Lexbase Fiscal n°536 du 18 juillet 2013 : Procédures fiscales

[Projet, proposition, rapport législatif] Complicité de l'avocat, montages internationaux, modernisation de l'administration et preuve - Commentaire du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

Réf. : Projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

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[Projet, proposition, rapport législatif] Complicité de l'avocat, montages internationaux, modernisation de l'administration et preuve - Commentaire du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8900066-projet-proposition-rapport-legislatif-complicite-de-lavocat-montages-internationaux-modernisation-de
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par Matthieu Sabonnadière, Master II Fiscalité de l'Entreprise, Université Paris Dauphine

le 18 Juillet 2013

Le nouveau projet de loi visant à lutter contre la fraude fiscale s'inscrit en cohérence avec la politique du Gouvernement, soutenu par les travaux des instances internationales ; il propose de faire de la complicité de fraude fiscale et des montages internationaux des circonstances aggravantes, tout en promettant de moderniser les pouvoirs de contrôle de l'administration, notamment en mettant fin aux débats autour de l'admissibilité d'une preuve obtenue de manière illicite. Ce faisant, il soulève un certain nombre d'interrogations, en particulier à raison du traitement réservé aux avocats impliqués dans un montage frauduleux. La fraude fiscale est un mal à double titre ; parce qu'elle soustrait des sommes à l'impôt elle est combattue par l'administration fiscale, et parce qu'elle est une atteinte au pacte social elle est réprimée par la juridiction pénale. Les affaires "HSBC", "UBS" ou encore "Offshore Leaks" ont levé le voile sur toute une galaxie de montages destinés à échapper à l'impôt français, faisant prendre conscience à la France de l'ampleur du phénomène, évalué entre 15 et 25 % des recettes fiscales brutes en 2012 (1). Si des premières mesures avaient été mises en place en 2012, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière propose de renforcer les moyens de lutte contre la fraude fiscale (I). Ce projet contient également un second volet, destiné à accroître les pouvoirs de l'administration fiscale (II). Si le projet de loi est actuellement au Sénat, il est possible d'en présenter les grandes lignes telles qu'issues des débats du Palais Bourbon, en excluant toutefois les nouvelles dispositions en matière d'atteintes à la probité.

I - Le renforcement de la lutte contre la fraude fiscale

Le projet tend à une sévérité accrue des sanctions de la fraude fiscale, en particulier à l'encontre des complices (A) et des montages internationaux (B).

A - L'avocat au coeur de la complicité de blanchiment de fraude fiscale ?

Le projet de loi traduit la volonté d'incriminer toutes les personnes ayant participé à l'organisation d'une fraude fiscale. Ainsi, constituera un blanchiment de fraude fiscale, "le fait de dissimuler ou de déguiser, ou d'aider à dissimuler ou à déguiser, l'origine des biens ou revenus dont la preuve n'a pas été apportée qu'ils ne sont pas illicites" (2). Cette modification de l'article 324-1 du Code pénal (aujourd'hui rédigé comme suit N° Lexbase : L1789AM9) devrait être terriblement efficace, d'autant qu'il est proposé que les "repentis" qui permettraient d'identifier les auteurs d'une infraction bénéficieraient d'une réduction ou d'une exemption de peine (3) et qu'une protection de portée générale soit octroyée aux "lanceurs d'alerte" qui témoigneraient sur une infraction pénale dont ils ont connaissance dans l'exercice de leurs fonctions (4). La délation s'en trouve, sinon favorisée, du moins encouragée, les affaires "UBS" et "HSBC" ayant prouvé leur efficacité à l'administration fiscale.

On peut néanmoins s'interroger sur la portée pratique de cette réforme, car, selon le nouveau texte de l'article 324-1 du Code pénal, sont clairement concernés les conseillers fiscaux ayant pris part à de tels montages. Cela imposerait de devoir systématiquement vérifier l'origine des sommes en cause, ce qui impliquerait nécessairement la complète coopération du client, ainsi que la disposition du temps nécessaire à la réunion des preuves. Le législateur se retrouverait alors face à des problématiques similaires à celles connues lors de la mise en place de Tracfin en 2011. Quel serait le degré de vérification satisfaisant ? Si le client n'est pas de bonne foi, le conseil en subira-t-il les conséquences ? L'avocat devra-t-il, dans l'hypothèse où un doute sur l'origine des sommes existerait, dénoncer son client sous peine de sanctions ? Un contribuable pourrait-il mettre en cause ses conseils afin de bénéficier de la réduction de peine ?

