La lettre juridique n°937 du 9 mars 2023 : Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] L’exercice de la déduction de la TVA par les sociétés holdings : une question toujours d’actualité ?

Réf. : CAA Lyon, 15 décembre 2022, n° 21LY00167 N° Lexbase : A395584A

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par Pierre Pradeau - Olivier Galerneau et Maxime Mahtout, Avocats, EY Société d'avocats

le 08 Mars 2023

Mots-clés : TVA • holdings • droit à déduction • coefficient d’assujettissement • prestations de services

L’exercice du droit à déduction de la TVA par les sociétés holding répond à des principes désormais bien établis s’articulant autour de la règle de l’affectation, de la notion de frais généraux et de l’immixtion dans la gestion des filiales.

La cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 15 décembre 2022, s’est prononcée sur le fait de savoir si les dépenses engagées par une société holding avaient un lien direct avec son activité constituée de prestations de services rendues à ses filiales et étaient, à ce titre, déductibles.


 

Cette société holding fournissait à sa filiale, dont l’activité était le courtage en produit d’assurance pour les animaux, des prestations de gestion des feuilles de soins et des données médicales sur la base de contrats conclus entre les deux sociétés et percevait une rémunération fixée sur la base d’un prix fixe forfaitaire mensuel déterminé en fonction du nombre de contrats créés par sa filiale.

La société holding a acquis des prestations de services de gestion, de marketing, de conseil, d’assistance, de développement stratégique et commercial dans le domaine de la santé et de l’assurance pour animaux et a déduit l’intégralité de la TVA grevant ces dépenses au titre de ses frais généraux.

L’administration fiscale a contesté la déduction de la TVA effectuée par la société holding au titre de ces prestations et a redressé cette dernière du montant de la TVA déduite au motif que le prix de ces prestations n’aurait pas été répercuté à sa filiale.

I. Un arrêt rappelant le principe de l’immixtion dans la gestion des filiales

Dans les nombreuses jurisprudences rendues par les juridictions françaises et par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), le débat s’est cristallisé autour de la notion d’immixtion des sociétés holding dans la gestion de leurs filiales.

Cette notion d’immixtion dans la gestion des filiales [1] permet en effet de déterminer si la société holding agit dans le cadre d’une activité économique assujettie à la TVA tournée vers ses filiales, ou si elle agit dans le cadre de la seule gestion de son patrimoine (c’est-à-dire dans le cadre de la gestion de ses participations).

Il est désormais établi que pour déterminer si une société holding est en mesure de déduire un montant de TVA supporté au titre d’une dépense, il convient de rechercher dans un premier temps si la société s’immisce directement ou indirectement dans la gestion des sociétés dont elle détient des titres, puis, dans un second temps, si tel est le cas, la dépense d’amont à un lien direct et immédiat avec l’activité économique déployée par la société.

Ainsi, si une société holding se borne à détenir des participations dans des sociétés sans s’immiscer dans la gestion de ces dernières, elle n’agit pas en qualité d’assujetti à la TVA au titre de la détention de ses participations et elle ne peut donc exercer aucun droit à déduction à ce titre (son coefficient d’assujettissement est alors égal à 0).

Inversement, si la société holding s’immisce dans la gestion de ses filiales en lui fournissant des prestations administratives, financières et juridiques par exemple, cette immixtion, qui se caractérise par la fourniture de services, confère à la société holding la qualité d’assujetti à la TVA au titre de l’exercice de cette activité économique dès lors qu’une contrepartie existe.

Dans cette situation, lorsqu’une immixtion peut être caractérisée, la TVA ayant grevé les dépenses d’amont supportées par la société holding pourra être déductible dès lors que les dépenses d’amont ont un lien direct et immédiat avec des opérations soumises à la TVA en aval.

En effet, il est de jurisprudence constante que « en principe, l'existence d'un lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction est nécessaire pour qu'un droit à déduction de la TVA en amont soit reconnu à l'assujetti et pour déterminer l'étendue d'un tel droit » [2].

