel il convient de s'attacher est l'arrêté du 30 mars 2011 (NOR : JUST1108798A N° Lexbase : L9025IPX), qui fixe et compile les différents arrêtés publiés -notamment celui du 18 avril 2013- qui a ouvert la possibilité, devant certaines cours d'appel, de déposer et de notifier des conclusions auprès de la juridiction et entre auxiliaires de justice. Depuis le 1er janvier 2013, un dernier arrêté du 20 décembre 2012 est entré en application le 1er janvier 2013 (NOR : JUST1242096A N° Lexbase : L8133IUR). Il résulte de cet arrêté que devant les cours d'appel tous les actes de procédure doivent être déposés par la voie électronique et notamment, les conclusions.
B - Les pratiques
Maurice Bencimon soulève alors une première question : "ces actes de procédures (les conclusions principalement) peuvent-ils être échangés sans condition entre avocat via le RPVA ?" Le conférencier rappelle que la position parisienne répond par l'affirmative, position assez largement partagée. La cour d'appel de Versailles avait anticipé, depuis longtemps, sur le fait que les avocats échangeaient via le RPVA, s'agissant des actes et documents qui pouvaient être adressés devant elle. Mais que prévoient les textes ?
Les textes disposent que l'avocat a l'obligation de déposer les actes au greffe de la cour via le RPVA mais que la notification entre avocats via le RPVA reste une possibilité. Entre avocats, la notification sur support papier par l'intermédiaire des huissiers audienciers est donc toujours possible. En conséquence, pour Monsieur Bencimon, on peut retenir que, devant la cour d'appel de Paris, depuis le 1er janvier 2013, on échange principalement par le RPVA entre confrères mais que l'on peut signifier ses actes également sur support papier quand on le souhaite. En revanche, le dépôt des actes devant la cour d'appel doit être effectué via le RPVA -devant la cour d'appel de Paris, si les avocats veulent déposer des actes sur support papier au greffe de la cour, ces actes leur seront retournés, sous réserve évidemment qu'ils ne soient pas en mesure d'invoquer, notamment, la fameuse "cause étrangère" : l'impossibilité d'émettre du fait d'un dysfonctionnement du RPVA- (C. pr. civ., art. 748-7 N° Lexbase : L0423IGR et 930-1).
La notification des actes entre avocats, rappelle Monsieur "BAPA", est donc une possibilité ; les dispositions des articles 671 (N° Lexbase : L6854H7Y) et 673 (N° Lexbase : L6856H73) du Code de procédure civile n'ont pas été abrogées. Cependant, il faut déterminer quelles sont les conditions de la notification des actes de procédure entre avocats au regard principalement des dispositions de l'article 748-2 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0375IGY). Il résulte de ce texte que les actes de procédure peuvent être échangés par la communication électronique et qu'il convient alors que le destinataire de l'acte ait donné son accord exprès pour recevoir les actes par cette voie de communication. L'interprétation de cette disposition pose une difficulté. Deux arrêts doivent être principalement cités qui ont retenu une interprétation totalement contraire des dispositions de l'article 748-2 du Code de procédure civile. Le premier, rendu par la cour d'appel de Bordeaux (CA Bordeaux, 5 mars 2012, n° 11/4968 N° Lexbase : A9217IDQ) a jugé que le seul fait d'avoir adhéré au RPVA fait présumer l'accord express du destinataire pour recevoir les actes de procédure -la présomption exprès d'un accord peut paraître curieuse comme forme d'expression, mais il est vrai que si l'on s'en tient à la seule lecture du texte, il peut sembler compliqué de trouver une meilleure formule-. Mais, la cour d'appel de Toulouse a rendu un arrêt, le 4 décembre 2012 (CA Toulouse, 4 décembre 2012, n° 12/04955 N° Lexbase : A1243IYP), qui a jugé en sens totalement contraire. Pour les magistrats toulousains, en l'état actuel du droit, le recours au RPVA ne peut se faire, s'agissant de la notification entre avocats, de leurs conclusions, qu'en cas d'accord exprès et non tacite de l'avocat destinataire, étant relevé que cet accord ne peut, en aucun cas, être tacite ou se présumer et qu'il ne peut, dès lors, résulter de la seule inscription de l'avocat destinataire à e-barreau ou de l'adhésion de ce dernier au RPVA. Il est difficile d'être plus en contradiction avec la décision de la cour d'appel de Bordeaux. Un pourvoi en cassation a été formé à l'encontre de l'arrêt de Bordeaux, sur lequel le conférencier reviendra infra.
Quelle est la thèse qu'il convient de retenir ? Devant la cour d'appel de Paris, c'est la "thèse de Bordeaux" qui doit être retenue. En effet, précise Maurice Bencimon, si on devait s'en tenir à l'arrêt de Toulouse, on provoquerait un "tsunami judiciaire", dans la mesure où les échanges sont, depuis le 1er janvier 2011, légion et que jamais l'auxiliaire de justice n'a eu à donner son accord afin de recevoir des documents des greffes, pas plus que de son confrère. Le conférencier pense que la solution portée par l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux doit être retenue principalement car elle ne remet pas en cause le principe du contradictoire. Dans tous les cas où il a été soutenu que la notification faite par le RPVA était irrégulière, le fondement de ces incidents a rarement été l'article 748-2 du Code de procédure civile. Le plus souvent, il est soutenu que la nullité de l'acte résulte du fait que les arrêtés autorisant cette forme de notification n'auraient pas été publiés. A cela, on peut répondre qu'il est parfaitement démontrable et démontré que, quelles que soient l'autorisation et la possibilité qu'il y avait de notifier les actes en question, l'acte avait bel et bien été notifié et les défendeurs à l'incident pouvaient en justifier par l'avis de remise reçu du contradicteur et qu'en conséquence le contradictoire était parfaitement respecté. Au-delà, le principe d'égalité, principe auquel il ne peut être porté atteinte, consacré par les textes et des conventions internationales, ne pourrait pas être respecté si la notification par le RPVA n'était pas possible entre avocats. En effet, l'avocat inscrit au barreau du siège d'une cour d'appel aurait un avantage certain sur celui qui, pourtant dans le même ressort, exercerait son activité au sein d'un barreau éloigné de ce siège. Le RPVA permet de gommer l'éloignement géographique. Et, au-delà de l'auxiliaire de justice, c'est le justiciable qui se trouverait dans une situation défavorable. Or, cela est condamné par les dispositions de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme (N° Lexbase : L6814BHT). En outre, pour Maurice Bencimon, il faut toujours faire primer l'esprit du texte sur sa lettre.
Ainsi, comme évoqué supra, la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-19.086, F-D N° Lexbase : A5224KDT) a statué sur le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux. On s'attendait à avoir une réponse sur les dispositions de l'article 748-2, mais il faudra attendre : la Cour de cassation a certainement compris qu'il y avait là une difficulté à laquelle il était difficile de répondre au regard du texte s'il devait être appliqué au pied de la lettre. Elle a rejeté le pourvoi et jugé que l'acte était entaché d'irrégularité, mais qu'il convenait, comme chaque fois qu'une nullité de forme était invoquée que le demandeur justifie d'un grief. Pour Monsieur "BAPA", cela paraît d'ailleurs être une bonne solution, et cela a toujours été la thèse au BAPA, qui soutient que, certes l'acte était irrégulier -on ne peut pas nier l'évidence- mais que la sanction de cette nullité ne pouvait être qu'un vice de forme, vice de forme qui impose à celui qui l'invoque de justifier d'un grief. Les décisions qui ont sanctionné cette forme de notification ont jugé que l'acte notifié par le RPVA était inexistant. Cependant, la théorie de l'inexistence de l'acte est condamnée depuis un arrêt de la Cour de cassation de chambre mixte du 7 juillet 2006 (Cass. mixte, 7 juillet 2006, n° 03-20.026, P+B+R+I N° Lexbase : A4252DQK). L'acte existe, il est incontestable qu'il a été notifié ; refuser de "voir" cet acte parce qu'on n'admet pas ce mode de transmission et invoquer sa nullité ne peut être sanctionné que par l'existence d'un grief. De plus, la démarche consistant à refuser l'existence d'un acte que l'on a pourtant bel et bien reçu ne peut être que condamnée déontologiquement. Le conseil de l'Ordre des avocats de Paris a pris une résolution le 12 décembre 2012 qui modifie l'article P 43 du règlement intérieur qui dispose "Devant les juridictions quand la communication par la voie électronique est possible, l'avocat inscrit au RPVA consent expressément à son utilisation dans tous les échanges de courriers et actes de procédure avec l'avocat inscrit au RPVA".
En guise de synthèse, Emmanuel Jullien formule, dès lors, trois observations. D'abord, dans certains cas, la communication par le RPVA est obligatoire : il s'agit de tous les cas où existe un flux vers le greffe de la cour. Ensuite, si la communication est possible, elle est indiscutable : c'est le cas des conclusions. Il y a des textes particuliers dans le détail desquels les conférenciers ne vont pas entrer, mais qui permettent de considérer que, même sans accord exprès de l'autre partie, la recevabilité des conclusions n'est pas discutable par une notification entre avocats. Enfin, il y a une troisième catégorie de communications, à la marge au regard de la pratique quotidienne, celles où la notification entre avocats est discutable ; l'arrêt de la Cour de cassation estime, ainsi, que les notifications entre avocats sont nulles, mais qu'il faut prouver un grief. Cette jurisprudence ne s'applique qu'à des cas marginaux et principalement à la signification de l'arrêt de la cour entre avocats. Emmanuel Jullien partage donc les positions de Monsieur Bencimon : les avocats ne prennent pas de risque inconsidéré en notifiant tous les actes par la voie du RPVA.
Et ce dernier de préciser que la Cour de cassation va répondre certainement à cette question puisqu'elle a été saisie d'un avis et que sa position devrait être connue début septembre [NDLR : la Cour de cassation, dans un avis rendu le 9 septembre 2013, s'est prononcée sur les conséquences pour l'avocat de son adhésion au RPVA (Cass. avis, 9 septembre 2013, n° 15012P N° Lexbase : A8866KKL). Trois questions étaient posées à la Haute juridiction :
- l'envoi par la voie électronique de conclusions à l'avocat de l'autre partie constitue-t-il une notification directe régulière des dites conclusions au sens de l'article 673 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6856H73) en l'absence de consentement exprès du destinataire à l'utilisation de ce mode de communication ?
- l'adhésion au RPVA de l'avocat destinataire ou la signature d'une convention entre la juridiction et l'Ordre des avocats peuvent-elles pallier l'absence de consentement exprès prévu par l'article 748-2 du Code de procédure civile ?
- l'obligation édictée par l'article 930-1 du Code de procédure civile en vigueur depuis le 1er janvier 2013 constitue-t-elle une disposition spéciale imposant l'usage de ce mode de communication au sens de l'article 748-2 du même code ?
Pour la Cour suprême, l'adhésion d'un avocat au réseau privé virtuel avocat (RPVA) emporte nécessairement consentement de sa part à recevoir la notification d'actes de procédure par la voie électronique].
Sur la question du RPVA et de la communication des actes, le président Chauvin a souhaité évoquer les déférés qui sont formés à l'encontre des ordonnances qui prononcent une caducité de la déclaration d'appel ou une irrecevabilité de conclusions. Jusqu'à présent, les déférés prenaient la forme d'une requête adressée au président de la chambre qui fixait une date d'audience. Désormais, le déféré doit être remis au greffe de la cour, qui procède à un enregistrement et qui distribue ensuite le dossier à la chambre ; le président de la chambre fixe alors la date d'audience. Pascal Chauvin insiste particulièrement sur ce point parce qu'il a pu observer un certain flottement dans les pratiques.
