Réf. : Cass. civ. 2, 13 juin 2024, n° 22-10.790, F-B N° Lexbase : A78825HE
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par Aude Alexandre Le Roux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE
le 27 Août 2024
Mots clefs : mise à prix • saisie immobilière • jugement d’adjudication • adjudication • saisie immobilière • recevabilité du pourvoi
En procédant à l’adjudication du bien saisi sur la mise à prix fixée au cahier des conditions de vente, le juge de l’exécution commet un excès de pouvoir alors qu’elle avait été modifiée par le jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée.
La deuxième chambre civile connaît en l’espèce d’une difficulté classique relative à l’ouverture des feux alors que la mise à prix a été modifiée à la demande du débiteur.
Une lecture rapide de l’arrêt a conduit certains commentateurs à s’interroger sur le bien-fondé de la solution dégagée qui apparaitrait contra legem.
Une lecture attentive permet de constater qu’il n’en est rien.
Ainsi, sur des poursuites de saisie immobilière, un bien est adjugé lors de l’audience d’adjudication au prix de 72 000 euros alors que le jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée avait fixé, sur contestation du débiteur, la mise à prix à la somme de 100 000 euros
Au visa des articles L. 322-6 N° Lexbase : L5884IRD, R. 322-43 N° Lexbase : L2462ITD et R. 322-47 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2466ITI, la deuxième chambre civile caractérise un excès de pouvoir du juge de l’exécution.
En procédant à l’adjudication au montant de la mise à prix fixée au cahier des conditions sans tenir compte de la mise à prix fixée au jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée, le juge de l’excès exécution a commis un excès de pouvoir.
Dès lors, la Cour de cassation casse et annule en toutes ses dispositions le jugement d’adjudication.
Après avoir rappelé les voies de recours sui generis du jugement d’adjudication (I), l’excès de pouvoir du juge de l’exécution sera étudié (II).
Par principe, en matière de saisie immobilière, les jugements sont, sauf dispositions contraires, susceptibles d’appel (CPCEx., R. 311-7 N° Lexbase : L7260LEM).
Hormis l’hypothèse de l’appel du jugement d’orientation qui devra être opéré via la procédure à jour fixe, à peine d’irrecevabilité soulevée d’office alors que les conditions formelles du respect de l’article 918 du Code de procédure civile N° Lexbase : L0375IT3 viennent d’être assouplies [1], les appels des jugements rendus en matière de saisie immobilière seront fixés, en circuit court, selon les dispositions de l’article 905 du Code de procédure civile.
Compte-tenu de sa nature et de la nature du contrat judiciaire qu’il renferme, le jugement d’adjudication déroge de plein droit pour l’essentiel à ces dispositions puisque le concernant une disposition spécifique est insérée à l’article R. 322-60 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2479ITY.
Il en résulte que seul le jugement d’adjudication ayant statué sur une contestation sera susceptible d’appel dans un délai de quinze jours de sa notification.
La Cour de cassation est venue préciser que le jugement ayant tranché une demande de subrogation formée à la barre au jour de l’adjudication pouvait faire l’objet d’un appel (Cass. civ. 2 , 16 mai 2013, n° 12-18.938, F-P+B N° Lexbase : A5088KDS).
Le jugement d’adjudication qui ne trancherait pas de contestation ne pourra donc pas faire l’objet d’un appel.
L’ouverture du pourvoi en cassation est tout aussi restreinte. En effet, dès 2009, la Cour de cassation est venue confirmer que le jugement d’adjudication qui ne statue sur aucun incident est insusceptible de pourvoi (Cass. civ 2, 19 novembre 2009, n° 08-70.024, publié au bulletin N° Lexbase : A7596ENN) sauf excès de pouvoir.
L’excès de pouvoir est apprécié in concreto et rarement admis par la Haute juridiction. Une tendance semble toutefois se dessiner ces derniers mois, la Cour demeurant particulièrement vigilante au respect des droits fondamentaux du débiteur jusqu’à dégager de curieuses solutions qui ne manquent parfois pas d’interpeller les praticiens.
Un exemple récent d’excès de pouvoir lors de l’audience d’adjudication a été dégagé par l’arrêt du 8 février 2024 (Cass. civ. 2, 8 février 2024, n° 21-18.702, F-B N° Lexbase : A91432KT).
Dans cette espèce, au visa de l’article 14 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1131H4N, qui dispose « Nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée » et contre toute attente, la deuxième chambre civile, a considéré qu’il ne résultait ni du jugement d’adjudication ni du dossier de la procédure que le débiteur saisi ait été appelé à l’audience d’adjudication. Elle constatait en conséquence que le juge de l’exécution avait dès lors commis un excès de pouvoir. Partant elle cassait et annulait en toutes ses dispositions le jugement d’adjudication.
Cette solution a pu apparaitre démesurée au regard de la spécificité de cette procédure. En effet, la procédure de saisie par nature mixte conjugue les notions d’instance et de mesure d’exécution. Ponctuée de plusieurs audiences aux finalités distinctes, l’assignation à l’audience à l’audience d’orientation constitue l’acte qui répond par nature aux exigences de l’article 14 du Code de procédure civile.
En semblant exiger que soit régularisé un acte qui n’est prévu par aucun texte, alors que le jugement qui ordonnera la vente forcée sera de facto signifié au débiteur, la deuxième chambre civile fragilise la procédure introduisant ainsi une nouvelle possibilité de contestation du débiteur.
Il n’existe pas de règle dans la fixation de la mise à prix qui sera fixée par le créancier poursuivant au cahier des conditions de vente lors de son dépôt (CPCEx., art. R. 322-10 N° Lexbase : L2429IT7), elle devra néanmoins rester attractive afin d’espérer bénéficier de l’effet d’émulation des enchères. Il est régulièrement observé que l’identité du poursuivant déterminera généralement les modalités de sa fixation.
