Lexbase Public n°700 du 23 mars 2023 : Domaine public

[Actes de colloques] Les transformations contemporaines du droit domanial - Domaine public et environnement

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N4759BZB

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par Yann Aguila, Avocat associé, Bredin Prat

le 29 Avril 2024

Introduction [1] 

La crise environnementale a des effets matriciels sur le droit. Elle nous conduit à procéder à une relecture de nombreuses notions fondamentales du droit : personne morale, sujet de droit, distinction entre les personnes et les biens, propriété, contrat, souveraineté, etc...

À ce titre, une remarque incidente : on s’interroge beaucoup ces derniers temps sur la pertinence de l’attribution d’une personnalité morale à certains éléments de la nature. En première approche, cette idée peut paraître étrange : venue d’ailleurs, et particulièrement d’Amérique latine, peut sembler trop éloignée de nos traditions pour que la greffe puisse prendre en droit français. Pourtant, à bien y réfléchir – et pour rebondir sur l’intervention du président du Parc national des Calanques, le régime des parcs nationaux n’en est pas très éloigné : on y trouve un élément de la nature érigé en établissement public, avec une gouvernance qui inclut de nombreuses parties prenantes, y compris la population locale à travers les collectivités territoriales, dans le but d’assurer une protection accrue des parcs (C. env., art. L. 331-1 N° Lexbase : L7966K9W et suivants). Comme on le voit à travers cet exemple, il me semble qu’il faut garder l’esprit ouvert au débat et ne pas s’arrêter à des positions dogmatiques. Il faut surtout ne pas oublier que le droit repose sur des fictions et que, ce qui importe in fine, ce sont les objectifs poursuivis. Or, nous pourrions constater ensemble que, malgré la différence des outils juridiques (naturellement liée à la diversité des traditions), nous poursuivons bien en réalité des objectifs communs. Plus largement, on observera que, quelles que soient les réponses, une question, elle, reste bien posée : la question de la représentation des intérêts de la nature, en particulier devant le juge [2]. Il appartiendra aux juristes de proposer des réponses, dans les années qui viennent.

Pour en revenir au sujet qui nous préoccupe ici, la notion de domaine public n’échappe pas à la remise en cause à laquelle nous invite l’enjeu écologique. À cet égard, si l’état actuel du droit ne paraît pas satisfaisant au regard de l’exigence accrue de protection de la nature (I), des évolutions de la domanialité publique sont à la fois souhaitables et possibles (II).

I. L’état du droit : un cadre juridique insuffisant face aux enjeux

En première approche, on aurait pu penser que le droit du domaine public se prêterait volontiers, mieux que celui de la propriété privée, à l’exigence de protection de la nature. Pourtant, force est de constater qu’il n’existe pas de supériorité environnementale de la propriété publique, qu’il s’agisse de la notion de domaine public (A) ou de son régime (B).

A. La notion de domaine public

La notion même de domaine public est en réalité assez éloignée de celle d’espaces naturels (1) ou de biens communs environnementaux (2). Parce qu’elle repose désormais sur la notion de propriété, elle ne se prête pas spontanément à l’affichage d’une finalité environnementale (3).

1) Domaine public et espaces naturels

Pour lever toute ambiguïté, il faut d’abord relever qu’il n’y a pas de recoupement entre la notion de domaine public et celle d’espaces naturels.

D’une part, il n’y pas de recoupement physique avec la nature. Certes, le domaine public se divise entre un domaine public artificiel et le domaine public naturel. Mais ce dernier est très loin de recouvrir l’ensemble des espaces naturels. Il ne comprend pas, par exemple, les forêts, qui relèvent le plus souvent du domaine privé.

D’autre part, il n’y a pas de recoupement juridique entre domaine public et espaces naturels protégés. La protection des espaces naturels est issue d’une autre législation, la police de l’environnement. Or, s’agissant de l’application de cette législation environnementale, la nature publique ou privée de la propriété concernée n’a aucune incidence. Qu’il s’agisse des zones protégées comme les zones Natura 2000, ou les sites naturels classés, ou encore des parcs, régionaux ou nationaux, la circonstance que l’espace concerné relève éventuellement du domaine public n’est pas prise en compte. A titre de comparaison, aux États-Unis, le système des parcs est différent puisque ces derniers sont la propriété de l’État.

2) Domaine public et biens communs environnementaux

On rappellera d’abord qu’un débat se développe, depuis quelques années, sur la notion de « communs » et, notamment à l’échelle internationale, sur l’existence « biens publics mondiaux ». La notion de « res communes » est ancienne. En droit français, ces biens sont mentionnés à l’article 714 du Code civil N° Lexbase : L3323ABP : « Il est des choses qui n'appartiennent à personne et dont l'usage est commun à tous ». Sont ainsi souvent qualifiés de biens communs ceux qui sont d’une utilité commune et qui ne peuvent (ou ne doivent) pas faire l’objet d’appropriation, tels que la mer, l’eau ou l’air. Mais cette notion connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, compte tenu des risques de rareté et de pénurie de ces biens, estimés auparavant inépuisables (l’eau), des menaces liées à la pollution (l’air et le réchauffement climatique), et encore de l’exploitation économique excessive (les forêts). Face à ces risques, s’est développé un mouvement contre la marchandisation et la valorisation économique des biens publics, en particulier les biens « environnementaux ».

Or, il n’y a aucun recoupement entre la notion de domaine public et celle de biens communs. En effet, les biens communs sont, par définition même, des choses qui ne peuvent pas faire l’objet d’appropriation. Or le domaine public a un propriétaire : l’État et, plus largement, les personnes publiques.

3) Notion de domaine public et notion de propriété

En réalité, la notion même de propriété peut constituer un obstacle à la prise en compte de la nature par la domanialité publique. A cet égard, on rappellera que la conception actuelle du domaine public met en avant le concept de « propriété » publique. Cette conception dite « propriétariste » du domaine public a fait l’objet de nombreux débats, notamment lors de l’adoption du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP).  

Certes, l’outil de la propriété peut être utile. Ainsi, l’appropriation publique peut parfois se mettre au service de l’environnement. Tel est le cas de la mission confiée au Conservatoire du littoral, qui passe par l’acquisition de terrains pour mieux les protéger, ou encore de l’outil juridique du droit de préemption des parcs (nationaux ou régionaux) pour les espaces naturels sensibles (C. urb., art. L. 215-6 N° Lexbase : L2723KIP).

Cependant, cette conception « propriétariste » porte en elle-même une limite : si l’État n’intervient qu’en qualité de propriétaire, alors ses objectifs sont la protection classique de ses intérêts de propriétaire. Cette qualité de propriétaire semble commander aujourd’hui les principales finalités du régime de la domanialité, à savoir la conservation des biens, la valorisation patrimoniale, ou encore la politique de gestion « en bon père de famille ». Ces objectifs ne sont pas toujours alignés avec les principes environnementaux. 

B. Le régime du domaine public

L’absence de préoccupation écologique se manifeste tant dans les règles (1) que dans la politique (2) de gestion du domaine public. L’enjeu environnemental n’irrigue pas davantage le régime des sanctions (3).

1) Les règles de gestion du domaine public

La finalité des règles actuelles n’est pas la protection de la nature. En effet, en l’état du droit, le régime juridique du domaine public poursuit principalement deux objectifs : la conservation de la propriété publique (d’où l’existence du principe d’inaliénabilité) et sa rentabilité (d’où l’encadrement de la redevance par le CGPPP).  Certes, s’agissant des redevances d’occupation du domaine public, il existe, par dérogation à la règle, des cas d’occupation à titre gratuit, prévus par les dispositions de l’article L. 2125-1 du CGPPP N° Lexbase : L7215LZA. Mais cet article ne mentionne pas expressément l’intérêt environnemental.

Ainsi, les obligations pour l’État dans la gestion du domaine intègrent peu de préoccupations environnementales. Certes, il existe une obligation de protection. L’impératif de protection du domaine public est une obligation constitutionnelle posée par le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994 N° Lexbase : A8307ACN). Mais il n’existe pas réellement d’obligation claire d’entretien du domaine public – au-delà du fameux « défaut d’entretien normal » qui ne concerne que les ouvrages publics. Plus largement, il n’y a pas d’objectif de « qualité » du domaine public.

Au total, le régime du domaine public ne se donne donc pas de finalité environnementale.

Certes, quelques progrès récents peuvent être mentionnés. Ainsi, dans le cadre de l’utilisation du domaine public maritime, depuis la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016, pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages N° Lexbase : L8435K9B, l’article L. 2124-1 du CGPPP N° Lexbase : L7962K9R dispose que « les décisions d'utilisation du domaine public maritime tiennent compte de la vocation des zones concernées et de celles des espaces terrestres avoisinants, ainsi que des impératifs de préservation des sites et paysages du littoral et des ressources biologiques ; elles sont à ce titre coordonnées notamment avec celles concernant les terrains avoisinants ayant vocation publique. / Ces décisions doivent être compatibles avec les objectifs environnementaux du plan d'action pour le milieu marin prévus aux articles L. 219-9 à L. 219-18 du code de l'environnement. […] ».

De même, s’agissant de la redevance, la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets N° Lexbase : L6065L7R, a prévu, à l’article L. 2125-1-1 du CGPPP N° Lexbase : L6595L7E, que la commune peut « délivrer à titre gratuit les autorisations d'occupation temporaire du domaine public communal, lorsqu'elles sont sollicitées au bénéfice de personnes morales de droit public ou de personnes privées qui participent au développement de la nature en ville et répondent à un objectif d'intérêt public en installant et entretenant des dispositifs de végétalisation ». 

Toutefois, le CGPPP procède souvent par simple renvoi aux préoccupations environnementales exprimées par d’autres codes. Par exemple, il renvoie au code de l’environnement pour les espaces naturels, ainsi qu’au code de la construction pour la réglementation environnementale RE2020 et la politique de rénovation énergétique des bâtiments publics [3]. Le renvoi du CGPPP aux autres codes rappelle le principe sous-jacent d’indépendance des législations : à chaque législation sa spécialité.

Il nous semble que deux grands principes issus de la Charte de l’environnement de 2004 devrait inviter la réglementation du domaine public à mieux intégrer l’enjeu écologique. D’une part, le devoir de préservation de l’environnement, consacrés à l’article 2 de la Charte. Ce devoir s’applique évidemment aux personnes publiques, en leur qualité de propriétaires. D’autre part, le principe d’intégration, en vertu duquel chaque politique publique doit intégrer des préoccupations environnementales, consacré à l’article 6 de la Charte [4]. Ainsi, on pourrait penser qu’en application de ces principes constitutionnels, il appartient au régime de la domanialité publique d’intégrer en son sein les considérations environnementales, plutôt que de se reposer sur les autres codes. 

2) La politique de gestion du domaine public

Au-delà des règles, la politique de gestion est souvent tournée vers la « valorisation économique ». C’est une gestion dite « patrimoniale », qui suit une logique de rendement. Tel est le cas par exemple du développement des occupations du domaine public à des fins privatives. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la politique de gestion du domaine public est confiée au ministère de l’Economie et des Finances, au sein duquel se trouve la Direction de l’immobilier de l’État (DIE). Nous ne savons pas dans quelle mesure le ministère de la transition écologique est associé – ou pas ? – à la définition des principes de gestion du domaine public. En tout cas, nous n’avons pas connaissance de circulaires de politique générale ni de lignes directrices émanant de Bercy qui seraient tournées vers un objectif de protection de l’environnement.

Un exemple notable de la faible prise en compte de l’enjeu écologique est celui de la forêt domaniale, dont la politique est clairement axée vers l’exploitation économique. Certes, les forêts ne relèvent pas du domaine public mais du domaine privé. Mais cet exemple est très révélateur. Les forêts ne bénéficient donc pas du régime du domaine public : elles sont soumises à un objectif clair d’exploitation économique (récoltes, etc…). L’Office national des forêts (ONF) est bien un établissement public industriel et commercial.  Il gère les forêts conformément à un contrat « d'objectifs et de performance » conclu avec l’État. Certes, certains éléments tentent de trouver un équilibre entre enjeux écologiques et économiques : depuis le Grenelle de l’environnement de 2007, l’objectif général de gestion des forêts domaniales est de « produire plus de bois, tout en préservant mieux la biodiversité ». La loi du 8 août 2016 précitée a permis de créer 250 « réserves biologiques » par le biais de l’ajout de l’article L. 212­-2-­1 dans le Code forestier (« Le document d'aménagement peut identifier des zones susceptibles de constituer des réserves biologiques dans un objectif de préservation ou de restauration du patrimoine naturel »). Il n’en reste pas moins que la gestion des forêts ne fait pas l’objet d’une politique environnementale affichée : l’objectif principal paraît rester celui de la rentabilité.

3) La sanction de la dégradation du domaine public : les contraventions de grande voirie

Les contraventions de grande voirie permettent la protection contre les dégradations et les occupations sans titre du domaine public. Théoriquement, elles peuvent donc être utilisées en vue de protéger la biodiversité. Sur le domaine public maritime, il peut s’agir d’atteintes à la qualité des eaux : la pollution des eaux d’un port par des hydrocarbures par exemple.

En pratique, leur usage est toutefois différent. Dans la célèbre affaire de l’Erika, la contravention n’a pas été retenue, et les poursuites contre Total ont été abandonnées. Un accord conclu entre l’État et Total prévoyait la remise en l’état du site par l’entreprise en contrepartie de l’abandon des poursuites. La légalité de cette transaction a été confirmée par le Conseil d’État dans une décision du 30 septembre 2005 [5]. On signalera toutefois que le Parc national des Calanques conduit pour sa part une politique plus active dans ce domaine : il semble constituer l’un des rares exemples d’usage volontariste des contraventions de grande voirie dans un parc national.

II. Réflexions prospectives : quelles évolutions du domaine public pour mieux prendre en compte l’exigence de protection environnementale ?

Si l’état actuel du droit n’est pas à la hauteur des enjeux environnementaux, les exigences de protection de l’environnement pourraient bien entraîner des évolutions profondes de la domanialité publique. Nous présenterons ici davantage de questions que de réponses. Le but est surtout de proposer des pistes de réflexion. Reprenant le découpage de la première partie, nous aborderons d’abord la notion (A) puis le régime (B) du domaine public.  

A. Les évolutions souhaitables de la notion de domaine public

La réflexion pourrait porter tant sur la définition (1) que sur le périmètre (2) du domaine public.

1) Réflexions sur la définition même du domaine public

L’origine du problème se loge probablement dans la définition même du domaine public. Comme le relève le professeur Philippe Yolka, « l’outil domanial n’a pas été pensé pour protéger l’environnement » [6].

Au fond, la définition du domaine public est tournée avant tout vers l’utilité du domaine, sous deux formes : soit l’utilité pour les besoins du service public, soit l’utilité pour les besoins de l’usage du public. Le domaine public est ainsi conçu comme un outil au service de l’action administrative, un moyen d’action. Pour le dire autrement, il repose aujourd’hui sur une conception utilitariste. Comme indiqué précédemment, les évolutions récentes ont plutôt accentué ce caractère, avec le développement d’une conception « propriétariste » du domaine. On tend vers l’idée que la propriété publique est une propriété comme les autres.

Or, l’enjeu écologique nous conduit à poser cette question : un retour aux sources n’est-il pas nécessaire ?

La conception première du domaine public n’était pas celle d’une « propriété », au sens strict du terme. L'État ne détenait pas l'abusus, le domaine public étant inaliénable. Il ne bénéficiait pas nécessairement de l'usus, qui revient souvent au public. Et il délaissait le fructus, qui reste accessoire. Dans le cadre de cette conception originelle, l’État était simplement dépositaire du domaine public, le gardien de ce domaine, qui lui était simplement « affecté ».

Par un curieux retournement, cette conception ancienne pourrait bien être avant-gardiste. N’est-elle pas parfaitement en phase avec les réflexions contemporaines sur les biens publics mondiaux ?

Ainsi, il ne serait pas absurde que la notion de domaine public retrouve une certaine proximité avec celles de biens communs. La réflexion pourrait s’inspirer des mots de Portalis, lorsqu’il s’interrogeait sur les « choses communes », avec pour idée que l’État en est le gardien et non le maître, n’ayant que « la simple disposition de ces choses et le droit de protéger leur destination naturelle » [7].  

2) Réflexions sur la délimitation du périmètre du domaine public naturel

Le domaine public naturel comporte surtout le domaine maritime et le domaine fluvial. Mais quid du domaine public naturel terrestre ? Ce dernier est quasiment inexistant. Pour le dire autrement, quel régime juridique pour le grand absent du domaine public naturel : les forêts ?

La question mérite d’être posée : faut-il faire évoluer la qualification des forêts publiques, ou au moins de certains espaces protégés au sein de ces forêts, pour les inclure dans le domaine public ?

Il n’y a sans doute pas de réponse évidente : tout est affaire d’équilibre entre les avantages et les inconvénients de chaque système. Toutefois, on ne peut qu’être frappé par le décalage entre, d’un côté, l’importance des forêts au regard de l’enjeu de la protection de la biodiversité et, d’un autre côté, leur régime juridique tourné vers l’exploitation économique.

B. Les évolutions souhaitables du régime du domaine public

Des évolutions pourraient être envisagées tant pour les règles (1) que pour la politique (2) de gestion du domaine public.

1) Evolution des règles de gestion du domaine public

Des évolutions seraient possibles pour mieux intégrer les préoccupations environnementales dans le CGPPP. Sans prétendre à l’exhaustivité, on mentionnera ici quelques exemples.

Ainsi, le législateur pourrait poser clairement dans le CGPPP une obligation d’entretien du domaine public. De façon plus précise, il serait utile d’indiquer que cette obligation comprend le devoir de préserver la biodiversité.

S’agissant des redevances, on pourrait envisager leur « verdissement ». A minima, il faudrait retenir une interprétation large des occupations à titre gratuit, fondées sur l’intérêt général. On peut citer dans ce sens un extrait du JurisClasseur Propriétés publiques [8] : « Le montant de la redevance peut prendre en compte l’impact environnemental de l’occupation ou de l’utilisation du domaine public. Les auteurs du rapport « Les redevances d’occupation du domaine public maritime naturel » prônaient le « verdissement » de ces redevances, c’est-à-dire la prise en considération accrue des coûts environnementaux dans le montant des redevances ».

Pour aller plus loin, ne faudrait-il pas envisager de modifier le texte, pour introduire expressément l’enjeux environnemental parmi les critères de fixation de la redevance ? Actuellement l’article L. 2125-3 du CGPPP N° Lexbase : L4561IQY prévoit que « la redevance due pour l'occupation ou l'utilisation du domaine public tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l'autorisation ». Il faudrait écrire clairement que ces « avantages » peuvent être de nature environnementale. A cet égard, on pourrait s’inspirer de la rédaction de l’article L. 132‑15­­­­‑­1 du Code minier : s’agissant des gisements en mer situés sur le plateau continental ou dans la zone économique exclusive, il précise que « [l]e calcul de la redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de la concession, de l’impact environnemental des activités concernées ainsi que du risque pour l’environnement […] ».  

Plus largement, se pose la question de la responsabilité du propriétaire qu’est l’État. Quid de la notion de « propriétaire responsable » ? Par analogie, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) pour les sociétés privées repose sur la notion d’entreprises responsables. A fortiori, l’État propriétaire doit prendre également sa part de responsabilité, celle-ci intégrant une finalité environnementale.

Enfin, et pour ouvrir le débat, on pourrait poser la question de l’établissement d’une protection constitutionnelle du domaine public, et notamment de qualité au regard des considérations environnementales. En droit comparé, cette protection constitutionnelle existe en Grèce au bénéfice des forêts.

2) Évolution de la politique de gestion du domaine public

A minima, il conviendrait de poser clairement ces exigences dans des actes de droit souple (circulaires, lignes directrices, etc). La politique de gestion du domaine public doit être guidée, à côté de l’objectif de valorisation économique du domaine, par un objectif de protection de la biodiversité.

L’État et les personnes publiques en général se doivent d’être exemplaires dans la gestion de leur domaine. À titre d’exemple de cette exemplarité, on peut citer l’exposé des motifs du Projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables (ENR) : « L’État se doit aussi d’être exemplaire et engagera des actions dans ses administrations et ses bâtiments publics ».  

  


[1] Cette intervention lors du colloque organisé par le barreau de Marseille le 25 novembre 2022 doit beaucoup aux excellentes études académiques qui ont été conduites sur le sujet, et particulièrement aux deux articles suivants : S. Caudal, La domanialité publique comme instrument de protection de l’environnement, AJDA 2009, p. 2329 ; Ph. Yolka, Brèves remarques sur l’environnementalisation du droit domanial, Mélanges Caudal, 2020.

[2] Cette question se pose par exemple dans le régime du préjudice écologique du code civil (articles 1246 et suivants), comme le montrent les réflexions de la Commission environnement du Club des juristes, dans son rapport de 2012 « Mieux réparer le dommage environnemental ». Suivant les recommandations de ce rapport, l’article 1248 retient une diversité de représentants, en prévoyant que « [l]'action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l'État, l'Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d'introduction de l'instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l'environnement ».

[3] S’agissant de la réglementation environnementale, la France est passée, depuis 2020, d’une réglementation thermique (RT2012) à une réglementation environnementale, la RE2020.  Cette nouvelle réglementation s’inscrit dans une action continue et progressive en faveur de bâtiments moins énergivores. En France, le secteur du bâtiment représente 44 % de la consommation d’énergie et près de 25 % des émissions de CO2. La RE2020 a pour objectif de poursuivre l’amélioration de la performance énergétique et du confort des constructions, tout en diminuant leur impact carbone.

[4] Article 6 : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. »

[5] CE, 30 septembre 2005, n° 263442 N° Lexbase : A6065DKT.

[6] Ph. Yolka, Brèves remarques sur l’environnementalisation du droit domanial, Mélanges Caudal, 2020.

[7] « Toutes les choses qui s’offrent à nous dans la nature sont ou non commerçables par elles-mêmes ou hors du commerce et destinées par la providence à demeurer communes. Les premières appartiennent exclusivement aux particuliers ou aux communautés qui les possèdent […]. Les choses de la seconde espèce, c’est-à-dire celles qui sont hors du commerce et qui, par leur destination naturelle, doivent demeurer communes, sont incapables d’être l’objet d’une propriété privée et ne peuvent appartenir, à titre de domaine proprement dit, à qui que ce soit, pas même à l’État, qui n’a que la simple disposition de ces choses et le droit de protéger leur destination naturelle ». Portalis, De l’usage et de l’abus de l’esprit philosophique durant le XVIIIème siècle, 1799.

[8] É. Untermaier-Kerléo, Fasc. 59-10 : Redevances domaniales, JurisClasseur Propriétés publiques, 4 octobre 2018.

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