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par Aurélien Molière, Aurore Camuzat et Margot Musson
le 09 Janvier 2024
Par Aurélien Molière, Maître de conférences, centre de droit de la famille, Directeur du Master Droit de la famille, Codirecteur de l’Institut d’études judiciaires, Aurore Camuzat, Doctorante, centre de droit de la famille et Margot Musson, Docteure en droit, ATER centre de droit de la famille – Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3
Sommaire :
La nullité du testament : pas n’importe comment et pas pour rien !
La piété filiale, obstacle à l’indemnisation de l’héritier appauvri
L’appréciation de l’existence de l’intention matrimoniale à l’épreuve du droit international privé
La fraude à la loi, un enjeu juridique en matière de reconnaissance volontaire
Droit viager au logement : manifestation de volonté tacite du conjoint survivant
Recevabilité de l’action en contestation de paternité et contrôle de conventionnalité in concreto
♦ CA Lyon, 1re civ., sect. B, 21 mars 2023, n° 22/02394 N° Lexbase : A10279LM
Mots-clés : formalisme • qualification • testament authentique • testament international • nullité
Solution : le testament authentique reçu en présence d’un interprète, avant la loi n° 2015-177, du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures N° Lexbase : L9386I7R doit être annulé dès lors que le testateur ne maîtrise pas la langue dans laquelle il est rédigé. Toutefois, s’il remplit les conditions de validité du testament international, il peut être requalifié et sa validité admise.
Portée : la solution adoptée par la cour d’appel de Lyon, statuant après renvoi, s’inscrit dans une jurisprudence constante, admettant la requalification par réduction du testament authentique, nul sur la forme, en testament international. Pour autant, elle contredit la décision de la Cour de cassation, en admettant cette possibilité dans le cas du testament reçu par un notaire et en présence de témoins qui ne comprennent pas la langue utilisée par le testateur.
Lorsqu’un testament authentique ne remplit pas les conditions de forme imposées par la loi (C. civ., art. 971 N° Lexbase : L0127HPE et 972 N° Lexbase : L9492I7P), il est nul. Cependant, s’il réunit les conditions du testament international [1], il peut être requalifié en vue d’être sauvé [2]. Cette requalification par réduction illustre bien le caractère sacré des dernières volontés, dont les juges tentent, autant que faire se peut, d’assurer la mise en œuvre.
Dans l’affaire soumise à la cour d’appel de Lyon, une Italienne est décédée en laissant un testament authentique reçu en français, en présence d’un interprète. Elle y institue trois de ses quatre filles en qualité de légataires de la quotité disponible. Son petit-fils, enfant de la quatrième fille prédécédée et venant en représentation de sa mère, peut seulement prétendre à sa part de réserve. Rien n’interdit l’inégalité successorale et il ne saurait donc la critiquer au motif qu’elle s’opère à son détriment. Cependant, il estime qu’elle trouve sa source dans un testament qui n’a pas été valablement formé, car il méconnaît les exigences de forme de l’article 972 du Code civil N° Lexbase : L9492I7P. Statuant après renvoi de la Cour de cassation [3], la cour d’appel de Lyon prend le contrepied de la position adoptée par la Haute juridiction. Elle décide que le testament litigieux, nul en sa forme authentique (1), est valable en sa forme internationale (2).
1. La nullité du testament dans sa forme authentique. Pour être valablement formé, le testament authentique doit être reçu par deux notaires ou un notaire assisté de deux témoins (C. civ., art. 971 N° Lexbase : L0127HPE). Il doit être dicté par le testateur, écrit par le notaire, lu au testateur, signé par lui, avant que mention expresse soit faite de ces différentes étapes (C. civ., art. 972 N° Lexbase : L9492I7P). En raison de la dictée et de la lecture, il est essentiel que le disposant puisse s’exprimer dans une langue comprise par le notaire et les témoins. Sinon, comment la conformité du testament aux dernières volontés qui s’y trouvent exprimées pourrait-elle être assurée ?
Elle peut l’être si l’on recourt à un interprète choisi sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d’appel. Une possibilité critiquée en raison de « l’incongruité d’un testament […] où l’officier public constate la parole, non du testateur, mais de l’interprète » [4]. Elle a pourtant été admise à partir du 18 février 2015 [5] et l’introduction d’un nouvel alinéa 4 à l’article 972 N° Lexbase : L9492I7P.
Toutefois, le testament litigieux a été reçu en 2002, en la présence d’un interprète en langue italienne, que le notaire et les témoins ne maîtrisaient pas. C’est la raison pour laquelle la cour d’appel de Lyon, à l’instar de toutes les juridictions saisies dans cette affaire, a retenu la nullité du testament en sa forme authentique. Il ne pouvait en être autrement, la loi de 2015 ayant été adoptée postérieurement et n’ayant aucune raison de s’appliquer rétroactivement [6]. La testatrice n’avait tout simplement pas le droit de recourir au testament authentique. Elle aurait dû choisir une autre forme testamentaire.
2. La validité du testament dans sa forme internationale. Le testament, nul dans sa forme authentique, est-il valable en sa forme internationale ? C’est sur ce point que des divergences sont apparues dans cette affaire. Si le tribunal de grande instance de Gap et la Cour de cassation [7] ont rejeté toute requalification par réduction, la cour d’appel de Grenoble [8] et la cour d’appel de Lyon, statuant après renvoi, l’ont admise. Ainsi les juges lyonnais sont-ils entrés en résistance face à la position adoptée par la Cour de cassation.
Dans sa décision, la Haute juridiction considère que le testament authentique nul ne peut valoir testament international dès lors qu’il n’est pas écrit dans une langue comprise du testateur. Selon elle, si « un testament international peut être écrit en une langue quelconque afin de faciliter l’expression de la volonté de son auteur, celui-ci ne peut l’être en une langue que le testateur ne comprend pas, même avec l’aide d’un interprète » [9]. La solution se trouve fondée sur la combinaison de deux dispositions de l’annexe à la Convention de Washington N° Lexbase : L0657MLW. L’article 3, § 3, d’une part, qui autorise la rédaction du testament international dans la langue de son choix. L’article 4, § 1, d’autre part, qui impose au testateur de déclarer, « en présence de deux témoins et d’une personne habilitée à instrumenter, que le document est son testament et qu’il en connaît le contenu ». Or, pour en connaître le contenu, il est censé comprendre la langue dans laquelle il a été rédigé. En l’espèce, le testament a été écrit en français, tandis que son auteure parle italien. La solution paraît logique.
Pourtant, la cour d’appel de Lyon décide, à l’inverse, que le testament litigieux, nul dans sa forme authentique, a valeur de testament international et qu’il est valable. Sa décision est également fondée sur deux dispositions de la Convention de Washington N° Lexbase : L0657MLW. D’abord, l’article 3, § 3, de son annexe, également visé par la Cour de cassation, qui autorise la rédaction du testament international dans une langue quelconque. Les juges lyonnais font observer qu’aucune disposition n’impose au testateur de comprendre cette langue. Ensuite, l’article V de la Convention, qui permet le recours à un interprète choisi conformément aux conditions posées par la loi en vertu de laquelle la personne habilitée à instrumenter a été désignée. En l’espèce, il s’agit de la loi française. Or, à l’époque du testament litigieux, puisqu’elle n’organisait pas la possibilité de recourir à un interprète, elle ne prévoyait a fortiori aucune condition de désignation. Les juges lyonnais en déduisent alors que le fait d’avoir choisi un interprète qui « n’était pas assermentée n’est pas de nature à affecter la validité du testament ». D’aucuns pourraient soutenir que la loi française n’autorisant pas l’intervention d’un interprète, cette faculté était tout bonnement exclue. Toutefois, comme l’indique l’article V, l’application de cette loi se limite aux conditions de désignation ; elle ne concerne pas son principe, lequel résulte alors de la Convention de Washington N° Lexbase : L0657MLW.
