Réf. : Cass. civ. 1, 2 octobre 2013, n° 12-25.941, F-P+B+I (N° Lexbase : A1768KMG)
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par Carine Bernault, Professeur à l'Université de Nantes
le 14 Novembre 2013
I - Rencontre fortuite et réminiscence : l'élément intentionnel de la contrefaçon
Il convient, tout d'abord, de revenir sur le principe qui veut donc, désormais, que la contrefaçon puisse être écartée si le défendeur "démontre que les similitudes existant entre les deux oeuvres procèdent d'une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d'une source d'inspiration commune". Il ne s'agit pas là d'une solution nouvelle puisqu'elle avait déjà été posée, dans les mêmes termes, dans une décision du 16 mai 2006 (2). Il faut toutefois étudier le rapport entre les deux cas de figure envisagés.
Pour présenter l'hypothèse des rencontres fortuites, on fait souvent référence au hasard (3). Les similitudes entre les oeuvres résulteraient donc d'un concours de circonstances. Les "réminiscences issues d'une source d'inspiration commune", en revanche, ne sont pas réellement le fruit du hasard. Elles s'expliquent par le fait que les deux créations s'inspirant d'un même "fonds commun", par exemple d'un même folklore, elles vont presque inévitablement se ressembler alors même que l'auteur de l'oeuvre seconde n'a pas voulu copier l'oeuvre première.
Dans les deux cas, cela revient à dire que la contrefaçon est réalisée de manière involontaire. Donc pour résumer, les juges rappellent ici que le défendeur peut échapper à la condamnation pour contrefaçon s'il démontre que celle-ci a été commise de manière inconsciente. Cela recoupe alors la contrefaçon réalisée par hasard (rencontre fortuite) et celle qui s'explique par une inspiration commune (réminiscences) (4). La standardisation des oeuvres déjà constatée dans certains secteurs peut laisser penser que ces hypothèses seront de plus en plus fréquentes (5).
Il s'agit donc de ne pas condamner "le contrefacteur malgré lui" (6), ce qui peut se recommander d'une certaine logique. Ainsi, en matière pénale, on a rappelé que les juges ont adopté une présomption de mauvaise foi à l'encontre du contrefacteur. Il s'agit d'une présomption simple qui peut succomber devant la preuve contraire. Dès lors, l'existence de rencontres fortuites ou de réminiscences permettrait au contrefacteur d'échapper à la condamnation en démontrant sa bonne foi.
En revanche, en matière civile, la bonne foi du contrefacteur est indifférente (7). La Cour rappelle d'ailleurs implicitement ce principe en affirmant que "la contrefaçon de cette oeuvre résulte de sa seule reproduction " (8). Pourtant, la position adoptée ici par les juges paraît peu compatible avec ce principe. En effet, comment expliquer que le contrefacteur puisse échapper à la condamnation pour contrefaçon en démontrant que celle-ci a été commise de manière inconsciente (rencontres fortuites ou réminiscences) alors même que sa bonne ou mauvaise foi devrait être indifférente ? Peut-être faut-il alors amender le principe bien connu pour dire que la bonne foi est indifférente, sauf en cas de rencontre fortuite ou de réminiscence due à une inspiration commune (9) ?
En tout cas, contrairement à ce que pourrait laisser croire cet arrêt, il nous semble que la question de la création indépendante, liée à la preuve de l'accès à l'oeuvre contrefaite, doit être clairement distinguée de celle des rencontres fortuites et réminiscences puisque ce n'est plus l'élément intentionnel mais bien l'élément matériel de la contrefaçon qui est en jeu.
II - Création indépendante : l'élément matériel de la contrefaçon
Pour la Cour de cassation, il appartient au défendeur de prouver qu'il n'a pas pu accéder à l'oeuvre supposée contrefaite par ses soins. Cette fois-ci, on ne se situe plus sur le terrain de la bonne ou mauvaise foi du défendeur mais bien sur celui de la définition même de l'acte matériel de contrefaçon.
Il ne peut y avoir sanction au titre de la contrefaçon que si un emprunt a été fait à l'oeuvre contrefaite. Or, si le demandeur n'a pas pu accéder à cette oeuvre, soit parce qu'il en ignorait réellement l'existence, soit parce qu'elle lui était inaccessible, alors cet emprunt est inexistant et un élément constitutif de la définition de la contrefaçon fait défaut.
Il est totalement légitime que la charge de cette preuve pèse sur le défendeur. Pourtant, tel n'a pas toujours été le cas. Les juges ont parfois considéré qu'il appartenait au demandeur de prouver que son "adversaire" avait bien eu accès à son oeuvre (10), ce qui explique sans doute la position des juges du fond en l'espèce. La solution consacrée ici est beaucoup plus orthodoxe dans la mesure où, comme le prévoit l'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle visé par la Cour, une oeuvre est protégée "du seul de fait de sa création".
La charge de la preuve est ainsi répartie entre les "adversaires". Le demandeur à l'action en contrefaçon doit prouver que son oeuvre a été créée avant celle du défendeur. Ensuite, il appartient à ce dernier de démontrer qu'il n'avait pas pu y accéder avant l'élaboration de sa propre création. Cela revient donc à démontrer qu'il a créé son oeuvre de manière totalement indépendante. Reste, il faut le reconnaitre, qu'il sera souvent difficile pour le défendeur de prouver qu'il n'a pas accédé à l'oeuvre supposée contrefaite. Le nombre d'oeuvres accessibles sur internet, et donc potentiellement depuis le monde entier, ne cesse de croitre. Par ailleurs, si l'oeuvre première a bel et bien été exploitée sur le territoire où vivait le défendeur au moment où il a créé l'oeuvre seconde, il lui sera sans doute difficile d'échapper à la condamnation pour contrefaçon (11). Enfin, plus l'oeuvre première aura rencontré un large succès, plus il sera difficile de prétendre ne pas y avoir accédée.
Pour conclure, il nous paraît donc discutable d'établir un lien entre cette question de la création indépendante et celles des rencontres fortuites ou des réminiscences. Dans le premier cas de figure, l'auteur ignore l'existence et le "contenu" de l'oeuvre préexistante, alors que dans les hypothèses suivantes, il en connaît l'existence mais s'en est inspiré de manière inconsciente. Très concrètement, le défendeur devra donc démontrer qu'il n'a pas eu accès à l'oeuvre dans le premier cas, alors qu'il devra prouver qu'il n'était pas conscient de se livrer à un acte de contrefaçon dans les autres hypothèses. Ce sont bien là deux situations différentes.
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