Cahiers Louis Josserand n°4 du 11 janvier 2024 : Responsabilité civile contractuelle

[Chronique] Droit de la responsabilité civile et des assurances

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par Pierrick Maimone, ATER, Doctorant, centre Patrimoine et contrats, Équipe de recherche Louis Josserand, Université Jean Moulin Lyon 3

le 09 Janvier 2024

Le transfert au preneur d’un bail à ferme des pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de la chose ayant causé un dommage

♦ CA Lyon, 6e ch., 14 septembre 2023, n° 21/05945 N° Lexbase : A12811ME

Mots-clés : bail à ferme • gardien • preneur • présomption de garde • responsabilité du fait des choses

Solution : le preneur d’un bail à ferme, qui a l’obligation contractuelle de cultiver et d’entretenir un terrain en bon père de famille, doit l’exécuter pour l’ensemble des végétaux situés sur ce terrain, d’autant plus s’il peut en récupérer pour son chauffage personnel. Il est alors considéré en être le gardien et peut être reconnu responsable des dommages causés par eux, sur le fondement de l’article 1242 du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7.

Portée : même si le preneur d’un bail à ferme n’a pas la libre disposition absolue d’un bien se trouvant sur le terrain agricole loué, il peut être reconnu comme gardien au sens de l’article 1242 du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7, dès lors que le contrat prévoit qu’il a l’obligation, en personne raisonnable, d’entretenir, de cultiver et d’user, en partie, du terrain et des biens s’y trouvant.


Par un arrêt en date du 14 septembre 2023, la cour d’appel de Lyon statue sur l’identité du gardien d’une chose ayant causé un dommage dans le cadre d’un bail à ferme. En l’espèce, les propriétaires d’un terrain ont consenti un bail à ferme. Sur celui-ci, se trouvaient notamment des arbres dont le preneur devait s’occuper et pour lesquels il devait informer le bailleur en cas de problème. De plus, si le preneur pouvait en user pour son chauffage, un droit était réservé au bailleur d’en utiliser une partie pour son propre chauffage. Or un jour, l’un des arbres tombe sur l’installation électrique et l’endommage. Si le bailleur réalise, avec la société Enedis, propriétaire de ladite installation, un constat de dommage, il refuse, avec l’appui de son assureur, de procéder à l’indemnisation du préjudice subi par la société. Parallèlement, le preneur et son assureur refusent également de procéder à sa réparation. Ce faisant, le propriétaire de l’installation endommagée assigne en justice le bailleur, le preneur et leurs assureurs respectifs, pour qu’ils soient condamnés in solidum à l’indemnisation de son préjudice ou, à défaut, seulement l’un d’entre eux, selon ce que les juges décideront.

En première instance, le tribunal de proximité de Trévoux, dans une décision en date du 18 juin 2021, décide que seul le preneur est responsable des dommages subis par les installations électriques appartenant à la société Enedis, sur le fondement de la responsabilité du fait des choses. Dès lors, il devra procéder à l’indemnisation du préjudice qui en découle. Logiquement, il interjette appel du jugement. Il affirme en effet qu’il n’était pas propriétaire de l’arbre ayant causé le dommage. En outre, aucun transfert de garde n’ayant été opéré, il ne peut pas être considéré comme gardien et, donc, responsable sur le fondement de l’article 1242 du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7. Aussi, seul le bailleur, toujours propriétaire de l’arbre, devrait être présumé gardien, donc responsable. En effet, aucune obligation particulière n’était faite directement au preneur de cultiver et d’entretenir l’arbre en cause dans l’affaire. De ce fait, il ne pouvait pas en avoir la garde. Outre les aspects procéduraux, le bailleur et la société propriétaire de l’installation endommagée demandent, en substance, que le jugement soit confirmé en toutes ses dispositions. Ce faisant, la cour d’appel devait répondre à la question de savoir qui, du preneur ou du bailleur, était le gardien de la chose ayant causé le dommage et, donc, était responsable.

Rappelant, sur le fondement de l’article 1242 du Code civil N° Lexbase : L0948KZ7, que toute personne est responsable des choses qu’elle a sous sa garde, la cour d’appel revient également sur l’existence d’une présomption simple de garde. En effet, dans le cadre du régime de la responsabilité du fait des choses, la Cour de cassation considère traditionnellement que le propriétaire est présumé être le gardien de la chose ayant causé le dommage [1]. Cette présomption étant simple, le propriétaire peut la renverser s’il établit que la garde a été transférée à quelqu’un [2]. Aussi, si les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle [3] sont exercés par une autre personne que le propriétaire de la chose ayant causé le dommage, alors c’est elle qui devra être considérée comme gardienne et donc responsable du dommage [4]

Ce faisant, la cour d’appel devait déterminer si le propriétaire du terrain demeurait gardien ou si le preneur, du fait du contrat de bail, avait obtenu les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle de la chose ayant causé le dommage. Toujours selon une jurisprudence classique, le transfert de la garde peut résulter de la volonté du propriétaire, et notamment d’un contrat [5]. Ce transfert peut alors se réaliser lorsqu’un bail est conclu et qu’il a pour objet la location de la chose ayant causé le dommage [6]. Toutefois, la simple existence d’un contrat de location ne suffit pas à opérer un transfert automatique de la garde de la chose. Il faut alors examiner à la fois le contenu du contrat de location et les circonstances dans lesquelles celui-ci s’exécute [7].

Le contrat de bail prévoit que le preneur a l’obligation d’entretenir et de cultiver, en bon père de famille – expression aujourd’hui désuète – le terrain loué. Cette stipulation contractuelle ajoute que le preneur se doit d’informer le bailleur en cas de problème quant au bien loué. Enfin, une autre clause du contrat affirme que le preneur a le droit d’utiliser, pour son chauffage, certains des arbres situés sur le terrain. Si le bailleur a, aux termes de cette même clause, le droit de prélever certains arbres pour son propre chauffage, seul le preneur a logiquement la réunion des trois pouvoirs caractéristiques de la garde – à savoir l’usage, la direction et le contrôle de la chose – en raison du contenu du contrat de location. En conséquence, le contrat de bail à ferme a effectué un transfert de la garde de la chose ayant causé le dommage. Dès lors, le propriétaire du terrain, et des arbres situés dessus, ne pouvait pas être le gardien. Seul le preneur l’était et devait donc logiquement être considéré comme responsable du dommage causé par la chose, en ce qu’il en avait la garde. La cour d’appel confirme alors logiquement le jugement de première instance.

Cet arrêt est une illustration d’une position classique de la jurisprudence en matière de transfert de la garde de la chose : un propriétaire ayant confié, par un bail, à une personne, le soin d’entretenir, de conserver et d’user en partie d’une chose, et exigeant de lui qu’il l’informe en cas de problème, ne peut plus être analysé comme étant le gardien de la chose, la garde ayant été transférée au preneur. Il en résulte que le bailleur ne peut plus être responsable des dommages causés par la chose. Le locataire, alors même qu’il n’en est pas propriétaire, doit donc être attentif à son état, pour ne pas être tenu responsable des dommages qu’elle pourrait éventuellement causer.

Par Pierrick Maimone

 

[1] En ce sens, v. par exemple : Cass. civ. 1, 16 juin 1998, n° 96-20.640, publié au bulletin N° Lexbase : A7388CH4.

[2] Cass. civ. 2, 14 juin 1995, n° 93-19.188, publié au bulletin N° Lexbase : A7983ABB.

[3] Sur la définition de la garde par le biais de ces trois pouvoirs, v. : Cass. ch. réunies., 2 décembre 1941 N° Lexbase : A231439L.

[4] En ce sens, v. par exemple : Cass. civ. 1, 9 juin 1993, n° 91-10.608, publié au bulletin N° Lexbase : A3592ACZ.

[5] Par exemple, v. : Cass. civ. 2, 7 février 1990, n° 88-19.882, publié au bulletin N° Lexbase : A4108AHM.

[6] En ce sens, v. par exemple : Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 01-10.974, F-B+B N° Lexbase : A4202A4E.

[7] En ce sens, v. par exemple : Cass. civ. 1, 6 juin 1990, n° 88-18.991, publié au bulletin N° Lexbase : A4012AH3.


 

La limitation du droit à indemnisation du conducteur-victime d’un accident de la circulation en cas de conduite déraisonnable

♦ CA Lyon, 1re ch. civ., sect. A, 12 octobre 2023, n° 21/03411 N° Lexbase : A08191NN

Mots-clés : accident de la circulation • Code de la route • conducteur raisonnable • faute du conducteur-victime • loi « Badinter »

Solution : le conducteur-victime d’un deux-roues impliqué dans un accident de la circulation, qui ne se comporte pas comme les autres conducteurs circulant en même temps et au même endroit que lui lors de l’accident, doit voir son droit à indemnisation réduit.

Portée : afin d’éviter de voir l’indemnisation de ses préjudices réduite ou exclue, tout conducteur, susceptible d’être victime d’un accident de la circulation doit, d’une part, respecter le Code de route et, d’autre part, se comporter comme un conducteur raisonnable.


Par un arrêt en date du 12 octobre 2023, la cour d’appel de Lyon statue sur la définition de la faute de la victime conductrice dans le cadre d’un accident de la circulation. En l’espèce, alors qu’un conducteur de deux-roues arrivait à un carrefour, une voiture de police municipale s’est engagée dans cette même intersection, le feu étant rouge, mais la voiture ayant activé ses avertisseurs lumineux et sonores. Les deux véhicules entrent alors en collision. Le conducteur du deux-roues en ressort avec une fracture du tibia. L’assureur de ce dernier ayant invoqué la faute de son assuré pour exclure son droit à indemnisation, le conducteur-victime assigne en justice l’assureur de la voiture pour obtenir la réparation de son préjudice, considération faite qu’il n’a commis aucune faute de nature à limiter ou réduire son droit à indemnisation.

En première instance, le tribunal judiciaire de Lyon limite le droit à indemnisation de la victime conductrice à 50 %. En effet, il estime qu’il a commis une faute en ce qu’il ne se serait pas comporté comme un conducteur raisonnable, dès lors que d’autres conducteurs, se trouvant dans la même situation que lui, ont laissé passer la voiture de la police municipale. Le conducteur de deux-roues interjette appel de ce jugement. Il affirme en effet n’avoir commis aucune faute. Il fonde son raisonnement sur le fait que les avertisseurs lumineux et sonores n’ont pas été vus ni entendus par lui. En outre, n’ayant pas été poursuivi par la voiture de la police municipale, il n’aurait commis aucune infraction au Code de la route. Parallèlement, l’assureur de la voiture interjette également appel du jugement au motif que le conducteur-victime a commis une faute de nature à exclure intégralement son droit à indemnisation. La question posée aux juges d’appel lyonnais était relative à l’existence d’une faute du conducteur-victime, de nature à limiter ou à exclure son droit à indemnisation quant au préjudice subi du fait de l’accident de la circulation.

La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 12 octobre 2023, confirme partiellement le jugement de première instance. En effet, elle rappelle, sur le fondement de l’article 4 de la loi dite « Badinter » [1], que si tout conducteur a le droit d’obtenir une indemnisation s’il est victime d’un accident de la circulation, sa faute, peu important sa gravité, est de nature à limiter ou exclure son droit à indemnisation.

Or en droit civil, la faute extracontractuelle ne se caractérise pas uniquement eu égard au respect des normes écrites. Certes, il est nécessaire de respecter le Code de la route. Toutefois, le fait de se conformer aux règles de ce code n’empêche pas qu’une faute soit imputée à une personne [2], sur le fondement de l’article 4 de la loi « Badinter », précitée, dès lors qu’une obligation n’ayant pas sa source dans le Code de la route n’aurait pas été respectée. En effet, selon Planiol, la « faute est une contravention à une obligation préexistante [3] ». Dès lors, outre le respect du Code de la route, il convient plus généralement, pour savoir si une personne a commis une faute civile, d’examiner son comportement à l’aune d’un standard juridique : celui de la personne raisonnable [4].

Dans ce cadre, si la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que la faute du conducteur-victime ne peut pas s’apprécier à l’aune du comportement de l’autre conducteur impliqué dans l’accident [5], elle a également décidé qu’une faute peut être imputée au conducteur-victime lorsqu’il ne s’est pas montré suffisamment prudent, eu égard à ce qu’aurait été le comportement d’un conducteur raisonnable [6]. Il découle en effet des articles 1240 N° Lexbase : L0950KZ9 et 1241 du Code civil N° Lexbase : L0949KZ8 un devoir général de prudence et de vigilance [7].

Dans le strict respect de cette jurisprudence et de la généralité de la définition de la faute civile, les juges d’appel ont retenu deux fautes à l’encontre du conducteur de deux-roues. Tout d’abord, le Code de la route n’a pas été respecté en ce que le dépassement qu’il opérait lors de l’accident a été réalisé sur une voie normalement destinée aux seuls usagers de la route tournant dans une certaine direction [8]. Ensuite, analysant le comportement du conducteur à la lumière de celui d’un conducteur raisonnable, les juges d’appel ont retenu que le carrefour était très fréquenté et que les autres automobilistes se trouvant au même endroit, au même moment, ont laissé passer le véhicule de la police municipale. Cela implique donc que les avertisseurs de ce dernier pouvaient être entendus de tous. Le conducteur-victime ne s’était ainsi pas comporté comme un conducteur raisonnable. Dès lors, il a commis plusieurs fautes de nature à limiter son droit à indemnisation dans le cadre d’un accident de la circulation. Sur le fondement de l’article 4 de la loi « Badinter », précitée, les juges d’appel décident de le réduire de 65 %.

Cet arrêt n’est qu’une illustration d’une jurisprudence bien établie. Il rappelle que tout conducteur, face à la potentialité d’être victime d’un accident de la circulation, se doit de respecter le Code de la route et de se comporter comme un conducteur raisonnable ; autrement dit, d’être vigilant et prudent dans sa conduite.

Par Pierrick Maimone

 

[1] Loi n° 85-677, du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation N° Lexbase : L7887AG9.

[2] En ce sens, v. par exemple : M.-P. Camproux-Duffrène, Contentieux civil. Responsabilité délictuelle, JCl env. et dév. dur., 2021, fasc. n° 4960, n° 13.

[3] M. Planiol, Étude sur la responsabilité civile : du fondement de la responsabilité civile, Rev. crit. légis. et juris., 1905, p. 287.

[4] M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. 2 – Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, 5e éd., 2021, n° 85.

[5] Cass. civ. 2, 14 novembre 2002, n° 00-19.028, F-P+B N° Lexbase : A7123A39.

[6] En ce sens, v. : Cass. civ. 2, 17 mars 2011, n° 10-14.938, F-D N° Lexbase : A1723HD8 (dans cette affaire, la Cour de cassation a confirmé l’existence d’une faute imputable au conducteur d’une trottinette thermique au motif qu’il ne portait pas les équipements de sécurité recommandés par la notice de la trottinette) ; Cass. civ. 2, 8 juillet 2021, n° 20-11.133, F-D N° Lexbase : A63644YD (tout en ayant respecté le Code de la route, la victime conductrice ayant décidé, après un premier accident de se positionner sur le côté de la route, avant de revenir vers sa voiture accidentée et de subir un nouvel accident, une faute de nature à limiter son droit à indemnisation peut lui être reprochée).

[7] En ce sens, v. par exemple : S. Grayot, Essai sur le rôle des juges civils et administratifs dans la prévention des dommages, LGDJ, Lextenso, 2009, t. 504, n° 420.

[8] Sur les règles de dépassement, v. C. route, art. R. 414-4 à R. 414-17 N° Lexbase : L1561DKZ.

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