Cahiers Louis Josserand n°4 du 11 janvier 2024 : Droit international privé

[Doctrine] Droit international privé et internet : rupture ou conciliation ?

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par Ameni Kchaou Abbes, Docteur en droit des universités de Sfax et Jean Moulin Lyon 3

le 09 Janvier 2024

La conception d’une plateforme ouverte, lieu de partage universel d’informations et de connaissances, fut la volonté des créateurs du réseau internet. Internet peut être défini comme étant « le réseau informatique permettant de rendre accessible au public un certain nombre de services et activités exercés sur le réseau mondial [1] ». Ce réseau a facilité la constitution d’un marché mondial d’échange de biens et de services, permettant l’interconnexion [2] d’opérateurs et de consommateurs dispersés dans différents États. C’est ce qu’on appelle la mondialisation de l’économie [3].

L’avènement du « commerce électronique » ou « e-commerce » a propulsé de nombreux petits acteurs professionnels et consommateurs à échanger au-delà des frontières. « La massification des ventes et des services en ligne a fait du contrat international une figure juridique non réservée aux grandes entreprises [4]. » « La révolution technologique que fut l'internet a fait basculer l'internationalité du rang d'exception à celui de principe [5]. »

L’étendue de ce réseau a nécessité la création d’une nouvelle dimension virtuelle. Cela requiert que la dimension spatiale d’internet ne corresponde pas au monde réel, ce qui poserait naturellement des difficultés juridiques [6]. La protection de cet espace numérique représente aujourd’hui un enjeu vital pour nos États, nos entreprises et notre vie quotidienne [7].

Cet espace numérique est appelé cyberespace. Ce terme désigne « l’espace virtuel contenu par les ordinateurs ou entre eux dans le cas de mise en réseau [8] ». À cet égard, une question mérite d’être soulevée : où se situe ce cyberspace ?

La réponse est simple, il est partout ; dans nos téléphones, ordinateurs, comptes en banque et plus encore. Le cyberspace ne peut être réduit à un simple maillage de réseaux d’ordinateurs. C’est un espace évolutif et virtuel qui regroupe l’ensemble des systèmes d’informations qui sont ou pourraient être interconnectés.

Ce cyberespace présente de nombreuses caractéristiques. Sa particularité principale est sa dimension transnationale. Il n’existe pas de frontières dans ce cyberespace. Il ne connaît pas de limites internationales. Cet espace virtuel se caractérise également par l’immédiateté, un contenu litigieux pouvant être instantanément diffusé dans le monde entier.

Une question connexe se pose de savoir vers quel tribunal la victime serait déférée en cas d'atteinte sur ce réseau, et quelle loi s'appliquerait à cette atteinte. D'autre part, quelle est la loi applicable et quelle est la juridiction compétente aux dommages causés sur internet ?

La réponse à cette question ne pose pas de problèmes si les faits dommageables et les dommages sont réalisés dans le même espace géographique. En revanche, dans le cas d’un cyberdélit dit « complexe », la question de la détermination de la loi applicable et de la juridiction compétente se pose.

Deux solutions sont possibles : adapter les concepts juridiques au cyberspace notamment les règles de rattachement, afin de trouver la loi applicable et la juridiction compétente (I) ou, à l’inverse, innover au moyen de nouvelles solutions qui répondent à l’immatérialité d’internet qui est indépendante du réel (II).

I. Tentative d’application d’outils internationaux aux délits commis sur internet

L’immatérialité du réseau conduit naturellement à s’interroger. Les règles de droit international privé peuvent-elles être transférées du monde réel au monde virtuel ?

« Internet ne pouvait pas échapper au droit international, pas plus que le droit international ne pouvait se désintéresser d’internet [9] ».

Dans ce contexte, il convient de se poser les questions suivantes : comment le droit international privé a-t-il considéré l’internet et ses caractéristiques techniques ? Comment le droit international privé a-t-il intégré la virtualité dans ses normes ?

