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par Hélène Duffuler-Vialle, Maîtresse de conférences en histoire du droit, membre du Centre Droit, Éthique et Procédures (CDEP, EA 2471), membre associée du Centre d’Histoire Judiciaire (CHJ, UMR 8025), coordinatrice du projet ANR HLJPGenre*
le 08 Mars 2023
Mots-clés : femme • avocate • féminisation • genre • loi du 1er décembre 1900 • Jeanne Chauvin • virilité
L'étude de la féminisation du métier d’avocat révèle des logiques qui se retrouvent dans le processus de féminisation de l’ensemble des secteurs traditionnellement réservés aux hommes, mais qui présentent aussi des spécificités liées aux métiers juridiques, et en particulier à la représentation de la fonction d’avocat, en tant qu’« office viril ». Plus largement ce processus s’inscrit dans une histoire globale de l’évolution des droits des femmes. À la fin du XIXe siècle, quelques femmes, des pionnières féministes, lèvent progressivement les différents obstacles qui les séparent du barreau, pour autant les portes du Palais leur sont fermées par une décision emblématique de la cour d’appel de Paris du 30 novembre 1897. Les débats parlementaires sont houleux sur le sujet. Que ce soit dans le camp des opposants ou des défenseurs, se dessine la figure de « la femme », dans une altérité réifiée, dont les répercussions se retrouvent encore aujourd’hui tant dans les représentations des femmes avocates elles-mêmes que dans les rôles sociaux et professionnels auxquels elles restent cantonnées. Une loi sexospécifique, c’est-à-dire qui vise directement les femmes identifiées comme telles, sera votée le 1er décembre 1900, pour leur permettre l’accès à la profession d’avocate avec un régime différencié de celui des hommes avocats. Malgré cette loi, jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres, la présence des femmes dans les barreaux reste très marginale, ce qui oblige les quelques pionnières à adopter des stratégies particulières dans un milieu masculin globalement hostile.
L’homme de loi n’était certainement pas une femme au XIXe siècle. C’est d’une évidence telle que lorsque la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) [1] réinstaure officiellement le métier d’avocat [2], le sujet n’est même pas évoqué. Et pourtant, dès la Révolution, des voix dissidentes réclament l’égalité des sexes en matière de droits politiques et professionnels. Pour ne citer que la plus célèbre, Olympe de Gouges propose d’être la défenseuse officieuse [3] – car le titre d’avocat, le costume et l’Ordre ont été supprimés sous la Révolution – de Louis XVI [4]. Paradoxe macabre : si Olympe de Gouges n’est pas montée à la tribune [5] pour défendre Louis Capet, elle monte sur l’échafaud notamment pour l’avoir proposé.
Peu de travaux ont été consacrés en histoire du droit à l’accès des femmes à la profession d’avocates : dans sa thèse soutenue en 1995 sur La profession d’avocat et son image dans l’entre-deux-guerres, Catherine Fillon réserve vingt pages à ce thème, elle présente trois figures de « la femme avocate » : « la mère oblative », l’« Eve-tentatrice » ou l’« Amazone intrépide ». Pour ce faire, l’historienne du droit étudie les discours de rentrée solennelle des juridictions, les publications de l’Ordre des avocats, ainsi que les caricatures, les pièces de théâtre, les cartes postales, les romans mettant en scène des avocates et enfin une enquête de 1930 réalisée par un avocat, Maître Corcos, recueillant des témoignages sur la perception de « la femme avocate » [6]. Annie Deperchin, spécialiste de la Première Guerre mondiale, a également déjà consacré quelques développements à ce sujet, dans un chapitre sur la justice pendant la Première Guerre mondiale, dans l’ouvrage de référence sur l’Histoire de la Justice dirigé par Jean-Pierre Royer [7]. Elle présente, dans un ouvrage très récent sur Les magistrats et les avocats pendant le premier conflit mondial [8], de précieuses pages sur « La guerre, les femmes et le barreau ». Elle y souligne la misogynie du barreau et présente quelques pionnières, dont, bien sûr, l’incontournable Jeanne Chauvin. Elle étudie également des pièces de théâtre, des articles de presse et des sources directes du barreau de Bordeaux et de Toulouse. Elle montre que, malgré le rôle laissé aux femmes lors de la Première Guerre mondiale, il n’y eut pas de changement structurel à l’issue du conflit. Dans les Études d’histoire de la profession d’avocat, publiées en 2004 [9], seul un paragraphe est consacré à la première avocate du barreau de Toulouse [10] en concluant un peu rapidement que l’accès de celle-ci au barreau n’avait pas posé de difficulté [11]. Dans l’ouvrage Histoire des avocats en France, des origines à nos jours, deux pages sont consacrées aux premières femmes ayant prêté serment, Jeanne Chauvin et Olga Petit. Ces pages soulignent les difficultés d’accès des femmes à la profession d’avocate avec l’adage « Robe sur robe ne vaut », ainsi que l’isolement des pionnières, mais il précise de manière quelque peu exagérée que Jeanne Chauvin aurait ensuite été accueillie par ses confrères « à bras ouverts » [12]. Les travaux de référence sur le sujet sont à chercher également hors de la sphère juridique : en histoire et en science politique. Par exemple, l’importante thèse de Juliette Rennes propose une analyse fine des débats parlementaires sur la question de l’accès des femmes aux professions de prestige, dont les professions juridiques. Paradoxalement, il existe également une littérature plus abondante sur les femmes avocates françaises aux États-Unis [13].
Les études de genre permettent une analyse novatrice et féconde des phénomènes juridico-politiques, celles-ci sont relativement récentes en droit et presque inédites encore en histoire du droit en France [14]. Cet article sur l’accès des femmes à l’avocature s’inscrit résolument dans ce champ, en intégrant donc une approche critique des présupposés essentialistes liés à la réification de « la femme ». À cette fin seront principalement analysés, avec la grille de lecture du genre, l’arrêt de la cour d’appel du 30 novembre 1897 et les débats parlementaires de la Chambre des députés du 30 juin 1899 et du Sénat du 13 novembre 1900.
Comment la profession d’avocat s’est-elle progressivement ouverte aux femmes ? Par quels leviers, quelles stratégies, dans quel contexte ? Quels sont historiquement les facteurs identifiables qui expliquent aujourd’hui encore les différences de genre entre les individus dans l’exercice de leur profession ?
L’étude de la féminisation du métier d’avocat révèle des logiques qui se retrouvent dans le processus de féminisation de l’ensemble des secteurs traditionnellement réservés aux hommes, mais présentent aussi des spécificités liées aux métiers juridiques, et en particulier à la représentation de la fonction d’avocat. Plus largement ce processus s’inscrit dans une histoire globale de l’évolution des droits des femmes. À la fin du XIXe siècle, quelques femmes, des pionnières féministes, lèvent progressivement les différents obstacles qui les séparent du barreau, pour autant les portes du Palais leur sont fermées par une décision emblématique de la cour d’appel de Paris en 1897 (I). Une loi sexospécifique,- c’est-à-dire qui vise directement les femmes, identifiées comme telles –, sera votée pour leur permettre l’accès à la profession d’avocate avec un régime spécifique et différencié de celui des hommes avocats. Malgré cette loi, jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres, la présence des femmes dans les barreaux reste très marginale, ce qui oblige les quelques pionnières à adopter des stratégies particulières dans un milieu masculin globalement hostile (II).
I. Les femmes, aux portes du barreau
Lorsque la profession d’avocat est réinstitutionnalisée par Bonaparte, l’accès est conditionné à l’obtention d’un diplôme de licence [15]. Or à l’époque napoléonienne, dans la continuité de l’Ancien régime [16], l’instruction est réservée en théorie aux hommes. En effet, Napoléon Bonaparte reprend les poncifs, issus de la pensée grecque et romaine, selon lesquels les femmes n’auraient pas besoin de bénéficier d’une éducation intellectuelle, à la fois parce qu’elles n’en auraient pas les capacités et parce qu’elles seraient inconsistantes et futiles. Il ajoute une composante genrée à ces approches essentialistes, c’est-à-dire qu’il ajoute une dimension spécifiquement culturelle : les qualités que la société attend des femmes, à savoir résignation et indulgence, ne reposent pas sur leur instruction, mais sur leur dévotion [17]. La loi sur l’instruction publique du 11 floréal an X (1er mai 1802) institue les lycées, en interdisant leur accès aux femmes. Seuls les hommes sont concernés par les dispositions relatives à l’école primaire et à l’école secondaire [18].
Sous la Restauration et la monarchie de Juillet, l’instruction publique des filles est timidement organisée en primaire [19]. L’ordonnance du 23 juin 1836 organise la profession d’institutrice et permet aux femmes d’obtenir leur premier diplôme d’État : le brevet de capacité, indispensable pour exercer la profession d’instituteur [20]. Jusqu’à la fin du Second Empire, et au-delà des textes, aucune femme ne parvient à transgresser la règle et à accéder à l’Université, car l’accès à l’enseignement secondaire leur est fermé et a fortiori l’enseignement universitaire, conditionné à l’obtention du baccalauréat. Même les femmes des milieux élitistes, dont l’éducation parfois très poussée se fait en marge du système étatique via certains couvents ou par des précepteurs personnels [21], ne parviennent pas à forcer les portes, et ce jusqu’en 1860, date à partir de laquelle des pionnières féministes ouvrent des passages (A) jusqu’aux portes du barreau (B).
A. Du baccalauréat à la faculté de droit
Julie-Victoire Daubié parvient à passer le baccalauréat en 1861 [22]. Sa trajectoire est remarquable comme souvent le sont celles des pionnières : il s’agit d’une féministe militante issue de la petite bourgeoisie, qui réclame des droits politiques et dénonce la précarité économique des femmes et la prostitution réglementée [23]. Elle passe le seul diplôme accessible aux femmes, le brevet supérieur de capacité, et devient alors préceptrice. Autodidacte, elle apprend le grec et le latin notamment grâce à l’aide de son frère, enseignement subversif, car les humanités (grec, latin, philosophie) étaient considérées comme particulièrement nobles et dévolues aux hommes, toujours avec cette idée qu’élever intellectuellement les femmes risquait de leur faire perdre la modestie requise pour leur rôle social de mère et d’épouse. Soutenue par des alliés, dont l’homme d’affaires saint-simonien Arlés-Dufour [24], elle tente de passer le baccalauréat à Paris, sans succès, et réussit à le passer à Lyon du fait du geste militant du doyen de la faculté Francisque Bouiller. Elle obtint la mention passable, ce qu’elle mit en avant pour expliquer qu’elle n’était pas une femme d’exception dont les qualités hors du commun justifieraient sa transgression de genre, mais une femme aux capacités ordinaires, ceci afin de ne pas ériger en exploit individuel une démarche féministe [25]. L’étude du processus de féminisation d’un champ jusque-là interdit aux femmes invite à ne pas se focaliser sur les pionnières, car ce serait donner l’impression erronée d’une rupture. Il est important de rappeler que les pionnières sont insolites, seules, rares, hors-normes. La seconde bachelière, Emma Chenu, sera elle-même la seule femme, deux ans après Julie-Victoire Daubié, et on ne compte que d’une à cinq bachelières par an. Entre 1860 et 1880, la présence de femmes à l’Université reste une marginalité extrême [26].
Il faut attendre la loi du 21 décembre 1880, sous la IIIe République, pour que l’enseignement secondaire soit ouvert aux femmes. Le programme n’est pas harmonisé avec celui des hommes. Il est plus léger. Si tous et toutes étudient la langue française, les langues vivantes, la littérature et l’histoire, les « humanités » (le grec, le latin et la philosophie) ne sont dispensées qu’aux hommes. Les femmes suivent des cours de « travaux d’aiguille ». Elles ne sont pas censées passer le baccalauréat, mais un diplôme de fin d’études [27]. Néanmoins, en candidates libres, les femmes sont alors neuf ou dix par an à passer le baccalauréat, davantage ès sciences qu’ès lettres, tendance qui s’inversera à partir de 1900. Elles représentent moins de 0,03 % des bachelier·es. Comme l’explique l’historienne Carole Christen-Lécuyer, les bachelières sont souvent plus âgées que les bacheliers et vivent les conditions de leur oral de manière particulière, le public se presse pour observer le spectacle : l’impétrante « devenait le point de mire de tous les yeux, rouge, embarrassée, elle n’osait gagner sa place ; les examinateurs, presque aussi gênés qu’elle, n’osaient faire asseoir, au milieu de tous ces pantalons, cette jupe » [28].
Le baccalauréat, s’il est une condition d’accès à l’Université, n’est pas pour autant le sésame qui ouvre la porte de la faculté de droit. En effet, dans les représentations, les facultés de médecine ou de pharmacie semblent « prédisposées » à accueillir les femmes, car, bien que celles qui étudient soient transgressives, la finalité de l’étude, à savoir soigner autrui dans la sphère domestique, renvoie à un rôle social féminin, et même à une caractéristique de l’« identité féminine ». La finalité du droit s’inscrit dans un tout autre imaginaire : les métiers emblématiques – avocats et magistrats – sont des professions de pouvoir dans l’espace public, viriles par essence. Les femmes qui prétendent étudier le droit sont donc doublement transgressives : elles étudient et elles veulent conquérir des espaces masculins identitaires. Aussi ce n’est qu’en 1884 que Sarmiza Bilcesco, Roumaine féministe de dix-sept ans, son double baccalauréat en poche : ès lettre et ès science, tente de franchir les portes de la faculté de droit de Paris et se voit bloquer l’entrée par l’huissier qui refuse de la laisser passer parce qu’elle est une femme [29]. Le conseil de faculté est alors appelé à statuer. Il tranche en la faveur de l’étudiante malgré une forte opposition dont celle du doyen Beurdant. Sarmiza Bilcesco fit alors face à l’hostilité des professeurs de droit. Confrontés à l’éventualité de la présence de femmes dans leurs amphithéâtres, les professeurs réactionnaires rivalisèrent d’ingéniosité dans la recherche d’arguments pour dissuader les femmes de s’inscrire et développèrent toute une théorie selon laquelle le fameux « esprit juridique » serait spécifiquement masculin. L’esprit féminin ne serait qu’intuitif ou à l’inverse mécaniquement déductif sans capacité d’abstraction et d’intellectualisation, et il lui manquerait nuance et subtilité qui permettent la déduction souple requise pour le raisonnement juridique [30]. Ne leur en déplaise, Sarmiza Bilcesco obtint sa licence en droit en 1887, major de sa promotion, lauréate du concours de droit romain et elle soutint un doctorat en 1890 sur La condition légale de la mère [31]. Néanmoins, elle n’est pas suivie de beaucoup d’émules, car le droit reste dissuasif pour les femmes : de 1884 à 1894, deux femmes s’inscrivent en moyenne chaque année à la faculté de droit de Paris. Par comparaison les femmes sont 575 à la faculté de médecine, 31 à la faculté des sciences, 61 à la faculté de lettres et 54 en pharmacie.
Les quelques femmes qui accèdent à la faculté viennent accompagnées de leur mère ou de leur mari, car la mixité fait craindre pour leur réputation. La présence de femmes dans les amphithéâtres suscite des commentaires de la part des professeurs invitant les hommes à la courtoisie, renvoyant ainsi les femmes à un statut d’objets de désir, d’éléments potentiellement perturbateurs. Les femmes développent alors des stratégies pour permettre à la figure de « l’étudiante » de supplanter celle de « la femme » : tenue simple, bras et gorge couverts. Elles tentent de lutter contre les préjugés relatifs à leur inconsistance, leurs faibles capacités intellectuelles, leur faiblesse face à l’effort. Ces stratégies permettent aux femmes de s’imposer comme étudiantes, mais entraînent leur discrédit en tant que femmes, car elles perdent alors leur statut d’objets de désir pour devenir, dans un sens positif, « des camarades » ou dans un sens négatif des « transgressives », qui par leurs aspirations intellectuelles ont trahi la place sociale qui était la leur en tant que femme [32].
Le diplôme de licence de droit en main, il reste encore une dernière porte à forcer pour l’accès à la profession d’avocat : celle du barreau. Ce sera le combat de Jeanne Chauvin.
B. L’échec judiciaire de l’inscription au barreau
En 1890, Jeanne Chauvin est la deuxième étudiante titulaire d’une licence en droit, après Sarmiza Bilcesco, devenue avocate en Roumanie. Jeanne Chauvin vient d’une famille de juristes : son père, mort alors qu’elle était en bas âge, était notaire et surtout son frère Émile est lui-même docteur en droit, avocat et maître de conférences à la faculté de droit de Paris, avant d’être radié pour ses idées socialistes. Jeanne Chauvin soutient une thèse en droit en 1892 intitulée Étude historique des professions accessibles aux femmes, dans laquelle elle développe l’idée que l’inégalité juridique des hommes et des femmes est imputable au catholicisme – stratégie intéressante dans un contexte de laïcisation des institutions sous la IIIe République – afin de prôner l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Sa soutenance est ajournée une première fois, car des étudiants font irruption pour chanter La Marseillaise en protestation, ce qui n’empêche pas Jeanne Chauvin d’être reçue à l’unanimité des membres du jury quelques jours plus tard. Elle enseigne le droit dans des lycées parisiens pour jeunes filles tout en militant en faveur de la capacité juridique des femmes mariées. Elle souhaite forcer la porte du barreau [33]. L’entreprise s’annonce délicate. En Belgique, Marie Popelin, dix ans avant elle, avait essayé jusqu’en cassation, sans succès. Elle avait été mise en cause personnellement, s’était vu reprocher « ses virils efforts », et avait été ramenée à son rôle de femme : la maternité, la conjugalité, ses qualités de femme ; la modestie et la pudeur, sa condition de femme ; sa faiblesse physique et sa condition juridique de femme ; ses incapacités civiques et civiles. Le prestige du barreau empêchait de reconnaître parmi ses membres un être de condition inférieure et en outre la société avait le devoir de protéger la pudeur des femmes des sujets scabreux abordés devant les juridictions. L’argument juridique principal se référant à la loi napoléonienne – donc la même que celle applicable en France – avait estimé qu’une condition de sexe implicite interdisait l’accès des femmes au barreau : le barreau était un office viril.
Tous les hommes juristes n’étaient pas hostiles à l’accès des femmes au barreau. Au-delà des proches des pionnières, certains juristes féministes n’ont pas hésité à se faire les porte-parole des femmes, ou à défendre leurs propres positions sur le sujet. C’est notamment le cas de Louis Franck, avocat et docteur en droit de l’Université de Bologne et de Bruxelles, ouvertement féministe qui défendit Marie Popelin en justice et qui ensuite rédige en 1898, un ouvrage en soutien de la cause de Jeanne Chauvin. De manière moins ouvertement engagé, c’est le cas en France du professeur de procédure civile et spécialiste de l'histoire du droit français, du droit romain et du droit comparé Glasson, qui commente les arrêts de la cour d’appel et de la Cour de cassation belges. L’argument juridique mis en avant est le suivant : l’égalité est la règle, l’inégalité l’exception…. Le silence de la loi sur l’accès des femmes à la profession d’avocat n’est pas une exclusion implicite, c’est un impensé. Or seul un texte peut décider de l’incapacité juridique des femmes en telle ou telle matière. Dans le silence de la loi, la femme peut s’infiltrer [34].
Quel est le problème avec la profession d’avocat pour les femmes ? Les représentations renvoient à une profession de pouvoir viril qui évoque le combat judiciaire, la joute oratoire. L’avocat est un guerrier du droit dont l’arme est la parole. Ce combat est public. L’accès des femmes au barreau signifie qu’une femme pourrait descendre dans l’arène judiciaire, affronter un homme, voire remporter la victoire. Au-delà du risque de dévirilisation de la profession, ce sont les hommes eux-mêmes qui risquent leur virilité dans un affrontement juridique avec des femmes [35].
Jeanne Chauvin adopte la stratégie de l’étape intermédiaire : elle prétend demander l’inscription au barreau pour obtenir le titre d’avocate, mais sans s’inscrire au stage, donc sans exercer réellement la profession. Le 24 novembre 1897, elle fait viser son diplôme de licence par le procureur général Octave Bernard, près la cour d’appel de Paris, assistée d’un avoué. Elle plaide elle-même sa cause devant la cour. Le procureur répond à l’argument de Glasson, qu’il cite expressément, et affirme que l’exclusion des femmes de la profession d’avocat en droit ne serait pas un impensé, mais bien une exclusion implicite : la femme serait un « hors objet » du droit. Le débat juridique entre le procureur Bernard et Jeanne Chauvin sur la question du genre de la langue et des catégories du droit est extrêmement intéressant et a des résonnances très actuelles. « L’avocat », donc l’emploi du masculin dans les termes de la loi, est-il un masculin genré ou un masculin générique, renvoie-t-il au genre masculin ou est-ce un masculin universel qui inclut le féminin ? Jeanne Chauvin défend le masculin générique, l’idée que les catégories juridiques sont souples et qu’en fonction de l’évolution des mœurs elles incluent des situations impensées à l’origine. Elle soutient qu’il n’est pas nécessaire de féminiser un texte pour le dégenrer : elle prend l’exemple de la loi invoquée par le procureur, celle de ventôse an XII, qui porte sur la formation en droit, et démontre qu’il n’a pas été nécessaire de modifier la loi en utilisant les termes d’« étudiante », « licenciée » et « doctoresse » pour appliquer les articles en question aux femmes. Au-delà des différents arguments juridiques avancés, le procureur Bernard défend une approche conservatrice de l’ordre juridique genré : « l’on ferait un premier pas dans un ordre de progrès qui mènerait trop loin ». Il rappelle la place culturelle des femmes dans la société dans des termes qui n’auraient rien à envier à une mauvaise accroche d’un·e étudiant·e en première année de droit : « de tout temps, à toutes époques, on a reconnu que la femme ne devait pas sortir du cercle de la famille ». Pour autant s’il mobilise un argument genré, il ne s’engage pas sur un terrain essentialiste [36].
L’arrêt de la Cour rejette la demande de Jeanne Chauvin. Elle est, elle-même, personnellement mise en cause et dénoncée comme manipulatrice et arrogante, ce qui à la fois renvoie au préjugé relatif à la fausseté des femmes et en même temps dénonce la transgression de genre, à savoir l’attitude de Jeanne aux antipodes de la modestie, composante de la féminité. L’avocature est une profession réservée aux hommes : « cette règle absolue qui n’était que l’application logique du principe en vertu duquel on a toujours considéré la profession d’avocat comme un office viril ». Enfin, ultime argument décisif : la profession d’avocat n’est pas qu’une profession libérale, car une disposition de la loi napoléonienne prévoit que l’avocat supplée le magistrat en cas de carence de celui-ci [37]. Or le magistrat exerce l’autorité de l’État, un pouvoir régalien qui ne saurait être confié à un être dépourvu de droits civiques et politiques. La Cour se retranche derrière son rôle d’interprétation stricte de la loi et estime que ce n’est pas à la justice de faire évoluer les mœurs. La solution de l’accès des femmes à la profession d’avocate ne peut être judiciaire [38]. Jeanne Chauvin, pour ne pas reproduire l’exemple belge et auréoler la décision de l’autorité de la juridiction supérieure, décide de ne pas poursuivre ce débat stérile devant les magistrats conservateurs de la Cour de cassation. Étant proche des milieux politiques radicaux-socialistes, elle se tourne vers l’assemblée.
La résistance judiciaire masculine, qui interprète une catégorie juridique potentiellement universelle comme irrémédiablement genrée, forcera donc la rédaction d’une loi sexospécifique pour permettre l’accès des femmes au barreau.
II. L’accès des femmes au barreau
La lecture des débats parlementaires révèle des présupposés genrés caricaturaux sur la place des femmes et leur nature spécifique. Que ce soit dans le camp des opposants ou des défenseurs, ils dessinent la figure de « la femme », dans une altérité réifiée, dont les répercussions se retrouvent encore aujourd’hui tant dans les représentations des femmes avocates elles-mêmes que dans les rôles sociaux et professionnels auxquels elles restent cantonnées. Si les femmes accèdent au barreau, elles ne seront pas pour autant des avocat·es comme les autres, car la loi prévoit des conditions spécifiques pour les femmes (A). Au-delà des débats, la féminisation du barreau reste très marginale jusqu’à la fin de l’entre-deux-guerres (B).
A. Une loi sexospécifique
Jeanne Chauvin est soutenue par des parlementaires : Léon Bourgeois, radical-socialiste, Jules Léveillé, député de la Seine et Professeur de droit pénal à la faculté de droit de Paris, Paul Deschanel et Raymond Poincaré, alors tous deux députés républicains modérés (centre gauche) qui déposent à la Chambre la proposition de loi de Jeanne Chauvin, dépassant sa demande initiale et proposant l’accès des femmes non seulement au titre, mais également à l’exercice de la profession d’avocate. La proposition est écartée par la VIe législature, mais lors de la VIIe, un groupe de députés – derrière René Viviani, lui-même radical-socialiste, avocat et proche de la famille Chauvin – la dépose à nouveau le 21 novembre 1898. Lors du débat parlementaire du 30 juin 1899 à la chambre des députés, la gauche s’oppose frontalement à l’extrême droite sur cette question. Le rapporteur René Viviani, qui défend le projet de loi, met en avant les enjeux économiques de l’accès à la profession d’avocate, qui entraîneraient une égalité financière entre les sexes permettant aux femmes de s’émanciper, tout en souscrivant à leurs obligations familiales, car les femmes, comme les hommes, peuvent les concilier avec leurs obligations professionnelles. Il inscrit cette proposition de loi dans la politique de la IIIe République ; l’accès à la profession d’avocate ne serait que la suite logique de l’instruction des femmes développée depuis 1880, et dans un contexte international : la Norvège, la Suède, la Suisse et les États-Unis ont autorisé les femmes à exercer la profession d’avocate. Pour autant la proposition de loi met en place des différences de traitement entre les hommes et les femmes avocat·e·s : les femmes ne pourront pas suppléer les magistrats en cas de carence, à l’instar des avocats stagiaires. En outre les femmes mariées devront obtenir l’autorisation de leur mari avant de prêter serment, conformément aux règles du Code civil [39]. Du côté des opposants, deux députés se révèlent particulièrement virulents : le député Massabuau, alors républicain indépendant et membre du terrifiant groupe parlementaire antijuif, et le comte Henri du Périer de Larsan, député chez les républicains progressistes (aile paradoxalement la plus conservatrice des républicains). Leurs arguments sont les mêmes sur la dénonciation de la transgression de genre que représenteraient les femmes au barreau : Massabuau en reprenant la terminologie de la lutte des classes – la femme avocate serait « une déclassée », « un de ces êtres monstrueux qui descendus trop bas, ou montés trop haut, ne peuvent plus s’harmoniser dans leur milieu » –, Périer de Larsan sous l’angle de l’utilité : « Quand on intervertit les rôles, quand la femme veut faire l’homme, elle s’en acquitte aussi mal que quand l’homme veut faire la femme », la femme avocate serait donc nécessairement mauvaise. Les exemples étrangers évoqués ne concernent que des pays dénoncés comme primitifs ou dépravés, à l’instar des femmes américaines qui seraient vénales et/ou vicieuses. Ils rappellent tous deux que la place des femmes est au sein de la famille et certainement pas au prétoire. « La femme » pourrait éventuellement exercer certaines professions, mais seulement si ces professions renvoient aux caractéristiques de l’identité féminine, à l’instar de la médecine. Le prestige de la profession d’avocat serait compromis par la présence de femmes, qui, en outre, risquerait de jeter l’opprobre non seulement sur l’avocature, mais également sur la magistrature, car « la femme » est séductrice. Les justiciables pourraient penser que les magistrats n’ont rendu la décision que sous l’emprise du charme de « la femme avocate ». « La femme » séductrice, « la femme » sexuelle, « la femme dangereuse » se cacherait sous la robe de l’avocate [40], que d’ailleurs elle porterait nécessairement mal étant donné que la robe est virile. Massabuau propose une meilleure occupation pour les femmes : mettre leur pouvoir de séduction au service de la France en attirant les hommes dans les colonies pour asseoir la domination française hors métropole. Enfin la liberté de « la femme avocate » serait incompatible avec le mariage et obligerait « la femme avocate » à être célibataire. Massabuau dénonce derrière cette loi les dangers du féminisme. Il estime qu’ouvrir la profession d’avocat aux femmes est la première marche qui entraînera ensuite la reconnaissance du droit de vote des femmes, puis la remise en cause de l’institution du mariage et enfin la destruction des fondements du capitalisme qui reposent sur la propriété patriarcale. Périer de Larsan souligne que le sujet est plus que futile, qu’en un mot, c’est ridicule. L’égalité des sexes étant impossible, la prétention des femmes à être avocates est hors-sol : et ensuite que réclameront-elles « plaider à la Cour de cassation et au Conseil d’État ou encore faire partie du Conseil de l’Ordre et même être élue Bâtonnière ? » Et la majesté du prétoire déclinera « quand le président aura donné la parole à maîtresse une telle ». Malgré ces discours virulents, à l’issue de ce débat, la loi est votée au 30 juin 1899 à l’Assemblée nationale par 319 voix contre 174 ; le projet a été soutenu par la gauche en général, mais aussi par une partie du centre droit [41].
La proposition est alors débattue au Sénat le 13 novembre 1900. Dans ce débat l’opposant principal est le sénateur Gourju, avocat, républicain progressiste, qui rappelle la fameuse référence de Jean-Louis de Lolme, juriste suisse et calviniste de la fin du XVIIIe siècle, selon laquelle le Parlement anglais pouvait tout faire « sauf changer une femme en homme ». Permettre aux femmes d’accéder à la profession d’avocat reviendrait à viriliser les femmes. Il explique que l’égalité n’implique pas la confusion d’identité entre les hommes et les femmes. Les femmes seraient supérieures aux hommes pour tout ce qui touche à l’émotionnel : pitié, charité, dévouement, soins, etc., mais les aptitudes nécessaires à la profession d’avocat sont l’éloquence, la prestance, la maîtrise de la pratique du droit, les réseaux et le sens des affaires. Or la femme est-elle suffisamment « armée » (le mot est intéressant) dans tous ces domaines ? La concurrence entre avocats est très rude, peu d’hommes s’enrichissent, et la femme « sera broyée », car elle est plus nerveuse que l’homme et a moins de philosophie. Si quelques femmes exceptionnelles bénéficient de telles aptitudes, ce sera au prix de leur fatigue et de leur santé, car les femmes n’ont pas les mêmes capacités de résistance physique que les hommes. En outre sous la robe les avocats trouvent des techniques dans leur toilette pour réguler leur température, que les femmes ne pourraient pas copier pour des raisons de décence : une femme ne saurait avoir une toilette désordonnée. Autre argument : si des nations subalternes font peu de cas de la profession d’avocat, en France « la voix de l’avocat à la barre est considérée comme une des grandes voix du monde », ce qui exclut la femme. En outre les mots du droit ne sont pas élégants dans la bouche d’un homme, donc a fortiori ils seraient insupportables dans la bouche d’une femme. Par ailleurs, la femme avocate mariée ne pourrait être nécessairement que la secrétaire de son mari. Il décide ensuite de s’adresser, au-delà des hommes de l’hémicycle, aux femmes qui liront la retranscription des débats en leur rappelant qu’elles gouvernent le monde en séduisant les hommes : l’accès à la profession d’avocate serait « une déchéance que, pendant tant de siècles, tant de générations n’ont pas connue et dont elles se sont passées avec tant de grâce, avec tant d’unanimité. Pour moi, je refuse […] de m’associer à un pareil crime de lèse-majesté féminine ». Le rapporteur est alors Louis Tillaye, également républicain progressiste. Il défend la proposition en atténuant la portée de cette loi – seules quelques femmes seront concernées, des femmes exceptionnelles : il ne s’agit donc que de faire entrer « quelques femmes d’élite qui sont l’honneur de leur sexe » – tout en affirmant que la place naturelle des femmes se trouve dans la famille et que le droit doit se charger de les y maintenir. Le rapporteur écarte donc complètement les arguments féministes et met en avant le principe fondamental de liberté des professions et l’évolution des mœurs, tout au long du XIXe et en particulier depuis l’avènement de la IIIe République. Il souligne que la loi prévoit de fermer la porte à toute velléité des femmes de devenir magistrates puisqu’elle ne les autoriserait qu’à plaider, activité qui relève de la profession libérale et réglementée, et non à juger qui relève de l’exercice de l’autorité publique. Interrogé sur le positionnement du Gouvernement par rapport à ce texte, le garde des Sceaux – à savoir Ernest Monis, ministre de la Justice du Gouvernement Waldeck-Rousseau, Gouvernement de crise en plein cœur de l’affaire Dreyfus, avec une union politique allant de la gauche au centre – apporte le soutien du Gouvernement à cette proposition de loi. Il met en avant une approche différentialiste, estimant que les femmes avec leurs qualités spécifiques apporteraient de la bienveillance et de la commisération dans l’exercice de la justice et il justifie l’accès des femmes à la profession d’avocat par le fait que les femmes avocates défendraient particulièrement bien les mères de famille. La justice serait, grâce aux femmes, plus humaine et meilleure. Se dessinent ainsi deux projections. D’abord au nom des principes d’égalité et de mérite républicains, le barreau serait ouvert en théorie aux femmes, mais en pratique leur condition féminine les en détournerait : seules de très rares femmes accéderaient au barreau. Ensuite, une répartition sexuée des contentieux est amorcée avec l’idée que dans la pratique, certains domaines pourraient être dévolus aux femmes et que donc, a contrario, d’autres ne leur seraient pas accessibles. La loi est votée à 172 voix pour et 34 voix contre [42].
