Réf. : Cass. civ. 1, 23 mars 2022, n° 17-17.981, FS-P+B N° Lexbase : A12697RG
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par Lalaina Chuk Hen Shun, Docteur en droit
le 04 Avril 2022
► La reconnaissance ou l’exécution d’une sentence, qui aurait pour effet de faire bénéficier à leur auteur le produit d’activités frauduleuses, viole de manière caractérisée l'ordre public international, de sorte qu'il y a lieu d'en prononcer l'annulation ; le contrôle du juge de l’annulation, mené pour la défense de l’ordre public international, n’est ni limité aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni lié par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux.
Faits et procédure. En 2007, un investisseur letton acquiert, à la suite d’un appel d’offres, une banque kirghize qui, en 2010, après l’avènement d’un nouveau régime au Kirghizistan, est placée, par décret, sous administration provisoire, puis sous séquestre. Se prévalant d’un traité bilatéral d’investissement (TBI) conclu en 2008 entre la République de Lettonie et la République du Kirghizistan [en ligne], l’investisseur letton introduit une procédure d’arbitrage ad hoc. Cette dernière aboutit à une sentence, rendue à Paris le 24 octobre 2014, condamnant l’État Kirghize au paiement d’une somme de 15,2 millions USD.
La sentence a, par la suite, été annulée par la cour d’appel de Paris qui juge que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence viole de manière manifeste, effective et concrète l'ordre public international (CA Paris, 21 février 2017, n° 15/01650 N° Lexbase : A6016TN7).
L’investisseur letton forme, contre l’arrêt du juge parisien, un pourvoi qui a d’abord été radié en janvier 2018 en application de l'article 1009-1 du CPC N° Lexbase : L7859I4T selon lequel l’affaire peut être radiée à la demande du défendeur lorsque le demandeur ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée de pourvoi. Le pourvoi a été, finalement, réinscrit au rôle par ordonnance du 21 janvier 2021
Pourvoi. Devant la Cour de cassation, l’investisseur fait valoir deux moyens.
Il fait, d’abord, grief à l’arrêt d’annuler la sentence en procédant à une nouvelle instruction au fond de l’affaire. Il soutient que l’office du juge de l’annulation se restreint à l’admission ou le refus de l’insertion de la sentence dans l’ordre juridique français, mais ne s’étend pas à l’examen de l’affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d’arbitrage.
Ensuite, le demandeur au pourvoi soutient que le juge parisien aurait violé l’article 455 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6565H7B en se bornant à affirmer que le succès foudroyant de la banque dans un temps aussi bref, dans un pays aussi pauvre, n'est pas explicable par des pratiques bancaires orthodoxes.
Réponse de la Cour. Sur ce second moyen, la Cour juge que c’est sans méconnaître le principe de la contradiction et sans statuer par voie de simples affirmations que la cour d'appel a jugé que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence violait de manière caractérisée l'ordre public international.
En réponse au premier moyen, la première chambre civile précise les contours du contrôle de la contrariété à l’ordre public international exercé par le juge de l’annulation. Elle abonde, d’abord, dans le sens de la cour d’appel réaffirmant que la prohibition du blanchiment relève de l'ordre public international. Elle poursuit en approuvant la démarche de juge parisien qui a recherché si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence était de nature à entraver l'objectif de lutte contre le blanchiment en faisant bénéficier une partie du produit d'activités de cette nature.
Par ailleurs, la Cour de cassation acquiesce à ce que, dans cette recherche, le juge de l’annulation ne se limite pas aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni ne soit lié par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux. Selon le Haut magistrat, il ne s’agit pas, dans ce cas, d’une nouvelle instruction ni d’une révision au fond de la sentence, mais une appréciation différente sur les faits au regard de la seule compatibilité de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international. La première chambre approuve ainsi l’examen, duquel résultent des indices graves, précis et concordants de ce que la reprise de la banque par l’investisseur avait été réalisée afin de développer des pratiques de blanchiment.
Solution. La Cour de cassation rejette le pourvoi.
Pour aller plus loin : v. L. Chuk Hen Shun, ÉTUDE : L’arbitrage, Les voies de recours contre la sentence arbitrale, in Procédure civile, (dir. E. Vergès), Lexbase N° Lexbase : E30494YL. |
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