Pour déterminer la loi applicable et la juridiction compétente, il faut procéder à l’identification des éléments les plus pertinents de la situation. Le droit international privé est un droit de localisation [10]. Internet est un espace numérique et immatériel, et les faits qui s’y produisent sont partout et nulle part, ce qui pose la question centrale : comment localiser internet ?

À vrai dire, répondre à cette question n’est pas une tâche facile. Nous sommes confrontés, d’une part, à des difficultés de rattachement normatif aux dommages subis sur internet (A) et, d’autre part aux difficultés de rattachement juridictionnel aux dommages subis sur ce réseau (B).

A. Difficultés de rattachement normatif aux dommages subis sur internet

L’application par analogie des règles de droit privé déjà existantes pourrait être une solution provisoire pour encadrer les utilisations commerciales d’internet, protéger les droits fondamentaux des individus et lutter contre les utilisations criminelles de ce réseau. Ce qui est illicite hors ligne doit l’être également sur les réseaux.

Sur le plan civil, la loi applicable en matière de responsabilité contractuelle est, en vertu de l’article 62 du Code de droit international privé tunisien, la loi désignée par les parties. À défaut, « le contrat est régi par la loi de l'État du domicile de la partie dont l'obligation est déterminante pour la qualification du contrat, ou celle du lieu de son établissement, lorsque le contrat est conclu dans le cadre de son activité professionnelle ou commerciale ».

La lecture de ce texte nous démontre que, lors de la conclusion du contrat électronique à dimension internationale, les parties sont libres de choisir la loi qui s’applique à ce contrat. C’est le principe de la loi d’autonomie.

Pour internet, la situation n’est pas simple. « La dimension planétaire de l’internet a mis en exergue les limites du droit international et les difficultés que suscite la répartition du monde en États souverains et indépendants quant à la régulation des contrats électroniques internationaux [11]. »

Premièrement, si le contrat a bien été négocié, il n’y aura pas de difficulté, comme dans les contrats d’abonnement. En revanche, dans le cas de contrats commandables en un clic, l'accord de volonté sera sans doute plus difficile à prouver, même si une page écran portant les conditions s’affiche, laquelle ne donne pas pour autant la preuve de la lecture.

Deuxièmement, l’article 62 du Code de droit international privé tunisien exige que les parties au contrat soient identifiées afin de rattacher ce contrat international à la loi de l’État de la partie dont l'obligation est déterminante, à défaut d'un choix clair de la loi régissant le contrat. L’immatérialité du contrat électronique et les nouvelles caractéristiques le distinguant limitent le recours à cette solution. La difficulté particulière est la localisation des parties. L’adresse électronique ne fournit pas d'indications sur l’état dans lequel se trouvent les parties qui contractent et ne fournit, en outre, aucune information sur leur nationalité.

La responsabilité non contractuelle est définie à l'article 70 du Code de droit international privé tunisien comme suit :

« La responsabilité extra contractuelle est soumise à la loi de l'État sur le territoire duquel s'est produit le fait dommageable. Toutefois, si le dommage s'est produit dans un autre État, le droit de cet État est applicable à la demande de la victime. Lorsque l'auteur du fait dommageable et la victime ont leur résidence habituelle dans le même État, la loi de cet État est applicable. »

À notre avis, cet article peut être appliqué aux délits commis sur internet et n’est pas spécifique à ce support. Même si le fait dommageable produit des effets dans tous pays du monde, la commission de ce fait sera dans un seul lieu.

Concernant la matière pénale, le nouveau décret-loi tunisien [12] ne contient pas de dispositions spécifiques concernant les lois applicables aux cybercrimes. Il évoque les conventions internationales ratifiées par la Tunisie.

En tout état de cause, hormis les difficultés de rattachement normatif des dommages subis sur internet, il existe également d’autres difficultés nécessairement liées à la détermination des juridictions compétentes pour ces dommages.

B. Difficultés de rattachement juridictionnel aux dommages subis sur internet

La situation est différente en droit civil et en droit pénal.