Elle est promulguée le 1er décembre 1900 et autorise les femmes titulaires d’un diplôme de licence à prêter serment et à exercer la profession d’avocate [43]. La même loi introduit une différenciation entre les hommes avocats et les femmes avocates : les femmes ne pourront pas suppléer les magistrats dans l’exercice de la fonction. Ainsi, la loi précise bien que les femmes peuvent devenir avocates, mais pas dans les mêmes conditions que les hommes, avec les mêmes restrictions à durée illimitée que les stagiaires. La porte du couloir vers la magistrature reste bien verrouillée. Néanmoins, la porte du barreau est ouverte, et le processus de féminisation de la profession peut s’amorcer.
B. Les pionnières du barreau
La première femme à prêter le serment d’avocate en France n’est pas Jeanne Chauvin, mais Sonia Olga Balachowsky-Petit, une femme d’origine russe, française par mariage, qui a fait des études de droit en France et a obtenu un doctorat : elle prête serment le 6 décembre 1900, quelques jours avant Jeanne Chauvin qui, elle, prête serment le 19 décembre. Jeanne Chauvin sera la première femme à plaider devant une juridiction.
Pour autant l’exemple de ces pionnières n’est que peu suivi, comme l’explique Annie Deperchin. Une femme s’inscrit au barreau de Paris en 1901, une autre en 1906, deux en 1907, trois en 1908, enfin deux en 1912. En 1914, à la veille de la Première Guerre mondiale, elles sont dix inscrites au tableau et dix-sept stagiaires pour toute la France. Ce sont vingt-sept femmes sur les 7 300 avocats, soit 0, 35 % de la profession. La plupart d’entre elles sont parisiennes (huit inscrites et treize stagiaires) et vingt-quatre sur vingt-sept appartiennent à un barreau de cour d’appel [44].
Les avocats contemplent ces femmes avec suspicion et méfiance : peur de la concurrence avec notamment le risque de mobilisations d’arguments extrajuridiques (leurs appâts sexuels contre lesquels ils ne pourront pas rivaliser…).
Aussi les avocates sont évaluées par leurs confrères qui cherchent la faille. Tel est le cas de la première femme inscrite au barreau de Toulouse, Marguerite Dilhan, qui est aussi la première femme à plaider en cour d’assises en novembre 1903. Elle défend une belle-mère accusée d’avoir tué son gendre. L’avocat Paul Duserm témoigne de cet événement dans la Gazette du Midi, il en souligne le caractère exceptionnel : la femme avocate devant la cour d’assises. Il commence par saluer avec une certaine condescendance les qualités de la jeune avocate dans la joute oratoire et la solidité juridique de sa plaidoirie. Marguerite Dilhan a convaincu l’auditoire en obtenant pour sa cliente une requalification en coups et blessures et une peine de dix-huit mois de prison, alors qu’elle encourait la peine de mort, mais Duserm commente les erreurs professionnelles de Marguerite Dilhan concernant l’« oubli » de la récusation de certains membres du jury. Il conclut sur le fait que la place de la femme n’est pas à la barre, mais au foyer conjugal. Surtout, il développe un argument qui sera largement développé par la suite : la voix féminine qui dessert la cause, « sonorité un peu grêle-voix de femme naturellement » [45]. On retrouvera cet argument très étayé sous l’entre-deux-guerres dans l’enquête de l’avocat Corcos sur les femmes avocates, analysée par Catherine Fillon : « en règle presque absolue, la femme ne sait pas placer sa voix […]. C’est un fait que la femme parle d’une voix de gorge, jamais d’une voix de ventre et qu’à cette habitude elle rencontre le double inconvénient de se fatiguer elle-même et de fatiguer l’oreille des auditeurs » [46]. Et la panacée de l’argument sexiste est atteinte avec cet extrait sur l’éloquence virile : « À la barre, il y a des moments où il ne s’agit plus de ce que l’on a préparé, il ne s’agit plus de promener son œil sur des notes, il s’agit de s’élever d’un coup, d’oublier tout un plan et, dans une sorte d’éclair de bâtir un édifice nouveau, d’en assembler les matériaux instantanément et, par leur jet d’écraser l’adversaire et de soumettre le juge. Cela n’est pas un geste de femme, c’est un geste masculin. C’est un geste, si vous me permettez la hardiesse de la figure, de fécondation. C’est une chose mâle, ce n’est pas une chose femelle » [47]. Un autre encore reprend cette idée avec l’éloquence qui serait un « viol des consciences et des cœurs ». Un certain nombre d’avocats refusent de voir arriver des femmes avec des arguments toujours plus indigestes, à l’instar de ce parallèle raciste : « Pourquoi ne pas reconnaître franchement que ce n’est pas un métier de femme ? Après tout il y a des incapacités de race ; il y a aussi des incapacités de sexe. La femme n’est pas faite pour la contradiction » [48].
Devant l’évolution législative, les avocats sont néanmoins bien obligés d’acter la présence de femmes parmi eux, aussi certains entendent bien marquer la différence de statut créée par la loi elle-même : les hommes peuvent plaider et juger, les femmes ne peuvent que plaider. Le discours de rentrée de la conférence du stage du Bâtonnier Henri Spriet à Lille, en 1926, sous couvert d’« humour », reprend tous les poncifs de la femme avocate. Il explique que la femme est « bavarde » d’où le fait qu’elle veut être avocate, néanmoins elle n’est pas l’égale de l’homme avocat. Si l’Assemblée législative interdit aux femmes avocates de suppléer les magistrats, c’est sans doute parce qu’elles sont estimées indignes de confiance, nerveuses et impressionnables. Mais comme il ne veut faire « aucune peine » aux avocates, il propose de voir dans cette disposition législative de la galanterie : les femmes sont ainsi éternellement stagiaires, donc éternellement jeunes [49].
Face à l’inexorable et progressive arrivée des femmes, le discours s’adapte sur la place des femmes dans les cabinets d’avocat·es. L’idée n’est progressivement plus de les exclure, mais de les renvoyer à une place subalterne. Les femmes seraient de bonnes assistantes, de bonnes collaboratrices pour leur patron, qui, dans le meilleur scénario possible, pourrait d’ailleurs devenir leur époux. Si la sensibilité des femmes leur permet de défendre certaines causes comme s’occuper des femmes et des enfants, leur nervosité les empêcherait de plaider des domaines dans lesquels il faut garder la tête froide comme le droit des affaires ou des questions techniques de droit civil. Ensuite, concernant le pénal, si les « petits contentieux » peuvent être concédés aux femmes, elles n’auraient pas la résistance physique pour tenir la durée des longueurs d’un procès d’assises [50].
Pendant l’entre-deux-guerres, l’image permanente des discours de rentrée solennelle des avocats et magistrats est celle de « la femme » attentionnée, maternelle, bienveillante, consolatrice. Le pays panse ses plaies, et la figure de « la femme/mère » apporte un certain réconfort. Les praticiens ne décrient plus la présence de femmes dans les barreaux en évoquant la transgression de genre. Au contraire, ils réclament une justice apaisante, réconfortante, genrée au féminin grâce à la présence de femmes. À condition bien sûr que les femmes se contentent de certains contentieux. Les femmes qui se risquent sur des terrains autres que le droit de la famille, le droit de la protection sociale et le petit contentieux pénal, sont, lorsqu’elles obtiennent des succès professionnels, disqualifiées en tant que femmes : « il y a quelques femmes qui tiennent le coup à la barre ; mais entre nous si on regarde bien, ce ne sont plus des femmes, alors c’est très gênant » [51].
En marge de ces discours majoritaires qui expliquent le long processus de féminisation du barreau dans un milieu masculin particulièrement hostile, il est à noter certaines prises de parole lumineuses. Pendant l’entre-deux-guerres, un avocat interrogé dans le cadre de l’enquête de Corcos sur la présence de femmes explique : « les difficultés que rencontrent les femmes au Palais ne sont pas en elles mais en nous » [52].
La lente progression des femmes au sein des facultés de droit se poursuit. En 1913, entre deux cents et deux cent cinquante femmes se trouvent sur les bancs de la faculté de droit. En 1914 il y a dix avocates et dix-sept stagiaires, en 1920, il y a dix-huit avocates et cinquante et une stagiaires, dont 80 % à Paris, avec les décès massifs des hommes avocats pendant la guerre, les femmes représentent 1,1 % de la profession, ce qui est quatre fois plus qu’avant-guerre, mais reste très marginal. En outre, il y a beaucoup d’abandons entre le stage et l’inscription : mariage qui implique un repli sur le foyer volontaire ou involontaire du fait de l’interdiction maritale potentielle, hostilité des collègues face à cette concurrence d’un nouveau genre, méfiance de la clientèle qui adhère potentiellement aux poncifs sur l’incompétence des femmes. Enfin, devenir avocate revient à assumer d’être la seule femme dans un milieu exclusivement masculin, donc une situation marginalisée et marginalisante, à l’instar de Marguerite Dilhan, qui fut pendant douze ans la seule avocate parmi les cent quatre-vingt avocats de son barreau [53].
Les femmes avocates doivent faire oublier leur féminité pour obtenir leur reconnaissance professionnelle : elles refusent d’être perçues comme des avocates et revendiquent d’être des avocats ; le terme « maîtresse » est utilisé pour se moquer des femmes avocates, aussi veulent-elles se faire appeler « maîtres ». Elles développent des stratégies dans ce sens et sont parfois obligées de réagir face aux attitudes sexistes des magistrats. Par exemple un magistrat appelle les avocats hommes « Maîtres » et l’avocate Clémence Davasse « Madame », ainsi elle rétorque de manière provocatrice : « Monsieur l’Avocat général, je vous prie de ne pas faire plus état de mon sexe que je ne le fais du vôtre ! » [54]. Sous l’entre-deux-guerres l’heure n’est pas aux enjeux de la féminisation du titre, mais au respect des qualités professionnelles des avocates. Avant de faire reconnaître que la féminisation d’un titre ne porte pas atteinte à son prestige, encore faut-il dans un premier temps ne pas être renvoyée systématiquement à son genre. Les processus de féminisation d’un corps sont longs et complexes et il serait trop rapide de lire rétrospectivement dans le refus de la féminisation du titre des femmes avocates, alors qu’elles étaient minoritaires et a fortiori alors qu’elles étaient extrêmement marginales, un argument général contre la féminisation des titres [55]. Tout est question d’étape de contextualisation et d’évolution du processus.
Le décret du 25 mars 1924 organise la passation pour les femmes du baccalauréat si elles suivent en parallèle du diplôme de fin d’étude secondaire un enseignement facultatif. Les femmes pourront ainsi suivre l’intégralité des enseignements dispensés aux hommes, mais elles sont obligées de suivre, en outre, des cours d’économie domestique, de travaux d’aiguille et de musique [56]. Cette loi entraînera des conséquences et le nombre de femmes s’inscrivant au barreau connaîtra une augmentation dans les années 1930-1935 [57].
L’accès des femmes à la profession d’avocate s’est réalisé dans un contexte difficile. Les pionnières – Suzanne Grinberg, Agathe Dyvrande-Thévenin, et la célèbre avocate féministe Maria Vérone [58] – ont franchi les portes du baccalauréat, de la faculté de droit, de l’inscription au barreau que Jeanne Chauvin a réclamé en justice puis à l’Assemblée législative. In fine, il apparaît que les enjeux liés à la féminisation de la profession portent également sur la déconstruction des représentations historiques liées à la « virilité » du métier d’avocat. Le processus de féminisation de la profession d’avocate est en marche depuis maintenant cent vingt-trois ans. Alors que jusqu’en 1900, aucune femme n’était inscrite au barreau, la situation a considérablement évolué [59]. Depuis les années 2010, les femmes sont majoritaires au barreau, ce qui fait de la profession d’avocat.e le métier du droit le plus féminisé [60]. Pour autant, le processus de féminisation n’est pas achevé : majoritaires par leur nombre, les femmes avocates restent soumises au plafond de verre, elles ne sont que 25 % à être associées. La répartition sexuée des contentieux reste très genrée dans le sens où elle renvoie aux rôles sociaux traditionnels des hommes et des femmes. Ainsi, on constate une surreprésentation des hommes dans certains secteurs prestigieux et rémunérateurs comme le droit des affaires ou le droit international, et une surreprésentation des femmes en droit de la famille et en droit du travail et de la protection sociale, considérées comme des disciplines subalternes du droit [61]. En outre les femmes sont victimes de discriminations sexistes dans les cabinets. Enfin, des questions liées au genre se posent dans la représentation au sein des conseils ordinaux [62]. Ces phénomènes, qui s’expliquent par des raisons historiques et culturelles, ont pour conséquence le fait qu’aujourd’hui encore, les femmes gagnent en moyenne deux fois moins que les hommes [63].
[1] [En ligne] Cet article a bénéficié de la relecture attentive et des précieux conseils d’Elise Ternynck et des historiennes du droit Prune Decoux et Florence Renucci, dont les récents et passionnants travaux sur les pionnières avocates du Maghreb dans un contexte colonial, avec une analyse intersectionnelle, sont à mettre en perspective avec le présent travail : F. Renucci, Les premières avocates du Maghreb (début du XXe siècle). L’émancipation au prisme de l’intersectionnalité, dans B. Dupret, N. Bernard-Maugiron (dir.), Droits et sociétés du Maghreb, Paris, Karthala, 2023 et Les premières avocates du Maghreb (début du XXe s.). Des « avantages cumulés genrés » ? , dans Les juifs des protectorats du Maghreb et la France, Paris, Garnier, 2023.
[2] Après sa « disparition » lors de la période révolutionnaire – disparition relative car, de fait, le défenseur officieux et l’avoué remplissaient l’office, exception faite de l’époque de la Grande Terreur.
[3] Sous la Révolution les défenseurs officieux permettent en théorie à tout citoyen de se défendre lui-même ou de défendre autrui. Cette phase informelle de la profession d’avocat aurait pu être une des portes d’entrée des femmes. Or d’après les études consultées, il n’y eut pas de femmes. De fait, les travaux universitaires, et en particulier ceux de Nicolas Derasse, montrent que le terrain offert aux profanes pour défendre leur semblable avait été occupé par des professionnels du droit, anciens avocats momentanément sans robe : N. Derasse, Les défenseurs officieux : une défense sans barreaux, in Annales historiques de la Révolution française, n° 350, 2007. Justice, nation et ordre public, p. 49-67. Voir aussi H. Leuwers, L’invention du barreau français 1660-1830, EHESS, Paris, 2007, p. 231-264.
[4] Les aspirations féministes ne sont ni un concept récent ni un concept contemporain. Simone de Beauvoir reconnaît ainsi dans Christine de Pisan, autrice de la Cité des dames, au XVe siècle, la toute première féministe, au sens où celle-ci décrit les relations entre les sexes comme inégalitaires au détriment des femmes. Elle remet en question l’idée selon laquelle l’infériorité des femmes serait naturelle et démontre qu’il s’agit d’une infériorité construite et intériorisée par les femmes. En un mot la Cité des dames est un ouvrage dans lequel on trouve les prémices des réflexions sur le genre : C. de Pisan, La cité des dames, (1405), Stock, Paris, 1986. Voir l’analyse de Simone de Beauvoir : S. de Beauvoir, Le deuxième sexe, tome 1, Gallimard, Folio essais, 1949, p. 177.
[5] Olympe de Gouges écrivit « si la femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune », article 10 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791 [en ligne].
[6] F. Catherine, La profession d’avocat et son image dans l’entre-deux-guerres, thèse soutenue en 1995 à Lyon, p. 326-347.
[7] A. Deperchin, La justice et la Première Guerre mondiale, in J.-P. Royer, Histoire de la Justice, PUF, 1995, p. 176.
[8] A. Deperchin, La Justice à l’épreuve de la guerre, Magistrats et avocats pendant le premier conflit mondial, L’harmattan, Paris, 2023, p. 362-371.
[9] J.-L. Gazzagina, Études d’histoire de la profession d’avocat : Défendre par la parole et par l’écrit, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2004.
[10] J.-L. Gazzaniga, Le barreau de Toulouse à la Belle Époque, ibid., p. 321-341.
[11] Si les femmes bénéficient d’une loi spéciale à partir de 1900 qui leur permet de s’inscrire au barreau, les freins juridiques et extrajuridiques restent nombreux comme le montrent les travaux approfondis d’Annie Deperchin, de Catherine Fillon et des historiennes et sociologues citées dans le présent article. Néanmoins, les situations sont variées, et certains contextes ont de manière paradoxale joué plutôt en faveur des femmes, tel est le cas du contexte communautaire et des représentations raciales en Tunisie et en Algérie, voir F. Renucci, op. cit..
[12] B. Sur, Histoire des avocats en France, des origines à nos jours, Dalloz, Paris, 1998.
[13] Voir les importants travaux de Juliette Rennes à ce sujet et notamment : J. Rennes, Une controverse républicaine : l'accès des femmes aux professions de prestige (1880-1940), Paris, Fayard, 2007 ; Voir, également les travaux de M. Passini, Les femmes et les professions juridiques (1900-1950), mémoire de DEA soutenu à Paris VII, sous la direction de M. Perrot, 1991, Boigeol, « French women lawyers and the women’s cause in the first half of the twentieth century », International Journal of the Legal Profession, vol. 10, n°2, 2003, p. 193-207. L’importance de la littérature aux États-Unis vient du fait que les avocates pionnières font l’objet d’un champ d’étude spécifique et une partie de l’historiographie propose une approche comparatiste : M.-J. Mossman, A comparative Study of Gender, Law and the Legal Professions, Oxford and Portland, Oregon, Hart Publishing, 2006 ; S.-L. Kimbel, M. Röwekam (eds), New Perspectives on European Women’s Legal History, Routledge, 2017.
[14] En droit les premiers travaux sur le genre datent des années 2000, mais c’est véritablement l’ANR Régine en 2011 qui lance le processus d’acculturation des études de genre en droit. En histoire du droit, après les travaux pionniers de quelques chercheurs et chercheuses, l’ANR HLJPGenre amorce cette acculturation dans la discipline [en ligne].
[15] L’article 24 de la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804) dispose « À compter de la même époque, nul ne pourra exercer les fonctions d'avocat près les tribunaux, et d'avoué près le tribunal de cassation, sans avoir représenté au commissaire du Gouvernement, et fait enregistrer, sur ses conclusions, son diplôme de licencié, ou des lettres de licence obtenues dans les universités, comme il est dit en l'article précédent ». Ainsi pour devenir avocat il faut détenir un diplôme universitaire [en ligne].
[16] Les avocats d’Ancien Régime avaient fait des études de droit, ils étaient passés par l’université avec ses cours de droit romain et de droit canonique en latin et un timide cours en français afin d’étudier les Ordonnances royales, en particulier celles de Louis XIV : Ch. Christian, Pigeau et Bellart : la formation des praticiens du droit de la fin de l’Ancien Régime à la Restauration, in Les praticiens du droit du Moyen Âge à l'époque contemporaine : Approches prosopographiques (Belgique, Canada, France, Italie, Prusse), Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 285-297. Or les bancs des universités étaient réservés exclusivement aux hommes.
[17] « La faiblesse du cerveau des femmes, la mobilité de leurs idées, leur destinée dans l’ordre social, la nécessité d’une constante et perpétuelle résignation et d’une sorte de charité indulgente et facile, tout cela ne peut s’obtenir que par la Religion, par une religion charitable et douce », Napoléon Ier, Lettre à M. de Lacépède, Grand Chancelier de la Légion d’honneur, 15 mai 1807. Voir à ce sujet R. Rogers, Les bourgeoises au pensionnat : L'éducation féminine au xixe siècle, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 33-65.
[18] H. Duffuler-Vialle, Chronologie des droits des femmes en France de la Révolution française à nos jours, Musée Criminocorpus [en ligne].
[19] L’ordonnance royale du 3 avril 1820 évoque les écoles de filles et demande à chaque canton d’organiser l’instruction primaire des filles sous la surveillance d’un comité et le 31 octobre 1821 une ordonnance du roi crée des maisons d’éducation de degrés supérieurs de filles. La loi sur l’enseignement du 15 mars 1850, donc sous la Deuxième République, précise le contenu des enseignements primaires dispensés aux filles, qui est le même que celui des garçons, avec en plus des travaux d’aiguille, ibid.
[20] Loi du 28 juin 1833 [En ligne].
[21] R. Rogers, op. cit.; D. Dinet, L’éducation des filles de la fin du 18e siècle jusqu’en 1918, Revue des sciences religieuses [Online], 85/4 | 2011.
[22] De nombreuses études lui sont consacrées : A. Thiercé, La pauvreté laborieuse au XIXe siècle vue par Julie-Victoire Daubié, La découverte, Paris, 1999, p. 110-128 ; G. Fraisse, Julie-Victoire Daubié (1824-1874). Intellectuelle pionnière, in Féminisme et philosophie, Gallimard, 2020, p. 277-281 ; V. André-Durupt, Julie-Victoire Daubié la première bachelière, Amis du Vieux Fontenoy, Épinal, 2011 ; C. Christen-Lecuyer, Histoires de pionnières, La bachelière, revue du MAGE, L'Harmattan, Paris, 2000 ; M. Perrot, Avant-propos de la Femme Pauvre au dix-neuvième siècle, Côté-femmes, 1992 ; Y. Ripa, Femmes d’exception : les raisons de l'oubli, Le Cavalier Bleu, 2018.
[23] J.-V. Daubié, La Femme pauvre au XIXe siècle, Paris, Guillaumin, 1866, 2e éd., Paris, Thorin, 1869-1870.
[24] Féministe saint-simonien, proche de Rosa Bonheur et Georges Sand, qui a, pour l’anecdote, accolé le nom de son épouse à son nom dans un geste de défi envers l’usage et la tradition afin d’affirmer au sein de son couple l’égalité femme-homme N. Dockès-Lallement, D. Saint-Pierre (dir.), Arlès-Dufour, François, in Dictionnaire historique des Académiciens de Lyon : 1700-2016, Lyon, éd. Asbla, 2017, p. 47-53.
[25] A. Thiercé, Julie-Victoire Daubié première bachelière de France – De la condition économique morale et politique de la femme au XIXe, in Bulletin du centre Pierre Léon d'histoire économique et social, mars 1993.
