La lettre juridique n°937 du 9 mars 2023 : Sociétés

[Jurisprudence] Droit spécial du pacte d’associés : sa durée peut être alignée sur celle de la société

Réf. : Cass. civ. 1, 25 janvier 2023, n° 19-25.478, FS-B N° Lexbase : A06569AK

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N4546BZE

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par Bruno Dondero, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, CMS Francis Lefebvre

le 09 Mars 2023

Mots-clés : pacte d'associés • durée de vie de la société • prohibition des engagements perpétuels • résolution unilatérale

Il résulte de la combinaison de l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article 1838 du même code que la prohibition des engagements perpétuels n'interdit pas de conclure un pacte d'associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.


L’arrêt rendu le 25 janvier 2023 par la première chambre civile de la Cour de cassation, dont on va voir l’apport très appréciable pour la pratique, comporte un petit piège pour le lecteur, car il est en réalité rendu en partie par… la Chambre commerciale, et pour la partie indiscutablement la plus marquante qui plus est. Ce n’est pas simplement d’une solution qui serait rendue par une chambre civile après avis de la formation commerciale que l’on parle, mais bien d’un arrêt faisant intervenir successivement les deux formations, chacune rédigeant une partie de la décision.

Les pactes d’associés sont de longue date devenus un instrument courant de la vie des affaires. Les praticiens complètent les statuts des sociétés – aussi bien ceux des sociétés de capitaux que des sociétés de personnes – par des accords contractuels qui précisent ou infléchissent le jeu des règles légales ou des clauses statutaires et ce, avec des objectifs variés : prendre le pouvoir, le conserver ou le partager, s’assurer de la composition de l’actionnariat, garantir une liquidité des investissements faits, etc. Ces pactes sont très fréquents dans les joint-ventures et ils le sont également dans les sociétés familiales, hypothèse qui correspondait à l’espèce.

Un pacte avait été conclu le 30 janvier 2010 entre un père, M. [I] [F], et ses cinq enfants, ainsi qu’avec une société HC. Ces six personnes physiques et cette personne morale étaient les associés d’une SAS Socri promotions. Le pacte prévoyait « ce qui devra être mis en œuvre lorsque M. [I] [F] ne sera plus associé du groupe Socri afin que le groupe reste au sein de la famille, ainsi que des dispositions devant immédiatement régir la vie de la société et les actes des associés ». On apprend un peu plus loin que ce pacte comportait quinze articles, traitant « notamment de la stratégie d'entreprise, de la responsabilité des descendants, de la rémunération des mandats sociaux, de la prise de décisions collectives, de l'embauche de certains collaborateurs, du fonctionnement des holdings familiales, de la cession des actions entre descendants, des droits sociaux dérivés, de la politique de distribution des dividendes, des engagements de non-concurrence, des droits de préférence, de l'arbitrage et de la médiation en cas de mésentente entre descendants ».

Cet agencement était destiné à assurer la stabilité de l’entreprise familiale, mais contre toute attente, ce n’était pas un enfant rebelle qui entendait jeter à bas l’ordre établi, mais le père et la société associée qui notifiaient à l’un des cinq enfants signataires du pacte, par lettre du 23 février 2017, la résolution unilatérale du pacte. Cette résolution appelle deux observations. (1) Il aurait été plus pertinent de parler de résiliation, dès lors qu’il n’était vraisemblablement pas question de provoquer des restitutions ; (2) on ne sait pourquoi un seul des enfants était destinataire de cette notification, mais il est possible qu’un système de représentation avait été mis en place. Le destinataire de la lettre contestait en justice la résiliation, dont il estimait qu’elle avait été mise en œuvre de manière abusive et qu'elle était irrégulière et inefficace. L’une de ses sœurs, de son côté, procédait également à la résiliation unilatérale du pacte.

La cour d’appel [1] saisie du litige était appelée à trancher deux questions, l’une relative à l’étendue d’une nullité, l’autre à la durée du pacte.

On ne fera que mentionner la première question, qui naissait de la prétention, émise par les parties du pacte qui souhaitaient sa résiliation, de voir le juge prononcer la nullité de cet accord en son entier, motif tiré d’une violation de l’article 722 du Code civil N° Lexbase : L3330ABX, texte encadrant la validité des pactes sur succession future. Tout en relevant qu’une clause du pacte, relative aux modalités de remboursement du compte courant du père lors de l'ouverture de sa succession, énonçait une disposition relative à un bien futur de la succession de l’associé concerné, elle avait refusé d’en déduire la nullité du pacte tout entier, dans la mesure où cet accord ne portait pas, en ses autres stipulations, sur les biens meubles ou immeubles de la succession, mais visait à définir la stratégie de gestion qu’il conviendrait d’adopter par les enfants lorsque leur père se serait retiré des affaires ou serait décédé, afin de pérenniser le groupe familial et de préserver leurs intérêts.

La Cour de cassation énonce une règle qui est une reformulation de l’actuel article 1184, alinéa 1er, du Code civil N° Lexbase : L0894KZ7, lorsqu’elle juge que « lorsque la nullité en résultant » (ce qui doit faire référence à la violation de l’article 722 du Code civil) « n'affecte qu'une ou plusieurs clauses de l'acte, elle n'emporte sa nullité en son entier que si cette ou ces clauses en constituent une condition essentielle et déterminante ». Parce que la cour d’appel a vu que les quatorze autres articles du pacte traitaient de toute une série de questions relatives au fonctionnement de l’entreprise et aux relations entre les associés descendants et qu’elle a estimé que, « dans ce contexte », la clause litigieuse « n'avait été conçu[e] que comme une des mesures de gestion de la société au décès de M. [I] [F] », elle a fait ressortir que cette clause « n'était pas un élément essentiel du pacte d'actionnaires, déterminant de l'engagement des parties » et elle « n'a pu qu'en déduire que la demande de nullité du pacte en son entier devait être rejetée ».

L’arrêt est d’un apport bien plus considérable sur la seconde question, qui est celle de la durée du pacte [2]. Pour mettre immédiatement fin au suspense, indiquons que la Cour juge qu’il résulte de la combinaison de l'article 1134, alinéa 1er du Code civil (selon lequel les conventions sont la loi des parties N° Lexbase : L1234ABC), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 N° Lexbase : L4857KYK, et de l'article 1838 de ce même code (N° Lexbase : L2009ABZ sur la durée de vie des sociétés, plafonnée à 99 ans) que « la prohibition des engagements perpétuels n'interdit pas de conclure un pacte d'associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement ».

Revenons sur la difficulté à articuler les statuts et le pacte, s’agissant de leurs durées respectives (I), avant d’évoquer l’harmonie que la décision commentée permet de retrouver entre ces normes (II).

I. La difficulté à articuler les statuts et le pacte

A. Des textes de portée générale

Il est difficilement contestable que le pacte conclu entre les associés ou les actionnaires d’une société a pour cause la participation de ces derniers à la société, peu important que la notion de cause ait disparu du Code civil aujourd’hui. En clair, ce n’est que parce qu’ils ont la qualité d’associé ou sont intéressés à un titre ou à un autre au fonctionnement de la société que les signataires du pacte concluent cet accord. Or, la société est régie par ses statuts, qui doivent prévoir un terme, c’est-à-dire une durée de vie de la société. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire sur cette « vie » des personnes morales, mentionnée occasionnellement par la Cour de cassation [3].

Observation troublante : cette vie de la personne morale peut durer… par-delà la mort, pardon, par-delà la dissolution qui accompagne l’expiration du terme statutaire, puisque l’on sait que la personnalité morale se maintient pendant la période de liquidation pour les besoins de celle-ci (C. civ., art. 1844-8, al. 3 N° Lexbase : L2028ABQ). Parce que la société a une durée statutaire qui peut approcher le siècle (il semble que le maximum autorisé soit 99 ans, soit généralement retenu), se pose la question de la durée du pacte.

La difficulté vient du fait que le pacte n’est qu’un contrat. C’est certes parce qu’il a cette nature et qu’il bénéficie de la souplesse et de la liberté du contrat qu’on a recours au pacte, qui permet d’ajouter un niveau normatif au fonctionnement rigide et exposé à tous les regards de l’organisation légale et statutaire des sociétés. Mais en tant que contrat de droit commun, le pacte se heurte précisément aux limites qui pèsent sur tous les contrats : si leur durée est déterminée, encore faut-il qu’elle ne soit pas perpétuelle. L’article 1210 du Code civil N° Lexbase : L0928KZE dispose, en sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que « les engagements perpétuels sont prohibés ». Antérieurement à l’adoption de ce texte, la jurisprudence retenait une prohibition identique et jugeait que le contrat dont la durée était trop longue était assimilé à un engagement perpétuel [4].

On a vanté la liberté que permettaient les pactes, qui échappent à une réglementation particulière. Observons cependant que si elle avait existé, une telle réglementation aurait pu permettre, à l’instar de ce que fait l’article 1838 du Code civil pour le contrat de société, de sécuriser cette question de durée. En l’absence de règles spécifiques, le pacte est soumis à la prohibition précitée des engagements perpétuels dont l’article 1210 du Code civil précise aujourd'hui la sanction : « Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée ». Cette application du régime du contrat à durée indéterminée, tel qu'il résulte de l’article 1211 du Code civil N° Lexbase : L0927KZD, se traduit par la nécessité de « respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ».

B. Une jurisprudence difficilement lisible

La jurisprudence a abordé par plusieurs décisions remarquées la question de la durée des pactes, et la situation des praticiens ne s’en trouvait pas véritablement stabilisée.

Est souvent citée une décision rendue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 10 mars 1981, non publiée au Bulletin et par ailleurs inaccessible sur le site Légifrance à l’heure où nous écrivons [5]. Cet arrêt ne mentionne pas un pacte d’associés en tant que tel mais un pacte de préférence ; la réponse faite pour ce dernier accord pourrait toutefois être exploitée pour traiter la question des pactes d’associés, dès lors que le pacte de préférence en est souvent un élément.

Était donc en cause un pacte de préférence conclu en 1938 et portant sur les parts sociales d’une SARL dont la durée s’achevait en 1953… si ce n’est que cette société avait vu sa durée de vie prorogée et que se posait alors la question de la durée du pacte de préférence. Au regard de la question de la durée des engagements entre associés, on retiendra surtout que le demandeur au pourvoi plaidait que « la cour d’appel ne pouvait décider que la durée du pacte de préférence était égale à celle de la société, telle qu’elle était prévue à l’origine, sans tenir compte du fait que cette durée avait été prorogée », et que le pourvoi est rejeté, motif tiré de ce que les juges du fond avaient « retenu que la promesse de X ne l’engageait que jusqu’au 1er janvier 1953, date de l’expiration du pacte social ». On pouvait donc déduire de cette décision que la Cour de cassation n’était pas opposée à ce que la durée du pacte soit calquée sur celle de la société.

Après une longue période au cours de laquelle la durée des pactes ne semblait pas être un véritable sujet de préoccupation, intervenait un arrêt non publié au Bulletin, comme le précédent, mais pour le coup très commenté [6]. Cet arrêt inquiétait beaucoup les praticiens, car, outre le fait qu’il était en partie difficilement intelligible, il approuvait la cour d’appel d’avoir jugé qu’un pacte n’était affecté d’aucun terme, alors que celui-ci stipulait qu’il était appelé à s’appliquer aussi longtemps que les parties demeureraient ensemble actionnaires.

La Cour de cassation revenait sur la question dix ans plus tard, par un arrêt échappant encore au Bulletin [7] et dont on ne pouvait déduire qu’elle souhaitait s’éloigner de la position exprimée en 2007.

Plus près de nous, un arrêt publié au Bulletin venait préciser la sanction encourue par le pacte reconnu comme étant perpétuel [8]. La décision ne portait pas sur la qualification d’engagement perpétuel, mais sur la sanction du vice de perpétuité. On notera cependant que la Chambre commerciale ne formulait pas de réserve particulière telle que « en admettant qu’un pacte d’une telle durée puisse être vu comme un engagement perpétuel… ». En l’occurrence, il s’agissait d’un pacte conclu par une personne physique pour une durée de 75 ans.

C. La situation délicate des praticiens

Cette construction jurisprudentielle plaçait les praticiens dans une situation particulièrement délicate à l’heure de faire conclure un pacte aux associés d’une société lorsque la durée de vie du groupement était de 99 ans, comme c’est souvent le cas.

Si les rédacteurs du pacte lui donnaient la même durée de vie que la société, ils s’exposaient à ce que l’engagement soit vu comme perpétuel car trop long [9]. Mais s’ils choisissaient de se référer à la durée de détention des parts sociales ou des actions par les signataires du pacte, le risque était que l’on puisse considérer que la clause en question ne constituait pas un terme.

Les parties disposaient cependant d’une solution de repli, consistant à doter le pacte d’une durée déterminée qui ne soit pas trop longue : cinq ans, dix ans, quinze ans, etc. Avant la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les auteurs accordaient leur préférence aux pactes assortis d’une durée déterminée, compte tenu des risques issus de la jurisprudence que l’on a précédemment évoquée. Ils l’accordent plus encore dans le nouveau contexte : « aujourd’hui, les parties auront, plus que jamais, intérêt à jouer ici la carte de la clarté et à fixer d’emblée une durée au pacte » écrit un éminent auteur [10].

Si ce choix permet de se mettre à l’abri de la qualification du pacte en contrat à durée indéterminée, il comporte l’inconvénient d’imposer d’assurer le suivi post-pacte. S’il est assuré qu’aucun signataire ne peut se délier du pacte pendant la période convenue, encore faut-il prévoir ce que sera la situation des parties une fois cette période expirée. Le pacte sera-t-il prorogé ou renouvelé automatiquement sauf opposition d'une partie ? Mais il faut alors prévoir les conséquences d'une telle opposition.

II. L’harmonie retrouvée des statuts et du pacte

A. L’affirmation d’une solution claire

La cour d’appel saisie du litige avait jugé que la double résiliation du pacte qui était intervenue en l’espèce était régulière et elle avait rejeté les demandes d’indemnisation formées, motif tiré de la durée excessive du pacte, qui « confisqu[ait] toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés » et par conséquent « ouvr[ait] aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment ».

Il est vrai que le pacte en cause ne se contentait pas de calquer sa durée sur celle de la société, c’est-à-dire d’être en vigueur « pour le temps restant à courir jusqu'à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés ». Il était également prévu qu'au terme de cette première période, le pacte serait automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée. Une porte de sortie était tout de même prévue, puisqu’il était stipulé qu'à l'occasion de chaque renouvellement, toute partie pourrait « dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six mois à l'avance aux autres parties ».

Un élément supplémentaire avait cependant, semble-t-il, fini de convaincre la cour d’appel du caractère perpétuel de la convention conclue entre associés, et cet élément tenait à l’application du pacte aux ayants droit des parties. Précisément, il était prévu par le pacte qu’il lierait et bénéficierait « aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales, ainsi que leurs représentants légaux », ce qui, en tenant compte d’une durée de vie de la société se terminant le 24 janvier 2068, imposait aux descendants du père de rester dans les liens du pacte jusqu’ « à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte ».

Ces différentes réticences sont cependant balayées par la Cour de cassation, qui juge ainsi qu’on l’a dit que la combinaison de l’ancien article 1134, alinéa 1er du Code civil et de l'article 1838 du même code conduit à affirmer qu’un pacte d’associés peut être conclu pour la durée de vie de la société, en dépit de la prohibition des engagements perpétuels. Parce que la Cour de cassation précise que « les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement », on comprend que le pacte en question, en dépit de sa longue durée, demeure un contrat à durée déterminée.

La solution sera accueillie avec soulagement par la pratique, dont on a vu qu’elle était confrontée à des choix peu satisfaisants : soit accepter de mettre en place des pactes de durée trop brève et sans l’assurance qu’ils soient renouvelés ou prorogés, soit prendre le risque d’une contestation de la qualification de contrat à durée déterminée de la convention unissant les associés.

B. Un élément du droit spécial du pacte

Ainsi que le synthétise très clairement un auteur, « le pacte, à la différence d’un contrat “classique”, peut donc engager ses signataires pendant 99 ans sans pouvoir être résilié unilatéralement », ce qui constituerait un « traitement de faveur » [11]. À la différence de ce qu’avait jugé la cour d’appel de Paris [12], la Cour de cassation ne réserve pas sa solution aux seuls signataires personnes morales. C’est donc un élément du droit spécial du contrat de pacte d’associés qui nous est donné par la Cour de cassation, et non des moindres puisque le pacte se trouve doté d’un équivalent à l’article 1838 du Code civil, d’origine jurisprudentielle.

La justification de la solution retenue nous semble être la finalité commune (la cause commune) aux statuts et au pacte : organiser le fonctionnement de la société et les relations entre ses associés. C’est cette identité de but qui justifie que la durée des statuts et celle du pacte puissent être rendues identiques par les parties, alors même que le législateur n’a pas prévu d’équivalent à l’article 1838 du Code civil pour les pactes. D’autres justifications proches permettraient d’aboutir à la même solution. Par exemple, il est tentant de mettre en relation la solution retenue par la Cour de cassation le 25 janvier 2023 (la durée du pacte peut être calquée sur celle des statuts) avec celle formulée à propos de la SAS le 12 octobre 2022 [13] (les statuts peuvent être complétés par des actes extrastatutaires). Au-delà de la satisfaction que l’on éprouve à trouver une cohérence à des décisions éparses, il y a bien l’idée que le pacte vient compléter les statuts. La notion d’accessoire ou celle d’ensemble contractuel pourraient aussi bien expliquer la solution formulée par l’arrêt commenté.

Indiquons incidemment qu’il ne nous semble pas gênant que le pacte ait la même durée que les statuts, alors qu’il pourrait contenir des mécanismes plus rigoureux que ces derniers ou que le pacte ne pourrait être modifié qu’à l’unanimité [14]. S’agissant des clauses rigoureuses que l’on prétendrait trouver dans les seuls pactes, elles peuvent en règle générale être tout autant insérées dans les statuts. Quant à la modification du pacte à la majorité, elle nous apparaît pleinement possible pour peu qu’elle ait été acceptée par les signataires du pacte.

D’éminents auteurs écrivent certes que cette thèse « se heurte toutefois à de fortes objections et ne semble guère retenir les faveurs de la doctrine » [15]. On retrouve il est vrai ici l’idée qu'une telle décision de modification à la majorité, acceptée par avance par tous les signataires, serait dépourvue d’objet [16]. Il est cependant étonnant que les auteurs qui invoquent cet argument ne soient pas gênés par l’application de la règle majoritaire dans les sociétés. Peut-être est-ce le fondement légal dont se prévaut souvent l’application de la règle majoritaire dans les sociétés qui dispense de cette interrogation ? Il ne nous semble cependant pas que la situation soit très différente entre une SAS dans laquelle un principe de liberté d’organisation des décisions entre associés est reconnu par l’article L. 227-9 du Code de commerce N° Lexbase : L2484IBM et les organisations contractuelles où cette liberté est fondée sur le principe de liberté contractuelle aujourd’hui reconnu par l’article 1102 du Code civil N° Lexbase : L0823KZI.

En conclusion, il est très utile que la Cour de cassation ait choisi de donner une règle claire aux parties quant à la durée des pactes et il est heureux que la règle en question soit celle-là. L’autorité avec laquelle la solution est formulée permet aussi d’affirmer que l’on tient, avec l’arrêt de la « première Chambre civilo-commerciale » (!) du 25 janvier 2023 un élément, et non des moindres, du droit spécial du pacte d’associés.


[1] CA Aix-en-Provence, 17 octobre 2019, n° 18/15518 N° Lexbase : A4730ZRM.

[2] Sur cette question, v. déjà J.-M. Desaché, La durée des pactes d’associés, Actes pratiques et ingénierie sociétaire, mai-juin 2020, n° 171, p. 30.

[3] V. Cass. com., 25 janvier 2023, n° 21-17.592, F-B N° Lexbase : A06419AY, JCP E, 2023, note à paraître B. Dondero, évoquant la persistance de l’obligation de déposer au RCS les actes, délibérations ou décisions modifiant les pièces déposées lors de la « constitution d’une personne morale » (sic), qui « perdure pendant toute la vie de la personne morale ».

[4] V. par ex. Cass. civ. 1, 18 janvier 2000, n° 98-10.378 N° Lexbase : A5405AW4.

[5] Cass. com., 10 mars 1981, Bull. Joly Sociétés, 1981, p. 449.

[6] Cass. com., 6 novembre 2007, n° 07-10.620, FS-D N° Lexbase : A4290DZW, Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 125, note X. Vamparys ; D., 2008, jur., p. 1024, note B. Dondero ; Rev. sociétés, 2008, p. 429, note J. Moury ; RTD civ., 2008, p. 104, obs. B. Fages ; Dr. sociétés, 2008, comm. 10, note H. Hovasse ; RTDF, 2008, p. 61, note J.-F. Louit ; JCP E, 2008, 1829, note A. Constantin et 1280, §5, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker, rejetant un pourvoi en cassation formé contre CA Paris, 3-B, 15 décembre 2006, n° 05/16389 N° Lexbase : A0427DUD,  Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 479, note F.-X. Lucas.

[7] Cass. com., 20 décembre 2017, n° 16-22.099, F-D N° Lexbase : A0543W9Y, Bull. Joly Sociétés, 2018, p. 154, note J.-M. Moulin ; RTD com., 2018, p. 145, obs. J. Moury ; JCP E, 2018, 1143, note A. Couret et B. Dondero.

[8] Cass. com., 21 septembre 2022, n° 20-16.994, F-B N° Lexbase : A25278KS ; Dr. sociétés, 2023, comm. n° 1-2, note R. Mortier ; Rev. Sociétés, 2023, p. 23, note G. Pillet ; Bull. Joly Sociétés, janvier 2023, p. 20, note Th. Massart ; Gaz. Pal., novembre 2022, p. 20, note M. Cormier ; Gaz. Pal., janvier 2023, p. 4, obs. D. Houtcieff ; JCP G, 2022, 1292, note S. Schiller ; JCP E, 2023, note B. Dondero.

[9] V. sur l’appréciation de la perpétuité, V. Poux, Quel(s) seuil(s) pour la perpétuité en droit des contrats ?, RLDC, 2021, n° 193, p. 10.

[10] J. Mestre, Les pactes d’actionnaires au lendemain de l’entrée en vigueur du nouveau droit commun des contrats, in Mélanges en l’honneur de J.-J. Daigre, Ed. Joly, 2017, p. 219.

[11] V. Cl. Barrillon, D., 2023, p. 370, note sous l’arrêt commenté.

[12] V. CA Paris, 5-16, 15 décembre 2020, n° 20/00220 N° Lexbase : A7916393, Rev. sociétés, 2021, p. 305, note J. Heinich ; Dr. Sociétés, 2021, comm. 46, note R. Mortier ; rapp. à propos d’une convention de croupier : CA Paris, 5-9, 28 janvier 2021, n° 20/01252 N° Lexbase : A96369BI, RJDA, juillet 2021, n° 450 et 475, jugeant qu’ « un terme trop lointain (99 ans), au regard de la durée moyenne de la vie professionnelle, ne peut être considéré comme une durée déterminée. Par suite, il y a lieu de considérer que la convention de croupier a été conclue entre les parties pour une durée indéterminée, et qu'elle pouvait donc faire l'objet d'une résiliation unilatérale à tout moment, à condition de respecter un délai de préavis raisonnable… ».

[13] Cass. com., 12 octobre 2022, n° 21-15.382, F-B N° Lexbase : A55138NI, D., 2022, p. 2086, note J.-B. Barbièri ; Bull. Joly Sociétés, décembre 2022, p. 13, note P.-L. Périn ; Rev. Sociétés, 2023, p. 92, note A. Reygrobellet ; Dr. Sociétés, 2022, comm. n° 134, note J.-F. Hamelin ; JCP G, 2022, 1364, note D. Gibirila ; JCP E, 2022, 1371, note B. Dondero ; Th. Favario, Révocation du directeur général d'une SAS : les statuts, tous les statuts... rien que les statuts ?, Lexbase Affaires, octobre 2022, n° 733 N° Lexbase : N3069BZP.

[14] V. en ce sens C. Barrillon, préc.

[15] A. Couret et Th. Jacomet, Les pièges des pactes d’actionnaires : questions récurrentes et interrogations à partir de la jurisprudence récente, RJDA, 2008, p. 951, sp. p. 953.

[16] A. Tadros, Quelques observations sur la conclusion, la modification et l’exécution des pactes d’associés, D., 2019, p. 1351, sp. n° 21 : « Faute de dispositions spécialement applicables au pacte d'associés, les modifications ultérieures à sa naissance ne peuvent résulter d'une décision prise à la majorité. Le pacte d'associés n'est pas une société, ni une convention d'indivision. Ainsi, le consentement donné “en blanc” pour toute modification ultérieure n'a, juridiquement, guère de sens. Une décision de modification du pacte prise à la majorité est, dans ces conditions, annulable pour défaut d'objet – de contenu certain – même si tous les signataires ont donné leur accord initialement pour réaliser les modifications de cette manière ».

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