Il faut saluer la résistance des juges lyonnais car il est clair que la Cour de cassation a ajouté aux conditions du testament international en imposant la maîtrise, par le testateur, de la langue utilisée dans son testament. Dès lors qu’elle autorise le recours à un interprète, la Convention de Washington N° Lexbase : L0657MLW n’impose pas qu’il comprenne la langue dans laquelle ses dernières volontés ont été transcrites dans son testament. N’en déplaise à la Haute juridiction, dont on peut toutefois comprendre la réticence. En effet, nul ne sait comment cet interprète a été choisi, en l’espèce, dès lors que la loi française ne prévoyait rien à l’époque du testament. Peut-être n’était-il même pas un professionnel. Rien ne permet de s’assurer de ses compétences et donc, au-delà, de la qualité de la traduction des dernières volontés de la testatrice. De quoi laisser planer le doute sur l’authenticité des dispositions testamentaires rédigées par le notaire, en suivant la traduction de l’interprète. Toutefois, la mention dans l’acte selon laquelle la testatrice a déclaré comprendre le testament et reconnaître qu’il exprime exactement sa volonté, en la présence ininterrompue des témoins, a de quoi rassurer. L’essentiel est là : qu’elle ait pu vérifier que le testament rédigé par le notaire traduisait juridiquement ses dernières volontés.
Il revient désormais à l’assemblée plénière de trancher. Quelle position adoptera-t-elle ? Les paris sont ouverts.
Par Aurélien Molière
[1] Convention de Washington, du 26 octobre 1973, portant loi uniforme sur la forme d’un testament international N° Lexbase : L0657MLW.
[2] V. par exemple Cass. civ. 1, 12 juin 2014, n° 13-18.383, FS-P+B+I N° Lexbase : A4279MQK ; N. Laurent-Bonne, D., 2014. 1747 ; H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke, obs., ibid., 2015. 1056 ; C. Vernières, obs., AJ fam., 2014. 433 ; M. Revillard, Rev. crit. DIP, 2014. 843 ; M. Grimaldi, obs., RTD civ., 2014. 927.
[3] Cass. civ. 1, 2 mars 2022, n° 20-21.068, FS-B N° Lexbase : A10517PM ; N. Laurent-Bonne, obs., AJ Fam., 2022. 340 ; M. Grimaldi, obs., RTD civ., 2022. 461.
[4] M. Grimaldi, Le testament reçu, sous l’empire du droit antérieur à la loi du 16 février 2015, avec le concours d’un interprète ne peut être sauvé comme testament international, RTD. civ., 2022. 441.
[5] Date d’entrée en vigueur de la loi n° 2015-177, du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures N° Lexbase : L9386I7R.
[6] Cass. civ. 1, 12 juin 2018, n° 17-14.461 et n° 17-14.554, F-D N° Lexbase : A3298XRL ; M. Grimaldi, obs., RTD. civ., 2018. 721.
[7] Cass. civ. 1, 2 mars 2022, n° 20-21.068, FS-B, préc. N° Lexbase : A10517PM.
[8] CA Grenoble, ch. aff. familiales, 16 juin 2020, n° 18/04747 N° Lexbase : A28197S9.
[9] Cass. civ. 1, 2 mars 2022, n° 20-21.068, FS-B, préc. N° Lexbase : A10517PM.
♦ CA Lyon, 1re ch. civ., sect. B, 30 mai 2023, n° 20/02660 N° Lexbase : A02669YI
Mots- clés : formalisme • insanité d’esprit • inscription de faux • nullité • testament authentique
Solution : en premier lieu, la procédure en inscription de faux est la seule façon de contester la validité d’un testament authentique, dès lors qu’il s’agit de critiquer ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté. En second lieu, l’annulation d’un testament pour insanité d’esprit implique de prouver (non de supposer) l’existence d’un trouble mental (et non de sa cause).
Portée : la cour d’appel de Lyon rend une décision en tout point conforme aux exigences légales. Elle contient d’utiles rappels en matière de contestation de la validité du testament.
L’arrêt soumis à commentaire offre l’occasion d’effectuer d’utiles rappels concernant la contestation de la validité d’un testament. En l’espèce, une personne est décédée en laissant pour lui succéder ses deux enfants. Par un testament authentique, elle a institué l’un d’eux en qualité de légataire de la quotité disponible. En vue de paralyser ce legs à titre universel, la cohéritière tente d’obtenir la nullité du testament dans sa totalité : sur la forme, d’abord, en invoquant des problèmes de signature et de langue (1) ; sur le fond, ensuite, en arguant de l’insanité d’esprit du testateur (2).
1. L’incontournable procédure d’inscription de faux. Le testament authentique, comme tout testament, doit revêtir certaines formes pour être valable. Parmi elle figure la signature du testateur (C. civ., art. 973 N° Lexbase : L0129HPH). C’est elle qui extériorise l’animus testandi [1] et qui fait passer l’acte du simple projet de testament à testament. Aussi, la langue utilisée a son importance, en ce sens qu’elle doit être comprise du testateur. Sinon, comment les dispositions testamentaires pourraient-elles être sa volonté, celle qu’il a entendue exprimer ? L’héritière conteste ces deux points devant la cour d’appel. Elle estime que la signature portée sur l’acte n’est pas celle de la testatrice, en ce qu’elle ne correspond pas à celle utilisée sur d’autres documents. Elle soutient également que sa mère ne savait ni parler ni écrire la langue du testament, à savoir le français ; pourtant aucun traducteur n’est intervenu lors de sa rédaction [2].
Malgré les arguments avancés par l’appelante, la cour d’appel rejette le moyen. Il apparaît, en effet, que le testament a été reçu par deux notaires et que mention a été faite, conformément à l’article 972 du Code civil N° Lexbase : L9492I7P, du recueil de la signature de la testatrice d’une part, et de la dictée du testament par la testatrice d’autre part. Surtout, la cour rappelle que la seule voie pour faire reconnaître l’inexactitude d’un acte authentique réside dans une procédure spécifique : l’inscription de faux. En effet, l’acte authentique présente la particularité de faire foi, jusqu’à inscription de faux, de « ce que l’officier public dit avoir personnellement accompli ou constaté » (C. civ., art. 1371 N° Lexbase : L1029KZ7). Il convient donc, par cette procédure, de contester les mentions portées dans l’acte. C’est ce que l’héritière aurait dû faire ; ce que la cour lui reproche de n’avoir pas fait.
2. L’indispensable démonstration de l’insanité d’esprit. En énonçant que « pour faire une libéralité, il faut être sain d’esprit », l’article 901 du Code civil N° Lexbase : L0049HPI se borne à rappeler l’exigence imposée par l’article 414-1 N° Lexbase : L8394HWS pour tous les actes juridiques. L’insanité d’esprit affecte le consentement, mais elle ne le vicie pas ; elle le détruit. Elle constitue donc un moyen efficace pour contester la validité d’un testament. Mais aussi efficace soit-elle pour obtenir la nullité, elle doit être démontrée. Plus précisément, il s’agit de prouver qu’un trouble mental a frappé le de cujus au moment de tester, de sorte qu’il n’a pu consentir. Or c’est justement sur la preuve attendue que l’arrêt rappelle d’utiles précisions.
À l’appui de sa demande, la requérante multiplie les observations à propos de sa mère : elle estime curieux le fait qu’elle ait favorisé sa sœur en lui léguant la quotité disponible ; elle était âgée de 80 ans à l’époque du testament, qui a été rédigé trois mois avant son décès ; son état de santé était dégradé ; elle prenait un traitement médicamenteux susceptible de produire des effets indésirables altérant les facultés cognitives et psychologiques ; la veille du testament, elle a subi une dialyse. Elle en conclut que sa mère n’avait pas toutes ses facultés mentales et physiques au moment de tester. La cour d’appel lui oppose le fait qu’il s’agit là de simples suppositions. Or le fait de supposer l’insanité d’esprit du testateur, en décrivant le contexte dans lequel l’acte est né, ce n’est pas prouver cette insanité.
À cela, il est possible d’ajouter une autre précision, que la cour ne formule pas mais qui est implicitement contenue dans sa décision. La nullité pour insanité d’esprit ne peut être obtenue que si l’on démontre l’existence d’un trouble mental et non les causes de ce trouble éventuel. Autrement dit et à titre d’illustration, le fait de prouver l’état alcoolique du testateur ou encore la prise de psychotropes, ce n’est pas prouver qu’il a testé sous l’empire d’une insanité d’esprit. En ce sens, les juges lyonnais font observer que « le simple fait [que la testatrice] prenne des médicaments pouvant avoir des effets indésirables ne signifie pas nécessairement que ces effets indésirables se sont produits et encore moins qu’ils auraient altéré sa volonté. Il en va de même pour son état dépressif et sa fatigue ». Cette rigueur est importante. Il en va de la protection de la volonté de celui qui teste. Son consentement, certes doit être protégé, mais sans être trop facilement privé d’effet ou anéanti, sous peine de nuire trop gravement à l’autonomie de la volonté.
