Lexbase Contentieux et Recouvrement n°6 du 11 juillet 2024 : Voies d'exécution

[Questions à...] Entretien avec Guillaume Valdelièvre, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation sur la profession d'avocat aux conseils

Lecture: 10 min

N9847BZQ

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Questions à...] Entretien avec Guillaume Valdelièvre, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation sur la profession d'avocat aux conseils. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/109593142-questions-a-entretien-avec-guillaume-valdelievre-avocat-au-conseil-detat-et-a-la-cour-de-cassation-s
Copier

par Aude Alexandre-Leroux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE

le 11 Septembre 2024

Dans le cadre de notre série d'entretiens avec des personnalités clés du domaine judiciaire, maître Aude Alexandre Le Roux eu l'honneur de nous entretenir avec Guillaume Valdelièvre, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Cette interview nous offre une occasion de mieux comprendre la profession d’avocat aux Conseils.


 

Aude Alexandre Le Roux  (AALR) : Guillaume, peux-tu nous présenter la profession d’avocat aux conseils ?

Guillaume Valdelièvre (GV) : Être avocat aux conseils, c’est appartenir à un barreau spécialisé qui intervient essentiellement devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. L’exercice de cette profession exige une qualification supplémentaire : le certificat d’aptitude à la profession d’avocat aux conseils. Une fois ce diplôme obtenu, il faut s’associer ou succéder à un avocat aux conseils exerçant dans un office existant. De nouveaux offices peuvent être créés à l’initiative de l’autorité de la concurrence, selon les besoins du service public de la justice, d’après le critère instauré par la loi « Macron » de 2015 N° Lexbase : L4876KEC. Une fois devenu avocat aux conseils, vous pouvez présenter les pourvois et recours de tout type devant le Conseil d’État et la Cour de cassation.

AALR : Je me souviens d’un de tes posts LinkedIn dans lequel tu évoquais le fait qu’il n’était pas utile de chercher un avocat aux conseils spécialisé dans une matière déterminée. Peux-tu éclairer nos lecteurs ? Le choix de l’avocat aux conseils est souvent source d’interrogations pour les avocats…

GV : Ce post partait du constat évident que nous vivons aujourd’hui dans un monde ultraspécialisé où les normes particulières se multiplient. Je voulais souligner que même si nous intervenons dans tous les domaines au stade de la cassation, nous participons de cette spécialisation. En effet, notre spécialité ne relève pas de la pratique exclusive de tel ou de tel domaine du droit, mais de l’usage de la technique de cassation. Cette technique de cassation a pour particularité d’être toujours la même, dans tous types de contentieux, quelle que soit la nature du litige (prud’hommal, concurrentiel, responsabilité médicale, etc.). Que ce soit devant la Cour de cassation ou devant le Conseil d’État, les cas d’ouverture à cassation sont sensiblement les mêmes et c’est dans ce canevas que nous présentons nos moyens. Le recours en cassation est un contrôle de conformité au sens moderne du terme. Il offre la possibilité d’examiner si une décision est conforme à la règle de droit qu’elle devait appliquer et aux exigences de forme qu’elle devait respecter. Notre spécialité est donc cette technique de cassation appliquée à tous les domaines du droit. Nous pouvons d’autant mieux le faire que le débat juridique a été cadré par les moyens soutenus par les avocats aux barreaux devant les juridictions du fond. Pour ces raisons, si nous avons tous plus ou moins des activités dominantes, nous n’avons pas de spécialité au stade de la cassation. Notre spécialité, c’est la cassation.

AALR : Peux-tu détailler brièvement ce canevas afin de nous éclairer ?

GV : Il s’agit des cas d’ouverture à cassation : la violation de la loi, le défaut de base légale, la dénaturation des actes de procédure ou des actes du procès, l’insuffisance de motivation, mais aussi le contrôle de proportionnalité dont on sait qu’il s’étend.

AALR : Je remarque que de nombreux confrères n’osent pas aller en cassation. Pourrais-tu nous préciser les contours d’une décision qui mérite incontestablement un pourvoi à ton sens ?

GV : C’est effectivement un constat que nous faisons tous. Certains avocats n’envisagent pas le pourvoi comme une voie de recours en tant que telle. Dans un monde idéal, il faudrait pouvoir contrôler toutes les décisions pour déterminer si, oui ou non, un pourvoi a des chances de succès. Évidemment on ne le fait pas parce que l’enjeu du litige, l’essoufflement des parties à un procès qui aurait trop duré entrent en compte.  Mais il est certain que toute décision est susceptible de ce contrôle, parce que toute décision peut être affectée d’une erreur d’application de la loi.

Il faut s’avoir qu’en 2022, comme sur les dix dernières années, il y a par exemple un taux de cassation en matière civile, commerciale et sociale de plus de 30 %. Le contrôle de conformité qu’assure le juge de cassation est donc pleinement utile. Pour autant, le nombre de recours baisse structurellement depuis plusieurs années et il représente moins de 10 % des décisions rendues par les cours d’appel dans le domaine judiciaire, hors droit pénal.

Le réflexe du pourvoi, que n’ont pas forcément tous les confrères, est justifié par la nécessité de savoir si la juridiction qui a rendu la décision a bien appliqué la loi au regard des moyens qu’on a soulevés et des pièces produites. Dans ce cadre-là, un examen par l’avocat aux conseils, qui va déterminer s’il y a des chances de succès du recours, est utile. Cet examen des chances de succès est une des raisons d’être de notre métier. Notre rôle est aussi de dissuader d’un recours voué à l’échec, pour ne pas encombrer les juridictions suprêmes.