II - Le domaine des dispositions des articles 908 à 911 du Code de procédure civile
Les conférenciers ont souhaité, en deuxième lieu, circonscrire le domaine des dispositions des articles 908 à 911 du Code de procédure civile, qui sont des dispositions qui "irritent" les avocats, qui les emprisonnent, qui suppriment l'office du juge, qui prévoient les délais de trois, deux et un mois (trois mois pour l'appelant, deux mois pour l'intimé et un mois pour notifier les conclusions) et, surtout, les sanctions, caducité, irrecevabilité, selon les mots de Maître Emmanuel Jullien.
A - Les procédures exclues (C. pr. civ., art. 905)
La question qui se posait, mais qui est résolue, était de savoir si, lorsque la matière est du domaine des dispositions de l'article 905 (N° Lexbase : L0374IGX) -cet article qui prévoit que, en certaines matières, ordonnances de référés, ordonnances de mise en état ou affaires urgentes, le Président peut fixer des dates-, il y avait coexistence entre l'office du juge et les dispositions légales. En d'autres termes, lorsque le juge fixe un délai plus important que celui prévu par la loi, est-ce que les avocats sont néanmoins obligés de respecter, sous la peine des sanctions que les textes édictent, les dispositions des articles 908 et 909 (N° Lexbase : L0163IPQ) du Code de procédure civile ? Les avis étaient partagés, il y a eu des décisions dans les deux sens, mais maintenant la question est clarifiée.
B - La jurisprudence
Le Président Chauvin rappelle qu'effectivement une décision et un avis récents ont été rendus en la matière (Cass. civ. 2, 16 mai 2013, n° 12-19.119, F-P+B N° Lexbase : A5179KD8 ; Cass. avis, 3 juin 2013, n° 15011P N° Lexbase : A2155KHB). Dans la décision du 16 mai 2013, la deuxième chambre civile a estimé que "l'arrêt d'appel retient exactement que les dispositions de l'article 908 du Code de procédure civile n'ont pas vocation à s'appliquer aux procédures fixées en application de l'article 905 s'agissant de l'appel d'une ordonnance de référé". Et, dans l'avis du 3 juin 2013, la formation des avis a décidé que "les dispositions des articles 908 à 911 du Code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l'article 905 du même code".
Pour Pascal Chauvin, il existe une petite singularité puisque la formation des avis de la Cour de cassation s'est prononcée alors que la deuxième chambre civile, compétente en matière de procédure civile, avait tranché la question quinze jours auparavant. Il rappelle qu'une demande d'avis est soumise à trois conditions : il faut qu'il s'agisse d'une question de droit nouvelle, posant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Jusqu'alors, la Cour de cassation a toujours considéré que, dès lors qu'une chambre s'était prononcée, il n'y avait pas lieu à avis. Mais le conseiller rapporteur -qui d'ailleurs était le même devant la deuxième chambre civile et devant la formation des avis-, a justifié la recevabilité de l'avis par le fait que, dans l'affaire ayant donné lieu à la demande d'avis, alors qu'il s'agissait d'un appel d'une ordonnance de référé, la cour avait renvoyé l'affaire à la mise en état, après que le président avait fixé l'audience à bref délai, en application de l'article 905, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire jugée par la deuxième chambre civile, où la cour d'appel, statuant sur appel d'une ordonnance de référé, avait jugé que l'article 908 ne s'appliquait pas à une procédure fixée en application de l'article 905.
