La lettre juridique n°946 du 18 mai 2023 : Droit pénal général

[Jurisprudence] La justification d’une infraction par la nécessité de l’exercice des droits de la défense

Réf. : Cass. crim., 8 mars 2023, n° 22-81.040, F-D N° Lexbase : A28599HD

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par Jean-Yves Maréchal, Professeur de droit pénal à l’université de Lille, Codirecteur de l’institut de criminologie de Lille

le 18 Mai 2023

Mots-clés : infraction pénale • droits de la défense • fait justificatif • responsabilité pénale • nécessité

La Cour de cassation affirme qu’une infraction commise pour les strictes nécessités de la défense de son auteur n’est pas punissable et que le bénéfice de ce fait justificatif ne peut être limité à la défense exercée dans un cadre prud'homal.


 

Le Code pénal prévoit des causes d’irresponsabilité qui devraient être les seules susceptibles d’exonérer l’auteur d’une infraction, en vertu du principe de la légalité qui implique que le juge répressif ne dispose pas d’un pouvoir créateur de règles de droit pénal, fussent-elles favorables au prévenu. L’on sait pourtant que la réalité est différente et que certaines infractions, selon la jurisprudence, ne sont pas punissables en raison du contexte de leur commission. L’exemple le plus évident est celui de la diffamation pour laquelle l’auteur des propos portant atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne peut échapper à la répression en démontrant sa bonne foi [1].

Allant encore plus loin, la Chambre criminelle n’hésite pas à considérer, en dehors des cas prévus par le Code pénal, que l’auteur d’une infraction, quelle qu’elle soit, peut n’être pas sanctionné lorsqu’il agit dans un but ou un contexte déterminé. L’arrêt commenté, rendu le 8 mars 2023, en constitue une remarquable illustration et il mérite attention, même s’il n’a pas les honneurs d’une publication au bulletin de arrêts de la Chambre criminelle.

En l’occurrence, un litige a opposé deux sociétés et le dirigeant de la première a été condamné pour violation du secret des correspondances et recel d’abus de confiance pour avoir produit en justice des documents et correspondances internes à la seconde société. La cour d’appel a retenu que si la Cour de cassation admet que certaines infractions ne peuvent être pénalement reprochées à leur auteur, « c'est uniquement dans le cadre d'un litige entre salarié et employeur et à la condition que la commission de l'infraction ait été strictement nécessaire à l'exercice des droits de la défense ». Elle ajoute que le litige qui opposait le prévenu et la société ne relevait pas du droit du travail et que la commission des infractions n’était pas strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense.

La Chambre criminelle rejette le pourvoi mais elle prend soin d’affirmer que c’est à tort que la cour d’appel a écarté le « fait justificatif tiré de l'exercice des droits de la défense » au motif qu'il ne s'applique qu’en droit du travail. Elle souligne que, « dès lors que n’est pas punissable l’infraction commise pour les strictes nécessités de la défense de son auteur, le bénéfice de ce fait justificatif ne saurait être restreint à la défense exercée dans un cadre prud’homal ». L’arrêt n’est pas censuré parce que la Chambre criminelle considère comme la cour d’appel que la commission des infractions n’était pas strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense.

L’intérêt de la décision réside évidemment dans la généralité de l’affirmation selon laquelle toute infraction peut être justifiée par l’exercice des droits de la défense, quelle que soit la nature du litige dans le cadre duquel elle est commise. La portée de la solution doit être mesurée avant de s’interroger sur son fondement.

I. La portée de la solution

La commission d’une infraction pénale afin de se défendre en justice constitue un cas de figure connu depuis longtemps, l’exemple le plus remarqué étant sans doute celui, évoqué dans la présente affaire, du salarié qui produit, devant la juridiction prud’homale, des documents qui appartiennent à son ancien employeur avec lequel il est en litige, ce dernier considérant que ces documents ont été illégalement pris ou conservés par l’ancien salarié. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a affirmé, par deux arrêts du 11 mai 2004, que le juge pénal saisi des poursuites du chef de vol doit rechercher si les documents étaient strictement nécessaires à l'exercice des droits de la défense du prévenu dans le litige l'opposant à son employeur [2]

La solution était toutefois plus ancienne, posée pour d’autres infractions que le vol et en dehors d’un litige prud’homal. On constate d’ailleurs que l’argument peut être invoqué par la personne qui se défend personnellement dans le cadre d’un litige la concernant mais aussi par celle qui commet une infraction afin de défendre un tiers dans le cadre d’une procédure concernant ce dernier.

S’agissant du premier cas, il a été jugé que, pour caractériser le recel de violation du secret de l’instruction, les juges doivent rechercher si la production des pièces d’une procédure n’était pas rendue nécessaire par l’exercice des droits de la défense [3]. Au contraire, une décision de relaxe du chef d'atteintes à un système de traitement automatisé de données a été cassée au motif que les actes n’apparaissaient pas justifiés par l’exercice des droits de la défense de leur auteur [4]

Le second cas peut être illustré par l’exemple d’une avocate condamnée du chef de violation du secret professionnel pour avoir dévoilé des pièces d’une procédure à des journalistes alors que ces actes n’étaient pas rendus nécessaires par l’exercice des droits de la défense du client de la prévenue [5].       

Le domaine d’application de la solution était donc déjà large avant le présent arrêt mais la Cour de cassation franchit ici un cap en affirmant que toute infraction peut être justifiée si elle est rendue nécessaire par l’exercice des droits de la défense de son auteur. La décision n’évoque que la première série de cas précités en visant la défense de l’auteur de l’infraction mais ceci ne remet pas en question la solution admise lorsque l’infraction est commise dans le cadre de la défense d’un tiers, solution rappelée quelques semaines avant l’arrêt commenté [6]. L’enseignement qui peut être tiré de la décision est donc que c’est la finalité de l’action, c'est-à-dire l’exercice des droits de la défense, qui produit un effet justificatif et non pas sa nature, laquelle est indifférente.

Il semble toutefois possible d’apporter deux précisions. D’une part, seules des infractions intentionnelles paraissent pouvoir être ainsi justifiées en raison du fait que l’auteur des actes doit avoir un but qui est d’assurer sa défense dans un litige. D’autre part, il est indispensable qu’un lien de causalité puisse être établi entre l’infraction commise et l’objectif recherché, ce qui restreint certainement le domaine d’application de la solution à certaines catégories d’infractions, notamment celles qui sont relatives à des documents, objets ou informations susceptibles d’être produits en justice. On ajoutera qu’il est probable que la solution devrait être limitée à des infractions qui ne supposent pas d’utiliser la contrainte physique ou morale, ce qui devrait exclure, par exemple, l’extorsion. À vrai dire, en pareil cas, il serait probablement impossible de faire admettre à une juridiction pénale que l’acte serait « strictement nécessaire » à l’exercice des droits de la défense.

Ainsi, l’affirmation très générale figurant dans l’arrêt commenté est-elle à nuancer. En outre, le fondement de l’impunité susceptible d’être admise reste à déterminer.

II. Le fondement de la solution

La Cour de cassation fait référence, dans l’arrêt commenté, aux « nécessités » de la défense de l’auteur des actes et qualifie le mécanisme de « fait justificatif ». Il est alors possible de se demander si l’impunité repose sur l’état de nécessité, tel qu’il est prévu par l’article 122-7 du Code pénal N° Lexbase : L2248AM9. Pourtant, outre l’absence de référence à ce texte dans les décisions rendues en la matière, il est douteux que les conditions de l’état de nécessité soient réunies dans les cas ici évoqués, notamment au regard du danger qui doit menacer la personne, autrui ou un bien et qui doit être actuel et non hypothétique. Or, les infractions commises pour les nécessités de la défense ne semblent pas faire suite à un danger actuel, souvent incertain, mais paraissent plutôt répondre à l’impératif d’obtenir ou de conserver des éléments de preuve favorables à l’auteur des infractions, dans le cadre d’un litige non nécessairement déjà initié.        

Il semble alors que la justification de l’infraction repose plutôt sur un conflit de normes juridiques, le principe des droits de la défense, ayant valeur constitutionnelle [7] et conventionnelle [8], devant prévaloir sur la répression pénale prévue par la loi, lorsque l’infraction commise apparaît strictement nécessaire pour en garantir l’effectivité. Il est alors intéressant d’effectuer un rapprochement avec l’affirmation prétorienne selon laquelle la liberté d’expression peut également conduire à ne pas réprimer l’auteur d’une infraction, l’analyse reposant ici expressément sur un conflit de normes entre la loi interne et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CESDH) N° Lexbase : L4743AQQ. Toutefois, dans ce domaine, la Cour de cassation [9] invite les juges à déterminer si la condamnation de l’auteur constituerait une ingérence disproportionnée dans sa liberté d’expression, ce qui ne signifie donc pas que l’infraction serait justifiée et donc impunissable mais plutôt que la condamnation pourrait porter atteinte à un droit fondamental de l’auteur. En outre, aucune référence n’est faite en cette matière à la nécessité de commettre l’infraction.

Ainsi, la solution affirmée dans le présent arrêt, dont le fondement demeure incertain, est plus catégorique que celle posée en matière de liberté d’expression puisqu’elle conduit à considérer que l’infraction, comme en matière de légitime défense ou d’état de nécessité, n’est pas punissable en raison de sa finalité, à savoir la stricte nécessité de l’exercice des droits de la défense.  

 

[1] V. E. Raschel, ÉTUDE : Les justifications en droit de la presse, in Droit de la presse, Lexbase , § 3-1-2 N° Lexbase : E6384Z8X.

[2] Cass. crim., 11 mai 2004, n° 03-80.254, FS-P+F+I N° Lexbase : A5245DCA et n° 03-85.521, FS-P+F+I N° Lexbase : A5252DCI.

[3] Cass. crim., 11 juin 2002, n° 01-85.237, F-P+F+I N° Lexbase : A8855AYM.

[4] Cass. crim., 5 avril 2022, n° 21-83.590, F-D N° Lexbase : A97547S3.

[5] Cass. crim., 28 octobre 2008, n° 08-81.432, F-P+F N° Lexbase : A1727EBL ; V. également : Cass. crim., 28 septembre 2004, n° 03-84.003.

[6] V. Cass. crim., 10 janvier 2023, n° 22-80.969, F-D N° Lexbase : A792987S : P. Conte, obs., Dr. pén. 2023, comm. 43.

[7] CESDH, art. 16 N° Lexbase : L7558AIR, V., par exemple, Cons. const., décision n° 2022-1030 QPC, 19 janvier 2023, n° 9 N° Lexbase : A936388B.

[8] CESDH, art. 6, § 3 N° Lexbase : L4764AQI.

[9] V. Cass. crim., 30 novembre 2022, n° 22-80.959, F-D N° Lexbase : A34938XN.

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