Si le taux de cassation est peu ou prou d’un tiers devant la Cour de cassation, c’est aussi parce que nous avons dissuadé des recours dépourvus de chances.

Toujours en matière civile, environ 20 % des pourvois formés à titre conservatoire ne sont pas poursuivis ; dans l’immense majorité des cas, c’est parce que nous avons déconseillé la poursuite, faute de moyen sérieux.

Notre intervention est utile parce qu’au-delà des cas dans lesquels les litiges sont extrêmement factuels, il y a de nombreuses affaires où il est question d’appréciation de la norme et de ses critères de mise en œuvre. Dans ces cas-là, il est légitime, voire indispensable vis-à-vis des clients, de s’interroger sur la possibilité de remettre en cause la décision devant le juge de cassation.

Pour donner un exemple très concret, à l’occasion d’une décision qui retient la responsabilité de votre client mais dans laquelle vous voyez que le juge se prononce sur la faute et le dommage, sans rien dire explicitement du lien de causalité : l’avocat aux conseils, grâce à son expérience du contrôle de cassation, pourra dire si effectivement un moyen de cassation peut être soulevé car le lien de causalité n’a pas été examiné ou si ce lien de causalité a été implicitement mais suffisamment pris en considération et qu’il n’existe donc pas de chance de succès.

AALR : Comment concrètement identifier la nécessité de recourir à la consultation auprès d’un avocat aux conseils ?

GV : Il existe différents degrés de contrôle à envisager et qui justifient de solliciter l’avis de l’avocat aux conseils. Sans aborder toutes les nuances et cas exceptionnels, on peut regrouper cela en trois catégories.

Il y a le contrôle purement normatif : j’ai fait valoir que la règle de droit s’applique de telle manière, la juridiction du fond l’a appliquée de telle autre manière ou alors elle n’a pas constaté la réunion de toutes les conditions pour appliquer cette règle de droit (par exemple toujours : les trois éléments constitutifs de la responsabilité).

Ensuite, il y a la question du caractère suffisant de la motivation : j’ai développé dans mes conclusions des moyens qui étaient étayés en droit et en fait et l’on voit que la juridiction du fond ne leur a pas apporté de réponse.

En troisième ligne, et c’est peut-être là où les espoirs des clients sont les plus souvent déçus, mais cela nécessite aussi d’être examiné : c’est la question de la dénaturation des actes qui étaient dans le débat. Autant, devant le juge de cassation, on ne peut pas reprocher à un juge d’avoir privilégié un élément de fait plutôt qu’un autre en l’estimant plus probant, autant si le juge a dit d’un acte qu’il énonçait telle chose, alors qu’en réalité, il énonçait une chose contraire, alors il y a dénaturation de l’acte. Et cela relève du contrôle de la cassation.

AALR : Comment encourager les avocats à envisager davantage le pourvoi ?

GV :  Il y a évidemment des efforts de communication à poursuivre de la part des avocats aux conseils à destination des avocats et des directions juridiques. Les présidents anciens et actuel de notre Ordre y œuvrent beaucoup. Il s’agit de développer le réflexe de se dire : « est-ce qu’au-delà de la déception que me cause cette décision défavorable et de l’appréciation du juge avec laquelle je ne suis pas d’accord, il y a, dans cette décision, des erreurs commises dans l’application de la règle de droit et la prise en compte des moyens qui étaient présentés ? ».

Il est possible que dans l’esprit des confrères, avocats aux barreaux, soit inscrite l’idée qu’il n’y a pas de troisième degré de juridiction et qu’il n’y a donc pas de possibilité de replaider l’affaire.

Cette idée est vraie, mais elle ne doit pas occulter qu’il y a tout de même un nouveau type de recours : celui d’un contrôle de conformité de la décision rendue à la règle de droit.

Si le pourvoi en cassation est communément appréhendé comme cela, il me semble que les avocats aux barreaux auront plus facilement tendance à solliciter leurs confrères avocats aux conseils.

AALR : Depuis ton début d’activité en 2016, identifies-tu un courant actuel jurisprudentiel en matière d’exécution ? As-tu vu des choses qui t’ont interpellé dans les décisions que tu as vu passer ?

GV : D’abord, comme je l’ai dit, il n’y a pas de spécialisation au stade de la cassation, mais le droit des procédures d’exécution, surtout en matière de saisies immobilières, fait partie des dominantes de mon activité. Il ne me semble pas qu’il y ait actuellement de tendance particulière dans la matière au stade de la cassation. Ce qui me semble en revanche toujours très présent, cette une exigence forte de respect des formalités pour préserver les droits des débiteurs. Cette tendance s’inscrit dans le cadre des grands principes du droit consacrés notamment par la Cour européenne des droits de l’Homme.

AALR : Cette importance attachée au formalisme n’induirait-t-il pas in fine le rejet d’un droit fondamental qui est celui du créancier de son droit à l’exécution ?

GV : Dans ce domaine, la difficulté est bien sûr de ménager l’équilibre entre droits fondamentaux du débiteur et du créancier, appréciés notamment à l’aune de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L1625AZ9. On sait que cela donne parfois lieu à des effets de balancier, comme en matière de procédures collectives. Il me semble que l’avantage qu’il y a à cette exigence de respect du formalisme est que, dès lors que celui-ci a été correctement mis en œuvre, le créancier peut être légitimement confiant sur l’issue de la procédure. Cela se confirme tout à fait au stade de la cassation.

*Propos recueillis par Aude Alexandre-Leroux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE

newsid:489847

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus