Lexbase Contentieux et Recouvrement n°6 du 11 juillet 2024 : Voies d'exécution

[Focus] Une nouvelle mesure conservatoire dispensée d’autorisation préalable : la mesure pour charges de copropriété impayées

Réf. : Loi n° 2024-322, du 9 avril 2024, visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement N° Lexbase : L0632MMD

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[Focus] Une nouvelle mesure conservatoire dispensée d’autorisation préalable : la mesure pour charges de copropriété impayées. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/110141029-focus-une-nouvelle-mesure-conservatoire-dispensee-dautorisation-prealable-la-mesure-pour-charges-de-
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par Julien Laurent, Professeur à l'Université Toulouse Capitole, Agrégé des facultés, Centre IEJUC

le 02 Août 2024

1. Le 11 avril 2024, est entrée en vigueur la loi n° 2024-322, du 9 avril 2024, visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement N° Lexbase : L0632MMD [1]. Elle poursuit trois objectifs principaux : prévenir la dégradation de l'habitat, accélérer la réhabilitation de certains logements et renforcer la lutte contre les « marchands de sommeil ». C’est en considération de ces objectifs lato sensu que le législateur a pu saisir l’occasion de créer une nouvelle mesure conservatoire dispensée d’autorisation judiciaire préalable aux fins de recouvrement de provisions de charges de copropriété impayées.

2. Pour rappel, les mesures conservatoires forment la matière du Livre V du Code des procédures civiles d’exécution. L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L5913IRG énonce qu’elles prennent « la forme d'une saisie conservatoire ou d'une sûreté judiciaire ». Cette dualité des formes correspond à deux techniques qui commandent une organisation, à certains égards, différenciée : pour simplifier, les saisies conservatoires frappent d’indisponibilité les biens qui en sont l’objet ; les sûretés judiciaires confèrent à leurs bénéficiaires droits de préférence et de suite.

L’intérêt d’une mesure conservatoire est de permettre à un créancier de se garantir sur des biens de son débiteur alors qu’il ne détient pas encore de titre exécutoire. Mais elle est dangereuse pour le débiteur car, quelle que soit la mesure choisie, elle grèvera temporairement les biens qui en sont l’objet. L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution énonce les conditions requises pour prendre une telle mesure : « toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ». Le texte vise à respecter un subtil équilibre : d'un côté, les agissements du créancier, qui redoute l'insolvabilité du débiteur, ne doivent pas être entravés par le respect de conditions trop sévères, l'efficacité d'une mesure conservatoire étant subordonnée aux exigences de rapidité, discrétion et nécessitant une certaine surprise ; de l’autre, étant donné que son action intervient à un stade où il ne dispose pas encore – du moins dans la majorité des cas – de titre exécutoire, le contrôle préalable d'un magistrat spécialisé a été jugé comme constitutif d’une juste précaution. Il est toutefois des cas exceptionnels où cette autorisation n’est pas nécessaire. Ce sont ces cas qu’énumère l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L1094MMH et c’est, par conséquent, un nouveau cas de dispense qu’ajoute la loi « habitat dégradé » au texte.

3. L’article 19, de la loi du 9 avril 2024 N° Lexbase : Z94259WI, modifie l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution et ajoute, à la liste des situations dans lesquelles une autorisation préalable du juge de l’exécution n’est pas nécessaire (sauf si évidemment l’on dispose d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire), celle d’un défaut de paiement des « provisions mentionnées au premier alinéa de l'article 19-2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, exigibles ou rendues exigibles dans les conditions prévues au même article 19-2 ». L’objectif poursuivi est simple : fournir au syndic (qui agira au nom du syndicat des copropriétaires) une arme supplémentaire aux fins de recouvrir ces sommes, que les copropriétaires rechignent parfois à payer. De ce point de vue, on est dans une logique proche de celle qui justifie la créance de loyer d’un contrat de louage écrit d’immeubles au même texte : « soutenir » au sens large l’immobilier. Une incertitude demeure toutefois sur le domaine exact de ce texte, l’article L. 511-2 nouveau ne faisant référence qu’aux « provisions » mentionnées au premier alinéa de l’article 19-2 N° Lexbase : Z77271TI, lui-même distinguant les provisions dues ou non encore échues au titre de l’article 14-1 N° Lexbase : Z77299TI (c’est-à-dire les provisions pour charges), des sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents qui, après approbation des comptes, deviennent immédiatement exigibles et qui ne sont donc plus techniquement des provisions. On peut toutefois penser que la jurisprudence aura une interprétation compréhensive du texte, pour intégrer toutes les sommes mentionnées au premier alinéa du texte [2]