La décision commentée illustre bien le fait que s’il existe différentes voies pour contester la validité d’un testament, elles répondent à des conditions et des modalités dont les juridictions assurent rigoureusement le respect. Elles permettent aux dernières volontés de n’être pas trop facilement remises en cause, par un héritier mécontent du sort que lui réserve le testament.
Par Aurélien Molière
[1] Cass. civ. 1, 14 février 1968, n° 65-14.039, publié au bulletin N° Lexbase : A33982BH : elle est « la marque ou le signe de l’approbation personnelle et définitive du contenu de l’acte et de la volonté de s’en approprier les termes ».
[2] Notons, cependant, que le recours à un traducteur n’a été autorisé qu’à compter de la loi n° 2015-177, du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures N° Lexbase : L9386I7R. Sur ce point, voir notre commentaire dans cette chronique : Requalification par réduction et sauvetage du testament authentique nul sur la forme : la résistance des juges lyonnais ! .
♦ CA Lyon, 1re ch. civ., sect. B, 6 juin 2023, n° 21/06004 N° Lexbase : A27729ZP
Mots-clés : enrichissement injustifié • entraide familiale • obligation naturelle • piété filiale • succession
Solution : l’héritier peut demander à être indemnisé sur le fondement de l’enrichissement injustifié, pour l’aide apportée à son parent décédé, s’il démontre qu’elle a excédé les exigences de la piété filiale. À défaut, son appauvrissement s’en trouve justifié par une obligation naturelle d’assistance.
Portée : la solution retenue est en tout point conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’enrichissement injustifié. Elle illustre un obstacle que ce quasi-contrat rencontre en matière familiale, en raison des obligations naturelles qui gravitent autour de la piété filiale.
Une femme décède en laissant pour lui succéder ses trois enfants. Il résulte des opérations de liquidation et de partage que deux d’entre eux doivent respectivement le rapport de la somme de 100 000 euros. Nul ne le conteste. Cependant, l’un comme l’autre se prévalent d’une créance de 100 000 euros contre l’indivision successorale, sur le fondement de l’enrichissement injustifié. Ils estiment devoir être récompensés du « dévouement exceptionnel dont ils ont fait preuve vis-à-vis de leurs parents, et notamment de leur mère, dévouement excédant largement les exigences de la piété filiale ». Mise en perspective avec les sommes à rapporter, leur demande poursuit un objectif évident : neutraliser le rapport.
Il est de jurisprudence constante qu’une indemnité peut être octroyée pour « l’aide et l’assistance apportées dans la mesure où, ayant excédé les exigences de la piété filiale, les prestations librement fournies avaient réalisé à la fois un appauvrissement pour l’enfant et un enrichissement corrélatif des parents » [1]. Autrement dit, de la piété filiale découle une obligation naturelle d’aide et d’assistance. Elle est de nature à justifier l’appauvrissement d’un enfant à l’égard de ses parents, donc à exclure l’action de in rem verso, à moins que son investissement ait excédé l’exécution de son devoir de conscience. En pareille hypothèse, l’enrichissement de ses parents apparaît alors injustifié, dans la mesure de cet excès d’assistance, et il doit être compensé (C. civ., art. 1303-1 N° Lexbase : L0646KZX). L’enjeu réside alors, pour l’enfant, dans la démonstration de cet excès. Ce que les deux héritiers ont échoué à faire.
Certes, en l’espèce, le de cujus a été hébergé pendant sept ans dans des immeubles leur appartenant, tout en participant faiblement aux dépenses de la vie courante. Cependant, ils étaient auparavant hébergés chez elle, dans un bien qui a été saisi en raison de mauvais placements financiers de leur part. En outre, aucune preuve n’est rapportée des dépenses qu’ils prétendent avoir réalisées pour leur mère. Par ailleurs, s’ils ont cessé leur activité professionnelle, ils n’établissent pas qu’ils l’ont fait pour s’occuper d’elle et qu’une telle interruption était nécessaire. À ce sujet, il est indiqué qu’elle bénéficiait d’une aide à domicile.
La cour d’appel de Lyon ne conteste pas le fait qu’ils « se sont toujours occupés avec beaucoup de bienveillance de leurs parents jusqu’à leur décès ». Toutefois, ils ne prouvent « ni que cette aide et cette assistance ont excédé les exigences de la piété filiale ni que les prestations qu’ils ont fournies ont entraîné à la fois un appauvrissement pour eux et un enrichissement corrélatif pour leurs parents ». Autrement dit, aucune des conditions de l’enrichissement injustifié n’a été démontrée, excluant toute indemnisation d’un prétendu appauvrissement des deux héritiers. La décision s’en trouve parfaitement justifiée. Elle appelle deux observations.
D’abord, la piété filiale étant un fait, son appréciation relève de la souveraineté des juges du fond. Il est alors évident qu’elle ne manquera pas de susciter des déceptions chez les héritiers. D’un juge à l’autre, d’une conception de la famille à l’autre et, concrètement, d’une situation familiale à une autre, le montant de l’appauvrissement qui pourra paraître justifié ou qui, inversement, donnera lieu à compensation sera très différent. La position du juge est loin d’être confortable dans cet exercice indispensable.
D’aucuns, ensuite, déploreront certainement une forme d’inégalité ou d’injustice, car les « bons » enfants, qui se seront occupés du de cujus, ne seront ni dédommagés ni avantagés par rapport aux « mauvais » héritiers, lorsque viendra le temps de la succession. Toutefois, à une époque où tout se monnaye (ou presque), il faut se réjouir que la famille continue d’être ce lieu où l’on s’entraide par altruisme, sans arrière-pensées ou esprit de lucre. Et si une réelle injustice devait apparaître, parce qu’un héritier a aidé son parent au-delà de ce que lui impose la piété filiale, alors l’action de in rem verso apparaît pleinement efficace pour compenser son appauvrissement. N’oublions pas, au demeurant, que l’égalité s’impose uniquement lors partage, notamment à travers le rapport des libéralités faites en avancement de part. Dit autrement, la loi n’assure pas l’égalité des vocations héréditaires, même en présence d’héritiers réservataires, et qu’il est possible d’avantager volontairement un héritier au moyen de libéralités consenties hors part successorale. Cela permet de rappeler que cette inégalité pourrait profiter à l’enfant qui a apporté une aide importante à ses parents, si ces derniers ont choisi de le récompenser au moyen d’une libéralité non rapportable ou d’une libéralité rémunératoire.
Par Aurélien Molière
[1] Cass. civ. 1, 12 juillet 1994, n° 92-18.639, publié au bulletin N° Lexbase : A7243ABU ; M. Tchendjou, D., 1995. 623 ; G. Kessler, obs., RDSS, 1995. 215 ; J. Hauser, obs., RTD civ., 1994. 843 ; J. Mestre, obs., ibid., 1995. 373 ; J. Patarin, obs., ibid., 1995. 407.
♦ CA Lyon, 2e ch. civ., sect. B, 25 mai 2023, n° 22/03740 N° Lexbase : A33422BE
Mots-clés : compétence du juge français • consentement • intention matrimoniale • loi applicable • loi de police • mariage • nullité du mariage.
Solution : la demande en nullité d’un mariage franco-tunisien doit être rejetée lorsque la preuve que l’époux a conclu le mariage dans le but exclusif d’obtenir un titre de séjour sur le territoire français n’est pas rapportée.
Portée : la demande en nullité d’un mariage franco-tunisien met en exergue la complexité de prouver l’absence d’intention matrimoniale à la lumière des règles de droit international privé.
Au cœur des préceptes juridiques régissant le mariage, l’intention matrimoniale est, sans aucun doute, l’élément essentiel de la validité de celui-ci. L’article 146 du Code civil N° Lexbase : L1571ABS l’affirme clairement puisqu’« il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ». Lorsque deux personnes se marient, leur consentement à une telle union doit être libre, éclairé, abstrait et inconditionnel. Il n’est donc pas possible de se marier dans l’unique but de tirer un avantage lié au mariage, tel que l’obtention d’un titre de séjour. Si jamais une telle union devait être célébrée, elle pourrait être annulée pour défaut d’intention matrimoniale.