En matière de droit pénal, les infractions commises sur internet, dites cybercrimes, sont régies par le décret-loi n° 2022-54, du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication. Selon l’article 34 de ce décret-loi, les juridictions tunisiennes sont compétentes dans différents cas, même si la cyberinfraction est commise en dehors du territoire tunisien. Cela est valable « si l’infraction est commise par un citoyen tunisien, si l’infraction est commise contre des parties ou des intérêts tunisiens, si l’infraction est commise contre des personnes ou d'intérêts étrangers par un étranger ou un apatride dont la résidence habituelle est sur le territoire tunisien, ou par un étranger ou un apatride se trouvant sur le territoire tunisien et ne répondant pas aux conditions légales d'extradition [13] ».

En droit civil, la responsabilité civile de l’auteur de faits dommageables sur internet peut être engagée sur la base délictuelle ou contractuelle, s’il a commis une faute contractuelle [14] sur ce réseau.

Revenant aux règles classiques du droit international privé général, l’article 5 du Code du droit international privé tunisien attribue au juge tunisien la compétence en matière de responsabilité délictuelle « si le fait générateur de responsabilité ou le préjudice est survenu sur le territoire tunisien ». Lorsqu’il s’agit de dommages sur internet, c’est au niveau de la compétence spéciale du « juge » du lieu du fait dommageable que se cristallisent les difficultés. À la suite d’une publication sur internet, comment localiser concrètement le dommage ? Nous sommes confrontés à des difficultés de localisation liées à l’ubiquité d’internet et à l’accessibilité en tout lieu à des sites et pages web.

En effet, internet est un monde sans frontières et, en principe, toute information téléchargée sur internet, les publications en ligne, les pages comme les sites web sont, dès leur mise en ligne, immédiatement accessibles dans ou à partir du monde entier.

Concrètement, une telle situation signifie, par exemple, qu’une œuvre mise en ligne sur internet, sans l'autorisation de son auteur et par conséquent en violation de ses droits, est susceptible d'être consultée depuis quasiment n'importe quel État dans le monde. C’est également le cas pour une publication diffamatoire mise en ligne sur internet. Elle est susceptible d'être vue depuis (pratiquement) tous les pays du monde et peut donc causer un préjudice dans tous les États où elle est susceptible d’être lue.

Est-ce à dire qu’un contrefacteur ou qu’un diffamateur pourrait, en raison de l’intermédiaire utilisé (internet), être assigné dans n’importe quel État ?

Pour déterminer la juridiction compétente, il s’agit de localiser l’acte dommageable, soit uniquement le dommage. Ce n’est pas simple lorsque tout cela se déroule sur internet. Prenons le cas classique de l’atteinte aux droits de la personnalité : par exemple, une personne ayant un site relatif à la vie privée « des célébrités » qui publie sur internet un billet concernant une participante à une émission de téléréalité en l’accompagnant de photos prises par des paparazzis, plus ou moins à l’insu de la victime. Où peut-on localiser le délit ? Au lieu d’établissement de l’auteur de l’atteinte ? À la résidence de la victime ? Au lieu de visualisation de l’information (qui peut être dans plusieurs pays) ?

Selon la jurisprudence européenne [15], le délit est localisé partout où l’on imagine qu’il peut l’être. Le lieu du dommage est assimilé à tout lieu où l’information est accessible [16]. Cette solution semble la moins idéale car, dans ce cas, le dommage sera morcelé, impliquant dès lors plusieurs autres difficultés. D’une part, le juge du lieu de chaque parcelle de dommage peut être compétent. Ainsi, pour réparer le dommage local, subi sur son territoire, le demandeur devra diviser son action. D’autre part, ces jugements, bien que portant sur le même dommage, peuvent avoir été rendus par plusieurs juges dans des pays différents et être contradictoires.

En effet, comme internet existe pratiquement dans le monde entier, nous sommes rapidement confrontés au risque que tous les juges de la planète se perçoivent comme compétents pour identifier un délit commis de cette manière, puisqu'il est censé se produire simultanément dans la juridiction de chacun de ces juges, avec tous les problèmes de forum shopping qui en découlent [17].

Afin d’éviter les affres de la compétence automatique de tous les juges de la planète, en raison de l’existence d’un contenu préjudiciable diffusé via le réseau mondial internet, une solution a été proposée par la doctrine : la théorie dite de « focalisation » ou de « ciblage » [18].

Elle consiste à localiser le site sur lequel a été publié un fait dommageable lorsque celui-ci couvre un ou plusieurs territoires spécifiques. Pour déterminer la destination de ce site, plusieurs critères peuvent être pris en considération, tels que la langue du site ou le lieu de la livraison, etc.

Le but de cette théorie est de réduire le nombre d’ordres juridictionnels étatiques potentiellement compétents, puisqu’elle restreint le nombre de territoires sur lesquels le dommage peut être produit en fonction de la destination ou de la focalisation du site.

Toutefois, l’application de cette théorie peut être parfois artificielle. L’auteur d’un contenu préjudiciable sur internet peut délibérément restreindre les juridictions compétentes. Par conséquent, l’adaptation de cette théorie n’est pas toujours efficace.

La solution la plus appropriée semble être que le demandeur puisse saisir le tribunal central pour ses propres intérêts afin d’obtenir réparation de l’entier dommage. C’est à lui de choisir entre les différents critères alternatifs (lieu du fait générateur, lieu de dommage, chaque parcelle de dommage, etc.).

Néanmoins, pourquoi le choix reviendrait-il au demandeur et non au défendeur, malgré l’adage en matière de procédure civile selon lequel actor sequitur forum rei ?

La réponse est simple : le droit de la responsabilité civile vise à réparer les préjudices subis par des victimes. Aussi, l’exercice de ce droit doit-il être facilité. L’évolution du droit international privé reflète alors celle du droit civil interne avec un net changement d’orientation de l’auteur du dommage vers la victime [19].

En ce qui concerne la responsabilité civile contractuelle, l’article 5 du Code du droit international privé tunisien prévoit que : « les juridictions tunisiennes connaissent également : Si l'action est relative à un contrat exécuté ou devant être exécuté en Tunisie, sauf clause attributive de compétence en faveur d'un for étranger ». En matière contractuelle, le principe de l’autonomie de la volonté s’applique.

Face aux spécificités des cyberattaques, le raisonnement par analogie est inapplicable dans plusieurs cas, et nous sommes également face à la difficulté d’adaptation des règles de droit international classique à toutes les cyberattaques. L’analogie n’est pas toujours suffisante. À cet égard, la recherche de nouvelles solutions, autres que l’adaptation du droit international privé déjà existant, serait peut-être la solution la plus adéquate pour encadrer les infractions dans le cyberespace.

II. Recherche de nouvelles solutions compatibles avec l’immatérialité d’internet

En raison du développement du commerce électronique, qui accompagne les nouvelles technologies de l'information et de la communication, et du besoin de rapidité dans les affaires, une résolution rapide des litiges est nécessaire.

Tout système judiciaire ne peut fonctionner et répondre aux exigences de la société dans laquelle il opère que s’il est compatible avec les structures économiques de cette société et s’il peut répondre à ses exigences. Or il existe un gouffre entre le système judiciaire et le monde des affaires en évolution rapide. Pour cette raison, il est souhaitable de développer des méthodes existantes de résolution de conflit à l’instar de l’arbitrage, la médiation et la négociation pour répondre aux besoins du monde immatériel (A).

Par ailleurs, « la mondialisation de l’économie bouleverse le droit, affecte son identité, dissout ses repères, jusqu’à remettre en question le concept même de droit […]. Face à la pression de l’économie globalisée, la mondialisation du droit devient inévitable. C’est un défi pour construire ce qu’on pourrait appeler un véritable ordre juridique mondial [20] ». C’est ce qu’on peut dénommer la lex electronica (B).

A. Résolution des litiges en ligne (online dispute resolution) 

La résolution des litiges en ligne présente de nombreux avantages. Certains coûts associés au règlement des différends peuvent être réduits, tels que les frais de déplacements, les coûts d’accès à l’information et le recours à un avocat [21]. L’utilisation de nouvelles technologies pour résoudre les litiges est nettement moins coûteuse [22] que le recours aux tribunaux étatiques, en particulier pour les litiges internationaux.

En plus de réduire les coûts, le règlement en ligne des litiges internationaux évite les difficultés liées à l'application des règles de conflit de lois et de juridictions dans le contexte d'internet.

La résolution des litiges en ligne peut se faire sous forme privée ou par l’intermédiaire d’établissements étatiques tels que les cybertribunaux et les procédures judiciaires en ligne.

Les formes privées de la résolution des litiges en ligne comprennent la négociation en ligne, la médiation en ligne et l’arbitrage en ligne.

Le monopole de l’État en matière de justice est aujourd’hui relativisé par la globalisation ou la mondialisation de l’économie. Son rôle de centre de justice s'en trouve même affaibli. Cet affaiblissement favorise le développement de la justice privée y compris l’arbitrage.

Internet revêt souvent une dimension internationale car il implique des individus et des entités issus de cultures et de pays différents. Cette dimension transnationale accentue davantage la complexité du règlement des litiges car elle implique des frais supplémentaires et une insécurité juridique pour les parties.

À l’échelle internationale, l’Union européenne promeut le recours à ce mode privé de résolution des litiges à l’article 17 de la Directive n° 2000/31 du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, dite « sur le commerce électronique » N° Lexbase : L8018AUI.

La CNUDCI [23] a également adopté un texte intitulé « Notes techniques sur le règlement des litiges en ligne », indiquant divers éléments du processus à suivre dans de telles circonstances [24].

La procédure est simple : les parties négocient à l’aide d’outils informatiques, d’une manière similaire à ce qu’ils feraient in persona, par téléphone ou par écrit. Cette procédure se déroule sur des plateformes, en téléchargeant des logiciels de communication et en utilisant des sites web sécurisés ainsi que des logiciels interactifs guidant les parties vers des agendas, des solutions types ou encore des formules standards de transaction [25].

Sur le plan international, Square Trade, une plateforme de résolution des litiges en ligne, peut être citée en exemple. Celle-ci traite notamment des litiges découlant de la place de marché [26] eBay, qui résout environ 800 000 transactions en ligne chaque année.

La résolution des litiges en ligne peut également prendre la forme de médiation en ligne. La multiplication des conflits propres à internet a donné naissance à la médiation « en ligne », version continentale des Online Dispute Resolution pratiqués depuis longtemps dans les pays de la Common Law.

La médiation « en ligne » est un processus de négociation visant à recueillir l’adhésion des parties en litige à un accord ou à une transaction, pour régler les différends grâce à l’intervention d’un tiers neutre et indépendant et l’utilisation d’internet.

Cette forme de médiation est menée à travers des forums de discussion, des conférences téléphoniques et des vidéoconférences. Dans les discussions bilatérales et triangulaires, elle permet l'utilisation du courrier électronique et même la participation en direct de témoins, d'experts et de conseillers [27].

L’arbitrage en ligne peut également être accepté comme méthode de résolution des litiges en ligne. Dans un tel arbitrage, un tiers communique avec les parties par des moyens de communication électroniques, en vue de remplir la mission juridictionnelle reçue des parties pour trancher leur différend [28].

De plus, la résolution des litiges en ligne peut être effectuée par le biais d’établissements étatiques tels que les cybertribunaux et les procédures judiciaires en ligne.

La différence entre la procédure judiciaire en ligne et le cybertribunal est principalement quantitative. Ce dernier est une reconstruction complète du processus juridique en ligne, tandis que le premier n’est qu’une reconstitution partielle.

Malheureusement, malgré les grands avantages de ces méthodes de résolution des litiges en ligne, aucune n'a été utilisée jusqu'à présent.

D'autre part, l'attrait des technologies de l'information et de la communication ne doit pas être surestimé et occulter ses potentiels dangers. À l’épreuve de leurs relations quotidiennes, ces technologies pourraient perdre de leur superbe. Comme toute autre forme de communication électronique, la communication judiciaire électronique comporte certains risques dont l'ampleur est difficile à définir.

