Lexbase Contentieux et Recouvrement n°6 du 11 juillet 2024 : Procédure civile

[Focus] La médiation en Espagne et les procuradores

Lecture: 11 min

N9873BZP

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Focus] La médiation en Espagne et les procuradores. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/109664027-focuslamediationenespagneetlesprocuradores
Copier

par Rita Goimil Martínez, Institución de Mediación del CGPE

le 11 Juillet 2024

Mots-clés : médiation • résolution des conflits • justice alternative • procuradores • déjudiciarisation

Cet article fait partie d’un corpus proposant une analyse comparative de la médiation entre l’Espagne et la France. Il se compose de deux autres articles : P. Gielen, Le nouveau système amiable obligatoire : Article 750 du Code de procédure civile, Lexbase Contentieux et recouvrement, juillet 2024 N° Lexbase : N9871BZM et P. Gielen, Comparaison des Systèmes de Médiation : France vs. Espagne, Lexbase Contentieux et recouvrement, juillet 2024 N° Lexbase : N9870BZL.

Le présent article a été traduit par l'auteure, native espagnole, et a été retravaillé par Patrick Gielen, huissier de justice en Belgique et secrétaire de l'Union Internationale des Huissiers de Justice.


 

L'administration de la justice en Espagne a connu une augmentation significative des litiges au cours des dernières décennies, ce qui affecte son fonctionnement.

Cette situation a conduit à une série de réformes visant non seulement à modifier les règles de procédure, mais également à rechercher des solutions complémentaires de nature extrajudiciaire, notamment la médiation.

La médiation a été formellement introduite en Espagne par la loi n° 5/2012, du 6 juillet 2012, sur la médiation en matière civile et commerciale. Cette loi transpose la directive (CE) n° 2008/52 du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008 N° Lexbase : L8976H3T.

Avant cette loi, il n'existait pas de réglementation générale de la médiation en Espagne, bien que plusieurs des communautés autonomes [1] aient développé des programmes de médiation familiale, dans le cadre de leurs compétences et sur la base de la recommandation RU 98, du Comité des ministres pour États membres, du 21 janvier [2].

L'entrée en vigueur de la loi n° 5/2012, sur la médiation en matière civile et commerciale, et la publication du décret n° 980/2013, du 13 décembre 2013, a posé les bases de la déjudiciarisation de certaines matières. Ces textes permettent de trouver des solutions plus adaptées aux besoins et aux intérêts des parties en conflit que celles découlant des procédures judiciaires.

Tant dans les conflits familiaux, en particulier, que dans les conflits civils ou commerciaux, en général, le recours à ce moyen de règlement amiable permet d'obtenir une solution plus avantageuse, car il évite la perte de temps inhérente au processus judiciaire. De plus, l'accord obtenu est souvent moins conflictuel que la solution judiciaire, qui repose exclusivement sur l'application stricte de la loi.

La médiation est définie à l'article premier de la loi n° 5/2012, comme un moyen de résolution des conflits dans lequel deux ou plusieurs parties tentent volontairement de parvenir à un accord avec l’aide d’un médiateur.

Le médiateur joue un rôle central dans la procédure de médiation. Pour exercer en tant que médiateur en Espagne, il faut être titulaire d'un diplôme ou d'une formation professionnelle supérieure équivalente et avoir suivi une formation spécifique, tant théorique que pratique, comprenant au moins vingt heures de formation continue tous les cinq ans. La loi établit les droits et obligations des médiateurs, ainsi que leur responsabilité pour les dommages causés par une non-exécution fidèle de leur mission [3].

La procédure de médiation est volontaire, souple et confidentielle. Elle peut être initiée à la demande de l'une ou de toutes les parties, ou par saisine judiciaire. La procédure se déroule en plusieurs séances, à commencer par une séance d'information, suivie, si les parties acceptent de poursuivre, par des séances de médiation proprement dites, pouvant être individuelles ou conjointes [4].

Pour encourager le recours à la médiation, la loi reconnaît l'accord de médiation comme un titre exécutoire une fois élevé en acte public. En cas de non-respect, son exécution peut être demandée directement devant les tribunaux. De plus, l'engagement d'une procédure de médiation interrompt les délais de prescription et d'expiration des actions [5].