Une femme, de nationalité française, et un homme, de nationalité tunisienne, se sont mariés en Tunisie en août 2017. Quelques mois après, ils se sont installés près de Paris, avant de se séparer fin janvier 2018. De leur union est né un enfant en septembre 2018.
À la suite de leur séparation, les juridictions françaises ont eu à connaître de plusieurs litiges les opposant. Si le premier a concerné l’exercice de l’autorité parentale et l’organisation du droit de visite et d’hébergement, le second est relatif à une demande de divorce. Elle a été déposée par l’époux en octobre 2019 auprès du juge aux affaires familiales de Bobigny. Par suite du déménagement de son épouse en région lyonnaise en septembre 2019, celui-ci s’est déclaré incompétent au profit de son homologue lyonnais, toujours en charge de cette procédure. L’affaire aurait très bien pu s’arrêter au prononcé du divorce. Cependant, plutôt que de s’engager dans une procédure de divorce, l’épouse a préféré saisir le tribunal judiciaire de Lyon d’une demande en nullité du mariage. Dans un jugement du 13 avril 2022, celle-ci a été déboutée de sa demande. Après s’être déclarés compétents, les juges de première instance ont appliqué la loi française pour apprécier le consentement de l’épouse et la loi tunisienne pour apprécier celui de l’époux. Selon leur appréciation souveraine, celle-ci ne rapportait pas la preuve du défaut d’intention matrimoniale de son époux. Face à cette décision, elle a interjeté appel devant la cour d’appel de Lyon.
1. L’application cohérente des règles de droit international privé. L’affaire présentant un élément d’extranéité en la nationalité tunisienne de l’époux, les juges du fond se sont judicieusement posé la question de leur compétence et de la loi applicable. En plus de s’être prêtés à la discipline du conflit de juridictions et du conflit de lois, les juges du fond ont correctement appliqué les règles en la matière. Après avoir vérifié l’applicabilité du Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le Règlement (CE) n° 1347/2000, dit « Bruxelles II bis » N° Lexbase : L0159DYK à la situation litigieuse [1], ils ont relevé leur compétence, octroyée par l’article 3, 1., a), dudit Règlement. Celui-ci précise que « les juridictions de l’État membre, sur le territoire duquel se trouve la résidence habituelle du demandeur, s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande » sont compétentes en matière d’annulation du mariage. Tel était bien le cas en l’espèce puisque l’épouse, qui réside habituellement en France depuis décembre 2017, a demandé l’annulation du mariage pour défaut d’intention matrimoniale en octobre 2019.
Après avoir réglé la question du conflit de juridictions, les juges du fond devaient régler celle du conflit de lois. Depuis la jurisprudence « Elkhbizi » [2], lorsque les droits sont indisponibles, les juges du fond ont l’obligation de mettre en œuvre la règle de conflit de lois et de rechercher le droit étranger applicable. Cette obligation procédurale est visée à l’article 3 du Code civil N° Lexbase : L2228AB7, logiquement invoqué dans ce litige. En effet, un droit est indisponible lorsqu’il est impossible d’y renoncer, à l’instar de l’état des personnes. Le mariage étant un élément de l’état des personnes, le raisonnement des juges de première et de seconde instance était pertinent. Pour ce faire, ils ont appliqué la règle selon laquelle les conditions de fond du mariage sont régies par la loi personnelle de chacun des époux [3]. En raison de l’application distributive de la loi personnelle au consentement à mariage, l’épouse française devait être soumise à la loi française et l’époux tunisien à la loi tunisienne. Ainsi, pour prouver l’absence de consentement de l’époux tunisien, il fallait, selon la loi tunisienne, prouver qu’il n’avait pas l’intention de se marier et qu’il n’existait aucune intention matrimoniale.
Pour vérifier l’existence du consentement de l’époux tunisien, les juges du fond ont appliqué et interprété l’article 21 du Code du statut personnel tunisien. En vertu de celui-ci, l’union comportant une clause contraire à l’essence même du mariage ou conclue en contravention des dispositions du premier alinéa, de l’article 3, dudit code, est frappée de nullité. L’alinéa 1er, de l’article 3, du Code du statut personnel tunisien précise que le mariage n’est formé que par le consentement des deux époux. À la lecture de ces dispositions, les juges français ont considéré que le mariage devait être frappé de nullité si le consentement de l’époux tunisien avait été donné dans un but autre ; celui d’obtenir un titre de séjour sur le territoire français « sans intention de créer une famille et d’en assumer les charges ». Quant à la charge de la preuve de l’absence de consentement, elle repose sur celui qui l’invoque, soit sur l’épouse. Il revient donc à cette dernière de démontrer l’absence d’intention matrimoniale de son époux au moment de leur mariage.
2. La difficile preuve de l’absence d’intention matrimoniale. Pour faire annuler le mariage, l’épouse française invoque, à l’appui de son appel, le défaut d’intention matrimoniale de son époux et l’absence de sincérité des sentiments à son égard. Celui-ci n’aurait consenti au mariage que dans un but migratoire, afin d’obtenir un titre de séjour sur le territoire français. À l’appui de ses dires, elle allègue son départ précipité du domicile conjugal un mois seulement après leur installation en France, son désintérêt pour sa famille, ses relations extra-conjugales, son comportement agressif et l’utilisation détournée de sa paternité pour renouveler son titre de séjour.
À l’inverse, son époux affirme l’avoir épousé avec l’intention sincère de construire une famille. Son installation en France après le mariage et l’obtention d’un visa de conjoint de Français constitueraient des preuves de son engagement. Par ailleurs, il nie toute infidélité et soutient que la relation avec sa femme a changé après l’annonce de sa grossesse et que ce serait elle qui aurait exigé son départ du domicile conjugal. Il soutient qu’il a tenté de maintenir le contact avec sa famille, malgré les obstacles posés par sa femme, et conteste toute violence.
Face à cette situation complexe, les juges du fond se devaient d’apprécier la réalité de l’existence du consentement, et par là même celle de l’intention matrimoniale, de l’époux tunisien. Pour ce faire, ils ont relevé l’existence d’une communauté de vie de quelques mois ayant conduit à la naissance d’un enfant. Ils ont également invoqué la séparation rapide et brutale du couple, survenue à l’annonce de la grossesse de l’épouse. Ils ont insisté sur le fait qu’elle avait entrepris des actions afin d’exclure son mari de la vie de leur enfant et que celui-ci s’était battu pour exercer ses droits paternels. Ce faisant, à la lumière des articles 3, alinéa 1er, et 21, du Code du statut personnel tunisien, il semblerait que l’époux ait eu l’intention de créer une famille et d’en assumer les charges, ce qui témoignerait de l’existence d’une intention matrimoniale. En tous les cas, sa femme ne rapporte pas la preuve que le but qu’il poursuivait était « de manière exclusive, étranger à la finalité du mariage ». Pour ces différentes raisons, la cour d’appel de Lyon déboute à son tour la femme de sa demande.
3. L’improbable oubli d’une loi de police universelle. Cet arrêt permet de prendre conscience de la difficulté liée à la charge de la preuve et à l’application du droit international privé. Si les juges du fond ont correctement appliqué les règles de conflit, ils ne sont pourtant pas allés au bout de leur raisonnement internationaliste. En effet, l’article 202-1 du Code civil N° Lexbase : L9545I3W précise que, « quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l’article 146 et du 1er alinéa de l’article 180 du Code civil ». L’article 146 N° Lexbase : L1571ABS ayant été préalablement rappelé, il convient de s’intéresser à l’alinéa 1er, de l’article 180, du Code civil N° Lexbase : L1359HI8. Celui-ci prévoit que « le mariage qui a été contracté sans consentement libre des deux époux, ou de l’un d’eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public ». Ainsi, le consentement des époux ne doit pas faire défaut ni être forcé, et ce, quelle que soit la loi personnelle des époux. Cela signifie que le consentement des époux, en ce compris son caractère sérieux, libre, réel et l’intention matrimoniale, sera toujours apprécié au regard des règles françaises, même si le défaut affecte le consentement d’un époux étranger. Le consentement à mariage échappe donc à la règle de conflit puisqu’il a été érigé en tant que loi de police universelle. Cela signifie que son applicabilité n’est pas conditionnée par un rattachement avec la France. Pourtant, alors même que cette règle a été rappelée par les juges du fond, ils ont tout de même privilégié l’application de la loi tunisienne au consentement de l’époux tunisien, alors qu’ils auraient simplement dû appliquer la loi française. En tous les cas, en admettant que celle-ci ait été appliquée, il semble peu probable que la solution eut été différente.