L'hypothèse est la suivante : l'affaire semble présenter un caractère d'urgence ou être en état d'être jugée, ce qui laisse au président de la chambre un pouvoir d'appréciation, ou l'appel est relatif à une ordonnance de référé ou à une ordonnance du juge de la mise en état, ce qui ne laisse au président aucune marge d'appréciation ; le président, d'office ou à la demande d'une partie, fixe à bref délai l'audience à laquelle l'affaire sera appelée ; au jour indiqué, il est alors procédé "selon les modalités prévues aux articles 760 (N° Lexbase : L6979H7M) à 762 du Code de procédure civile". Lorsque l'affaire est appelée, le président va la renvoyer à l'audience de la cour ou la renvoyer à la mise en état. C'est dans cette dernière hypothèse que l'on pouvait se demander si les articles 908 et 911 étaient ou non applicables (la plupart du temps, on applique l'article 905 sans renvoi à la mise en état). En l'occurrence, la Cour de cassation a pris parti en décidant que l'article 905 exclut les articles 908 à 911 du Code de procédure civile. La majorité, pour ne pas dire l'unanimité de la doctrine, était en ce sens ; c'était aussi en ce sens que s'était prononcée la majorité des cours d'appel. Première justification : à partir du moment où l'on emprunte le "circuit court", l'article 905 du Code de procédure civile, on échappe à la mise en état et donc à son formalisme et à ses délais. Deuxième justification : s'agissant de délais "couperets", il faut se rappeler que le conseiller de la mise en état est seul compétent jusqu'à son dessaisissement -le dessaisissement intervenant à l'ouverture des débats devant la formation de jugement-, soit pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, soit pour prononcer l'irrecevabilité des conclusions ; on est donc "enfermé" par la compétence exclusive du conseiller de la mise en état. Enfin, troisième justification : les délais instaurés par le décret de 2009 (trois mois/deux mois) apparaissent inutiles pour ce type d'affaires qui relèvent du circuit court, de sorte qu'il aurait été contre-productif de soumettre à ces délais assez stricts des procédures qui, par nature, sont censées être urgentes. Aussi, l'application de l'article 905 exclut-elle celle des articles 908 et 911 du Code de procédure civile. Si l'on revient au cas de figure où le président, lorsqu'il a fait application de l'article 905, renvoie à la mise en état, la formation des avis de la Cour de cassation, par sa formule générale, décide que les articles 908 et 911 sont exclus. Donc, dès lors qu'une affaire a été orientée par le président de la chambre vers le circuit court, les articles 908 à 905 du Code de procédure civile sont exclus, quand bien même le président, lorsqu'il appelle l'affaire la première fois à une audience, la renvoie à la mise en état.
Pour Emmanuel Jullien, c'est une exclusion très importante ; il faut être conscient que devant certaines cours, c'est un moyen d'adapter des règles à leur finalité. Devant les cours où l'on n'arrive pas à fixer dans des délais raisonnables, on emploie, de façon quasiment systématique, l'article 905 du Code de procédure civile, notamment pour les ordonnances de non-conciliation ; et c'est le cas devant certaines chambres de la cour d'appel de Paris. Mais, on peut imaginer que cette méthode, ce choix, soit étendu et les avocats échapperont, dans ces hypothèses nombreuses, aux couperets dénoncés trop souvent par ailleurs.
III - L'assignation de l'intimé
Les conférenciers proposent ensuite d'examiner l'assignation de l'intimé.
A - La disparition de l'article 908 du Code de procédure civile
Pour Emmanuel Jullien, c'est une provocation de parler d'assignation parce que nulle part dans les nouveaux textes on ne trouve ce terme. Il existait, auparavant, un article 908 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0942H4N) qui prévoyait précisément l'obligation normale, pour l'appelant, d'assigner l'intimé. Or, la "disparition" de l'assignation pose question parce que, bien évidemment, la procédure d'appel n'échappe pas aux principes directeurs du procès.
B - L'assignation et les principes directeurs du procès
En ce qui concerne l'assignation, d'une part, l'article 14 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1131H4N) précise que "nul ne peut être jugé sans avoir été entendu ou appelé" et, d'autre part, l'article 56 du même code (N° Lexbase : L8420IRB), relatif à l'assignation au sens large, précise que cette assignation doit mentionner l'objet de la demande avec un exposé en fait et en droit et l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée.
L'article 908 ancien ne reprenait pas ces dispositions, mais la pratique avait admis, et la jurisprudence considérait, qu'il ne pouvait pas y avoir d'assignation valable de l'intimé sans dénonciation des conclusions, c'est-à-dire l'objet de la demande, les conclusions devant comporter également l'indication des pièces qui viennent à l'appui des prétentions.
Or, dans la procédure nouvelle, ce qui est prévu, c'est la notification de la déclaration d'appel ; l'appelant doit nécessairement notifier sa déclaration d'appel dans le mois de l'avis qui lui est donné par le greffe. Cette notification de la déclaration d'appel intervient à un moment où, dans la plupart des cas, l'appelant n'a pas conclu, en sorte qu'elle sera incomplète au regard des principes directeurs du procès ; et elle ne pourra, en aucun cas, valoir à elle-seule assignation au sens de ces mêmes dispositions.
Il convient, dès lors, de s'en rappeler au moment de la notification des conclusions et de notifier impérativement la déclaration d'appel avec les conclusions lorsqu'il n'y aura pas eu notification préalable de la déclaration d'appel, ou, mieux encore, une assignation avec notification de la déclaration d'appel et des conclusions visant l'ensemble des textes et leurs sanctions.
Mais, à ce stade, il convient d'examiner la sanction de l'absence de notification de la déclaration d'appel, qui doit être faite dans le mois de l'avis délivré par le greffe.
C - La notification de la déclaration d'appel (C. pr. civ., art. 902)
Monsieur Bencimon rappelle que la sanction est inscrite à l'article 902 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0377IT7) : c'est la caducité de la déclaration d'appel. L'avocat est averti par l'avis adressé par le greffe, via le RPVA, que "telle partie n'a pas constitué dans le délai d'un mois ou la déclaration d'appel a été retournée au greffe" ; cet avis peut être adressé très rapidement, par conséquent, pour Monsieur "BAPA", il convient d'être particulièrement vigilant et de surveiller sa boîte de réception du RPVA journellement, matin midi et soir, et pas seulement une fois par mois. C'est par la voie du RPVA que l'avocat sera avisé de l'avis prévu à l'article 902 du Code de procédure civile : "en cas de retour au greffe de la lettre de notification ou lorsque l'intimé n'a pas constitué avocat dans un délai d'un mois à compter de l'envoi de la lettre de notification, le greffier en avise l'avocat de l'appelant, afin que celui-ci, par voie de signification de la déclaration d'appel, en informe l'intimé".
La sanction : "à peine de caducité de la déclaration d'appel, la signification doit être effectuée dans le mois de l'avis adressé par le greffe". Le texte ne fait pas référence à l'assignation mais à la signification. Pour Maurice Bencimon, il est évident que l'on doit retenir les explications données par Maître Jullien : en réalité, le terme d'assignation conviendrait beaucoup mieux, il se trouve que le texte vise la signification et que par conséquent, on doit s'en tenir à cette rédaction.
Il peut arriver que l'avocat ne trouve pas trace de l'avis adressé par le greffe par l'intermédiaire du RPVA. Dans ce cas, il peut interroger le BAPA, qui a la possibilité, par l'intermédiaire du Conseil national des barreaux, de tracer les avis.