Il ressort des débats parlementaires que la place de l'avocat fiscaliste pose problème aux intervenants, notamment parce qu'il peut être acteur de l'organisation de la fraude mais est couvert par le secret professionnel et par la loyauté envers le client. Si certains dénoncent cet état de quasi-immunité, d'autres plaident pour ciseler le texte de manière à ce que des avocats n'ayant pas participé activement à la fraude ne soient pas inquiétés. Un intervenant prenait comme exemple à ce propos un avocat qui organiserait une cession d'entreprise, dont les sommes seront ensuite frauduleusement utilisées par le contribuable. Une évolution de la rédaction est donc à attendre.

Les mêmes interrogations se posent à propos de la proposition d'aggravation des sanctions de fraude fiscale en cas de fraude fiscale en bande organisée, la sanction passant de 500 000 euros d'amende et cinq ans d'emprisonnement à 2 000 000 d'euros d'amende et sept ans d'emprisonnement, sans qu'on voit bien en quoi la gravité du délit peut motiver cette différence. En effet, "constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions" (5). Or, un contribuable agit rarement seul, et c'est encore le rôle de l'avocat fiscaliste qui est mis en cause. Ainsi, il y aurait fraude fiscale simple lorsque l'avocat, voire le banquier, n'est pas mis en cause, alors qu'il y aurait aggravation lorsqu'il est prouvé, malgré la protection du secret professionnel, que le conseil avait connaissance du but de l'opération et a agi en connaissance de cause.

Au regard de ces deux dispositions, on peut se demander si elles ne conduiront pas à ouvrir le débat sur le maintien du secret professionnel en cas de forte suspicion de participation à une fraude fiscale, ce qui a d'ailleurs été évoqué lors des débats en commission. Un tel cheminement devrait nécessairement passer par la définition de la limite en fraude fiscale et optimisation fiscale, soit deux vastes chantiers qui ne devraient pas affecter les praticiens avant longtemps.

B - Une sévérité accrue quant aux optimisations patrimoniales à travers une entité étrangère

Le projet de loi renforce la sanction de deux pratiques de la fraude fiscale ; la fraude fiscale en bande organisée et la fraude fiscale au moyen de comptes ouverts à l'étranger, de contrats souscrits auprès d'organismes établies à l'étranger, de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établies à l'étranger, d'identité, de domicile ou d'acte fictifs. Ces mesures existent déjà dans la rédaction actuelle de l'article 1741 du CGI, mais uniquement lorsque est en cause un Etat ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France, depuis au moins cinq ans au moment des faits, une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale française (6). Non seulement les limites géographiques sont repoussées, mais les peines ont été drastiquement alourdies. Pour ces deux pratiques de la fraude fiscale, la sanction serait de 2 000 000 d'euros et sept ans d'emprisonnement, l'auteur ou le complice pouvant voir cette peine réduite de moitié en cas de délation.

Par ailleurs, un effort significatif serait produit contre l'utilisation de trusts, notamment par la mise en place d'un registre public des trusts, et la déclaration des noms du constituant et des bénéficiaires, alors qu'actuellement l'obligation de déclaration pesant sur l'administrateur ne concerne que l'extinction, le contenu et les termes (7). On peut cependant douter que les personnes gérant ces montages occultes s'empresseront de respecter cette obligation renforcée. Ces circonstances aggravantes entraînent la possibilité, pour les enquêteurs, de recourir aux techniques spéciales d'enquêtes, telles que la surveillance, l'infiltration ou la garde à vue de quatre jours.

Les amendements proposent également de permettre le report du point de départ du délai de prescription au jour où l'infraction a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice des poursuites (8).

Au premier abord, on constate que les auteurs sont entrés dans une surenchère répressive ; alors qu'actuellement l'utilisation d'un trust dans un Etat n'ayant pas signé de clause d'assistance administrative, et donc un Etat qui offre probablement des moyens facilitant l'évasion fiscale, est puni au maximum de 1 000 000 d'euros et sept ans de prison, le projet viendrait doubler la peine maximale, et ce pour n'importe quel Etat. Cela soulève directement la question de l'applicabilité de ce régime au sein de l'Union européenne, notamment au regard de la libre circulation des capitaux. On peut aussi s'interroger sur l'efficacité d'une telle répression ; en 2011, seules 30 % des condamnations définitives furent assorties d'une amende, et pour 86 % d'entre elles l'amende fut inférieure à 15 000 euros (9).