Par Aurore Camuzat
[1] Pour rappel, il convient de vérifier trois critères : matériel, temporel et spatial.
[2] Cass. civ. 1, 26 mai 1999, n° 97-16.684, publié au bulletin N° Lexbase : A0845CKI ; H. Fulchiron, Dr. fam., 2000, n° 3, chron. p. 5 ; F. Mélin, JCP, 1999, II. 10192 ; J. Massip, obs., Défrénois, 1999, p. 1261 ; GAJFDIP, Dalloz, 5e éd., 2006, n° 78.
[3] C. civ., art. 202-1 N° Lexbase : L9545I3W.
♦ CA Lyon, 2e ch. civ., sect. A, 22 février 2023, n° 22/00629 N° Lexbase : A70699EK
Mots-clés : action en contestation de paternité • filiation • fraude à la loi • nationalité • reconnaissance volontaire.
Solution : une reconnaissance volontaire de paternité doit être annulée lorsqu’elle a été effectuée pour des fins migratoires, prouvant l’intention frauduleuse de son auteur.
Portée : la preuve de l’intention frauduleuse de l’auteur d’une reconnaissance volontaire met en exergue les enjeux liés à la fraude à la loi et emporte de lourdes conséquences sur le statut juridique de l’enfant.
En principe, la filiation s’établit à l’égard de la mère en application de l’adage mater semper certa est [1], en vertu duquel la mère est la femme qui accouche. Quant à la filiation paternelle, elle peut s’établir par le biais de la présomption de paternité [2], la reconnaissance volontaire [3], la possession d’état [4] ou l’exercice d’une action en justice [5]. Si le couple qui attend un enfant n’est pas marié, le père devra effectuer une reconnaissance volontaire afin de voir établir sa paternité vis-à-vis de l’enfant. Cependant, rien n’interdit aux futurs parents d’effectuer une reconnaissance prénatale conjointe afin d’anticiper l’établissement de la filiation. Celle-ci est un acte personnel, unilatéral et irrévocable [6], qui peut être contesté par le ministère public « si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi » [7]. Tel est l’objet de la situation litigieuse.
Une femme, de nationalité camerounaise, et un homme, de nationalité française, ont effectué une reconnaissance prénatale conjointe en février 2007. À la suite de la naissance de l’enfant en juillet 2007, le père a déclaré l’enfant sous le nom de famille de sa mère et d’une tierce personne. Un certificat de nationalité française a été délivré à cet enfant en mars 2008, tandis que la mère a pu obtenir un titre de séjour en se prévalant de sa qualité de mère d’un enfant français. Enfin, en 2009, la mère de l’enfant a épousé une tierce personne, de nationalité camerounaise, celle-là même dont l’enfant porte déjà le nom.
Face à cette situation relativement surprenante, la préfecture de Haute-Savoie a signalé au parquet une possible reconnaissance frauduleuse, visant à accorder un droit de séjour en France à une mère étrangère, en situation irrégulière. Le procureur de la République de Thonon-les-Bains a assigné les parents devant le tribunal de grande instance afin d’obtenir l’annulation de la reconnaissance prénatale conjointe réalisée au profit de l’enfant à naître. Dans le cadre de cette procédure, la présidente de la commission des mineurs a été désignée en qualité d’administratrice ad hoc afin de représenter l’enfant mineur. Après un jugement avant dire droit en date du 5 septembre 2018 ayant ordonné une première expertise génétique, le tribunal judiciaire en a ordonné une nouvelle le 5 février 2020. Cependant, aucune de ces expertises n’a pu être réalisée puisque le père ne s’est pas présenté. De manière assez étonnante eu égard aux faits, le 5 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a rejeté la demande d’annulation de l’acte de reconnaissance.
Le ministère public a évidemment interjeté appel. Au soutien de celui-ci, il rappelle les règles applicables en matière d’établissement et de contestation de la filiation et soutient que la filiation de l’enfant a été instrumentalisée pour permettre à sa mère de rester en France, alors même qu’elle était en situation irrégulière. Par ailleurs, il évoque le fait que le père a refusé de se soumettre à une expertise biologique, qui aurait pu lever tous les doutes quant à la filiation paternelle de l’enfant. Quant à l’administratrice ad hoc, elle a demandé la confirmation du jugement. Elle souligne qu’il n’a été démontré aucune intention frauduleuse de la part du père et que l’absence d’expertise génétique ne devrait pas avoir de conséquences. Elle fait également valoir, à titre subsidiaire, que la contestation de la filiation du père n’aurait aucune conséquence sur le nom de famille de l’enfant, puisqu’il ne porte pas le nom de celui-ci, mais que cela en aurait sur sa nationalité, ce qui lui causerait préjudice.
1. Application judicieuse de la loi française à l’action en contestation de paternité. Après avoir rappelé l’étendue de sa saisine, la cour d’appel de Lyon s’est intéressée à la contestation de la paternité du père. Sachant qu’il existait un élément d’extranéité en la nationalité camerounaise de la mère, les juges du fond se sont, dans un premier temps, intéressés à la loi applicable à la validité de la reconnaissance. Pour être valable, celle-ci doit avoir été effectuée en conformité avec la loi personnelle de son auteur ou celle de l’enfant [8]. La reconnaissance effectuée par la mère n’étant pas contestée et le père et l’enfant étant tous deux de nationalité française, il convenait d’appliquer la loi française.
2. Preuve incontestable de l’existence d’une reconnaissance frauduleuse. Par la suite, les juges d’appel ont rappelé la possibilité pour le ministère public d’agir en contestation d’une filiation invraisemblable ou établie en fraude à la loi. En effet, « un intérêt d’ordre public s’attache à ce que les filiations frauduleusement établies soient annulées ». Or une reconnaissance effectuée dans le but de procurer un avantage particulier, par exemple à des fins migratoires, dont la finalité est étrangère à l’intérêt de l’enfant et à son éducation, constitue une reconnaissance frauduleuse. Encore faut-il en rapporter la preuve. Sachant que toute reconnaissance est présumée sincère et exacte, la charge de la preuve de son inexactitude repose sur la personne qui la conteste, soit le ministère public dans cette affaire [9], et peut se faire par tous moyens [10]. À la lecture des faits d’espèce, la solution du litige semble évidente. Un homme, de nationalité française, a reconnu un enfant, en croyant de bonne foi être le père, après avoir fréquenté ponctuellement sa mère, de nationalité camerounaise et ne disposant d’aucun titre de séjour régulier sur le territoire français. Cependant, il s’est trouvé dans l’incapacité de donner le lieu de naissance de l’enfant, ce qui laissait présumer la discontinuité de ses relations avec la mère. De plus, il a déclaré l’enfant sous le nom de famille de sa mère et du futur mari de celle-ci, de nationalité camerounaise, deux ans avant leur mariage. Il est donc juridiquement le père d’un enfant qui porte le nom de famille de sa mère et du futur mari de celle-ci. Enfin, il n’existait aucun contact réel entre l’enfant et son père depuis la naissance, et ce dernier a refusé de se soumettre aux expertises génétiques ordonnées. Or un tel refus pourrait s’analyser comme un aveu de non-paternité, à tout le moins une présomption grave, précise et concordante de non-paternité [11]. À l’appui de ces différents éléments, les juges d’appel ont justement conclu à l’existence d’une reconnaissance mensongère, effectuée à des fins migratoires, constitutive d’une fraude à la loi française, justifiant l’annulation de celle-ci.
3. Conséquences préjudiciables de l’annulation de la filiation paternelle. En disparaissant, la filiation emporte de multiples conséquences. Sachant que l’enfant porte le nom de famille de sa mère et du mari de celle-ci, cette décision n’a aucune incidence sur son nom. Toutefois, elle produit, bien évidemment, des conséquences importantes en matière de nationalité, puisque celle-ci pourrait être remise en cause. Alors même que l’enfant n’est qu’une victime dans cette affaire, il subit les errements de sa mère et de l’auteur de la reconnaissance frauduleuse. C’est pour cette raison que des dommages et intérêts lui ont été octroyés. Il n’est cependant pas certain que la réparation, à hauteur de 2 000 euros, de son préjudice personnel, puisse compenser l’éventuelle perte de sa nationalité française.