La difficulté d'application essentielle est de déterminer si le juge a le pouvoir de relever d'office cette caducité. Maurice Bencimon fait observer que, contrairement aux dispositions des articles 908 à 910 du Code de procédure civile, qui donnent le pouvoir au juge de relever d'office la caducité de l'appel ou l'irrecevabilité des conclusions quand elles sont signifiées tardivement, l'article 902 du Code de procédure civile ne dispose pas que le juge peut relever d'office le moyen. Un certain nombre de décisions a été rendue en la matière -et, notamment, trois décisions peuvent être citées- : l'une, rendue par la cour d'appel de Paris, a retenu que le juge n'avait pas le pouvoir de relever d'office le moyen (CA Paris, Pôle 5, 11ème ch., 21 juin 2013, n° 13/07186). La cour a jugé "que ce texte ne prévoit pas, au contraire des articles 908 et 909 du Code de procédure civile qui énoncent que sont relevées d'office la caducité de la déclaration d'appel lorsque l'appelant n'a pas conclu dans le délai de trois mois à compter de cette déclaration et l'irrecevabilité des conclusions de l'intimé qui n'a pas conclu dans les deux mois de la notification, que la caducité est relevée d'office ; que dès lors il n'y a pas lieu de prononcer d'office une telle sanction ; que l'ordonnance susvisée sera en conséquence infirmée". Dans une autre décision, rendue par la cour d'appel de Poitiers le 28 mai 2013 (CA Poitiers, 28 mai 2013, n° 12/03896 N° Lexbase : A0213KEM), il est précisé que "la signification de cet acte n'a pas été effectuée dans le mois de l'avis qui lui a été adressé par le greffe, étant par ailleurs observé que l'article 914, en disposant que les parties ne sont plus recevables à invoquer la caducité après dessaisissement du magistrat chargé de la mise en état, admet implicitement mais nécessairement que les parties disposent d'un droit propre à invoquer la caducité de la déclaration d'appel". Enfin, une ultime décision, également intéressante, rendue par la cour d'appel de Bordeaux le 15 février 2012 (CA Bordeaux, 15 février 2012, n° 11/05730 N° Lexbase : A5314ICS), a jugé dans le même sens, en précisant que les dispositions de l'article 911-1, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0165IPS), qui prescrivent le recueil des observations écrites de toutes les parties, et pas seulement de la partie appelante à laquelle le greffe a adressé l'avis, n'impliquent pas davantage que le magistrat peut relever d'office le moyen tiré de la caducité de la déclaration d'appel.
Avant que le Président Chauvin ne donne la solution, Emmanuel Jullien a souhaité adresser quelques mots, d'une façon générale, sur le relevé d'office. Rappel historique tout d'abord : dans la rédaction de 1975, l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I) prévoyait que le juge peut relever d'office les moyens de pur droit, quel que soit le fondement juridique invoqué par les parties. Cet article 12, dans sa rédaction originaire, était complété à l'article 16 (N° Lexbase : L1133H4Q) par l'indication que le juge, lorsqu'il relevait un moyen d'office, n'était pas obligé de provoquer les explications des parties. Cette disposition de l'article 12 a été annulée par un arrêt du Conseil d'Etat (CE, 12 octobre 1979, n° 1875, n° 1905 et n° 1948 à 1951 N° Lexbase : A1703AKB) qui a considéré, au regard des règles du contradictoire et du procès équitable, qu'elle ne méritait pas d'être maintenue. L'article 16, dans sa rédaction actuelle (N° Lexbase : L1133H4Q), précise lui, maintenant, après plusieurs modifications, intervenues la première en 1976 et la dernière en 1981, que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. Il semble quand même, sur le plan général, s'inférer de cette disposition que le juge peut toujours soulever un moyen d'office, à la condition expresse de provoquer les explications des parties.
En fait, il existe toujours, d'une façon générale, et sans s'arrêter pour le moment à l'article 902 (N° Lexbase : L0377IT7), sur le relevé d'office, trois cas de figure : le premier cas, c'est celui où il fait interdiction au juge de soulever un moyen d'office ; on le trouve, notamment en matière d'exception d'incompétence, la cour d'appel n'ayant pas la possibilité, dit le texte, de soulever le moyen d'office de son incompétence, sauf certains cas énumérés. Là, c'est donc une interdiction. Le deuxième cas, c'est celui où il est fait obligation au juge de soulever le moyen d'office ; il pourrait sans doute être cassé pour ne pas l'avoir fait. Rentrent dans cette catégorie, puisqu'on parle de la procédure d'appel, les dispositions qui prescrivent au juge de relever d'office les moyens dans le cadre des dispositions des articles 908, 909 et 911 du Code de procédure civile. Le troisième cas est celui où les textes sont muets : le juge peut-il néanmoins soulever un moyen de droit d'office ? Certains ne le pensent pas et excluent cette troisième voie.
