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N5402BZ4
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par Dimitri Houtcieff, Doyen de la faculté d’Evry – Paris-Saclay, Directeur du Master de droit des contrats d’affaires (DCA) de l’Université Paris-Saclay
le 17 Mai 2023
Mots-clés : contrat • engagement unilatéral • dol • obligation d'information • dépendance • avantage manifestement excessif • violence • faveurs sexuelles • assurance • pertes d'exploitation • covid • contrepartie • équivalence des prestations • réduction du prix • résolution • renonciation
La réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a codifié beaucoup des règles prétoriennes qui avaient cours : songeons que le Code Napoléon n’évoquait même pas la formation du contrat. Le droit des contrats reste tout de même largement jurisprudentiel. D’abord, tout n’est pas dans le Code : « on ne simplifie pas en prévoyant tout », disait Portalis. Ensuite, les textes nouveaux doivent encore être interprétés. Le rôle de la Cour de la cassation est donc plus décisif que jamais. La Cour régulatrice n’intervient cependant qu’au bout du chemin procédural : ce sont les tribunaux et les cours d’appel qui sont en première ligne. Leurs décisions n’ont sans doute pas la même autorité. Elles n’en sont pas moins utiles à l’interprète. Leur accessibilité nouvelle renforce du reste leur portée : elles sont aujourd’hui volontiers invoquées par les plaideurs dans leurs écritures. C’est pourquoi il nous est apparu utile de leur consacrer une chronique entière. Le lecteur ne doit pas s’y tromper. Au-delà de l’intitulé choisi, on ne s’interdira pas ici de commenter parfois telle ordonnance de référés qui le mériterait. Toutes ces décisions sont en effet le droit en marche. Elles sont aussi souvent le droit vécu : tous les contentieux ne se terminent pas par une décision de la Cour de cassation. Grâce aux éditions Lexbase, c’est donc une chronique du quotidien qui sera ici tentée.
Les auteurs Dimitri Houtcieff, Doyen de la faculté d’Evry – Paris-Saclay, Directeur du Master de droit des contrats d’affaires (DCA) de l’Université Paris-Saclay Chronique dirigée par Dimitri Houtcieff |
Sommaire
I. Formation
1. Une proposition n’est pas un engagement !
CA Paris, Pôle 5, Chambre 2 20 janvier 2023, n° 21/06627
II. Validité
2. Le « bon dol » n’excuse pas le défaut d’information
CA Pau, 28 juin 2022, n° 20/00533
3. L’abus d’une situation de dépendance est encore une condition de la violence économique
CA Rennes, 27 septembre 2022, n° 19/08238
4. L’avantage manifestement excessif constitutif de la violence n’est pas toujours économique
CA Montpellier, 4e civ. 22 juin 2022, n° 19/05333
III. Contenu
5. Assurance des pertes d’exploitation « covid » : n’appelez pas la police au secours !
CA Versailles, 13 avril 2023, n° 21/04969
6. Contrepartie convenue : la tentation du contrôle de l’équivalence et l’exécution
CA Paris, 28 septembre 2022, n° 20/13735 (i) ; CA Paris, 6 avril 2023, n° 22/06012 (ii)
IV. Exécution et inexécution
7. Un délai réduit pour réduire le prix
CA Lyon, 5 avril 2023, n° 21/01708
8. L’article 1223 et les « loyers covid »
CA Paris, 23 juin 2022, n° 21/19784
V. Extinction
9. La renonciation à la résolution doit (aussi) être expresse
CA Rennes, 18 avril 2023, n° 21/01018
I. Formation
1. Une proposition n’est pas un engagement ! (CA Paris, Pôle 5, Chambre 2 20 janvier 2023, n° 21/06627 N° Lexbase : A11489U3)
Des échanges sollicitant un échéancier et la formalisation d’une convention constituent des négociations entre deux parties et ne caractérisent pas un engagement unilatéral.
L’engagement unilatéral de volonté s’installe peu à peu dans notre droit des obligations [1]. Il fonde depuis quelques années déjà la transformation de l’obligation naturelle en obligation civile [2]. Il ne saurait cependant se déployer sans garde-fou. L’admission trop facile d’un tel engagement serait destabilisateur : à quoi servirait-il d’exiger une offre et une acceptation pour former le contrat si le moindre engagement unilatéral du débiteur suffit à le contraindre ? On comprend donc que les juges fassent preuve de prudence, comme en témoigne cette décision rendue par la cour d’appel de Paris.
Des contrats d’investissement avaient été conclus entre certaines sociétés, en vue du financement d’œuvres cinématographiques. Ces œuvres ne trouvèrent pas leur public : les recettes générées ne couvrirent même pas les investissements consentis. L’investisseur réclama alors le remboursement de sa participation. Il fit valoir que le dirigeant de l’une des sociétés productrices était tenu d’une obligation naturelle à son égard et que celle-ci avait été transformée en obligation civile. Il s’appuyait en effet sur un SMS contenant une proposition de couverture des investissements ainsi qu’un échéancier : à l’en croire, ce SMS constituait un engagement unilatéral de volonté. Son argumentation est rejetée. Il n’y avait là, en effet, qu’une proposition parmi d’autres dans le cadre des négociations, « sans qu'il puisse en être déduit un engagement précis » : aucun engagement unilatéral de volonté n’était donc caractérisé [3]. Cette décision doit évidemment être approuvée. La moindre proposition ne saurait décidément être assimilée à une rencontre de volontés ayant force obligatoire : la liberté contractuelle est à ce prix.