Ainsi, les établissements bancaires la fixent en règle générale dans une fourchette comprise entre un quart et un tiers de la valeur vénale de l’immeuble, alors qu’un syndicat de copropriétaires la fixera avant de tout de couvrir sa créance et ses frais de procédure compte-tenu de son hypothèque légale spéciale lui permettant un paiement privilégié pour tout ou partie de sa créance.
Il est vrai que la fixation de la mise à prix n’est pas neutre pour le poursuivant puisqu’il deviendra, en cas de carence d’enchères, adjudicataire pour le montant de la mise à prix qu’il aura lui-même déterminée (CPCEx., L. 322-6, al. 1er).
S’il pourra théoriquement envisager de payer le prix prioritairement par compensation, encore faut-il qu’il soit inscrit en premier rang, sous réserve des créanciers privilégiés pouvant le primer (Cahier des conditions de vente sur saisie immobilière, art. 15) [2].
À défaut, le créancier poursuivant s’exposera donc au paiement du prix de l’immeuble avant d’espérer bénéficier du recouvrement de sa créance à l’issue de la procédure de distribution du prix de vente.
Depuis la réforme de la procédure de saisie immobilière introduite par l’ordonnance n° 2006-461, du 21 avril 2006 N° Lexbase : L3737HIA, le débiteur bénéficie de la possibilité de contester la mise à prix.
Cette contestation a toutefois été circonscrite à l’hypothèse d’une insuffisance manifeste.
En pratique, elle n’est toutefois pas si fréquente.
Le débiteur devra apporter justification de cette insuffisance caractérisée.
Il appartiendra au juge de l’exécution d’apprécier souverainement l’insuffisance manifeste en fonction des éléments qui seront versés aux débats par le débiteur quant à la valeur vénale de l’immeuble tout en veillant à ce que la mise à prix demeure suffisamment attractive (Cass. civ. 2, 24 septembre 2015, n° 14-22.407, F-D N° Lexbase : A8234NPN).
S’il fait droit à la contestation formée de ce chef, il fixera au jugement d’orientation le montant de la mise à prix modifiée.
Afin de ne pas faire peser sur le poursuivant une sanction disproportionnée en cas de carence d’enchères, le législateur a contrebalancé le mécanisme « le poursuivant ne peut être déclaré adjudicataire que pour la mise à prix initiale » (CPCEx., L. 322-6, al. 2).
En pratique, au jour de l’audience d’adjudication, la vente du bien saisi devra intervenir au montant de la mise à prix modifiée au jugement d’orientation qui sera rappelée par le juge de l’exécution avant l’ouverture des feux (CPCEx., R. 322-43 N° Lexbase : L2462ITD).
En cas d’absence d’enchères, la mise à prix modifiée sera baissée successivement par le poursuivant le cas échéant jusqu’au montant initial de la mise à prix initiale fixée au cahier des conditions de vente (CPCEx., R. 322-47 N° Lexbase : L2466ITI).
C’est précisément en violant ces dispositions que le juge de l’exécution a, dans l’arrêt commenté en l’espèce, commis un excès de pouvoir en procédant à l’adjudication au montant de la mise à prix initiale sans tenir de compte de la mise à prix modifiée par son jugement, revêtu de surcroit de l’autorité de chose jugée.
La deuxième chambre civile sanctionne sévèrement cette attitude et confirme avec pédagogie sa solution dégagée en 2015 (Cass. civ. 2, 19 février 2015, n° 14-13.786, F-P+B N° Lexbase : A9966NBQ) dans laquelle en présence d’une carence d’enchères un immeuble avait été adjugé au montant de la mise à prix initiale sans qu’ait été observé la baisse successive prévue à l’article R. 322-47 du Code des procédures civiles d'exécution.
En l’espèce de l’arrêt commenté, elle qualifie l’excès de pouvoir la violation du juge de l’exécution qui a procédé à l’adjudication du bien saisi sur une mise à prix inférieure à celle fixée au jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée.
Partant, elle casse et annule en toutes ses dispositions le jugement rendu.
Dès lors, le juge de l’exécution se devait de procéder à l’adjudication sur la mise à prix modifiée par son jugement et ce n’est que dans l’hypothèse d’une carence d’enchères que la mise à prix aurait pu être baissé successivement jusqu’à la mise à prix initiale dans les conditions de l’article R. 322-47 du Code des procédures civiles d'exécution.
Cette situation complexifie encore l’intervention de l’avocat en matière d’adjudication.
Son devoir de conseil apparaît encore accru. En effet, ce dernier devra faire montre d’une particulière vigilance en alertant son client sur les risques pouvant peser sur l’adjudication dans l’hypothèse où un excès de pouvoir du juge de l’exécution serait susceptible d’être caractérisé.
[1] Pour un commentaire de l'arrêt du 23 mai 2024, n° 22-12.517, FS-B N° Lexbase : A86205CA, v. A. Alexandre Le Roux, Droit fondamental d’accès au juge et respect du formalisme de la procédure à jour fixe de l’appel du jugement d’orientation : à la recherche d’un fragile équilibre, Lexbase Contentieux et Recouvrement, juillet 2024, n° 6 N° Lexbase : N9855BZZ
[2] Annexe créée par DCN n° 2008-002, assemblée générale du Conseil national du 12 décembre 2008, publiée par décision du 24 avril 2009, publiée au JO 12 mai 2009, modifiée lors de l’assemblée générale du Conseil national des barreaux des 14 et 15 septembre 2012. Annexe modifiée par DCN n° 2018-002, assemblée générale du Conseil national des barreaux du 17 novembre 2018, publiée par décision du 13 février 2019, publiée au JO 7 mars 2019
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