Lexbase Contentieux et Recouvrement n°6 du 11 juillet 2024 : Commissaires de justice

[Pratique professionnelle] Le jour où j’ai dû arbitrer entre magie noire et procédure civile d’exécution… Une victoire à la (pa)Pyrrhus

Lecture: 5 min

N9859BZ8

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Pratique professionnelle] Le jour où j’ai dû arbitrer entre magie noire et procédure civile d’exécution… Une victoire à la (pa)Pyrrhus. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/109593165-pratique-professionnelle-le-jour-ou-jai-du-arbitrer-entre-magie-noire-et-procedure-civile-dexecution
Copier

par Raphaèle Gas, Commissaire de justice à la résidence de Versailles

le 18 Septembre 2024

S’il est bien une matière où le commissaire de justice doit faire preuve de diplomatie et de force de persuasion, c’est celle des saisies immobilières, dans la mesure où la plénitude de la voie d’exécution dépend largement de la collaboration du saisi qui, outre les moyens d’accès au bien, détient les informations visées à l’article R. 322-2 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2441ITL (CPCEx) et doit, in fine et idéalement, accepter la mesure pour quitter les lieux spontanément (faute de quoi il en sera expulsé avec les inconvénients que cela représente pour l’adjudicataire), après avoir donné l’accès du bien aux amateurs lors des éprouvantes visites préalables prévues par l’article R. 322-26 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2445ITQ.

C’est dans cet esprit d’efficace concorde que j’ai, il y a quelques années, délivré un commandement aux fins de saisie immobilière puis réalisé le procès-verbal de description en présence de l’occupante des lieux dont la décoration ésotérique et le contenu de la bibliothèque m’avaient interpellés mais dont je n’avais pris la mesure qu’au moment où, sur mon interpellation, elle m’avait déclaré exercer les fonctions de sorcière puis précisé que si elle était le seul humain à occuper le lieu, il n’en demeurait pas moins que les esprits d’Osiris et de Bouddha étaient présents… Mon quotidien de commissaire de justice m’ayant habitué à toutes sortes de rencontres, j’en avais pris acte.

Le jugement d’orientation ayant ordonné la vente et déterminé les modalités de visite, j’en fixais la date.

Conformément à mon habitude, et en complément de l’affichage obligatoire, je prenais l’attache de l’occupante dans les jours qui précédaient les visites afin de m’assurer de sa collaboration. Elle me confirmait en avoir pris connaissance, m’assurait de sa présence et ajoutait : « Par contre, je ne sais si vous savez mais c’est Lune noire à ce moment. » Je répondais naïvement : « Très bien, je note. »

Le jour des visites, je me présentais avec quelques minutes d’avance pour procéder à leur mise en place. Après avoir, selon l’expression consacrée, frappé de manière audible et répétée, l’occupante ouvrit la porte. Immédiatement je compris que la Lune noire n’était pas un détail : elle portait une chasuble flanquée d’une croix celtique et une coiffe égyptienne… À ma vision, elle déclara tout de go : « Aujourd’hui, c’est pas possible, je suis en plein rituel égyptien de rééquilibrage des forces sélo-tellurique. » Il s’agissait d’un refus catégorique dont l’équilibre des forces obscures dépendait.

En ma qualité d’officier ministériel, il m’appartient d’assurer l’exécution des décisions de justice par tout moyen, y compris en ayant recours à la force publique en cas de refus d’obtempérer.

Mon alternative était donc la suivante : requérir le concours de la force ou tenter la voie diplomatique avec une sorcière pharaonique.

La force présente l’avantage de l’efficacité mais le temps d’intervention est souvent long, entraînant une dégradation de la situation avec le débiteur dont l’opposition est de nature à fortement décourager les amateurs.

La voie diplomatique oblige à des concessions réciproques au cours desquelles le commissaire de justice doit céder aux exigences de l’occupant sans menacer la plénitude de sa mission, à savoir : la visite par tout amateur présent du bien dans son intégralité.

Pour une raison qui m’échappe, j’ai pensé que mon interlocutrice était raisonnable et j’ai opté pour la voie diplomatique.

Après d’étranges échanges, il a été convenu que les visites pourraient avoir lieu à la double condition que les amateurs ne pénètrent pas dans la salle des rituels (décrite au titre sous la désignation : « dressing ») et qu’aucun ne croise le regard des chats noirs présents (au nombre de trois). Le pacte fut scellé après que ma sorcière eut tourné autour de moi un nombre incalculable de fois en prononçant des paroles magiques et en me fumigeant de sauge blanche…

C’est ainsi qu’avec seulement quelques minutes de retard, les visites ont pu commencer et qu’afin d’éviter un parjure qui me rendrait indigne de mon serment et de ma fonction, je demandais au quarante-huit amateurs présents de ne pas aller au-delà du seuil de la porte de la salle des rituels et de ne pas croiser le regard des chats porteurs des esprits garants de l’équilibre sélo-tellurique…

Cette mesure de police des visites, pour iconoclaste qu’elle fut, permit d’exécuter le jugement d’orientation et de mettre le bien en état d’être vendu dans les conditions prévues par le Code des procédures civiles d’exécution.

Épilogue : à l’issue des visites, ma sorcière leva le sort qu’elle avait jeté sur moi (j’en fus sincèrement soulagée) et prophétisa que la vente ne serait pas requise… de fait, elle ne le fut pas…

newsid:489859

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus