La lettre juridique n°966 du 30 novembre 2023 : Santé et sécurité au travail

[Jurisprudence] La contestation judiciaire des avis du médecin du travail : l’apport des arrêts de la Cour de cassation du 25 octobre 2023

Réf. : Cass. soc., 25 octobre 2023, n° 22-12.833 N° Lexbase : A33401PE et n° 22-18.303, N° Lexbase : A33441PK, FS-B

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par Rodolphe Olivier, Avocat associé et Karim Benkirane, Avocat, cabinet CMS Francis Lefebvre Avocats

le 29 Novembre 2023

Mots clés : médecin du travail • avis • inaptitude • contestation • licenciement • conseil de prud’hommes

La Cour de cassation a, au cours de l’année 2023, peaufiné la jurisprudence qu’elle a définie jusqu’alors, s’agissant de la contestation judiciaire des avis rendus par le médecin du travail.

Les arrêts (n°s 22-12.833 et 22-18.303) qu’elle a prononcés le 25 octobre 2023 apportent d’utiles enseignements aux praticiens de cette matière.

Dans le premier arrêt (n° 22-12.833), elle a jugé que « l'avis émis par le médecin du travail, seul habilité à constater une inaptitude au travail, peut faire l'objet tant de la part de l'employeur que du salarié d'une contestation devant le conseil de prud'hommes saisi en la forme des référés qui peut examiner les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l'avis. En l'absence d'un tel recours, celui-ci s'impose aux parties et au juge saisi de la contestation du licenciement ».

Dans le second arrêt (n° 22-18.303), elle a dit pour droit que « le juge saisi d'une contestation de l'avis d'inaptitude peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s'est fondé pour rendre son avis. Il substitue à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction » et qu’il appartient au juge « de substituer à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction ».

Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces deux décisions. Certains des points tranchés par la Cour de cassation confortent une jurisprudence déjà établie. D’autres présentent une certaine nouveauté.


Premier enseignement : seul le médecin du travail est habilité à constater l’inaptitude physique du salarié.

En d’autres termes, selon la Cour de cassation, aucun autre membre (infirmière, médecin…) du service de santé au travail ne peut rendre un avis constatant l’inaptitude physique – qu’elle soit partielle ou totale – d’un salarié à exercer ses fonctions.

À noter toutefois que les arrêts du 25 octobre 2023 ont été rendus en référence à des dispositions légales et réglementaires antérieures à celles résultant de la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 N° Lexbase : L4000L7B.

L’article L. 4622-8 du Code du travail N° Lexbase : L4441L7M, en sa rédaction issue de cette dernière loi, précise :

« Les missions des services de prévention et de santé au travail sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail comprenant des médecins du travail, des collaborateurs médecins, des internes en médecine du travail, des intervenants en prévention des risques professionnels et des infirmiers. Ces équipes peuvent être complétées par des auxiliaires médicaux disposant de compétences en santé au travail, des assistants de services de prévention et de santé au travail et des professionnels recrutés après avis des médecins du travail. Les médecins du travail assurent ou délèguent, sous leur responsabilité, l'animation et la coordination de l'équipe pluridisciplinaire.

Un décret en Conseil d'État précise les conditions dans lesquelles le médecin du travail peut déléguer, sous sa responsabilité et dans le respect du projet de service pluriannuel, certaines missions prévues au présent titre aux membres de l'équipe pluridisciplinaire disposant de la qualification nécessaire. Pour les professions dont les conditions d'exercice relèvent du code de la santé publique, lesdites missions sont exercées dans la limite des compétences des professionnels de santé prévues par ce même code.

Pour assurer l'ensemble de leurs missions, les services de prévention et de santé au travail interentreprises peuvent, par convention, recourir aux compétences des services de prévention et de santé au travail mentionnés à l'article L. 4622-4 du présent code N° Lexbase : L4424L7Y ».

Le décret n° 2022-679, du 26 avril 2022, relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail N° Lexbase : L5162MC8 prévoit les modalités selon lesquelles le médecin du travail peut déléguer à d’autres membres du service de santé au travail certains des examens et visites prévus par le Code du travail. Il est cependant confirmé dans ce décret que le médecin du travail conserve une compétence exclusive s’agissant des avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale.

L'article R. 4623-14 du Code du travail N° Lexbase : L5740MCL, dans sa rédaction issue de l'article 1er de ce décret, dispose à cet égard que :

« I.-Le médecin du travail assure personnellement l'ensemble de ses fonctions, dans le cadre des missions définies à l'article R. 4623-1. Elles sont exclusives de toute autre fonction dans les établissements dont il a la charge et dans le service interentreprises dont il est salarié.

II.-Le médecin du travail peut toutefois confier, dans le cadre de protocoles écrits, les visites et examens relevant du suivi individuel des travailleurs aux collaborateurs médecins et aux internes en médecine du travail.

Le médecin du travail peut également confier, selon les mêmes modalités, à un infirmier en santé au travail la réalisation des visites et examens prévus au chapitre IV du titre II du livre VI de la quatrième partie du présent code, à l'exclusion de l'examen médical d'aptitude et de son renouvellement mentionnés aux articles R. 4624-24 N° Lexbase : L2284LCL et R. 4624-25 N° Lexbase : L2283LCK et de la visite médicale mentionnée à l'article R. 4624-28-1 N° Lexbase : L0157MCS, sous les réserves suivantes :

1° Ne peuvent être émis que par le médecin du travail les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale ;

2° Lorsqu'il l'estime nécessaire pour tout motif, notamment pour l'application du 1°, ou lorsque le protocole le prévoit, l'infirmier oriente, sans délai, le travailleur vers le médecin du travail qui réalise alors la visite ou l'examen.

III.-Le médecin du travail peut également confier des missions, à l'exclusion de celles mentionnées au II, aux personnels concourant au service de prévention et de santé au travail et, lorsqu'une équipe pluridisciplinaire a été mise en place, aux membres de cette équipe.

IV.-Les missions déléguées dans le cadre des II et III sont :

1° Réalisées sous la responsabilité du médecin du travail ;

2° Adaptées à la formation et aux compétences des professionnels auxquels elles sont confiées ;

3° Exercées dans la limite des compétences respectives des professionnels de santé déterminées par les dispositions du Code de la santé publique pour les professions dont les conditions d'exercice relèvent de ce code ;

4° Mises en œuvre dans le respect du projet de service pluriannuel lorsque les missions sont confiées aux membres de l'équipe pluridisciplinaire ».

Il en ressort que les infirmiers en santé au travail ne peuvent porter qu’une appréciation très limitée sur l’état de santé du salarié dès lors qu’ils ne sont admis à fournir aucune préconisation de nature médicale.

En pratique, les infirmiers en santé au travail pourront assurer les visites d’information et de prévention, les visites de reprise, de préreprise et de mi-carrière dès lors qu'elles ne présentent aucune difficulté particulière.

Si l’état de santé du salarié nécessite un examen particulier, il appartiendra à l’infirmier en santé au travail d’orienter le salarié vers le médecin du travail.

Cela suppose naturellement que les infirmiers en santé au travail - s’ils ne doivent pas avoir une formation de médecin - doivent à tout le moins bénéficier d’une formation en santé au travail leur permettant de détecter les éventuels problèmes de santé afin d’être en mesure d’opérer une distinction entre les salariés dont l’état de santé ne nécessite pas une orientation vers le médecin du travail, et ceux qui doivent être orientés vers ledit médecin.

À noter que le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a contesté la légalité du décret n° 2022-679, du 26 avril 2022 en lui faisant grief d’autoriser les infirmiers en santé au travail à organiser sur délégation du médecin du travail, les visites de reprise, de préreprise et la visite médicale de mi-carrière.

Le Conseil d’État (CE, 1re et 2e ch. réunies, 28 avril 2023, n° 465318 N° Lexbase : A70239SW) a rejeté la demande d’annulation et validé les dispositions du décret précité.

Deuxième enseignement : tant l’employeur que le salarié ont la possibilité de saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure dite accélérée au fond (procédure se substituant à l’ancienne « en la forme des référés »).

Il s’agit là d’une évidence dès lors que l’article L. 4624-7 du Code du travail N° Lexbase : L4459L7B mentionne expressément, dans son premier paragraphe :

« I - Le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes selon la procédure accélérée au fond d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail […] ».

Cependant, nombre de salariés et d’employeurs ignorent encore qu’ils peuvent, les uns comme les autres, saisir le conseil de prud’hommes aux fins de contester les avis du médecin du travail (qu’ils constatent l’inaptitude physique totale ou partielle ou l’aptitude physique totale ou partielle du salarié).

Il n’est par ailleurs pas inutile de rappeler que les avis du médecin du travail ne sont pas les seules décisions qui sont susceptibles de donner lieu à une contestation judiciaire. En application de l’article L. 4624-7 du Code du travail, peuvent être contestés devant le conseil de prud’hommes les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail.

En d’autres termes et plus largement, les décisions du médecin du travail, au sens large, peuvent être critiquées judiciairement.

Troisième enseignement : lorsqu’il est saisi, le conseil de prud’hommes « peut examiner les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l’avis ».

Cette formule est un peu différente, à dessein, de celle visée par le législateur :

  • à l’article L. 4624-7 du Code du travail, lequel précise que : « Le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes […] d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2 N° Lexbase : L7397K9T, L. 4624-3 N° Lexbase : L7396K9S et L. 4624-4 N° Lexbase : L7399K9W […] » ;
  • et à l’article R. 4624-45 du même Code du travail N° Lexbase : L2346LUG qui dispose qu’« en cas de contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, le conseil de prud'hommes statuant selon la procédure accélérée au fond est saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification […] ».

Les salariés, ainsi que les avocats ou défenseurs syndicaux qui les assistent, ont une propension naturelle, à l’occasion des contestations portées par l’employeur devant le conseil de prud’hommes, à soutenir que ladite contestation ne porte pas sur des éléments de nature médicale, de telle sorte qu’elle ne peut prospérer favorablement pour celui qui en est à l’origine.

La lecture littérale de la formulation visée aux articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du Code du travail est de nature à poser plusieurs problématiques en pratique, en particulier pour l’employeur.

En premier lieu, aucune contestation autre que celle(s) reposant sur des éléments de nature médicale ne pourrait être portée devant le conseil de prud’hommes, ce qui est pour le moins surprenant.

Ainsi, et à titre d’illustration, dans l’hypothèse où :

  • l’avis d’inaptitude physique serait rendu non pas par le médecin du travail, mais par une personne non habilitée à le faire (infirmière, médecin ne revêtant pas la qualité de médecin du travail…) ;
  • le médecin du travail a rendu un avis sans avoir respecté préalablement les formalités visées à l’article R. 4624-42 du Code du travail N° Lexbase : L2257LCL, lequel prévoit que le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail que :
    • s'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste
    • s'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;
    • s'il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ;
    • s'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur,

aucune contestation judiciaire ne serait possible dès lors que, quand bien même il s’agit là de graves irrégularités, ladite contestation ne reposerait pas sur des éléments de nature médicale à proprement parler.

De telle sorte que la contestation portée devant le conseil de prud’hommes ne pourrait pas prospérer.

Ce qui n’est évidemment pas admissible.

De telles irrégularités, qui sont susceptibles de léser l’employeur ainsi que les salariés dans certains cas, ne seraient alors aucunement sanctionnées, et les décisions du médecin du travail, rendues en contravention flagrante avec les prescriptions du Code du travail, ne pourraient pas faire l’objet d’un quelconque contrôle, et a fortiori d’un amendement judiciaire.

En second lieu, pour des raisons évidentes liées au secret qui y est attaché, l’employeur n’a pas accès au dossier médical du salarié tenu par le médecin du travail. Il lui est donc difficile de porter un contentieux visant exclusivement des éléments de nature médicale concernant le salarié.

Pour pallier cette difficulté, l’employeur aura tout intérêt à se rapprocher d’un médecin qu’il mandatera à l’effet de communiquer avec le médecin du travail pour se voir expliquer la décision qu’il a prise, et transmettre les éléments justifiant ladite décision.

L’article L. 4624-7 du Code du travail précise en effet, en son paragraphe II, qu’à « la demande de l'employeur, les éléments médicaux ayant fondé les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, à l'exception des données recueillies dans le dossier médical partagé en application du IV de l'article L. 1111-17 du Code de la santé publique, peuvent être notifiés au médecin que l'employeur mandate à cet effet […] ».

Pour peu que le médecin du travail « joue le jeu » et transmette au médecin mandaté les éléments souhaités (ce qu’il n’est malheureusement pas contraint de faire !), ledit médecin mandaté pourra ainsi donner à l’employeur de la matière pour justifier un peu plus encore la contestation judiciaire qu’il a introduite, ou qu’il est sur le point d’introduire.

Pour minimiser les difficultés précitées, c’est donc tout naturellement que la Cour de cassation a étendu le périmètre de l’action en mentionnant que le conseil de prud’hommes peut examiner les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l’avis.

Il s’agit là d’une acception plus large, et c’est heureux, que celle mentionnée à l’article L. 4624-7 du Code du travail.

Étant précisé que la Haute cour a déjà adopté la même terminologie par le passé, en particulier dans une décision en date du 7 décembre 2022 (Cass. soc., 7 décembre 2022, n° 21-23.662, FS-B N° Lexbase : A85248XY).

Elle confirme donc cette position dans les deux décisions précitées du 25 octobre 2023.

Il est permis de s’interroger sur le devenir de la position retenue par le ministère du Travail dans son questions-réponses actualisé en dernier lieu le 6 mars 2023.

En effet, le ministère du Travail considère que :

« sont exclues du champ d’application de l’article L. 4624-7, les contestations :

  • sur le déroulé de la procédure d’aptitude/ou inaptitude (vices de procédure) ;

  • les contestations sans lien avec l’état de santé du salarié (impossibilité matérielle, coût économique …) ;

  • l’origine professionnelle de l’inaptitude ;

  • le non-respect par l’employeur des préconisations du médecin du travail.

Ces dernières contestations relèvent du bureau de jugement du conseil de prud’hommes. »

Cette position n’est plus d’actualité et cela découle implicitement, mais nécessairement des deux arrêts ici commentés.

Dans le premier arrêt du 25 octobre 2023 (n° 22-18.303), la Cour de cassation énonce que « le juge saisi d'une contestation de l'avis d'inaptitude peut examiner les éléments de toute nature ».

La formulation est extrêmement large et implique que le juge puisse prendre en considération l’ensemble des éléments fournis par les parties avant de rendre son avis, y compris donc ceux que le ministère semble exclure dans son questions – réponses.

Dans le deuxième arrêt du 25 octobre 2023 (n° 22-12.833), la Cour de cassation estime que l’avis du médecin du travail peut faire l’objet d’une contestation de la part du salarié ou de l’employeur selon la procédure accélérée au fond. Elle rajoute qu’« en l'absence d'un tel recours, celui-ci s'impose aux parties et au juge saisi de la contestation du licenciement ».

Dès lors, comment concevoir que l’employeur ne puisse contester l’avis du médecin du travail en raison de la procédure ou des difficultés matérielles qu’il entraîne que devant le juge du fond, alors même que la Cour de cassation indique sans ambiguïté qu’en l’absence de contestation selon la procédure accélérée au fond, l’avis du médecin du travail s’impose au juge du fond ?

Quatrième enseignement : en l'absence de recours devant le conseil de prud’hommes, l’avis du médecin du travail s'impose aux parties et au juge saisi d’une contestation du licenciement.

En d’autres termes, l’absence de contentieux porté à l’encontre d’un avis du médecin du travail, fusse-t-il farfelu, peu clair ou impossible à mettre en œuvre, purge définitivement cet avis de tous vices.

Ce qui entraîne pour conséquence que, tant le salarié que l’employeur, ne pourront plus tard, en particulier en cas de contestation par le salarié de la légitimité de son licenciement, exciper d’une irrégularité observée à l’occasion de la prise de décision du médecin du travail.

Dans l’affaire tranchée le 25 octobre 2023 et portant le numéro 22-12.833, le salarié a été déclaré par le médecin du travail inapte au poste de coordinateur. Il a précisé par ailleurs que l'état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

En conséquence de l’inaptitude physique du salarié et de l’impossibilité de le reclasser, l’employeur a procédé à son licenciement.

Le salarié a alors contesté son licenciement.

Pour juger que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d’appel a retenu que l'appelant, qui soulevait que l'avis d'inaptitude a été rendu par rapport à un poste de coordinateur qui n'était pas reconnu comme étant celui auquel il était affecté au moment de la déclaration d'inaptitude, pouvait contester l'avis d'inaptitude devant le conseil de prud'hommes à l’occasion d'un contentieux portant sur le licenciement pour inaptitude physique qui a été prononcé, en se fondant sur un non-respect de la procédure de constat d'inaptitude, l'analyse du poste occupé étant déterminante pour ce constat, peu important que l'état de santé du salarié fasse finalement obstacle à tout reclassement dans un emploi.

En d’autres termes, selon la cour d’appel, l’avis du médecin du travail pouvait à nouveau donner lieu à contestation dans le cadre du contentieux introduit par le salarié – au fond – à propos de la légitimité de son licenciement.

L’employeur a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt ainsi rendu par la cour d’appel.

À l’appui de son pourvoi, il a soutenu :

  • qu'en l'absence de recours exercé devant le conseil de prud'hommes, sur le fondement des dispositions de l'article L. 4624-7 du Code du travail, contre un avis du médecin du travail, celui-ci s'impose aux parties et au juge saisi de la contestation du bien-fondé du licenciement pour inaptitude prononcé sur le fondement de cet avis, et ce, même si ce contentieux trouve son fondement dans une contestation de l'avis du médecin du travail reposant sur le non-respect, par le médecin du travail, de la procédure de constat de l'inaptitude physique du salarié ;
  • qu'en énonçant, pour dire que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse, qu'aux termes de l'article R. 4624-45 du Code du travail applicable à la date du litige, la contestation devant le conseil de prud'hommes porte sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications de nature médicale émis par le médecin du travail, mais que ce texte ne précise rien s'agissant d'une contestation portant sur des éléments qui n’étaient pas de nature médicale, ce qui était le cas en l'espèce (en effet, le salarié soulevait que l'avis d'inaptitude du médecin du travail avait été rendu par rapport à un poste de coordinateur qui n'était pas reconnu comme étant celui auquel il était affecté au moment de la déclaration d'inaptitude) et qu’il pouvait donc contester l'avis d'inaptitude devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une contestation du licenciement pour inaptitude prononcé, en se fondant sur un non-respect de la procédure de constat d'inaptitude, l'analyse du poste occupé étant déterminante pour ce constat, sans rechercher si les parties ne s'étaient pas abstenues d'exercer, dans le délai prévu par les dispositions de l'article R. 4624-45 du Code du travail, un recours à l'encontre de l'avis d'inaptitude du médecin du travail devant le conseil de prud'hommes sur le fondement des dispositions de l'article L. 4624-7 du Code du travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du Code du travail.

La Cour de cassation a accueilli favorablement ce pourvoi, et a censuré l’analyse de la cour d’appel.

Elle a jugé en effet que le salarié ne peut contester devant les juges du fond la légitimité de son licenciement pour inaptitude physique au motif que le médecin du travail aurait utilisé un terme inexact pour désigner son poste de travail.

En l’absence de contestation en temps utile (soit dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l’avis – cf. article R. 4624-45 du Code du travail) devant le conseil de prud’hommes, l’avis rendu par le médecin du travail n’est plus « attaquable » et s’impose tant à l’employeur qu’au salarié.

Une telle situation impose à l’employeur et au salarié d’être attentifs, efficaces et réactifs, le délai précité de quinze jours étant très bref.

Cinquième enseignement : en cas de contestation devant le conseil de prud’hommes à l’encontre d’un avis du médecin du travail, la décision du conseil de prud'hommes se substitue à cet avis. Les juges du fond ne peuvent se contenter d’annuler l’avis.

L’article L. 4624-7 du Code du travail précise expressément, au paragraphe III, que : « la décision du conseil de prud'hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés ».

Dans l’affaire tranchée le 25 octobre 2023 et portant le numéro 22-18.303, la salariée a été engagée en qualité de gommeuse-masseuse. Elle a par la suite été affectée à un emploi de responsable hygiène des locaux et coordinatrice « qualité des soins ».

Après un examen médical et une étude de poste, la salariée a été déclarée par le médecin du travail inapte au poste de gommeuse, ledit médecin du travail précisant au demeurant dans son avis que l’« l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

La salariée a contesté cet avis devant la juridiction prud'homale. Elle estimait en effet que le médecin du travail a mentionné un avis erroné en ce sens qu’elle n’occupait plus le poste de gommeuse (pour lequel elle aurait été déclarée inapte « par erreur »), mais celui de responsable hygiène des locaux et coordinatrice « qualité des soins ».

La cour d’appel a annulé l’avis du médecin du travail.

Pour ce faire, elle a retenu que, compte tenu de la référence erronée au poste occupé portée par le médecin du travail sur son avis d'inaptitude et de l'absence d'élément pertinent dans la réponse qu'il a apportée aux interrogations de la salariée en éludant toute référence à la nature de l'emploi occupé ayant fait l'objet de l'étude de poste, l'avis d'inaptitude litigieux était manifestement irrégulier.

La Cour de cassation a là encore censuré cette analyse.

Elle a, pour ce faire, rappelé tout d’abord qu’aux termes de l’article L. 4624-7 du Code du travail :

  • le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence ;
  • la décision du conseil de prud'hommes se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestés.

Elle s’est ensuite appuyée sur les dispositions de l’article R. 4624-42 du Code du travail mentionnant que le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que s'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste, s'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste et une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée et enfin s'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.

La combinaison de ces deux articles a conduit la Haute cour à juger « que le juge saisi d'une contestation de l'avis d'inaptitude peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s'est fondé pour rendre son avis » et qu’il « substitue à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction ».

De telle sorte qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu'il lui appartenait de substituer à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d'instruction, la cour d'appel, qui a méconnu l'étendue de ses pouvoirs, a violé les textes susvisés.

Relevons que la Cour de cassation ne reproche pas à la cour d’appel son raisonnement relatif à la pertinence de l’avis du médecin du travail ni l’analyse qu’elle a faite concernant les diligences accomplies par celui-ci. Elle lui reproche de ne pas avoir tiré les conséquences légales qui s’imposaient de ses propres constatations.

L’arrêt de la cour d’appel aurait peut-être passé le contrôle de la Cour de cassation si elle avait substitué son propre avis à celui du médecin du travail, au lieu de l’annuler.

Il faut par ailleurs distinguer l’erreur du médecin du travail qui retient le mauvais poste de travail et effectue, par conséquent, une étude sur un poste qui n’est pas celui occupé par le salarié, de la simple erreur de plume du médecin du travail.

Si la première a des conséquences sur la pertinence de l’avis médical, tel n’est pas le cas de la seconde.

La simple erreur sur la dénomination du poste occupé par le salarié ne suffit pas à remettre en cause la légitimité de l’avis du médecin du travail dès lors qu’il « avait réalisé une étude de poste du salarié dont il avait vérifié concrètement les conditions d'exercice des fonctions et échangé avec l'employeur qui avait pu faire des observations » (Cass. soc., 16 juin 2021, n° 20-10.386, F-D N° Lexbase : A65514WK).

La solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt commenté présente un intérêt non seulement pour les juridictions prud’homales (première instance et appel), mais également pour la partie (employeur ou salarié) qui se trouve à l’origine de la saisine du conseil de prud’hommes.

Rappelons qu’en application de l’article 5 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1114H4Z, « le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ».

Le conseil de prud’hommes et la cour d’appel sont liés par les demandes qui leurs sont présentées. Ils ne peuvent statuer « ultra petita ».

Si le conseil de prud’hommes puis la cour d’appel doivent veiller à substituer à l’avis contesté leur propre décision après avoir le cas échéant ordonné une mesure d’instruction, le demandeur à la saisine du conseil de prud’hommes doit quant à lui fixer correctement et clairement ses demandes.

Il ne peut se contenter de solliciter l’annulation de l’avis contesté du médecin du travail.

De même, il n’est pas possible de demander au juge de déclarer l’avis du médecin du travail « inopposable » à une partie (Cass. avis, 17 mars 2021, n° 15002 N° Lexbase : A94564M8).

Il doit être en quelque sorte force de proposition quant au sens qui, selon lui, aurait dû être donné à l’avis par le médecin du travail, et qu’il souhaite voir entériné par le conseil de prud’hommes.

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