Pour Emmanuel Jullien, la lecture de l'article 16 du Code de procédure civile paraît contredire, malheureusement, cette thèse ; le juge peut toujours soulever un moyen d'office, surtout quand il est de pur droit, ce qui est le cas de l'article 902 précédemment évoqué, mais à la condition bien entendu, rajoutée en 1981 dans l'article 16, de provoquer les explications des parties. Donc, ces explications générales rapportées à l'article 902 font craindre sur la pérennité des décisions rapportées supra et non approuvées des différentes cours sur l'interdiction qui serait faite aux juges de soulever les dispositions de l'article 902.
Pour Pascal Chauvin, à la lumière de l'arrêt rendu le 27 juin 2013 par la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 27 juin 2013, n° 12-20.529, FS-P+B N° Lexbase : A2974KIY), le décret du 9 décembre 2009 a prévu trois catégories d'obligations. Des obligations sanctionnées : elles concernent le respect des délais pour conclure ; des obligations dépourvues de sanction (par exemple, l'obligation de communiquer les pièces simultanément à la notification des conclusions ou encore l'obligation impartie aux avocats de déposer leur dossier de pièces quinze jours avant l'audience des plaidoiries) ; enfin, cette obligation qui se situe à mi-chemin, celle de l'article 902, selon lequel, "à peine de caducité de la déclaration d'appel", "la signification doit être effectuée dans le mois de l'avis adressé par le greffe". Or, cette sanction a été ajoutée par le décret de 2010 (décret n° 2010-434 du 29 avril 2010 N° Lexbase : L0190IHI) au décret de 2009, mais curieusement le pouvoir réglementaire n'a pas prévu que la sanction doit être relevée d'office (s'agit-il d'un oubli ?). Pour le Président Chauvin, la sanction existe et le juge "peut" prononcer cette caducité de la déclaration d'appel, mais il n'est pas tenu de le faire. S'il n'envisage pas de prononcer la sanction, qui va pouvoir lui demander ? Ce ne peut être que l'intimé défaillant qui devra alors avoir recours à un avocat pour demander la caducité de la déclaration d'appel. Or, si certaines cours d'appel estiment qu'il faut relever d'office la caducité, d'autres sont d'un avis contraire : cela aboutit à une incohérence de la jurisprudence. Au sein même de la cour d'appel de Paris, des chambres relèvent d'office la caducité, tandis que d'autres s'en abstiennent ; au sein d'une chambre, doit s'appliquer une politique générale ; il n'est pas concevable de relever d'office la caducité dans certaines affaires et non dans d'autres. Dans la mesure où le texte est en retrait par rapport aux articles 908, 909 et 910 du Code de procédure civile, Pascal Chauvin est d'avis de ne pas relever d'office la caducité. Ce d'autant que la sanction est redoutable : la caducité de la déclaration d'appel est prononcée parce que l'avocat n'a pas signifié la déclaration d'appel à un intimé défaillant, donc qui a priori ne s'intéresse pas au litige !
Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 27 juin 2013, la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 8 mars 2012, n° 11/20977 N° Lexbase : A1079IEP) avait précisément relevé d'office la caducité de la déclaration d'appel, mais elle n'avait pas invité les parties à faire valoir leurs observations. Le moyen de cassation invoquant la violation de l'article 16 du Code de procédure civile, la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'appel : "en statuant ainsi sans avoir au préalable invité les parties à porter leurs observations sur ce moyen qu'elle avait relevé d'office, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction et violé l'article 16 du Code de procédure civile". Le Président Chauvin observe que la Cour de cassation n'a pas sanctionné la cour d'appel pour avoir relevé d'office le moyen tiré de la caducité, alors que, si elle l'avait voulu, elle aurait pu le faire, en relevant elle-même d'office le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 902. Doit-on en déduire qu'elle a ainsi considéré que le juge d'appel a le pouvoir de relever d'office la caducité de la déclaration d'appel ? C'est fort probable, mais une telle interprétation demande à être confirmée.
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