Par Aurore Camuzat
[1] C. civ., art. 311-25 N° Lexbase : L8813G9B.
[2] C. civ., art. 312 N° Lexbase : L8883G9U.
[3] C. civ., art. 316 N° Lexbase : L1994LMS.
[4] C. civ., art. 317 N° Lexbase : L7273LP3.
[5] C. civ., art. 325 et s N° Lexbase : L5825ICQ.
[6] Ph. Malaurie et H. Fulchiron, Droit de la famille, LGDJ, 8e éd., p. 566 et s., n° 1191 et s.
[7] C. civ., art. 336 N° Lexbase : L8872G9H.
[8] C. civ., art. 311-17 N° Lexbase : L8860G9Z.
[9] C. civ., art. 332, al. 2 N° Lexbase : L8834G93.
[10] C. civ., art. 310-3, al. 2 N° Lexbase : L8854G9S.
[11] Cass. civ. 1, 18 janvier 1989 : JCP G, 1989, IV, 101. Dans cette affaire, le fait que la mère de l’enfant ait refusé de se soumettre à un examen comparé des sangs a été considéré comme une présomption grave, précise et concordante de la non-paternité de l’auteur de la reconnaissance.
♦ CA Lyon, 1re ch. civ., sect. B, 25 avril 2023, n° 21/01550 N° Lexbase : A45249SD
Mots-clés : acceptation tacite • conjoint survivant • droit viager • succession • usage et habitation
Solution : la volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit viager au logement est caractérisée, outre son maintien dans les lieux, par son acceptation de l’usufruit de l’intégralité de la succession consentie par une donation entre époux.
Portée : la nécessité de réunir un faisceau d’indices pour caractériser la volonté du conjoint survivant, qui ne peut être limité au seul maintien dans les lieux, est confirmée et appliquée par la cour d’appel de Lyon.
Le conjoint survivant bénéficie de droits conséquents dans et contre la succession du de cujus. En particulier, le droit viager d’usage et d’habitation prévu par l’article 764 du Code civil N° Lexbase : L3371ABH permet de lui garantir un maintien de son cadre de vie dans le logement familial. Toutefois, la question se pose régulièrement de la manière dont peut être accepté ce droit. S’il est désormais établi qu’une manifestation tacite de volonté est possible, l’arrêt commenté illustre les difficultés résidant dans la preuve de celle-ci et des éléments permettant de la caractériser.
En l’espèce, à l’occasion de l’ouverture d’une succession, des difficultés sont survenues entre les différents héritiers du de cujus. En particulier, la question se posait du droit viager d’usage et d’habitation au profit de la conjointe survivante, avec qui le défunt était marié depuis 2001 sous le régime de la séparation de biens. Celui-ci lui a consenti une donation de biens à venir portant sur l’usufruit de l’intégralité de sa succession avec clause d’exhérédation de ses droits légaux, dont elle a accepté le bénéfice dans un acte de notoriété de 2012. Toutefois, la libéralité a par la suite été annulée, en raison de l’illicéité de l’exhérédation.
Les enfants d’un premier lit du de cujus, dont la mère est prédécédée, ont interjeté appel du jugement du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse rendu le 7 janvier 2021, qui a reconnu à la conjointe survivante le droit viager d’habitation sur le logement familial et d’usage sur les biens meubles le garnissant. L’un des fils a argué du fait que sa belle-mère n’avait pas manifesté sa volonté de bénéficier du droit en question dans le délai d’un an, conformément à l’article 765-1 du Code civil N° Lexbase : L3486AWZ, puisque son seul maintien dans les lieux ne saurait valoir manifestation tacite de volonté. En effet, l’acceptation expresse n’a eu lieu qu’en 2019 par un acte notarié. À l’inverse, la conjointe survivante a affirmé que ce maintien témoignait précisément d’une telle volonté. Elle a également invoqué le fait qu’« en optant pour l’usufruit de l’universalité des biens de la succession, elle a nécessairement et implicitement opté pour le droit d’usage et d’habitation viager du logement dans lequel elle s’est maintenue ». Enfin, l’un des appelants a avancé l’argument selon lequel la conjointe survivante avait été informée par le notaire du délai d’un an à respecter, ainsi que de la possible annulation de la donation consentie par le de cujus. Néanmoins, celle-ci a expliqué qu’en raison de son acception de l’usufruit de l’universalité des biens successoraux, « elle n’avait aucune raison d’opter pour le bénéfice du droit d’usage et d’habitation viager ».
Dans son arrêt du 25 avril 2023, la cour d’appel de Lyon met fin au litige en s’inscrivant dans la continuité de la jurisprudence selon laquelle le conjoint survivant peut manifester de manière tacite sa volonté de bénéficier du droit viager au logement [1], puisque les textes n’exigent aucun formalisme et aucun caractère exprès. Elle estime qu’au regard des faits de l’espèce, une telle volonté est caractérisée par le choix par la conjointe survivante de bénéficier, deux mois après l’ouverture de la succession, de l’usufruit de l’intégralité de cette dernière conformément à la donation entre époux consentie par le de cujus, couplé à son maintien dans les lieux. Il convient de souligner que l’annulation par la suite de cette libéralité n’entraîne aucune conséquence sur la prise en compte de la manifestation de volonté. En effet, selon les juges d’appel, l’acceptation de celle-ci suffit en ce qu’elle « démontre que le souhait non équivoque de Mme [X] était de se maintenir dans le logement à titre viager, puisque le bénéfice de l’usufruit lui permettait d’y vivre jusqu’à son décès ». À ce titre, ils écartent l’argument adverse fondé sur les avertissements du notaire à l’égard de sa belle-mère quant à la possibilité d’une invalidation de la donation entre époux. Il en va de même pour l’information délivrée par l’officier ministériel concernant le délai d’un an pour opter pour le droit viager au logement : celle-ci figurait dans l’acte de notoriété mais ne précisait pas qu’une déclaration expresse était nécessaire.
La Cour de cassation a récemment eu l’occasion de statuer sur cette question relative au droit viager au logement, en restreignant les possibilités d’acceptation tacite. En effet, elle juge que cette manifestation de volonté « ne peut résulter du seul maintien dans les lieux [2] ». Cette solution a pu être justifiée, selon Michel Grimaldi, par le fait que le maintien dans les lieux « durant l’année qui suit le décès […] peut être vu comme l’exercice du droit annuel au logement de l’article 763 [3] » : les deux prérogatives doivent pouvoir être distinguées. Or, dans l’arrêt commenté, le maintien dans les lieux de la conjointe survivante constitue l’un des éléments soulignés par les juges d’appel, mais non le principal motif permettant de caractériser une manifestation de volonté valable : l’acceptation de la donation entre époux, grâce à laquelle elle bénéficiait de l’usufruit de l’ensemble des biens successoraux permet ici de s’assurer d’une telle volonté. En ce sens, la cour d’appel de Lyon s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence de la Haute juridiction en reconnaissant l’acceptation tacite grâce à un faisceau d’indices : chaque élément, à lui seul, pourrait faire douter de la preuve de la volonté du conjoint survivant ; ensemble, ils permettent d’attester de celle-ci.
L’originalité de l’arrêt commenté réside essentiellement dans la prise en considération du choix par la conjointe survivante de bénéficier de l’usufruit de l’intégralité de la succession consenti par une donation du de cujus, laquelle a, qui plus est, été annulée par la suite. La solution apparaît néanmoins justifiée au regard des faits ; surtout, elle permet peut-être de contrebalancer la rigueur de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui exclut le seul maintien des lieux, et de protéger davantage les veufs et veuves.
Par Margot Musson
[1] Cass. civ. 1, 13 février 2019, n° 18-10.171, FS-P+B N° Lexbase : A3332YXP : N. Levillain, obs., D., 2019, 381 ; AJ fam., 2019, 352 ; M. Grimaldi, obs., RTD civ., 2020, 167.
[2] Cass. civ. 1, 2 mars 2022, n° 20-16.674, FS-B N° Lexbase : A24617PT ; N. Levillain, obs., AJ fam., 2022, 233 ; M. Grimaldi, obs., RTD civ., 2022, 439 ; M. Nicod, obs., Dr. fam., 2022, comm. 75 ; V. Zalewski-Sicard , obs., JCP N, 2022, n° 1161.