Prenons l’exemple de la sécurité des données. Le recours à l’e-justice comporte en effet de nombreux dangers. Le risque de violation ou de diffusion des données des justiciables est plus élevé. L’utilisation des échanges électroniques en tant qu’outil d’e-justice peut présenter à la fois des risques et des défis.

Les parties sont confrontées à des machines et à des techniques informatiques que les gens ordinaires ne peuvent maîtriser.

En outre, il convient de noter que l’e-justice peut être limitée à un système déshumanisé. Cela prive les citoyens, incapables de se défendre faute d'une connaissance suffisante du système juridique, de la possibilité d'un dialogue avec les juges et même d'un accès direct à la juridiction, détruisant ainsi la confiance dans le système judiciaire.

« Priver complètement les parties de la possibilité de s’adresser au juge sans intermédiaire humain ou technique serait peut-être dans certains cas, contraire au principe du procès équitable [29]. »

En outre, l’utilisation des technologies de l'information et de la communication peut amener à une certaine modélisation et standardisation des décisions de justice, ce qui peut influencer les décisions des juges et des justiciables eux-mêmes [30].

B. Prétexte d’émergence d’une lex electronica

Le caractère international des interactions dans le cyberespace [31] nécessite des approches allant au-delà du seul droit étatique. « La virtualité de la communication électronique et le caractère virtuel de l’espace dans lequel elle paraît avoir lieu constituent un défi pour les juristes [32]. »

Le cyberespace ignore les critères qui définissent les frontières des États qui formulent et appliquent les lois. Compte tenu des particularités du cyberespace, cet espace virtuel est dépourvu de certaines normes qui sont la base habituelle des normes juridiques. Il est donc difficile d’utiliser les règles de droit qui s'appliquent aux faits de l'espace physique au cyberespace. Face à cette difficulté et à l'impossibilité d'appliquer le droit étatique à internet, il sera nécessaire de rechercher des normes extra-étatiques pour s’assurer que cet espace virtuel ne soit pas considéré comme une zone de non droit.

Ces normes auront pour mission de faire prévaloir les règles applicables à une activité, de répartir les responsabilités ou d’établir la méthode de réparation des dommages causés par une activité.

Il s’agit d’un droit substantiel mondial et uniforme destiné aux activités en ligne, la notion de lex électronica est défini comme étant [33] « l’ensemble des normes juridiques informelles applicables dans le commerce électronique international ». Il s’agit d’encadrer les activités se déroulant dans l’espace virtuel résultant de la connexion d’ordinateurs suivant les protocoles internet.

Cet encadrement (régulation) du cyberspace se fait par l’émergence d’un droit composé des divers usages et coutumes des communautés existant sur internet. Il s’agit de règles de conduite à caractère international destinées à énoncer les principes à suivre dans la régulation des relations s’effectuant sur internet.

La lex electronica repose essentiellement sur deux idées. La première est que les activités en ligne sont d’ampleur mondiale et nécessitent une forme de régulation à cette échelle [34]. La seconde, plus nuancée, prétend que les acteurs du milieu sont les mieux placés pour apprécier la complexité de ces activités dont le développement est au cœur de leurs intérêts [35].

Ces parties constituent les sources institutionnelles de la lex electronica. Elles proposent des règles de conduites à l’instar de la lex mercatoria [36] qui jouissent de la reconnaissance des usagers. Ces sources institutionnelles contribuent alors au développement du droit. Ces règles de conduite découlent également des comportements répétitifs qui sont considérés comme sources substantielles de la lex electronica. Ces comportements résultent des actes suivis et espérés des acteurs du cyberespace.

Dans tous les cas, « les objets ont un effet régulateur se présentant suivant diverses formes [37] ». Cela inclut les logiciels, les programmes pare-feu [38], les serveurs mandataires [39], etc. Les États utilisent ces ressources pour réglementer et contrôler les contenus distribués sur leurs réseaux.