Les bénéficiaires et constituant de trusts avaient déjà eu l'opportunité d'échapper au couperet lors de la mise en place de la cellule de dégrisement fiscal à l'initiative d'Eric Woerth. La mise en place d'une nouvelle cellule, annoncée par Bercy le 21 juin 2013 (10), devrait inquiéter les contribuables concernés, car elle risque fort d'être la dernière sommation avant la mise en place de l'arsenal répressif élaboré dans ce projet de loi.

Afin de parachever le dispositif, les compétences relatives notamment à la fraude fiscale complexe, la fraude fiscale en bande organisée et leur blanchiment devraient être concentrées au sein d'un parquet financier à compétence nationale distinct du parquet de Paris, dirigé par le procureur de la République financier (11), qui récupèrera par ailleurs la compétence exclusive pour les délits boursiers. En parallèle de cela, les compétences des pôles économiques et financiers devraient être transférées aux juridictions interrégionales spécialisées, ce qui devrait, à terme, conduire à considérer une évolution de leurs moyens.

II - L'accroissement des pouvoirs de l'administration fiscale

Le projet de loi continue la modernisation de l'administration fiscale (A) et éclaircit la question de la recevabilité de la preuve obtenue de manière illicite (B)

A - La modernisation des pouvoirs d'enquêtes

On ne peut prétendre lutter plus fortement contre la fraude fiscale sans donner à l'administration les moyens de la déceler ; en effet, la France connaît un régime très spécifique, qui restreint la mise en mouvement de l'action publique par le procureur de la République au dépôt d'une plainte par l'administration devant la Commission des infractions fiscales, sous réserve d'un avis conforme.

Cet accroissement des pouvoirs de l'administration avait déjà été mis en branle par la dernière loi de finance rectificative pour 2012 (12), notamment en créant des conditions spécifiques pour les perquisitions informatiques, une obligation de présentation de la comptabilité sous forme dématérialisée lors des vérification de comptabilité, ainsi qu'une extension de la flagrance fiscale.

Le projet de loi à l'étude vient notamment réformer les conditions de contrôle inopiné de l'administration, en permettant la prise de copies informatiques de la comptabilité qui seraient ensuite placées sous scellé afin de garantir la bonne foi des acteurs de la vérification (13), mais qui n'est que la contrepartie de la possibilité, de facto accrue, de manipulations par l'administration des informations collectées.

Surtout, la compétence de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) est étendue au blanchiment de fraude fiscale, en plus de la fraude fiscale d'une particulière complexité, c'est-à-dire dans laquelle apparaissent l'utilisation de faux documents ou des flux suspects passants par des pays étrangers considérés comme des paradis fiscaux (14). Le but de cette modification est de permettre "une saisine plus souple du service, en évitant, le cas échéant, l'obligation d'une plainte préalable des services fiscaux" (15). A terme, cette brigade devrait être intégrée dans un futur Office central de lutte contre la corruption et la fraude fiscale (16), dont les lignes restent encore à préciser.

Si l'enquête s'avérait concluante, l'administration bénéficierait alors d'un délai allongé pour déposer plainte, soit 6 ans au lieu de 3 ans (17).

Le législateur souhaite, par toute une série de dispositions, améliorer les dispositifs de saisie des avoirs criminels (18), la plus emblématique étant sous doute la proposition d'instaurer une peine complémentaire de confiscation générale du patrimoine en cas de condamnation d'une personne morale pour blanchiment (19), sanction existant déjà pour les personnes physiques.

Ces dispositions viennent compléter le projet de moderniser les pouvoirs de l'administration, notamment en prenant davantage en compte les possibilités offertes par l'utilisation de l'outil informatique. C'est finalement un projet très cohérent qui est proposé sur ces enjeux, et qui a le mérite de ne pas léser les intérêts du contribuable.