[26] C. Christen-Lécuyer, Les premières étudiantes de l'Université de Paris, in Travail, genre et sociétés, vol. 4, n° 2, 2000, p. 35-50.
[27] H. Duffuler-Vialle. Chronologie…, op. cit.
[28] J. Crouzet-Ben-Aben, Bachelières d’aujourd’hui et bachelières d’autrefois, in La Grande Revue, 10 décembre 1911, citée par C. Christen-Lécuyer, Les premières…, op. cit.
[29] « Comment, Monsieur, dit ma mère au secrétaire, dans un pays où il est écrit même sur les portes des prisons : Liberté, Egalité, Fraternité, vous empêcheriez une femme de s’instruire, rien que parce qu’elle est femme » : S. Bilcesco a été interviewée par E. Charrier, L’Évolution intellectuelle féminine, Paris, Mechelinck, 1931, p. 157, citée par C. Christen-Lécuyer, ibid. Voir aussi J.-F. Condette, « Les Cervelines » ou les femmes indésirables. L'étudiante dans la France des années 1880-1914, in Carrefours de l'éducation, vol. 15, n° 1, 2003, p. 38-61.
[30] « La femme » n’a pas l’esprit juridique, mais davantage l’esprit mathématique car la femme est intuitive, elle trouve une solution sans pouvoir intellectualiser son raisonnement et l’expliquer ou en appliquant un raisonnement purement déductif en application de règles précises, alors que pour le droit, il faut un esprit déductif, mais aussi une souplesse que la femme n’a pas : « ce qui manque à l’esprit féminin c’est le raisonnement juridique, nuancé ; son esprit en effet voit juste sans démêler les motifs de cette perception, c’est un soleil sorti brusquement du brouillard » F. Vitry, L’heure de la femme, in La Renaissance politique, littéraire, artistique, 27 août 1921, citée par C. Christen-Lécuyer, Les premières…, op. cit.
[32] Cette synthèse est directement issue des précieux travaux de C. Christen-Lecuyer, Les premières…, op. cit.
[33] A.-L. Catinat, Les premières avocates du barreau de Paris, in Mil neuf cent, n° 16, 1998 ; M. Dassas, Femme de robe, Romorantin-lanthenay, Éditions Marivole, 2018 ; F. Prévôt, Jeanne Chauvin, in B. Didier, A. Fouque, M. Calle-Gruber (éd.), Le Dictionnaire universel des créatrices, Paris, Éditions des femmes, 2013 ; J. Rennes, Jeanne Chauvin, in Ch. Bard, S. Chaperon (dir.), Dictionnaire des féministes : France XVIIe – XXIe siècle, PUF, 2017.
[34] L. Frank, En cause de Melle Chauvin. La femme-avocat, exposé historique et critique de la question, Giard et Brière, Paris, 1898 ; M. Brogniez (de), Le fabuleux destin de Marie Popelin et Jeanne Chauvin ou l'histoire de l'accès des femmes au barreau en droit belge, in Revue de la Faculté de Droit de l'Université de Liège, 2016/1.
[35] A. Boigeol, Le genre comme ressource dans l'accès des femmes au « gouvernement du barreau » : l'exemple du barreau de Paris, in Genèses, vol. 67, n° 2, 2007, p. 66-88.
[36] Dalloz, Jurisprudence générale du royaume en matière civile, commerciale et criminelle : ou Journal des audiences de la Cour de cassation et des Cours royales, Dalloz, Paris, 1898, 1er cahier, 2e partie, p. 185-195.
[37] Article 30 de la loi du 22 ventôse an XII : « À compter du 1er vendémiaire an XVII, les avocats selon l'ordre du tableau, et, après eux, les avoués selon la date de leur réception, seront appelés, en l'absence des suppléants, à suppléer les juges, les commissaires du Gouvernement et leurs substituts ».
[38] Dalloz, op. cit.
[39] Voir H. Duffuler-Vialle, op. cit.
[40] Le discours des opposants à l’accès des femmes à la profession d’avocate est ponctué de plaisanteries sexistes qui suscitent les rires de l’Assemblée. Par exemple, Périer de Larsan se réfère à un exemple de la Grèce antique : Phryné, une courtisane, aurait été jugée pour impiété. Alors qu’elle allait perdre le procès, son avocat aurait alors arraché sa tunique pour dévoiler les seins de la femme devant l’aréopage. Le député ironise alors elle « produisit un plaidoyer sensationnel, suggestif et éloquent, comme une jolie femme sait toujours en produire quand elle veut s’en donner la peine (on rit) ». Quant à l’évocation de la femme avocate qui pourrait suppléer un magistrat, Périer de Larsan fait de cette éventualité une plaisanterie sans doute grivoise avec l’idée de « monter sur le siège ».
[41] Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Chambre des députés : compte rendu in-extenso, Paris, 1er juillet 1899, p. 1758-1764.
[42] Journal officiel de la République française. Débats parlementaires. Sénat : compte rendu in-extenso, Paris, 13 novembre 1900, p. 835-841.
[43] « À partir de la promulgation de la présente loi, les femmes munies des diplômes de licencié en droit seront admises à prêter le serment prescrit par l'article 31 de la loi du 22 ventôse an XII, à ceux qui veulent être reçus avocats et à exercer la profession d'avocat sous les conditions de stage, de discipline et sous les obligations réglées par les textes en vigueur » [en ligne].
[44] A. Deperchin, op. cit, p. 364.
[45] Ibid., p. 364-365.
[46] F. Corcos, Les avocates, p. 73-74, cité par C. Fillon, op. cit., p. 340.
[47] Ibid., p. 102.
[48] Ibid., p. 78.
[49] Barreau de Lille, Discours de rentrée de la conférence du stage prononcé par le bâtonnier Henri Spriet, Imprimerie Danet, 1926, p. 26 et suivantes, cité par C. Fillon, op. cit, p. 338.
[50] C. Fillon, op. cit., p. 341.
[51] F. Corcos, op. cit., p. 103-104.
[52] Ibid., p. 150.
[53] Ibid., p. 364-365.
[54] Ibid., p. 366.
[55] En outre les enjeux contemporains de l’universalisme et du différentialisme, du féminisme matérialiste ou du féminisme essentialiste, du constructivisme ou de l’abolition du genre sont totalement inconnus en 1900. Le processus de féminisation des titres n’est peut être lui-même qu’une étape vers l’abolition du genre dans la langue du droit. Dans les soutiens contemporains à la féminisation des titres, il ne faudra certainement pas en tirer ultérieurement des arguments figés contre la reconnaissance de la neutralisation du genre ou de celle de la pluralité des genres.
[56] H. Duffuler-Vialle, op. cit.
[57] A. Deperchin, op. cit., p. 370.
[58] Pour lire en détail les déboires individuels de ces pionnières, voir A.-L. Catinat, La féminisation du barreau de Paris de 1900 à 1939, in C. Bard, et al., Femmes et justice pénale : XIXe-XXe siècles, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 353-361.
[59] Parmi les études sur la féminisation de la profession et ses enjeux récents, voir : N. Lapeyre, N. Le Feuvre, 36. Avocats et médecins : féminisation et différenciation sexuée des carrières, in D. Demazière (éd.), Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Paris, La Découverte, « Recherches », 2009, p. 424-434 ; N. Le Feuvre, P. Walters, Égales en droit ? La féminisation des professions juridiques en France et en Grande-Bretagne, in Sociétés contemporaines, n° 16, « Femmes au travail : l'introuvable égalité ? », décembre 1993, p. 41-62.
[61] T. Delpeuch, L. Dumoulin Laurence, C. Galembert (de), Chapitre 7 - Professionnels du droit et de la justice, in Sociologie du droit et de la justice, Paris, Armand Colin, « Collection U », 2014, p. 205-234 ; J. Chevallier, Ce qui fait discipline en droit. Qu’est-ce qu’une discipline juridique ? Évolution et recomposition des disciplines juridiques dans les facultés de droit, Lextenso, p. 47-59, 2018.
[62] A. Boigeol, Le genre comme ressource dans l'accès des femmes au « gouvernement du barreau » : l'exemple du barreau de Paris, in Genèses, 2007/2 (n° 67), p. 66-88.
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