[3] M. Grimaldi, Le maintien du conjoint survivant dans sa résidence principale pendant l’année qui suit le décès ne vaut pas de sa part manifestation d’une volonté de bénéficier du droit viager au logement, obs. sous Cass. civ. 1, 2 mars 2022, n° 20-16.674, FS-B N° Lexbase : A24617PT.
♦ CA Lyon, 2e ch., sect. B, 25 mai 2023, n° 21/06707 N° Lexbase : A33972BG
Mots-clés : contestation de paternité • contrôle de conventionnalité in concreto • délai de forclusion • filiation • préjudice.
Solution : la fin de non-recevoir prévue par l’article 333, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L5803ICW ne porte pas en l’espèce une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant. Est confirmée l’irrecevabilité de l’action en contestation de paternité engagée par le père légal de cet enfant.
Portée : la mise en œuvre de l’article 333, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L5803ICW impose aux juges l’examen d’un contrôle de conventionnalité in concreto qui prend essentiellement en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.
La consécration en 2005 de délais de prescription et de forclusion dans le cadre des actions relatives à la filiation soulève de multiples questions [1], lesquelles sont susceptibles de trouver de nouvelles réponses grâce au contrôle de conventionnalité in concreto. L’arrêt commenté traduit la balance des intérêts devant être opérée avant de déclarer irrecevable une action en contestation de paternité sur le fondement de l’article 333, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L5803ICW.
Des relations maritales entre l’appelant et son épouse est née une enfant que le premier a reconnue. Alors âgée de deux ans, cette dernière a fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert. Le divorce par consentement mutuel des époux a été prononcé par un jugement du 20 mars 2009, avec exercice conjoint de l’autorité parentale. En 2014, l’enfant a fait l’objet d’un placement auprès de l’aide sociale à l’enfance, renouvelé jusqu’à sa majorité. En 2019, à la suite de déclarations de la mère de l’enfant remettant en cause la filiation à l’égard de l’auteur de la reconnaissance, ce dernier a procédé à une action en contestation de paternité formée contre son ex-épouse et l’administratrice ad hoc de l’enfant, et a sollicité une expertise génétique.
Le tribunal judiciaire de Lyon a statué le 5 mai 2021 en déclarant la demande irrecevable sur le fondement de l’article 333, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L5803ICW, qui prohibe toute contestation de la filiation lorsque la possession d’état conforme au titre a duré plus de cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance. Il a également condamné la mère au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 150 euros au profit de l’enfant. Le père a interjeté appel de la décision. D’une part, il considère que le refus d’ordonner une expertise génétique est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant et à son droit de connaître ses parents, garanti par l’article 7 de la CIDE N° Lexbase : L6807BHL. D’autre part, il conteste l’irrecevabilité de sa demande en arguant que seul l’article 321 du Code civil N° Lexbase : L8823G9N est applicable à sa situation – il réfute toute possession d’état conforme au titre – et que le délai de prescription de dix ans qu’il prévoit a commencé à courir le 22 janvier 2018, jour où la mère de l’enfant a remis en cause sa paternité devant le juge des enfants. Dans ses conclusions, cette dernière demande à l’inverse aux juges d’appel de confirmer l’irrecevabilité de la demande de son ex-époux au regard du délai de prescription, de même que le ministère public qui s’appuie sur le fait que la possession d’état, ici conforme au titre, a duré plus de cinq ans conformément à l’article 333, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L5803ICW.
Dans son arrêt du 25 mai 2023, la cour d’appel de Lyon confirme en tous points le jugement rendu. Elle s’attache à rappeler les règles de prescription en matière d’actions relatives à la filiation et, en particulier, elle confirme l’applicabilité de l’article 333, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L5803ICW pour en déduire in fine que l’action en contestation de paternité est bien prescrite. Néanmoins, l’intérêt de sa décision repose sur le contrôle de conventionnalité in concreto réalisé au regard de l’article 8 de la CESDH N° Lexbase : L4798AQR. En effet, elle rappelle que cette disposition protège le droit à l’identité susceptible de faire l’objet d’une atteinte par l’application du délai de forclusion prévu par la disposition textuelle précitée [2]. Cette atteinte est, certes, prévue par la loi et poursuit un but légitime résidant dans la protection des droits et libertés des tiers et la sécurité juridique, mais il appartient au juge d’opérer un contrôle de proportionnalité au regard des circonstances concrètes de l’affaire.
En l’espèce, la juridiction lyonnaise constate qu’une possession d’état est bien caractérisée pendant au moins six ans entre la reconnaissance en 2003 et le jugement de divorce en 2009. De plus, un certain nombre d’éléments lui permettent de conclure à la contrariété avec l’intérêt de l’enfant d’un anéantissement de sa filiation paternelle, en particulier au regard de son parcours au sein des services de l’aide sociale à l’enfance et de la vulnérabilité qui y est associée. Elle considère que son intérêt commande de conserver ce lien de filiation, malgré « l’absence d’affection particulière » avec l’auteur de la reconnaissance et son droit à l’identité personnelle. Elle souligne également qu’il résulterait de l’anéantissement de sa filiation paternelle la modification de son patronyme au profit de celui de sa mère « avec laquelle elle entretient également des rapports extrêmement compliqués, ce qui au regard de son passé, viendrait immanquablement la fragiliser davantage ». La recevabilité de la demande de l’auteur de la reconnaissance ne saurait au demeurant pouvoir permettre à l’enfant d’établir un lien de filiation avec le père de ses sœurs qui représente pour elle un « père de substitution », en l’absence de tout lien biologique avec celui-ci.
L’arrêt s’inscrit dans une jurisprudence majoritairement favorable au maintien du lien de filiation contesté dans le cadre de l’article 333 du Code civil N° Lexbase : L5803ICW [3]. Il apparaît à travers lui que la proportionnalité de la mise en œuvre de la fin de non-recevoir résultant de l’article précité repose essentiellement sur la prise en considération et l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce dernier est complexe en ce que l’enfant est à la fois titulaire du droit d’accéder à ses origines personnelles et, partant, de voir sa filiation mise en conformité avec la réalité biologique ; toutefois, l’anéantissement de la filiation établie, conforme à la réalité sociologique (durant un temps, du moins), entraînerait des conséquences incompatibles avec cet intérêt. C’est d’ailleurs précisément ce qui justifie que le législateur empêche toute contestation du lien de filiation lorsque la possession d’état corroborée au titre a duré plus de cinq ans. À l’inverse, l’intérêt de l’auteur de la reconnaissance n’est aucunement mentionné, celui-ci ne l’ayant par ailleurs pas invoqué. La balance des intérêts repose donc essentiellement ici sur les intérêts divergents de l’enfant et l’intérêt public de faire primer la réalité sociologique.
Enfin, la cour confirme le prononcé des dommages et intérêts par la mère au profit de l’enfant, jugeant qu’un préjudice était caractérisé par le fait qu’elle avait « anéanti la certitude selon laquelle M. [C] était son père ». Une telle sanction s’explique en l’espèce par la particulière vulnérabilité de l’enfant et le « caractère nuisible pour l’équilibre psychique de sa fille » des propos de sa mère remettant régulièrement en cause la vérité biologique de sa filiation à l’égard d’un homme qu’elle a connu depuis sa naissance.
Par Margot Musson
[1] V. sur ce point : H. Fulchiron, Vérité contre stabilité des filiations ?, D., 2013. 958.
[2] La Cour de cassation a déjà répété à plusieurs reprises que le délai édicté par cet alinéa n’est pas un délai de prescription, mais un délai de forclusion : Cass. civ. 1, 1er février 2017, n° 15-27.245, FS-P+B+I N° Lexbase : A7001TAK : I. Guyon-Renard, chron., D., 2017. 599 ; F. Granet-Lambrechts, obs., D., 2017. 729 ; F. Granet-Lambrechts, obs., D., 2018. 528 ; M. Douchy-Oudot, obs., D., 2018. 641 ; P. Bonfils et A. Gouttenoire, obs., D., 2018. 1664 ; J. Houssier, obs., AJ fam., 2017. 203 ; J. Hauser, obs., RTD civ., 2017. 363.
