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N4742BZN
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par Maxime Büsch, Avocat associé, LexCase, en collaboration avec Gwendoline Virassamy
le 22 Mars 2023
Entrée en vigueur le 1er juillet 2017, l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L9569LDR impose aux gestionnaires de domaine public d’organiser « librement » une procédure de sélection préalable à toute occupation privative en vue d’une exploitation économique du domaine public.
Cette disposition désormais bien connue provient de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017, relative à la propriété des personnes publiques N° Lexbase : L8339LD9, qui elle-même transpose la Directive n° 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4.
L’ordonnance n’a toutefois créé ni adapté aucune voie de droit particulière qui permettrait à un candidat évincé d’une procédure de sélection de contester efficacement en justice la décision d’attribution du titre d’occupation. Il faut donc s’en remettre au droit commun, comme l’a d’ailleurs confirmé une réponse ministérielle du 1er juillet 2021 [1] : « Le législateur n'a pas institué de procédure contentieuse spécifique pour permettre de contester et de sanctionner le non-respect de ces prescriptions. Ainsi, ce sont les règles du droit commun, essentiellement définies par la jurisprudence administrative, qui doivent trouver à s'appliquer dans ces situations. »
Quelles sont ces procédures ? La réponse à cette question dépend avant tout de la nature du titre accordé : soit conventionnel (I), soit unilatéral (II). Les textes n’imposent en effet aucune forme pour les titres d’occupation, sauf cas particulier (cf. par exemple l’article L. 46 du Code des postes et des communications électroniques N° Lexbase : L0113IRM, qui impose la forme de la convention pour l’occupation du domaine public non routier par les exploitants de réseaux de communication électronique).
Le cas particulier du refus de renouvellement d’un titre, notamment parce que le gestionnaire est dans l’obligation de mettre en œuvre une procédure de sélection préalable, méritera également d’être évoqué (III).
I. Les recours en cas de convention d’occupation
1. Recours au fond : On s’en souvient, les décisions « Tropic Travaux Signalisation » en 2007 [2], puis « Tarn-et-Garonne » en 2014 [3], ont ouvert la possibilité d’un recours de plein contentieux en contestation de la validité du contrat, pour tous les tiers lésés, dans un délai de deux mois à compter de la publicité de la signature du contrat. Dans le même temps, la voie du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables en invoquant des vices du contrat a été fermée.
Ce recours de plein contentieux permet, selon la gravité des manquements, d’obtenir l’annulation ou la résiliation du contrat, ou éventuellement une condamnation de l’administration à prendre des mesures de régularisation. Il permet également à un candidat évincé d’obtenir l’indemnisation du préjudice subi du fait des illégalités commises. Mais encore faudra-t-il pour ce dernier prouver qu’il avait des chances de se voir attribuer le titre d’occupation et prouver la nature et le quantum de ses préjudices (frais de préparation de l’offre, surcoût de loyer par rapport à la redevance d’occupation qu’il aurait versé en application de la convention, etc.)
La possibilité d’engager un recours « Tarn-et-Garonne » pour les candidats évincés à une procédure de sélection d’un occupant du domaine public a été confirmée par le Conseil d’État dans sa décision « École centrale de Lyon » du 2 décembre 2015 [4], avant même qu’une telle procédure devienne obligatoire.
Néanmoins, il faut souligner que les requérants sont strictement limités dans les moyens qu’ils peuvent invoquer à l’encontre du contrat. Ces derniers sont en effet limités « aux vices en rapports directs avec intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office ».
Cette exigence stricte de rapport direct avec les intérêts lésés a été explicitée par la suite pour ce qui concerne le cas particulier du candidat évincé, le Conseil d’État indiquant que celui-ci ne peut « utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction » [5].
Or, si la voie est relativement bien tracée en matière de marchés publics ou concessions passés selon une procédure formalisée, elle ne l’est quasiment pas en matière de procédure de sélection d’un occupant du domaine public. La seule obligation légale du gestionnaire du domaine public est en effet d’organiser « librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d'impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester » (CGPPP, art. L. 2122-1-1). La loi n’impose rien de plus, s’agissant par exemple du choix et de la publicité et des modalités d’application des critères de sélection, des délais de la procédure ou encore des obligations d’information des candidats évincés (étant précisé que compte tenu de l’obligation de motiver une décision de refus d’accorder un titre d’occupation du domaine public [6], il nous semble que les candidats évincés doivent être informés des raisons du rejet de leurs offres).
Ainsi, la contestation de la régularité de la procédure n’est pas chose aisée. La difficulté à trouver dans la jurisprudence accessible aux praticiens du droit des exemples dans lesquels un juge aurait constaté un manquement du gestionnaire du domaine public est d’ailleurs très révélatrice.
Au total, la contestation en justice par un candidat évincé d’une convention d’occupation du domaine public est selon nous à réserver aux cas les plus flagrants d’atteinte par le gestionnaire aux principes d’impartialité et de transparence.
De plus, s’agissant d’une procédure au fond, les délais de jugement restent la plupart du temps dissuasif.
2. Recours en référé : pour contourner l’inconvénient de la durée d’une procédure au fond, le concurrent évincé peut toujours tenter d’agir en référé.
Néanmoins, le référé précontractuel et le référé contractuel ne sont ouverts que contre les procédures de passation de contrats relevant du champ de la commande publique (les marchés publics, les concessions, etc.) et contre les procédures de sélection des actionnaires des sociétés d’économie mixte à opération unique (SEMOP) [7].
La seule possibilité pour un concurrent évincé reste donc la voie du référé-suspension, prévu par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3057ALS (nous excluons d’emblée l’hypothèse du référé-liberté dès lors qu’il a déjà été jugé que « la décision délivrer ou non une autorisation d’occupation du domaine, que l’autorité n’est jamais tenue d’accorder, n’est pas susceptible, par elle-même, de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie » [8]).
Mais la difficulté majeure du référé suspension est que le requérant doit justifier d’une urgence à agir (outre l’existence d’un moyen propre à créer en l’état de l’instruction un doute quant à la légalité de la décision), laquelle est appréciée de façon très restrictive par le juge. En effet, celui-ci exige de façon de façon habituelle que soit fournie la preuve d’une atteinte « suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ». Concrètement, cette urgence n’est admise que lorsque la situation litigieuse crée un risque majeur et quasi certain pour la pérennité de l’activité du requérant, ou pour sa situation personnelle (risque de faillite, perte totale de revenu sans possibilité de substitution, etc) [9].
Là encore, cette voie contentieuse ne permet que très rarement aux concurrents évincés d’aboutir.
II. Les recours en cas d’autorisation d’occupation unilatérale
Il s’agit donc d’une hypothèse bien plus rare, puisque dans l’immense majorité des cas, les titres d’occupation du domaine public prennent la forme d’une convention d’occupation temporaire.
Dès lors que le titre d’occupation prend la forme d’un acte unilatéral, celui-ci peut, de façon très classique, être contestée par la voie du recours pour l’excès de pouvoir [10].
Dans un tel cas, et contrairement au recours « Tarn-et-Garonne » qui peut être intenté à l’encontre d’une convention, le candidat évincé ne sera pas limité dans les moyens qu’il pourra soulever à l’encontre de l’acte (pour cette raison, un gestionnaire de domaine public aura donc tout intérêt à privilégier la voie contractuelle plutôt que la voie unilatérale).
La situation des candidats serait donc très différente et plus favorable que dans le cadre classique d’une convention d’occupation, alors même que rien ne justifie cette différence de traitement.
Naturellement, en complément du recours pour excès de pouvoir, le candidat évincé serait tout à fait recevable à former un référé suspension (CJA, art. L. 521-1). Mais là encore, cette voie de droit reste extrêmement étroite, voire théorique, en raison de la condition de l’urgence appréciée de façon restrictive par le juge.
III. Cas particulier de la décision de non-renouvellement d’un occupant en place
Pour finir, il est intéressant de mentionner le cas un peu particulier de l’occupant bénéficiant d’un titre d’occupation renouvelable (titre souvent accordé avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er juillet 2017) et qui se voit refuser par l’administration le bénéfice de ce renouvellement (la plupart du temps, en raison précisément de l’obligation de mise en concurrence prévue par ladite ordonnance).
Le Conseil d’État a rendu un arrêt intéressant le 13 juillet 2022, dans lequel il a confirmé que l’occupant n’est pas recevable à former un recours en reprise des relations contractuelles, comme il aurait pu le faire contre une décision de résiliation. En effet, les décisions de non renouvellement « n'ont ni pour objet, ni pour effet de mettre unilatéralement un terme à une convention en cours ». Elles ne peuvent donc être assimilée à des décisions de résiliation [11].
Dans une telle hypothèse, « l’occupant évincé » ne peut donc, le cas échéant, que réclamer l’indemnisation du préjudice subi du fait de la décision litigieuse.
[1] QE n° 17175 de M. Jean Louis Masson, JO Sénat, 9 juillet 2020, p. 3141, réponse publ. 1er juillet 2021 p. 4079, 15ème législature N° Lexbase : L8280MAW.
[2] CE, ass., 16 juillet 2007, n° 291545 N° Lexbase : A4715DXW.
[3] CE, ass., 14 avril 2014, n° 358994 N° Lexbase : A6449MIP.
[4] CE, 2 décembre 2015, n° 386979 N° Lexbase : A6192NYY : « Considérant que tout tiers à une convention d'occupation du domaine public conclue sur le fondement de ces dispositions, susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses, est recevable à former, devant le juge du contrat, un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que la légalité du choix du cocontractant ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un tel recours, exercé dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, et qui peut éventuellement être assorti d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat ».
[5] CE, 5 février 2016, n° 383149 N° Lexbase : A5051PKB. Pour une application récente à une procédure de l’article L. 2122-1-1 du CGPPP : CAA, 13 juillet 2022, n° 20BX01591 N° Lexbase : A36968BI.
[6] CE, 23 mai 2012, n° 348909 N° Lexbase : A0935IML.
[7] CJA, art. L. 551-1 N° Lexbase : L3270KG9 et L. 551-13 N° Lexbase : L1581IEB ; CE, 3 décembre 2014, n° 384170 N° Lexbase : A9087M4C ; CE, 14 février 2017, n° 405157 N° Lexbase : A5671TND.
[8] CE, 23 mai 2012, n° 348909 N° Lexbase : A0935IML.
[9] Cf. pour une illustration récente en matière de recours contre une convention d’occupation du domaine public : TA Montpellier, ord., 18 août 2022, n° 2203814 N° Lexbase : A71508EK : rejet du référé suspension pour défaut d’urgence dès lors que l’occupant (camion pizza) : continuait à exercer son activité (sans titre), ne prouvait pas de façon objective la perte de revenu personnel et ne prouvait avoir vainement tenté de rechercher d’autres emplacements pour l’exercice de son activité ni s’être heurté à des refus d’autorisation.
[10] Ibid.
[11] CE, 13 juillet 2022, n° 458488 N° Lexbase : A22198BS.
[8] CE, 23 mai 2012, n° 348909 N° Lexbase : A0935IML.
[9] Cf. pour une illustration récente en matière de recours contre une convention d’occupation du domaine public : TA Montpellier, ord., 18 août 2022, n° 2203814 N° Lexbase : A71508EK : rejet du référé suspension pour défaut d’urgence dès lors que l’occupant (camion pizza) : continuait à exercer son activité (sans titre), ne prouvait pas de façon objective la perte de revenu personnel et ne prouvait avoir vainement tenté de rechercher d’autres emplacements pour l’exercice de son activité ni s’être heurté à des refus d’autorisation.
[10] Ibid.
[11] CE, 13 juillet 2022, n° 458488 N° Lexbase : A22198BS.
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