Depuis l'entrée en vigueur de la loi en 2012, l'évolution de la médiation a été timide, en dépit de certains progrès. La médiation reste méconnue du grand public, qui continue de privilégier la voie judiciaire traditionnelle. Pour remédier à cette situation, diverses actions ont été entreprises pour promouvoir la médiation, incluant des campagnes de sensibilisation, le développement de la formation des opérateurs juridiques et la mise en place de réformes procédurales visant à rendre la médiation obligatoire avant toute action judiciaire.

Nous pouvons mentionner en l’espèce le projet de loi sur l'efficacité procédurale, qui est actuellement en phase parlementaire, et qui, suivant la maxime selon laquelle « avant d'entrer dans le temple de la justice, il faut passer par le temple de la concorde », réglemente dans son premier titre les moyens de solution adéquats de litiges, qui établit en termes généraux l'exigence selon laquelle les parties, avant d'engager une action en justice, doivent prouver les tentatives de négociation qui ont été faites pour résoudre la controverse. Différents modes de solutions sont établis, dont la procédure de médiation, et comme indiqué dans la motivation du projet, son objectif n'est pas seulement la déjudiciarisation des conflits, mais que pour chacun d'eux, basé sur le paradigme de l'adéquation, la meilleure réponse qui n'est pas basée sur la voie judiciaire traditionnelle soit trouvée.

Le CGPE (Conseil général des procuradores d'Espagne), en tant que corporation de droit public [6], a joué un rôle crucial dans la promotion de la médiation. Il a créé l'Institution de Médiation du CGPE, enregistrée en tant qu'institution de médiation et centre de formation. Cette institution offre des services de médiation à travers tout le territoire espagnol, tant en présentiel que par voie électronique.

L'institution de médiation du CGPE jouit d'une autonomie fonctionnelle dans l'exercice de ses fonctions, bien qu'elle dépende hiérarchiquement de l'organe directeur compétent de la CGPE. La représentation de l'Institution de Médiation correspond au Président du CGPE, ou à la personne à qui il délègue.

Conformément à la loi sur la médiation et au décret qui la développe, l'Institution de Médiation du CGPE a été enregistrée en tant qu'institution de médiation dans la section III du Registre des médiateurs et des institutions de médiation du ministère de la Justice le 29 mai 2014, avec le numéro d'enregistrement 35, et en tant que centre de formation le 29 avril 2014.

Dans le cadre de ses attributions, elle a signé, entre autres, une convention de collaboration avec le Conseil général du pouvoir judiciaire pour appliquer la médiation intra judiciaire au 1er juin 2016, convention qui a été renouvelée de cette date à ce jour [7].

Ainsi, l'Institution de Médiation du Conseil général des procuradores d'Espagne est née en réponse à l'engagement pour le changement social et à la vocation de service et d'implication des procuradores formés à la médiation, renforçant ainsi notre caractère de collaborateurs nécessaires de l'administration de la justice. C'est une institution réglementée qui a établi un manuel de procédures et parmi ses caractéristiques et son fonctionnement, nous voulons souligner :