MV
II. Validité
2. Le « bon dol » n’excuse pas le défaut d’information (CA Pau, 28 juin 2022, n° 20/00533 N° Lexbase : A121879Y)
Ne constitue pas un dol la présentation publicitaire flatteuse, qui n’est pas erronée dans les faits décrits par la plaquette publicitaire, même s’ils ont été enjolivés, et qui n’excède pas les limites à ne pas dépasser dans les arguments de vente
Selon l’article 1137 du Code civil N° Lexbase : L1978LKH, le dol est notamment le « fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges ». Cette disposition n’impose cependant pas une sincérité absolue du contractant : seul le dolus malus – la « male tricherie » – est classiquement sanctionnée. Le dolus bonus demeure au contraire licite. Le camelot qui vend à force de boniments n’est pas sanctionné : la parlotte est après tout au coeur du commerce.
Dans cette espèce, deux époux avaient acquis un immeuble en l’état futur d’achèvement, qu’ils tentèrent ensuite de louer en vain : ils finirent par le proposer à la vente, pour un prix bien inférieur à leur proposition initiale. Ne parvenant pas non plus à le vendre, ils assignèrent le vendeur et son mandataire aux fins d’annulation du contrat et d’allocation de dommages et intérêts, sur le fondement d’un dol et d’un manquement à l'obligation d’information et de conseil. Ils soutenaient en effet avoir été trompés par les informations qui leur avaient été transmises relativement à l’attractivité locative du bien et à sa valeur vénale. La cour d’appel rejette cette argumentation : « la présentation publicitaire flatteuse ne peut pas être critiquée. Elle n’est pas erronée dans les faits décrits par la plaquette publicitaire même s’ils peuvent avoir été enjolivés. Elle n’excède pas les limites à ne pas dépasser dans les arguments de vente ».
Le professionnel peut ainsi enjoliver la réalité pour réaliser une bonne affaire [4], pour peu qu’il ne verse pas dans la mauvaise foi crasse. Il prendra garde, tout au plus, à ne pas attribuer à sa prestation des qualités trop précises qu’elle n’aurait pas. La jurisprudence considère en effet que « les documents publicitaires peuvent avoir une valeur contractuelle dès lors que, suffisamment précis et détaillés, ils ont eu une influence sur le consentement du cocontractant » [5].
Si le petit mensonge ordinaire est pardonné, le professionnel ne saurait pour autant être dispensé des obligations d’information ou de conseil qui pèsent éventuellement sur lui. En l’espèce, le vendeur et son mandataire ont ainsi tout de même été condamnés in solidum au paiement de dommages-intérêts. Les documents remis aux époux au moment de la vente qualifiaient en effet les mensualités du crédit d’« épargne » et de « trésorerie placée ». L’avantage fiscal éventuel y était par ailleurs présenté comme un « gain », alors qu’il était conditionné par une location ininterrompue du bien à un certain prix. Ainsi, en employant des termes trompeurs et en procédant à une simulation de rentabilité n’évoquant même pas les conséquences d'une possible carence locative, le professionnel avait manqué à son obligation de conseil, engageant du même coup la responsabilité de son mandant : bon dol ou pas, la présentation optimiste qui avait été faite de l’opération aurait dû être mise en perspective avec les risques du projet. En dispensant d’une quelconque preuve de mauvaise foi ou d’intention dolosive, les obligations d’information ou de conseil sont ainsi un relai bien utile du dol.
MV
3. L’abus d’une situation de dépendance est encore une condition de la violence économique (CA Rennes, 27 septembre 2022, n° 19/08238 N° Lexbase : A15398MX)
Pour qu’un abus de dépendance économique entraînant la nullité d'un acte soit caractérisé, il est nécessaire que la partie ayant abusé de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard ait obtenu de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif
Une récente décision de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a admis que la violence économique pouvait être déduite, d’une part, de la situation de dépendance économique de la victime et, d’autre part, de l’avantage excessif retiré par l’auteur de cette violence [6]. Cet arrêt taisait ainsi les autres conditions habituellement requises pour admettre la violence : l’exigence sur les intérêts légitimes de la victime et un abus de l’état de dépendance. La portée de cette décision rendue sous l’empire du droit antérieur doit encore être mesurée [7]. Elle ne semble en tout cas pas avoir impressionné la cour d’appel de Rennes, comme en témoigne cet arrêt.
Une SARL avait conclu un contrat de gérance libre avec la société Yves Rocher afin d’exploiter un fonds de commerce. Le contrat ayant été résilié par la SARL, la société Yves Rocher l’assigna en paiement au titre de factures impayées. La SARL fit valoir qu’elle avait subi une violence économique. Elle prétendait avoir été en état de dépendance économique vis-à-vis de son cocontractant et affirmait que les livraisons de produits lui auraient été imposées et effectuées sous contrainte. La cour d’appel rejette cette argumentation : selon elle, « pour qu'un abus de dépendance économique entraînant la nullité d'un acte soit caractérisé, il est nécessaire que la partie ayant abusé de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard ait obtenu de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ». En l’espèce, il n’était « pas justifié que la société Yves Rocher ait tiré des ventes litigieuses un avantage excessif. Il n’est ainsi par exemple pas allégué que ces ventes aient été consenties à des prix excessifs ni que les marchandises livrées l’aient été alors que les perspectives de vente étaient insuffisantes ». L’abus de dépendance économique ayant entraîné un vice du consentement n’était donc pas établi. Ainsi qu’on le voit, cette décision s’en tient à la position classique de la jurisprudence, et continue de faire de la caractérisation d’un abus de l’état de dépendance économique une condition essentielle de la violence. Bref, du côté de Rennes, rien de nouveau sous le soleil.
MV
4. L’avantage manifestement excessif constitutif de la violence n’est pas toujours économique (CA Montpellier, 4e civ. 22 juin 2022, n° 19/05333 N° Lexbase : A494478M)
Des faveurs sexuelles peuvent constituer un avantage manifestement excessif.
La convention portant sur l’obtention de faveurs sexuelles en contrepartie d’un avantage est illicite.
Des faveurs sexuelles peuvent-elles être considérées comme un avantage manifestement excessif au sens de l’article 1143 du Code civil ? Cette décision rendue par la cour d’appel de Montpellier le 22 juin 2022 paraît bien l’admettre. Un prêt avait été consenti dans le cadre d’une relation apparemment amicale : une somme totale d’environ 15 000 euros avait été prêtée, sous forme de virement ou de règlements directs de certaines dettes. Ces sommes ne furent pas remboursées. L’emprunteur – qui était une emprunteuse – prétendait en effet que le prêt n’avait d’autre but que de parvenir à obtenir des relations intimes avec elle.
La validité du contrat était ainsi contestée d’abord sur le terrain de la violence : en l’espèce, le contexte dans lequel le prêt avait été consenti pouvait sembler oppressant. La cour d’appel relève ainsi qu’il « s'évince des mails échangés entre M. [Ab] et Mme [Ac] que leurs relations amicales ont manifestement crée, chez M. [Ab], une véritable dépendance affective qui l'ont amené à se montrer pressant voire exigeant à l'égard de Mme [Ac] ». Plus encore, les juges observent « au vu des mails versés aux débats par Mme [Ac], [qu’] il était question pour M. [Ab] d'obtenir, contre le versement de sommes d'argent, des faveurs sexuelles qui semblent avoir été refusées par Mme [Ac]. Ni l'un ni l'autre ne se montre cependant très explicite sur ce point ». L’emprunteuse était en outre étudiante lorsqu’elle a perçu les fonds, et il était « manifeste », selon l’arrêt « qu'elle avait des préoccupations d'ordre financier ». La cour d’appel de Montpellier écarte malgré tout la violence au sens de l’article 1143 du Code civil N° Lexbase : L1977LKG. En l’espèce, « Mme [Ac] ne démontre pas qu'elle était en situation de dépendance économique vis-à-vis de M. [Ab], pas plus qu'elle ne démontre que ce dernier a demandé et finalement obtenu de sa part ce qui pourrait être considéré comme un avantage manifestement excessif, à savoir ses faveurs sexuelles ». Si la violence est écartée pour défaut de preuve, on relèvera tout de même que les juges admettent incidemment que l’obtention de faveurs sexuelles peut constituer un avantage manifestement excessif au sens de l’article 1143 : par où l’on voit que la violence fondée sur l’abus de dépendance ne se réduit pas à une disproportion de valeurs entre deux prestations économiques.
La licéité de la convention était aussi contestée sur le fondement de l’ancien article 1133 du Code civil N° Lexbase : L0830KZR, qui disposait que « la cause est illicite quand elle est prohibée par la loi, contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public ». Selon la cour d’appel, « il est établi, au vu des mails échangés, que Mme [Ac] a bénéficié alors qu'elle était étudiante et en mal d'argent, des largesses financières de M. [Ab], que les prêts d'argent ont été faits sur ce fondement et qu'après avoir obtenu plusieurs versements de sommes d'argent, elle a refusé les faveurs intimes que M. [Ab] lui demandait ». Les juges du fond considèrent cependant que « Mme [Ac] ne démontre donc pas que la cause du contrat était d'obtenir de sa part des faveurs sexuelles et était donc illicite ». L’affirmation peut surprendre : depuis près de vingt ans, la Cour de cassation admet peu ou prou la moralité des conventions ayant pour finalité la rémunération de faveurs sexuelles [8]. Comme l’affirment justement les juges du fond, ces conventions peuvent cependant généralement être considérées comme illicites, ceci depuis que le Code pénal sanctionne « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage » [9].
KC et DH
III. Contenu
5. Assurance des pertes d’exploitation « covid » : n’appelez pas la police au secours ! (CA Versailles, 13 avril 2023, n° 21/04969 N° Lexbase : A45179QD)
Une clause excluant la garantie du risque lié à la perte d'exploitation après fermeture administrative ne prive pas de sa substance l'obligation d'indemnisation à la charge de l'assureur, puisque les conditions et limites de garantie sont claires et sont susceptibles de donner lieu à une prise en charge effective du dommage.
Par une série de décisions retentissantes, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation a mis fin aux espoirs de nombreux professionnels qui espéraient faire jouer leur assurance « pertes d’exploitation » et être ainsi indemnisés des conséquences sur leur chiffre d’affaires des mesures liées à la crise sanitaire et restreignant l’accueil du public [10]. La Cour régulatrice a en effet admis l’efficacité des clauses excluant la garantie dans l'hypothèse où, à « la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». Cette position a pu étonner. L’article L. 113-1, alinéa 1er, du Code des assurances dispose que « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». Or, selon la Cour régulatrice, une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée au sens de cette disposition si elle doit être interprétée [11]. La clause d’exclusion évoquée ci-dessus paraissait pourtant bien nécessiter une interprétation : une épidémie n’implique-t-elle pas par définition que plusieurs personnes soient touchées ? Cette clause ne vide-t-elle pas totalement la garantie de sa substance ? La Cour régulatrice ne l’a pas pensé : au contraire, selon elle, dès lors « que la garantie couvrait le risque de pertes d’exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication, de sorte que l’exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d’autres circonstances que celles prévues par la clause d’exclusion, n’avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance ». Le caractère systématique de la solution a pu paraître excessif. Certains ont même nourri l’espoir d’une rébellion des cours d’appel. Ils en sont pour leurs frais : les juridictions du fond se sont rendues sans résistance à la position de la Cour de cassation [12].
Le droit commun pourrait-il alors constituer une solution de repli pour les exploitants déçus par l’invocation du droit des assurances [13] ? L’article 1170 du Code civil N° Lexbase : L0876KZH répute en effet non écrites les clauses qui « prive[nt] de sa substance l’obligation essentielle du débiteur ». L’article 1171 du Code civil N° Lexbase : L1981LKL permet par ailleurs d’évincer les clauses qui créent un déséquilibre significatif, pour peu qu’elles figurent dans un contrat d’adhésion. Rendu par la cour d’appel de Versailles, l’arrêt rapporté invite cependant à ne pas nourrir trop d’espoir de ce côté.
Une brasserie avait été contrainte de fermer à plusieurs reprises durant la crise sanitaire. Elle sollicitait le jeu de la garantie « perte d’exploitation suite à fermeture administrative » stipulée dans son contrat d’assurance. L’assureur se prévalut cependant de la clause, rédigée en lettres capitales, selon laquelle étaient exclues « les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelles que soient sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». L’exploitant fit classiquement valoir que la clause d’exclusion manquait aux exigences de l’article L. 113-1 du Code des assurances. Il prétendit aussi, sur le fondement de l’article 1170 du Code civil, qu’elle privait de sa substance l’obligation essentielle de l’assureur, et qu’elle constituait en outre une clause abusive, au sens de l’article 1171 du même code. Cette argumentation est écartée par la cour d’appel de Versailles. Selon elle, « il doit être à nouveau rappelé que le risque assuré est celui des pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative, et non le risque de survenance d'une épidémie. À cet égard, ne doit pas seulement être envisagée la situation sanitaire créée par la Covid-19 mais aussi celle pouvant résulter de n'importe quelle épidémie. Il convient aussi tenir compte du fait que l'autorité administrative peut vouloir, dans certaines zones géographiques encore peu touchées par une maladie infectieuse, limiter, dans un département donné, les mesures de fermeture à un seul établissement pour éviter les contaminations pouvant avoir été détectées dans cet établissement (…). La garantie reste encore mobilisable lorsque l'assureur ne peut pas rapporter la preuve de la fermeture administrative d'un autre établissement dans le même département et pour la même cause. Enfin, la garantie objet du litige couvre également le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laisse dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance. Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la clause satisfait au caractère limité imposé par l'article L.113-1 du code des assurances ».
Cette position a du moins le mérite de la cohérence : il aurait été surprenant que le juge admette sur le terrain du droit commun ce qu’il refuse sur celui du droit spécial. Comme si l’article L. 113-1 du Code des assurances et les articles 1170 et 1171 du Code civil étaient fongibles, la cour d’appel ne prend pas même le temps d’évoquer la conformité de la clause à ces derniers. Les clauses d’exclusion de garantie des pertes d’exploitation paraissent décidément vaccinées contre le covid 19.
DH
6. Contrepartie convenue : la tentation du contrôle de l’équivalence et l’exécution (CA Paris, 28 septembre 2022, n° 20/13735 N° Lexbase : A14298MU (i) ; CA Paris, 6 avril 2023, n° 22/06012 N° Lexbase : A75919NH (ii))
i) Le franchisé qui conteste l’équivalence ou la valeur des prestations, sans démontrer qu’au moment de la formation du contrat de franchise la contrepartie de ses propres prestations était illusoire ou dérisoire, ne peut remettre en cause la validité du contrat
ii) Doit être annulée la souscription d’actions d’une société, dès lors que celle-ci a cessé ses activités dès le versement de la somme correspondant à cette souscription, de sorte qu’aucune contrepartie réelle n’existait.
Si la cause a disparu avec la réforme du droit des contrats, la contrepartie convenue qui l’a remplacée chasse sur les mêmes terres [14]. Selon l’article 1169 du Code civil N° Lexbase : L0877KZI, en effet, « un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». Cette formulation pourrait permettre un contrôle de l’équivalence des prestations et de l’économie du contrat. La suppression de la cause aurait dès lors manqué son but : n’a-t-elle pas été éradiquée parce que la jurisprudence tendait à en faire un instrument d’appréciation de l’équilibre contractuel ? On comprend dès lors la prudence dont témoignent volontiers les juges à cet égard.
Dans la première espèce présentée (CA Paris, 28 septembre 2022, n° 20/13735), un contrat de franchise avait été conclu en vue de l’ouverture d’un restaurant. Le franchisé rencontra rapidement des difficultés d’exploitation, dont il fit part au franchiseur. Après l’échec d’une procédure de conciliation, il sollicita finalement la nullité du contrat sur le fondement de l’article 1169 du Code civil N° Lexbase : L0877KZI. Il prétendait en effet n’avoir reçu aucune contrepartie en échange des sommes qu’il avaient versées, en l’absence d’existence d’un véritable réseau, d’un savoir-faire ou encore d’une assistance quelconque. La cour d’appel rejette cette argumentation, estimant que l’engagement du franchisé n’était pas dépourvu de contrepartie au jour de la conclusion du contrat. Selon elle, « l’article 1168 du Code civil dispose que dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat (…) l’article 1169 pose (…) un tempérament, en ce qu’un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». En l’espèce, le franchisé « ne contest[ait] pas l’existence et la transmission d’un savoir-faire ou la réalité d’une assistance, mais remet[tait] plutôt en cause le manque de spécificité et d’originalité du savoir-faire et de l’assistance par rapport aux autres enseignes du groupe […] et le coût excessif du droit d’entrée et des frais de design. Il en résulte que si [le franchisé] contest[ait] tout au plus l’équivalence ou la valeur des prestations, [il] ne démontr[ait] pas, qu’au moment de la formation du contrat de franchise, la contrepartie de ses propres prestations […] était illusoire ou dérisoire pour remettre en cause la validité du contrat ». Cette décision tend ainsi à rejeter la nullité pour absence de contrepartie dès lors que l’obligation réciproque n’est pas dépourvue d’objet. Elle paraît ainsi en revenir au classicisme d’antan, en évitant que la contrepartie convenue ne constitue un moyen détourné d’admission du contrôle de la lésion.
Encore faut-il savoir à quel moment doit s’apprécier le caractère illusoire et dérisoire de la contrepartie convenue. L’article 1169 Code civil ne laisse a priori pas de doute, puisqu’il évoque expressément le moment de la formation du contrat. Le contrat est nul lorsque l’obligation considérée a été convenue en contrepartie d’une prestation creuse ou inexistante : c’est par exemple l’hypothèse du généalogiste qui monnaie ses services alors que la succession qu’il est censé rechercher est déjà bien établie [15]. Cette hypothèse se distingue de celle d’une inexécution pure et simple : le même généalogiste qui n’entreprend pas de recherche se rend ainsi coupable d’une inexécution, mais l’obligation de son contractant n’est pas pour autant sans contrepartie, dès lors que l’existence de la succession n’est pas certaine. Théoriquement simple, cette distinction n'est pas toujours facile à mettre en œuvre.
Dans la seconde espèce rapportée (CA Paris, 6 avril 2023, n° 22/06012), une personne avait souscrit un apport en numéraire d’un montant de 10 400 euros dans le capital d’une société spécialisée dans le conseil en management et proposant des services d'intermédiation commerciale. En contrepartie, il reçut treize actions ordinaires d'une valeur nominale de 1 euro avec une prime d'émission de 799 euros. N'ayant plus eu ensuite de nouvelles de la société, il la mit en demeure de lui restituer le montant de l'apport. Non seulement aucune formalité de publication n’avait en effet été réalisée depuis le virement des fonds, mais la société semblait ne plus avoir d’activité : sa ligne téléphonique avait été coupée et ses comptes annuels n’avait pas été déposés. Il déposa donc plainte pour abus de confiance, assignant par ailleurs la société et son dirigeant en nullité de l’augmentation de capital. La cour d’appel de Paris accueille cette demande : « il résulte de l'article 1128 du code civil que pour être valable le contrat doit avoir un contenu licite et certain et l'article 1169 du même code précise qu'un contrat à titre onéreux est nul lorsqu'au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire. En l'espèce, dès le versement par M. [V] de la somme de 10.400 € correspondant à sa souscription, la ligne téléphonique de la société [S.] a été coupée, celle-ci n'a plus eu d'activité et de surcroît aucune formalité de publication de la souscription d'actions n'a été réalisée. Il s'ensuit qu'aucune contrepartie réelle n'existait et il y a lieu, dès lors, de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'augmentation de capital ». La solution est heureuse, qui aboutit à ordonner la restitution espérée. Elle est aussi bienveillante : la contrepartie convenue existait en effet bel et bien au moment de la souscription de l’apport. Elle n’a disparu que plus tard, lorsque l’activité a cessé. Bref, si la cour d’appel de Paris s’est dispensée d’un détour par la résolution, c’est sans doute – si l’on ose dire – pour les besoins de la cause.
DH et MV
IV. Exécution et inexécution
7. Un délai réduit pour réduire le prix (CA Lyon, 5 avril 2023, n° 21/01708 N° Lexbase : A69469NL)
Il résulte de l’article 1223 du Code civil que la demande de réduction du prix qui n’est pas intervenue dans les meilleurs délais doit être rejetée.
L’article 1223 du Code civil N° Lexbase : L1984LKP a ouvert les vannes de la réfaction du contrat : en cas d’exécution imparfaite, il permet au créancier de réduire le prix de manière proportionnelle. Cette prérogative est parfois redoutablement efficace. Dans le cas où il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, il suffit au créancier de notifier la résolution au débiteur : il appartiendra alors à ce dernier de saisir le juge pour contester cette décision. Le juge perd ainsi un peu de son office au profit du créancier. On comprend dès lors qu’il contrôle avec rigueur la mise en œuvre de ce mécanisme, comme en témoigne cette décision rendue par la cour d’appel de Lyon le 5 avril 2023.
Un particulier avait contracté avec une société en vue de la livraison et de la mise en service d’une pompe à chaleur, pour un montant d’environ 20 000 euros : il versa un acompte de 5 770 euros. Une fois les travaux exécutés, il refusa de payer le solde, arguant d’un dysfonctionnement du matériel : il sollicita ainsi la réfaction du contrat, sur le curieux fondement des articles 1603 N° Lexbase : L1703ABP et 1615 N° Lexbase : L1715AB7 du Code civil, relatifs à l’obligation de délivrance du vendeur. S’appuyant sur l’article 12 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1127H4I, la cour d’appel de Lyon rectifie cette qualification : « en l’espèce, il appartenait donc à [Z] [N], conformément aux dispositions de l'article 1223 du Code civil, dès lors qu'il n'avait pas intégralement réglé ce qui était dû à la société SDT, de notifier à celle-ci sa décision de réduire le prix, ce dans les meilleurs délais ». Or, alors qu’il avait reçu la facture du solde restant dû assortie d’une mise en demeure, il s’était contenté d’adresser « un courrier aux termes duquel il faisait état de griefs particulièrement généraux et ne [sollicitant] aucunement une réduction du prix ». La Cour relève en outre qu’il n’avait jamais été fait état du moindre grief avant la réception de cette mise en demeure et que « ce n’est que lorsqu'il a été assigné en paiement que [Z] [N] a formalisé une demande de réfaction du contrat ». Ainsi, selon la décision rapportée, « [Z] [N] n'a donc pas formé une demande de réduction du prix dans les meilleurs délais, conformément à ce que préconisent les dispositions de l'article 1223 du Code civil » : la demande de réfaction est rejetée.
Cette décision mérite d’être approuvée. L’avantage que confère la prérogative de réduction du prix justifie un peu de considération pour l’autre partie. Tant que la notification n’est pas intervenue, le défaut de paiement peut passer pour un simple retard : une information « dans les meilleurs délais » est nécessaire pour le cocontractant impayé puisse s’organiser, éventuellement sur le terrain judiciaire. On comprend donc que les juges vérifient scrupuleusement la diligence du créancier, comme y invite l’article 1223 du Code civil. Certes, la notion de « meilleurs délais » doit être appréciée au cas par cas : elle varie nécessairement avec le contrat et les circonstances. À cet égard, l’arrêt rapporté peut d’ailleurs paraître sévère, puisqu’il invite le créancier à ne pas attendre qu’on lui réclame paiement. En évoquant les « meilleurs délais » plutôt qu’un « délai raisonnable », le texte invite cependant à une telle rigueur. Une célérité particulière du créancier est ainsi attendue, et cette exigence se comprend aisément : au-delà d’une volonté de trancher rapidement le sort du contrat, ce sont les droits de la défense eux-mêmes qui sont finalement en cause.
DH
8. L’article 1223 et les « loyers covid » (CA Paris, 23 juin 2022, n° 21/19784 N° Lexbase : A642978M)
L'article 1223 du Code civil n’est pas applicable dès lors qu’il n’est pas établi que le cocontractant a manqué à ses obligations.
Les preneurs de baux commerciaux ayant subi les conséquences de la crise sanitaire n’ont pour l’instant pas réussi à convaincre la Cour de cassation de ce qu’ils étaient fondés à solliciter une suspension ou une réduction de loyer. L’efficacité de la réduction unilatérale du prix n’a cependant pas encore été éprouvée devant la Cour régulatrice. Il est vrai que cette voie semble pour l’instant peu prisée. On peut penser que cet arrêt rendu par la cour d’appel de Paris n’encouragera pas à la suivre.
Pour écarter l’application de l’article 1223 du Code civil N° Lexbase : L1984LKP, cet arrêt relève ainsi que le bailleur avait « continué à mettre les locaux loués à disposition de la société [preneuse], laquelle n’invoqu[ait] aucun manquement de sa part à ses obligations de mise à disposition des locaux et équipements, de travaux, d’entretien ou de paiement des charges de copropriété, les mesures législatives et réglementaires de lutte contre l’épidémie de Covid-19, n’étant pas le fait de la bailleresse ». Dès lors, puisqu’il n’était « pas justifié en l’espèce du respect des conditions de mise en œuvre de ce texte et qu’il résult[ait] des développements qui précèdent que le bailleur n’a pas manqué à ses obligations, la demande de réduction du loyer se heurt[ait] à contestation sérieuse et en tout état de cause, tant dans son principe que dans son quantum, la demande de réduction du loyer échapp[ait] aux pouvoirs du juge des référés, juge de l’évidence ».
Sans s’y attarder, on relève que cette décision ne s’appuie pas sur la rédaction de l’article 1223 applicable aux faits de l’espèce. Le contrat ayant été conclu en juin 2018, c’est la version issue de l’ordonnance qui aurait dû être mise en œuvre, et non pas la rédaction actuelle, qui résulte de la loi de ratification [16]. L’essentiel est cependant ailleurs. En premier lieu, il est expressément affirmé que la réduction du prix échappe au pouvoir du juge des référés, ce qui n’étonne évidemment pas. En second lieu, cette décision tend à condamner la voie de l’article 1223 pour obtenir une quelconque réduction du loyer au titre de l’impossibilité d’accueillir du public, puisqu’elle en écarte l’application au motif que le bailleur n’a pas manqué à son obligation. Dès lors que la jurisprudence considère que l’interdiction de recevoir du public n’est pas imputable au bailleur [17], on ne voit pas comment le preneur pourrait démontrer qu’il a manqué à son obligation. Peut-être cette lecture de l’article 1223 du Code civil est-elle cependant exagérément restrictive : à la lettre, la notion « d’exécution imparfaite de la prestation » ne suppose pas qu’elle soit imputable au débiteur. Encore faudrait-il, pour qu’elle se lance dans une interprétation plus accorte de cette disposition, que la jurisprudence renonce à une politique juridique particulièrement défavorable aux preneurs en cette matière…
DH et MV
V. Extinction
9. La renonciation à la résolution doit (aussi) être expresse (CA Rennes, 18 avril 2023, n° 21/01018 N° Lexbase : A68439QI)
L’existence de négociations postérieures à la résolution unilatérale du contrat ne suffit pas à démontrer la renonciation à ladite résolution.
Organisée par l’article 1226 du Code civil N° Lexbase : L0937KZQ, la résolution unilatérale présente l’avantage de dispenser le créancier de l’obligation inexécutée d’un recours au juge. Elle opère en effet par simple notification, à charge pour le débiteur de saisir le juge pour la contester. Cette prérogative constitue ainsi un moyen de pression efficace entre les mains du créancier : l’immédiateté de ses effets permet une sortie rapide du contrat inexécuté. Elle peut aussi être utilisée comme un moyen de pression pour obtenir l’exécution du contrat résolu. Il arrive en effet que le créancier qui a mis fin à la convention poursuive malgré tout ses relations avec le débiteur, dans l’espoir que cette « sanction préventive » l’incitera finalement à s’exécuter. Ici comme ailleurs, le créancier agit cependant à ses risques et périls. Le débiteur peut en effet parfois être tenté de soutenir que le créancier a renoncé à la résolution unilatérale : telle était précisément l’hypothèse, dans cet arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes le 18 avril 2023.
Dans le courant du mois de février 2018, une société spécialisée dans l’achat, la revente et la transformation de bois et de panneaux avait contracté avec un professionnel afin de s'approvisionner en bois d’ossature. Elle passa commande pour un montant total d’environ 14 000 euros, réglant immédiatement un acompte de plus de 8 000 euros. Prévues pour intervenir dans un délai de « 4 semaines maxi », les commandes ne furent pas livrées en temps et heure. En février 2019, n’ayant toujours rien vu venir malgré des promesses réitérées, la société mit son contractant en demeure de la livrer. Sans réponse, elle adressa deux autres mises en demeure. Le professionnel promit alors à nouveau la livraison, mais son engagement resta encore sans suite. La société menaça alors d’agir judiciairement. Son contractant lui promit alors une livraison sous dizaine : elle n’arriva pas. Le 1er août, la société mit encore son contractant en demeure, invoquant expressément l’article 1226 : en l’absence de réponse, elle notifia la résolution le 26 août 2019. Devant l’inertie de son contractant, et ne pouvant se dispenser de recourir au juge pour obtenir remboursement des sommes versées, elle l’assigna par ailleurs en restitution, par acte du 20 novembre 2019. Son contractant prétendit alors que la société avait renoncé à agir en résolution : une livraison – partielle – était en effet finalement intervenue le 23 janvier 2020, c’est-à-dire deux mois après l’assignation. Cette argumentation est écartée par la cour d’appel de Rennes : « la société L. a respecté les termes des conditions visées par les dispositions de l'article 1226 du code civil. Au regard de l'échec des négociations, elle n'a pas renoncé à la résolution de la commande ». Cette décision ne peut qu’être approuvée. La renonciation ne se présume pas et doit être expresse : considérant les faits de l’espèce, on comprend que les juges ne se soient pas contentés de l’acceptation d’une livraison partielle commandée plus d’un an auparavant. Reste qu’il vaut mieux conseiller aux créanciers de dissiper autant que possible toute ambiguïté : il se pourrait sinon que leur tolérance se retourne finalement contre eux-mêmes.
DH
[1] Depuis la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, portée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le nouvel article 1100-1 du Code civil N° Lexbase : L0591KZW dispose en effet que les actes juridiques peuvent être « conventionnels ou unilatéraux ».
[2] V. not. Cass. civ. 1, 10 octobre 1995, n° 93-20.300 N° Lexbase : A6097ABG, D., 1996, somm., p. 120, obs. R. Libchaber, D., 1997, p. 155 note G. Pignarre ; Adde N. Molfessis, L’obligation naturelle devant la Cour de cassation, D., 1997, chron., p. 85.
[3] Comp. admettant un engagement unilatéral de volonté à partir d’un simple SMS, CA Douai, ch. 2, sect. 2, 20 janvier 2022, n° 20/04441 N° Lexbase : A10827KB, Gaz. Pal. 2022, n° 16, p. 3, obs. D. Houtcieff.
[4] V. par ex., Cass. com., 13 décembre 1994, n° 92-20.806 N° Lexbase : A8368CSQ : « l’exagération commise dans la description publicitaire ne dépassait pas ce qui est habituel dans les pratiques commerciales, et qu’elle ne portait pas sur la substance même de la chose ».
[5] V. Cass. com,14 novembre 2019, n° 18-16.807, RTD com., 2020, p. 193, obs. B. Bouloc, JCP G, 2020, doctr. 210, obs. D. Houtcieff ; Cass. 1re civ., 6 mai 2010, n° 08-14.461, Gaz. Pal., 5 août 2010, n° 217, pp. 18 et s., obs. D. Houtcieff ; Cass. com,17 juin 1997, n° 95-11.164, Bull., I, n° 195, D., 1998, jur., p. 248, note G. Pignarre et G. Paisant. Adde Montpellier, 2 juin 2021, n° 18/05735.
[6] Cass. civ. 2, 9 décembre 2021, n° 20-10.096, F-P+B N° Lexbase : A48147EZ, JCP G, 2022, doctr. 257, n° 2, obs. G. Loiseau, Dalloz actualité, 13 décembre 2021, obs. C. Hélaine, RDC, 2022/1, p. 9, note M. Latina, Gaz. Pal.2022, n° GPL435s9, obs. D. Houtcieff, D., 2022, p. 384, note G. Chantepie, D., 2022, p. 310, obs. M. Mekki, RTD civ., 2022, p. 121, obs. H. Barbier.
[7] Ceci d’autant que l’article 1143 du Code civil N° Lexbase : L1977LKG fait désormais expressément référence à l’abus de dépendance.
[8] Voy. not. Ass. plén., 29 octobre 2004, n° 03-11.238 N° Lexbase : A7802DDC ; JCP G, 2005, II, 10011, note F. Chabas ; D., 2004, p. 3175, note D. Vigneau ; P. Malaurie, Les voyous du sexe et la Cour de cassation : le vieux polisson pigeonné, RDC, 2005, p. 1278.
[9] C. pén., art. 611-1 N° Lexbase : L6968K79.
[10] Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, trois arrêts, n° 21-19.341 N° Lexbase : A45408W3, n° 21-19.342 N° Lexbase : A54888W8, n° 21-19.343 N° Lexbase : A54858W3, FS-BR, Dalloz actualité, 16 décembre 2022, obs. S. Porcher, BJDA 2022, comm. 5, P.-G. Marly, JCP E 2023, 1020, note A. Touzain, GPL 28 mars 2023, n° GPL447q5, note P. Giraudel, GPL 9 mai 2023, n° GPL448u5, obs. D. Houtcieff, RDC 2023, note F. Leduc.
[11] Cass. civ. 1, 22 mai 2001, n° 99-10849, publié au bulletin N° Lexbase : A5004ATI , D., 2001, p. 2776, note B. Beignier.
[12] Voy. Par ex. CA Poitiers, 2 mai 2023, deux arrêts, n° 22/01950 N° Lexbase : A13829TD et n° 22/01952 N° Lexbase : A12639TX ; CA Montpellier, 25 avril 2023, trois arrêts, n° 21/01972 N° Lexbase : A37099S8, n° 21/02452 N° Lexbase : A36469ST, n° 21/03974 N° Lexbase : A37419SD ; CA Versailles, 13 avril 2023, deux arrêts, n° 21/04969 N° Lexbase : A45179QD, n° 21/04970 N° Lexbase : A54749QS ; CA Montpellier , 4 avril 2023, n° 21/04406 N° Lexbase : A47829NG ; CA Pau, 30 mars 2023, n° 21/01898 N° Lexbase : A45939M3 ; CA Angers, 28 mars 2023, n° 21/02415 N° Lexbase : A98399LY ; CA Nancy, 22 mars 2023, deux arrêts, n° 22/00186 N° Lexbase : A93529KL et n° 22/00187 N° Lexbase : A78179P9 ; CA Rennes, 15 mars 2023, quatre arrêts, n° 21/04551 N° Lexbase : A81079I4, n° 21/02869 N° Lexbase : A81599IZ, n° 21/02616 N° Lexbase : A83959IR, n° 21/02617 N° Lexbase : A87599IA ; CA Versailles, 9 mars 2023, n° 21/03325 N° Lexbase : A56679HD ; CA Versailles, 26 janvier 2023, n° 21/03302 N° Lexbase : A61879AE ; CA Versailles, 19 janvier 2023, n° 21/02937 N° Lexbase : A6488898 ; CA Montpellier, 21 février 2023, deux arrêts, n° 21/00774 N° Lexbase : A63519EX, n° 21/03966 N° Lexbase : A64259EP ; CA Besançon, 7 février 2023, trois arrêts, n° 21/00408 N° Lexbase : A95099C8, n° 21/00410 N° Lexbase : A95029CW, n° 21/00409 N° Lexbase : A95369C8 ; CA Besançon, 21 février 2023, n° 21/01631 N° Lexbase : A66289E9 (cette décision s’appuie expressément sur les arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation) ; CA Paris, 4, 8, 18 janvier 2023, n° 21/13372 N° Lexbase : A4572899 ; CA Grenoble, 12 janvier 2023, n° 21/04157 N° Lexbase : A601988G ; CA Dijon, 13 décembre 2022, n° 21/01560 N° Lexbase : A87668ZP. À notre connaissance, une seule décision contraire à la position de la Cour régulatrice a été rendue au jour où nous écrivons ces lignes : CA Nîmes, 7 décembre 2022, n° 22/01236 N° Lexbase : A28458ZE. Cet arrêt a néanmoins été rendu si peu de temps après ceux de la deuxième chambre civile que sa portée en est incertaine.
[13] La deuxième chambre civile a admis qu’un assureur « ne saurait faire grief à la cour d'appel d'avoir retenu que la clause d'exclusion devait être réputée non écrite sur le fondement de l'article 1170 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige, dès lors qu'elle a également jugé que la clause d'exclusion litigieuse ne satisfaisait pas aux conditions de l'article L. 113-1 du code des assurances prévoyant que les exclusions de garantie doivent être formelles et limitées » (Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, n° 21-19.342, préc.).
[14] Voy. par ex. CA Douai, 26 janvier 2023, n° 21/00449 N° Lexbase : A32499BX : « aux termes de l’article 1169 du code civil, un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. La cause d’un contrat ou d’une obligation est donc la contrepartie attendue par celui qui s’engage, en échange de sa propre obligation, étant précisé que cette notion ayant été modifiée par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, c’est désormais une conception objective de la cause qui est retenue et non plus une conception subjective au sens de mobile déterminant en l’absence duquel l’acquéreur ne se serait pas engagé ».
[15] Cass. civ. 1, 18 avril 1953, n° 53-06.152 N° Lexbase : A9836CHR : la nullité est prononcée dès lors que le généalogiste « n’avait rendu à [sa contractante] aucun service et qu’il n’avait couru aucun aléa [et] que l’existence de la succession devait normalement parvenir à la connaissance de l’héritière sans l’intervention du généalogiste ».
[16] La modification introduite par la loi de ratification n’est en effet entrée en vigueur qu’au 1er octobre 2018 : loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L0250LKH, art. 16. I.
[17] Cass. civ. 3, 30 juin 2022, trois arrêts, n° 21-20.127, FS-B N° Lexbase : A858778K (1re esp.), n° 21-20.190, FS-B N° Lexbase : A859678U (2e esp.), et n° 21-19.889, FS-D N° Lexbase : A194279S, (3e esp), Dalloz actualité, 4 juillet 2022, P. Gaïardo, D. 2022, p. 1445, note D. Houtcieff, D. 2022, p. 1398, point de vue S. Tisseyre, AJDI 2022. 605, obs. J.-P. Blatter, JT 2022, n° 255, p. 11, obs. X. Delpech, RTD com. 2022. 435, étude F. Kenderian, RTD civ. 2022, p.887 obs. H. Barbier, RTD civ. 2022, p. 912, obs. P.-Y. Gautier.
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