4. Sur le plan technique, le texte interroge cependant sur la croisée de deux dispositifs, celui prévu pour les mesures conservatoires et celui de l’article 19-2, de la loi du 10 juillet 1965, cette hybridation ne se faisant pas tout à fait harmonieusement. Il résulte en effet de l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution qu’en cas de dispense d’autorisation judiciaire préalable, la seule condition de fond exigée pour diligenter une mesure conservatoire est de pouvoir faire valoir une créance qui paraît fondée en son principe, si l’on justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. Dans une configuration normale, le grand intérêt d’une mesure conservatoire est sa précocité : l’idée est de prévenir une dilution du droit de gage du créancier sans attendre qu'il soit défaillant. Nul besoin d’attendre que la créance soit à terme pour pouvoir prendre une saisie conservatoire ou une sûreté judiciaire. Or, précisément, l’article L. 511-2 nouveau précise bien que la dispense concerne les provisions exigibles ou devenues exigibles « dans les conditions de l’article 19-2 ». Autrement dit, la mesure conservatoire interviendra sur une créance déjà à terme, en aval de son domaine d’intervention temporel habituel.

5. Sur le plan concret, conformément aux conditions auxquelles fait référence l’article L. 511-2 nouveau du Code des procédures civiles d’exécution, précisément celles de rendre exigibles les provisions, l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 exige une mise en demeure restée infructueuse pendant trente jours envoyée à compter de la date d’exigibilité, qui sera concrètement envoyée par le syndic au copropriétaire défaillant. Cette mise en demeure pourra se faire par LRAR [3]. La preuve de cette formalité (ainsi que tous les documents utiles permettant d’établir l’existence de ces créances) constituera le titre en vertu duquel le commissaire de justice pourra diligenter une mesure conservatoire à la demande du syndic. S'agissant d'une mesure conservatoire, il n'aura pas à être préalablement autorisé par l'assemblée générale [4], conformément aux dispositions de l'article 55 du décret du 17 mars 1967 N° Lexbase : L8032BB4. Il conviendra ensuite, à peine de caducité de la mesure, d'introduire la demande en paiement devant la juridiction compétente dans le mois suivant la saisie conservatoire. Rappelons enfin, que toute mesure conservatoire, même sans autorisation préalable du juge, ouvre droit à contestation et peut engager la responsabilité du créancier [5].

6. Il est trop tôt pour dire si cette nouveauté aura l’efficacité escomptée, même si l’on peut estimer que la condition d’exigibilité à laquelle renvoie l’article L. 511-2 ouvrira, plus certainement, la voie d’une mesure exécutoire, étant donné que les conditions d’obtention d’un titre exécutoire seront automatiquement remplies à la suite de l’accomplissement des formalités requises par l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965.

 

[1] À l'exception des dispositions pour lesquelles un régime transitoire dérogatoire a été expressément prévu et celles pour lesquelles l'application est conditionnée à l'élaboration de décrets d'application.

[2] En ce sens, P.-É. Lagraulet, La loi « habitat dégradé » et le statut de la copropriété des immeubles bâtis, AJDI, juin 2024, n° 6, p. 420.

[3] Décret n° 67-223, du 17 mars 1967, pris pour l'application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, art. 64 N° Lexbase : L5594IGB.

[4] Décret n° 67-223, du 17 mars 1967, précité, art. 55, al. 3 N° Lexbase : L8032BB4.

[5] CPCEx., art. L. 121-2 N° Lexbase : L5805IRG.

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