Le contrat électronique peut s’avérer être l’instrument régulateur le plus important du cyberespace [40]. Le choix donné à l’usager, d’accepter ou non le contrat électronique, est considéré comme un principe régulateur central dans les environnements électroniques.

En tout état de cause, ces règles normatives inspirées des différentes sources substantielles ou institutionnelles commencent à faire l’objet d’une reconnaissance dans certains pays. Par exemple, le droit canadien a reconnu le spamming comme étant une pratique répréhensible sur internet et a donc conclu qu’un tel comportement était illicite au regard du droit canadien.

En conclusion, la complexité des règles de conflits de juridiction et de loi, en matière d’internet (multiplicité de fors compétents, unicité des lois appliquée, etc.), et les risques de dérive associés (insécurité juridique) nécessitent la recherche de solutions permettant d’encadrer les préjudices subis sur internet au niveau international.

« Les questions autour du droit international et internet sont multiples et pour beaucoup encore sans réponse certaine [41] ».

 

[1] Ph. Lagrange, Internet et l’évolution normative du droit international : d’un droit international applicable à l’internet à un droit international du cyberspace ?, in Internet et le droit international, colloque de Rouen, éd. A. Pedone, 2014, p. 65.

[2] A. Dufour, Internet, PUF, 6e éd., 1998, p. 127.

[3] Ph. Fouchard, L’arbitrage et la mondialisation de l’économie, in Mélanges en l’honneur de G. Farjat, éd. Frison-Roche, p. 381-395 ; Ch.-A. Morand, Le droit saisi par la mondialisation : définitions, enjeux et transformations, in Le droit saisi par la mondialisation, éd. Bruyant, Bruxelles, 2001, p. 81.

[4] Y. El Hage, Le droit international privé à l’épreuve de l’internet, thèse en droit privé, Université de Paris, 2020, p. 4.

[5] E. Treppoz, Quelle régulation internationale pour la blockchain ? Code is law v. Law will become Code, in F. Marmoz (dir.), La blockchain : big bang de la relation contractuelle, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2019, p. 55.

[6] H. Ruiz-Fabri, Immatériel, territorialité et État, Archives de philosophie du droit, vol. 43, 1999, p. 187-212.

[7] J.-L. Gergorin et L. Isaac-Dognin, Cyber : la guerre permanente, préface du général J.-P. Paloméros, éd. du Cerf, 2018, Paris, p. 7.

[8] D. Ventre, Cyberespace et acteurs du cyberconflit, Hermès science publications, coll. Cyberconflits et cybercriminalité, 2011, 283, p. 14.

[9] Ph. Lagrange, Internet et l’évolution normative du droit international : d’un droit international applicable à l’internet à un droit international du cyberspace ?, préc., p. 67.

[10] P. Lagarde, Le principe de proximité dans le droit international privé contemporain, RCADI 1986, I, t. 196, p. 9 et s.

[11]A. Ayewouadan, Les droits du contrat à travers l’internet, Larcier, 1re éd., 2012, p. 235.

[12] Décret-loi n° 2022-54, du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d'information et de communication [en ligne].

[13] Décret-loi n° 2022-54, du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d’information et de communication, art. 34 [en ligne].

[14] Est considérée comme faute contractuelle l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat (en ligne) ou des obligations contractuelles.

[15] CJUE, 25 octobre 2011, aff. C-509/09 et C-161/10, eDate N° Lexbase : A8916HYU ; H. Gaudemet-Tallon, obs., D., 2012, 1228 ; T. Azzi, note, ibid. 1279 ; S. Bolle et B. Haftel, chron., ibid. 1285 ; L. d’Avout, obs., ibid. 2331.

[16] Cette jurisprudence localise en réalité uniquement des éléments en dehors d’internet (lieu d’accessibilité des informations, domicile de demandeur ou de défendeur, etc.), car, sur internet, rien n’est réellement localisable. Internet est un espace virtuel, or une atteinte à l’honneur, une perte de marge, etc. sont des dommages réels qui se déroulent et se localisent dans le monde réel.