En l’espèce, c’est précisément ce raisonnement que la Cour administrative d’appel de Lyon a appliqué afin de déterminer si les dépenses supportées par la société holding étaient déductibles. À ce titre, elle ne conteste pas le fait que la société holding s’immisce dans la gestion de sa filiale, mais elle considère que les prestations de services de gestion, de marketing, de conseil, d’assistance, de développement stratégique et commerciale dans le domaine de la santé et de l’assurance pour animaux acquises par la holding ne se rattachent pas à son activité économique de gestion et de saisie de feuilles de soins des contrats conclus par sa filiale. 

Pour autant, selon nous, la Cour semble s’être arrêtée à la première étape du raisonnement qui doit être appliqué dans la mesure où lorsqu’une dépense n’a pas un lien direct et immédiat avec une opération d’aval, il convient de s’interroger si la théorie des frais généraux est applicable.

II. La non-application de la théorie des frais généraux aux prestations litigieuses, une décision délibérée ou un dommage collatéral ?

Dans l’affaire en cause, la société holding soutenait que les prestations de services de gestion, de marketing, de conseil, d’assistance, de développement stratégique et commercial acquises avaient le caractère de frais généraux et étaient des éléments constitutifs du prix des biens ou services qu’elle fournissait à sa filiale. À ce titre la société holding soutenait que la TVA ayant grevé ces prestations était intégralement déductible.

S’agissant des dépenses n’ayant pas de lien direct et immédiat avec une ou plusieurs opérations en aval, il a été reconnu par la jurisprudence que celles pouvant être qualifiées de frais généraux ouvrent droit à déduction dans la mesure où elles ont un lien direct et immédiat avec l’ensemble de l’activité économique déployée par l’assujetti [3].

Au cas particulier, il semble que la Cour administrative d’appel se soit émancipée de cette théorie en recherchant si les modalités de détermination du prix des prestations rendues par la société holding à sa filiale étaient déterminées en prenant en compte les prestations litigieuses et non en recherchant si les prestations en cause se rattachaient à l’ensemble de l’activité économique.

La Cour relève en effet que  « la requérante a communiqué à l’administration le détail des coûts refacturés par la requérante à sa filiale ayant permis de déterminer la rémunération forfaitaire prévue par les contrats, ces coûts portant sur les salaires, les locations, les services informatiques et les frais de gestion » et en déduit qu’ « il n’apparaît pas dans les éléments ainsi communiqués à l’administration lors des opérations de vérification, que le coût de ces prestations intègrerait également […], les dépenses litigieuses, [..] [et] n’apporte pas plus d’élément ou de précision sur la nature des autres activités qu’elle prétend exercer, alors qu’il résulte de l’instruction que l’essentiel de l’activité facturée à sa filiale, la société Vetassur, porte sur les prestations de gestion et saisie de feuilles de soins des contrats conclus par cette filiale et la gestion de produits annexes ».

Autrement dit, la Cour a considéré que le coût des prestations n’ayant pas été répercuté ne serait-ce que partiellement par la société holding à sa filiale, ces prestations ont été fournies à titre gratuit.

Se fondant alors sur le principe du lien direct et immédiat décrit succinctement ci-dessus, elle considère que ces prestations n’ont pas été engagées par la holding dans le cadre de son immixtion dans la gestion de sa filiale et rejette en conséquence la déduction de la TVA ayant grevé ces dépenses.

La Cour semble rejeter la qualification de frais généraux aux prestations litigieuses au motif que les prestations acquises ne seraient pas constitutives d’un chiffre d’affaires taxable et se fonde, pour ce faire, sur une ordonnance de la CJUE [4] rendue en 2017.

Il nous semble qu’il aurait été intéressant que la Cour s’interroge sur le fait de savoir si les prestations litigieuses pouvaient être qualifiées de frais généraux puisque ces derniers constituent, par nature, des dépenses d’amont qui certes n’entretiennent pas un lien direct et immédiat avec les dépenses d’aval, mais ont un lien direct et immédiat avec l’ensemble des activités économiques déployées par la société holding.