B - Les clarifications attendues sur l'administration de la preuve

Ce qui est sans doute l'apport majeur du projet de loi n'apparaît qu'en son article 10 : l'administration pourra recourir à tout type de preuve, même illicite. Ce principe est cependant encadré par deux réserves. La première porte sur la provenance des preuves, qui devront être communiquées à l'administration soit par une autorité judiciaire, soit dans le cadre d'une assistance administrative internationale. La seconde exclut les procédures de visite domiciliaire. Comme l'énonce Mme Sandrine Mazetier, dans son avis devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, "le but de cette disposition est de sécuriser les procédures de contrôle fiscal à caractère contradictoire, eu égard au risque d'extension de la règle jurisprudentielle interdisant la production de preuve obtenue de façon illicite, au soutien d'une demande de visite domiciliaire". Cette mesure, en effet, s'imposait ; à la suite de l'affaire des fichiers volés d'HSBC, l'administration avait utilisé les informations ainsi obtenues pour mener une campagne de visites domiciliaires. L'un d'eux avait contesté cette procédure jusque devant la Cour de cassation, qui s'était fondé sur l'origine illicite de la preuve pour annuler la visite domiciliaire (20). Potentiellement, c'était donc l'ensemble des visites justifiées par ce listing, ainsi que les rehaussements opérés qui pouvaient être annulés. Mais, alors que les procédures fiscales et pénales sont étroitement liées, l'administration fiscale pouvant exercer son droit de communication pour obtenir des éléments de preuves auprès de la juridiction répressive, elle jugeait le même jour, dans l'affaire "Bettencourt", qu'une preuve obtenue de manière illicite était admissible (21).

Face à cette situation, il semblait nécessaire d'établir un principe, afin de garantir la sécurité juridique du contribuable. A ce titre, l'exclusion des procédures de visite domiciliaire ne remet pas en cause la décision de la Cour de cassation et devrait, si elle est retenue, mettre fin aux procédures basées sur la communication de listings arrachés au secret bancaire helvète. Néanmoins, on peut interroger la compatibilité de ce régime avec la protection accordée aux "lanceurs d'alertes" dans le même projet ; si on autorise des professionnels à dénoncer à l'administration des pratiques d'une société ou d'un particulier, ne doit-on considérer pas qu'il doit rapporter la preuve de ses allégations ? Dans l'hypothèse où il dénoncerait les pratiques de sa propre société, l'utilisation de documents et d'informations de la société sans son autorisation ne serait-elle pas illicite ? Sans parler d'un avocat qui dénoncerait ses clients, violant ainsi le secret professionnel...

Face à ces nombreuses interrogations, nous ne pouvons qu'attendre le texte définitif et suivre avec intérêt les discussions parlementaires. Rendez-vous est déjà pris pour la discussion publique au Sénat.


(1) Rapport "Evasions et fraudes fiscales, contrôle fiscal" du syndicat Solidaires Finances Publiques, janvier 2013.
(2) Article 2 bis du projet de loi.
(3) Article 1er ter du projet de loi.
(4) Article 9 septies du projet de loi.
(5) C. pén., art. 132-71 (N° Lexbase : L0425DZR).
(6) CGI, art. 1741, alinéa 1er (N° Lexbase : L4664ISK).
(7) Article 3 bis B du projet de loi, venant modifier l'article 1649 AB du CGI (N° Lexbase : L9523IQR).
(8) Article 9 quater du projet de loi.
(9) voir le rapport 2012 de la DGFiP.
(10) Voir le communiqué de presse du ministère du Budget du 21 juin 2013.
(11) Voir le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier, en discussion les 17 et 18 juillet 2013 au Sénat, en même temps que le projet de loi étudié.
(12) Loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L7970IUQ).
(13) Article 3 bis E du projet de loi.
(14) Voir le site internet de la BNRDF.
(15) Etude d'impact préalable au projet de loi.
(16) Extrait du compte rendu du conseil des ministres du 24 avril 2013 (lire N° Lexbase : N6871BTN).
(17) Article 11 sexies du projet de loi.
(18) Articles 4 à 9 et 11 du projet de loi.
(19) Article 4 du projet de loi.
(20) Cass. com., 31 janvier 2012, n° 11-13.097, FS-P+B (N° Lexbase : A9002IBZ).
(21) Cass. crim., 31 janvier 2012, n° 11-85.464, F-P+B+I (N° Lexbase : A6672IBQ).

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