[3] Cass. civ. 1, 6 juillet 2016, n° 15-19.853, FS-P+B+I N° Lexbase : A6130RWX : M. Douchy-Oudot, obs., D., 2017. 470 ; F. Granet-Lambrechts, obs., D., 729 ; J. Hauser, obs., RTD civ., 2016. 831 ; Y. Bernand, note, Dr. fam., 2016, comm. 200.
♦ CA Lyon, 2e ch., sect. A, 14 juin 2023, n° 22/01142 N° Lexbase : A346093K
Mots-clés : changement de nom • expertise biologique • filiation • nom • reconnaissance
Solution : la personne dont la filiation paternelle est modifiée peut obtenir un changement de nom au profit de celui de son père biologique dont la filiation a été établie, au détriment de celui de l’auteur de la reconnaissance dont la filiation a été anéantie.
Portée : la cour d’appel fonde sa décision sur l’article 331 du Code civil N° Lexbase : L8833G9Z, mais également, de manière plus contestable, sur le nouvel article 61-3-1 N° Lexbase : L7988MBH. Malgré son utilité, ce dernier devrait être réservé aux hypothèses extracontentieuses afin de préserver le droit unique pour chaque majeur d’obtenir modification de son nom.
La loi n° 2022-301, du 2 mars 2022, relative au choix du nom issu de la filiation N° Lexbase : L7681MB4 [1] modernise le droit des personnes et de la famille en octroyant à l’enfant majeur la possibilité de choisir, tout comme ses géniteurs avant lui, le nom définitif qu’il portera afin d’y ajouter ou substituer celui du parent qui ne lui a pas transmis le sien. L’application de l’article 61-3-1 N° Lexbase : L7988MBH, qu’elle renouvelle, n’est cependant pas toujours opportune et devrait être limitée à la seule hypothèse extrajudiciaire de demande devant l’officier de l’état civil, comme en témoigne l’arrêt commenté.
En l’espèce, à la suite d’une reconnaissance prénatale de paternité, la filiation d’une enfant est établie à l’égard de l’homme qu’elle croit être son père et qui lui transmet son nom. L’individu porte plainte pour usurpation d’identité. L’année suivante, en 2019, sa fille intente une action en contestation et en recherche de paternité. Par un jugement du 1er avril 2020, le tribunal judiciaire de Lyon ordonne une expertise génétique, laquelle révèle que le père biologique de la jeune femme n’était pas l’auteur de la reconnaissance, mais un tiers. Par suite, le tribunal rend une décision sur le fond le 8 décembre 2021 par laquelle il annule la reconnaissance de paternité et dit que le tiers était le père de la jeune femme. Néanmoins, il refuse à cette dernière la possibilité de changer de patronyme pour porter le nom de son père biologique, estimant qu’elle n’apportait pas la preuve d’un intérêt à porter ce nom, la seule vérité biologique de sa filiation ne suffisant pas. La jeune femme interjette donc appel de cette décision pour contester ce point, arguant qu’« il est de son droit de vouloir porter le nom de son véritable père », bien qu’elle ne le connaisse pas. Par ailleurs, l’auteur de la reconnaissance demande également à la cour que soit modifié le nom de l’appelante, soulignant qu’il a été victime d’une usurpation d’identité et ne souhaitant donc pas lui transmettre son patronyme.
Par un arrêt du 14 juin 2023, la cour d’appel de Lyon infirme partiellement le jugement de première instance et accueille la demande de l’appelante d’une substitution de nom. Elle se fonde pour cela sur l’article 61-3-1 du Code civil N° Lexbase : L7988MBH, dans sa version modifiée par la loi n° 2022-301, du 2 mars 2022, relative au choix du nom issu de la filiation N° Lexbase : L7681MB4, qui accorde à toute personne majeure la possibilité de demander la modification de son nom afin de porter le nom du parent qui ne lui a pas transmis le sien ou celui de ses deux parents accolés. Elle se fonde également sur l’article 331 du Code civil N° Lexbase : L8833G9Z, qui prévoit que le juge peut statuer sur l’attribution du nom de famille dans le cadre d’une action en établissement de filiation. En effet, elle estime qu’il est de l’intérêt de l’appelante que le nom de son père biologique soit substitué à celui de l’auteur de la reconnaissance, conformément à la vérité de sa filiation.
Il s’agit de l’une des premières applications jurisprudentielles de l’article 61-3-1 N° Lexbase : L7988MBH dans sa version nouvelle, mais la question se pose néanmoins de la pertinence de son utilisation. En l’espèce, la demande de modification de nom résulte d’un changement de filiation, en faveur du nom du père biologique de l’appelante. Or dans ce cadre, le seul article 331 du Code civil N° Lexbase : L8833G9Z devrait suffire à justifier la recevabilité d’une telle demande, puisqu’il concerne précisément l’hypothèse dans laquelle une nouvelle filiation a été établie. Cette disposition vise l’ensemble des enfants, qu’ils soient mineurs ou majeurs [2] : il permet au juge de se prononcer sur un changement de nom dans le cadre d’une action en établissement de filiation. La référence par les juges d’appel à l’intérêt de la personne « de porter un nom conforme à sa filiation » atteste d’ailleurs de ce lien avec l’établissement de la filiation, puisque dans le cadre de l’application de l’article 331 N° Lexbase : L8833G9Z, l’intérêt supérieur de l’enfant constitue précisément le critère permettant de motiver la décision [3]. À l’inverse, l’article 61-3-1 N° Lexbase : L7988MBH ne conditionne pas le changement de nom à l’âge adulte : dans ce cadre, « l’officier de l’état civil n’a pas à apprécier la légitimité ni l’opportunité de cette demande » [4].
L’utilisation de ces deux fondements juridiques interroge. Il a pu s’agir pour les juges d’appel de vouloir renforcer la légitimité de la demande de l’appelante au regard de la loi du 2 mars 2022. Toutefois, c’est risquer de dénier à l’avenir à celle-ci la possibilité de changer de nouveau de nom afin d’adopter celui de sa mère ou d’accoler ce dernier à celui de son père biologique. L’article 61-3-1 N° Lexbase : L7988MBH précise en effet que l’option offerte à l’enfant majeur ne peut être exercée qu’une seule fois dans sa vie. Certes, les autorités compétentes et la procédure à suivre ne sont pas les mêmes dans les deux cas de figure, mais la mention par l’arrêt d’appel de l’article 61-3-1 N° Lexbase : L7988MBH dans ses motifs intrigue. Il eût été plus opportun de rendre cette décision sur le seul fondement de l’article 331N° Lexbase : L8833G9Z, malgré son bien-fondé. À défaut, cet arrêt conduit ainsi à s’interroger sur l’articulation entre les deux textes utilisés par la cour quant au nombre réel de possibilités pour un enfant majeur de changer de nom après une modification de sa filiation. En l’espèce, on voit mal pourquoi l’appelante ne pourrait pas ultérieurement obtenir un changement de nom grâce à la réforme de 2022, l’évolution de sa filiation paternelle n’ayant aucune incidence sur ce droit.
Par Margot Musson
[1] Sur celle-ci, v. not. : M. Lamarche et J.-J. Lemouland, Choisis ton nom ! Le nom d’usage et le changement de nom de famille, JCP G, 2022, doctr. 466 ; Dossier AJ fam., 2017. 381 et 409 ; F. Berdeaux, La loi du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, Dr. fam., 2022, étude 12.
[2] Cass. civ. 1, 5 septembre 2018, n° 17-21.140, F-P+B N° Lexbase : A7078X3K : M. Saulier, obs., AJ fam., 2018. 547 ; A. Mirkovic, obs., D. actu., 26 septembre 2018.
[3] V. par exemple pour un refus : Cass. civ. 1, 11 mai 2016, n° 15-17.185, F-P+B [LXB=A0720RPD; J. Hauser, obs., RTD civ., 2016. 586 . V. par exemple pour l’admission d’une modification : Cass. civ. 1, 17 mars 2010, n° 08-14.619, FS-P+B N° Lexbase : A8037ETT ; . A. Gouttenoire et P. Bonfils, obs., D., 2010. 1904 ; P. Murat, note, Dr. fam., 2010, comm. 102 ; S. Milleville, note, AJ fam., 2010. 239 ; J. Hauser, obs., RTD civ., 2010. 521.
[4] S. Fournier, Chapitre 231. Nom et prénom de l’enfant, in Dalloz Action. Droit de la famille, 2023/2024, n° 231.252.
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