La position adoptée par la Cour administrative d’appel pourrait, nous semble-t-il, être contestée dans la mesure où le raisonnement adopté peut être assimilé à la logique de l’acte anormal de gestion applicable en matière de bénéfices industriels et commerciaux et d’impôts sur les sociétés. En effet, on pourrait s’interroger sur le fait de savoir si la décision prise par la cour n’a pas été uniquement guidée par le fait que le prix des prestations litigieuses acquises par la société holding n’a pas été répercuté, ne serait-ce que partiellement, à sa filiale. Or, il est constant que cette notion d’acte anormal de gestion n’existe pas en matière de TVA.

Cette décision nous semble également différente de celle rendue récemment par la CJUE dans un arrêt « W GmbH » du 8 septembre 2022 [5]. En effet, dans cette affaire, la Cour de Justice de l’UE a considéré que la TVA supportée au titre de prestations de services acquises par une société holding n’était pas déductible dans la mesure où elle apportait ces prestations aux filiales en échange de l’octroi d’une participation aux bénéfices généraux, et que les prestations :

  • avaient des liens directs et immédiats avec les activités majoritairement exonérées des filiales ;
  • n’entraient pas dans le prix des opérations imposables réalisées en faveur des filiales ; et,
  • ne faisaient pas partie des frais généraux de l’activité économique propre à la société holding.

La cour avait relevé, concernant la qualification ou non de frais généraux des opérations en cause, qu’il s’agissait de dépenses qui « constituent l’objet même de la contribution d’associée de W à ses filiales » et qu’une telle contribution qu’elle soit « en numéraire ou en nature relève de la détention de parts sociales qui […] ne constituent pas une activité économique au sens de la Directive TVA ».

Autrement dit, c’est parce que ces dépenses étaient intrinsèquement liées aux parts sociales détenues par la société W dans ces filiales qu’elles ne pouvaient pas avoir le caractère de frais généraux.

Ainsi, l’arrêt de la cour administrative de Lyon nous semble contestable puisqu’il semble s’appuyer sur le seul fait que la SAS La compagnie des animaux n’a pas été en mesure de démontrer que le prix des prestations acquises avait été répercuté, au moins partiellement, à sa filiale et qu’en ne recherchant pas si ces dépenses se rattachaient ou non à l’ensemble des activités déployées par la société holding, il semble se détourner de la théorie des frais généraux.

Pour autant, cet arrêt met en lumière qu’une attention particulière doit être portée par les opérateurs sur les dépenses qualifiées de frais généraux. En effet, considérer que la notion de frais généraux a un caractère « attrape-tout » permettant la déduction de la TVA grevant l’ensemble des dépenses acquises par les sociétés holdings sans rechercher si lesdites dépenses peuvent bien être qualifiées de frais généraux semble de plus en plus téméraire au regard des jurisprudences récentes.

 

[1] Voir en ce sens notamment : CJUE, 16 juillet 2015 aff.  C-108/14 et C-109/14, Beteiligungsgesellschaft Larentia + Minerva mbH & Co. KG N° Lexbase : A1668RQT ; CJUE 5 juillet 2018 aff. C-320/17, Marle Participations SARL N° Lexbase : A9951XU4.

[2] Voir notamment en ce sens CJUE 8 juin 2000 aff. C-98/98, Commissioners of Customs and Excise c/ Midland Bank plc N° Lexbase : A2016AII.

[3] Voir notamment en ce sens CJUE, 16 juillet 2015 aff. C-108/14 et C-109/14 précité.

[4] CJUE, 12 janvier 2017, aff. C-28/16, Nemzeti Adó- és Vámhivatal Fellebbviteli Igazgatóság N° Lexbase : A3986TBA.

[5] CJUE, 8 septembre 2022 aff. C-98/21, W GmbH N° Lexbase : A23978HA.

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