[17] F. Lejeune, Droit international privé : compétence internationale et responsabilité en ligne, in Responsabilité et numérique, actes du colloque du 1er juin 2018, Anthemis, 2018, p. 115.

[18] V. par exemple O. Cachard, La régulation internationale du marché électronique, LGDJ, 2002 ; O. Cachard, Compétence d’une juridiction française pour connaître de la réparation de dommages subis en France du fait de l’exploitation d’un site Internet en Espagne, Revue critique de droit international privé, 2004, p. 632 et s.

[19] En droit interne, le glissement en question s’est essentiellement opéré à travers une multiplication des hypothèses de responsabilité sans faute, modifiant la fonction même du droit de la responsabilité.

[20] E. Krecké, De la lex mercatoria a la lex electronica, Etudier [en ligne].

[21] La résolution des litiges en ligne est directe sans intermédiaire.

[22] Les coûts de développement et de modification des systèmes de résolution des litiges en ligne sont plus faibles (par exemple, l’achat d’une webcam pour participer à la procédure).

[23] Commission des Nations unis pour le droit commercial international.

[24] Le texte a été adopté par une résolution de l’assemblée générale du 13 décembre 2016 sur la base du rapport de la Sixième Commission (A/71/507). Il est disponible sur le site de la CNUDCI [en ligne].

[25] T.-H. Schultz, Réguler le commerce électronique par la résolution des litiges en ligne, Bruylant, 2005, p. 185.

[26] Pour plus d’informations sur la place du marché électronique ou « marketplace », v. A. Kchaou, La responsabilité civile et internet, th., faculté de droit de Sfax en cotutelle avec l’université de Jean Moulin Lyon 3, 2022.

[27] The Claim Room, par exemple, offre de telles possibilités étendues de communication.

[28] Sur la notion d’arbitrage, v. par exemple C. Jarrosson, La notion d’arbitrage, LGDJ, 1987.

[29] M. Legras, La justice et les technologies de l’information et de la communication, pp. 197 et s., in G. Chatillon et B. Du Marais,  L’administration électronique au service des citoyens, Bruylant, 2003, p. 203-204.

[30] I. Milano, Technologies de l’information et de la communication et procès équitable, in Les technologies de l’information et de la communication au service de la justice du XXIe siècle, LGDJ, Lextenso éditions, p. 145.

[31] Le mot « cyberspace », appelé aussi « infosphère », est l’espace virtuel des ordinateurs reliés en réseau qu’explorent les « cybernautes ».

[32] P. Trudel, La lex electronica, in M. Morand (dir.), Le droit saisi par la mondialisation, Bruylant, 2001, p. 223.

[33]V. Gautrais, Le contrat électronique international, Bruylant, 2002, passim.

[34] E. Treppoz, Quelle régulation internationale pour la blockchain ?, Code is law v. Law will become Code, in F. Marmoz (dir.), La blockchain : big bang de la relation contractuelle, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2019, p. 59.

[35] J. Rochfeld, Les rapports entre la régulation et le contrat renouvelés par internet, in M.-A. Frison-Roche (dir.), Les engagements dans les systèmes de régulation, Dalloz 2006, p. 209.

[36] La lex mercatoria est historiquement un ensemble de règles de droit servant à encadrer les relations contractuelles entre commerçants. Contrairement au droit positif pur, c'est-à-dire un droit imposé par l'État ou par les conventions internationales, elle constitue un corpus de règles s'imposant aux parties d'un contrat. Le droit positif s'imposant d'office entre personnes d'une même juridiction, elle est observée dans un contexte plutôt international [en ligne].

[37] P. Trudel, art. préc., p. 237.

[38] Firewalls.

[39] Proxy Server.

[40] H. Perrit, Employment Dismissal Law and Practice, Cumulative Supplement n° 2, 3rd edition, Current Through May 15, 1993 (Employment Law Library), p. 349-401.

[41] A.-T. Norodom, Internet et le droit international : défi ou opportunité ?, in Internet et le droit international, colloque de Rouen, éditions Pedone, Paris, 2014, p. 33.

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