  • accès facile aux services : accès par notre site Web pour la demande d'ouverture de la procédure de médiation, où l’on peut choisir un médiateur dans le registre des médiateurs ou demander à l'Institution de le désigner [8] ;
  • offres de médiation en face à face, avec des bureaux dans toute l'Espagne, par voie électronique et médiation électronique : l'Institution de Médiation exerce une tâche de coordination et d'intégration des barreaux de procuradores de toute l'Espagne, garantissant ainsi que le citoyen privé ou une entreprise, en bref, le demandeur, puisse avoir accès à la médiation immédiatement, où qu’il soit, grâce à son réseau de barreaux professionnels répartis sur tout le territoire. Notre institution dispose de la plateforme technologique du CGPE, indispensable pour pouvoir développer la médiation par voie électronique et la médiation électronique simplifiée, avec des systèmes sécurisés garantissant l'identité des parties. Par l'intermédiaire de l'institution, la procédure de médiation est garantie, en face à face, par des moyens électroniques et mixtes, combinant les deux modalités, selon les besoins spécifiques au cas ;
  • assure la qualification de ses médiateurs :l'Institution de Médiation, consciente que la formation continue de ses médiateurs est une garantie pour la fourniture d'un service de qualité, en tant que centre de formation, établit ses programmes de formation continue pour les médiateurs inscrits sur son registre ;
  • systèmes d'assurance qualité pour l'évaluation de l'efficacité du service : des indicateurs et des variables ont été établis, garantissant la qualité tant interne qu'externe de l'institution médiatrice, et dans lesquels seront évalués à la fois la structure de l'institution, le profil des utilisateurs, l'analyse des conflits et la procédure de médiation, les résultats de la médiation et l'efficacité opérationnelle de l'Institution ;
  • médiation intra judiciaire et extra judiciaire : l'institution est prête à répondre aux conflits qui surgissent tant avant la saisie du tribunal, que ceux qui sont déjà fondés, à travers des mécanismes de saisine par les tribunaux de justice qui garantissent la sécurité juridique, avec l'interruption des délais de prescription et l'expiration des actions. En vertu de l'accord de collaboration signé avec le Conseil général du pouvoir judiciaire, il a lancé des programmes de médiation intra judiciaire dans différents établissements judiciaires. Les procuradores, en tant qu'experts en droit procédural, font de notre profil un profil idéal pour intervenir dans la médiation intra judiciaire, car personne ne s'occupe comme nous de l'intégration de la procédure de médiation dans la procédure judiciaire.

Le développement de la médiation en Espagne représente une opportunité de moderniser l'administration de la justice, en offrant des solutions plus efficaces et adaptées aux conflits. Les procuradores, du fait de leur expertise en droit procédural et de leur implication dans l'administration de la justice, sont particulièrement bien placés pour jouer un rôle clé dans cette évolution. Les mesures et réformes en cours visent à renforcer la médiation comme moyen privilégié de résolution des conflits, contribuant ainsi à un service public de la justice plus efficient et plus efficace.

En conclusion, bien que des progrès aient été réalisés, la médiation en Espagne reste à développer pour devenir une véritable alternative à la résolution judiciaire des conflits. Le soutien et l'engagement des procuradores sont essentiels pour promouvoir cette culture de la médiation et pour renforcer leur rôle de collaborateurs nécessaires de l'administration de la justice. 

 

[1] En Espagne, une communauté autonome (C.A.) est une entité territoriale qui, dans le système juridique constitutionnel actuel, est dotée d'autonomie, avec ses propres institutions et représentants déterminés, des pouvoirs législatifs, exécutifs et administratifs, ce qui, à bien des égards, les assimile à des entités fédérées. Le territoire national espagnol est réparti en dix-sept communautés autonomes.

[2] Le 21 janvier, la Journée européenne de la médiation est commémorée dans toute l'Europe, car elle coïncide avec la date d'approbation du premier texte législatif européen concernant celle-ci.

[3] Il existe un registre des médiateurs et des institutions de médiation dépendant du ministère de la Justice, qui est volontaire et permet d'accréditer le statut de médiateur et d'institution de médiation.

[4] Les séances de la procédure peuvent se tenir en personne, par voie électronique ou mixte, au choix des parties. Dans le décret n° 980/2013, qui développe certains aspects de la loi, est établie la procédure de médiation électronique simplifiée, qui sera entièrement réalisée par voie électronique, qui s'applique aux réclamations pour des montants ne dépassant pas 600 euros et qui ne se réfère aux arguments de confrontation de droit ; sa durée maximale est d'un mois et peut être prolongée par accord des parties.

[5] Pour la suspension des délais de prescription et d'expiration, il faut que la séance constitutive soit signée dans les quinze jours calendaires à compter de la demande d'ouverture de la procédure de médiation.

[6] Décret n° 1281/2002, du 5 décembre 2002, qui approuve le statut général des procuradores de los tribunales d'Espagne [en ligne](version originale).

[7] Le dernier accord signé date du 15 juillet 2020, et est valable jusqu'en 2024.

[8] Institución de Mediación - Procuradores, Registro Mediadores [en ligne]

newsid:489873

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus