Lexbase Droit privé n°527 du 16 mai 2013 : Européen

[Communiqué] Le "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne" : un nouvel outil européen d'évaluation du système judiciaire des Etats membres

Réf. : Communication du 27 mars 2013 de la Commission, COM(2013) 160 final, 27 mars 2013

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par Guillaume Payan, Maître de conférences à l'Université du Maine, Membre du Thémis-Um (e.a. 4333)

le 16 Mai 2013

Dans sa communication du 27 mars 2013, intitulée "Le tableau de bord de la justice dans l'Union européenne : un outil pour promouvoir une justice effective et la croissance" (1), la Commission européenne annonce la création d'un nouvel outil européen d'évaluation du système judiciaire de tous les Etats membres et présente les premiers résultats de cette évaluation. Tout en respectant la diversité des systèmes et traditions juridiques des Etats membres, le tableau de bord mis en place permet de situer chaque Etat européen par rapport aux autres, au moyen de plusieurs indicateurs ayant trait à l'organisation de la justice. Plus généralement, il permet de réaliser -périodiquement (2)- une photographie de la situation de la justice en Europe et de pointer certains dysfonctionnements pouvant constituer un frein au retour de la croissance et de la compétitivité. Si la création de ce nouveau dispositif doit être saluée comme un pas supplémentaire vers l'élaboration d'un véritable espace judiciaire européen, des modifications devront sans doute lui être apportées afin d'enrichir les prochaines éditions de données supplémentaires et d'accentuer sa valeur ajoutée par rapport aux autres dispositifs de collecte de données élaborés notamment sous l'égide du Conseil de l'Europe. La particularité du système d'évaluation mis en place. Le nouvel outil d'évaluation créé a la particularité de s'attacher au fonctionnement des systèmes nationaux de justice. Il se distingue en cela d'une évaluation de la mise en oeuvre des instruments (législatifs) adoptés par l'Union européenne. Le principe de ce second type d'évaluation (3) avait été consacré dans le programme de La Haye adopté lors du Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004 (4), puis a été précisé par la Commission européenne dans une communication du 28 juin 2006 intitulée "Evaluer les politiques de l'Union européenne en matière de liberté, de sécurité et de justice" (5). Depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, l'article 70 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) (N° Lexbase : L2721IPH) offre d'ailleurs une base juridique à cette évaluation (6). A la vérité, ces deux types d'évaluation -celui portant sur les politiques de l'Union européenne et celui concernant les systèmes nationaux de justice- sont tout à fait complémentaires et peuvent tous deux être présentés comme des facteurs de nature à accroître la confiance nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur.

La justification de l'évaluation des systèmes nationaux de justice. L'élaboration d'un nouveau dispositif d'évaluation des systèmes nationaux de justice est justifiée par le contexte économique et financier actuel. Pour la Commission européenne, la crise économique et financière conduit les Etats à procéder à différentes réformes et "les systèmes judiciaires nationaux jouent un rôle essentiel dans ce processus de réforme, dans la mesure où ils contribuent à restaurer la confiance et à favoriser le retour de la croissance" (7). Elle ajoute, avec raison, qu'un "système judiciaire efficace et indépendant est [...] un facteur de confiance et de stabilité" et cite les exemples fournis par certains Etats membres -Grèce, Irlande, Lettonie et Portugal- faisant actuellement l'objet de programmes d'ajustement économique et pour lesquels la réforme du système judiciaire est "devenue partie intégrante des composantes structurelles de ces programmes". Or, pour accompagner ou encourager les réformes portant sur l'organisation de la justice dans les Etats membres, dans le but de favoriser le retour de la croissance, ces Etats doivent disposer de "données objectives, fiables et comparables". Données, qui sont présentées et classées dans le tableau de bord diffusé par les services de la Commission européenne.

Dans sa communication du 27 mars 2013, la Commission européenne n'annonce pas seulement la création d'un nouvel outil européen d'évaluation des systèmes de justice nationaux (I), elle présente également les premiers résultats de cette évaluation (II).

I - Un nouvel outil européen d'évaluation des systèmes de justice nationaux

Avant de présenter les principales caractéristiques du système d'évaluation créé (B), il convient d'insister sur son utilité (A).

A - L'utilité d'un "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne"

Tel qu'il est conçu par la Commission européenne, le "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne" vise "à aider l'Union européenne et ses Etats membres à accroître l'effectivité de la justice, en leur fournissant des données objectives, fiables et comparables sur le fonctionnement de tous les systèmes de justice nationaux" (8). Ainsi, ce nouvel outil devrait présenter une réelle utilité tant pour les Etats membres de l'Union européenne, que pour l'Union européenne elle-même.

Utilité pour chaque Etat membre de l'Union européenne. Les données qui figurent dans le tableau de bord peuvent faire prendre conscience aux Etats membres de l'opportunité d'une réforme de leur système judiciaire. Ce nouveau système d'évaluation présente également une utilité certaine pour les Etats membres souhaitant réformer leur droit procédural national, en mettant en lumière les aspects à réformer en priorité. Toutefois, le dispositif mis en place n'apporte aucune précision sur la façon dont la réforme envisagée doit s'opérer. Ainsi, la lecture attentive des résultats figurant dans ce tableau de bord doit opportunément être complétée par des recherches approfondies sur la législation procédurale nationale des Etats qui enregistrent les "meilleurs" résultats. De ce point de vue, l'élaboration de ce tableau de bord est parfaitement complémentaire avec la création, en novembre 2008, du "réseau de coopération législative des ministères de la Justice de l'Union européenne". On le sait, ce réseau est un système d'échanges des informations juridiques entre les Etats membres visant principalement à faciliter le recours au droit comparé lors de l'élaboration des législations nationales (9).

Utilité pour l'Union européenne. L'évaluation périodique des systèmes nationaux de justice peut présenter un intérêt pour le législateur de l'Union européenne et, plus généralement, pour l'effectivité du droit de l'Union européenne. Tout d'abord, l'efficacité des législations nationales procédurales a une incidence sur l'effectivité du droit de l'Union européenne lorsque les juridictions des Etats membres appliquent ce droit ou en sanctionne le non-respect. Ensuite, l'efficacité des législations nationales contribue à générer et à accroître la confiance mutuelle indispensable à l'élaboration d'un véritable Espace judiciaire européen. En effet, comme le rappelle la Commission européenne, la conception et la mise en oeuvre des instruments de l'Union européenne -Règlements et/ou Directives- fondés sur le principe de la reconnaissance mutuelle et la coopération sont tributaires d'un niveau élevé de confiance mutuelle, "les citoyens, les entreprises, les juges et les pouvoirs publics [étant] censés se fier aux décisions de justice arrêtées dans un autre Etat membre, les respecter, les reconnaître et les exécuter" (10).

B - Les caractères du "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne"

Si le tableau de bord élaboré par les services de la Commission européenne dispose d'un vaste domaine (2), sa portée apparaît assez restreinte en ce qu'il laisse les Etats membres entièrement libres de définir les conséquences à tirer des résultats présentés (1).

1) La portée restreinte du tableau de bord

Le "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne" est conçu comme un instrument visant à fournir un complément d'informations sur la situation des systèmes judiciaires nationaux, entre eux, et par rapport aux indicateurs retenus par la Commission européenne. Il s'agit d'un instrument comparatif non contraignant pour les Etats membres et respectueux de la diversité des systèmes et traditions juridiques qui existe en Europe.

Instrument respectueux de la diversité des systèmes et traditions juridiques en Europe. En introduction de sa communication, la Commission européenne insiste sur la nécessité de procéder à une "évaluation systématique du fonctionnement du système judiciaire de tous les Etats membres, en tenant pleinement compte des différentes traditions juridiques nationales". Plus précisément, elle entend s'abstenir de "présenter un classement global unique [ou] de promouvoir un type de système judiciaire en particulier". Il est vrai que le respect des différents systèmes et traditions juridiques des Etats membres constitue l'un des principes directeurs de l'action de l'Union européenne en matière de Justice (11). Cette réserve n'en paraît pas moins surprenante dès lors que tout système d'évaluation conduit inévitablement à distinguer les "bonnes" et les "mauvaises" pratiques (ou politiques) et, partant, à faire apparaître -au moins, en creux- un classement des entités évaluées sur la base des indicateurs choisis. Ainsi, le nouveau dispositif d'évaluation se veut respectueux de la diversité des systèmes et des traditions juridiques en Europe, tout en tendant à l'identification -et, à terme, à l'élimination- d'éventuels dysfonctionnements et défaillances des systèmes judiciaires nationaux.

Instrument non juridiquement contraignant pour les Etats membres. Dans le prolongement du nécessaire respect des systèmes et traditions juridiques des Etats membres, le tableau de bord constitue un instrument non contraignant pour les Etats membres. Ces derniers sont libres de tirer ou non des enseignements des statistiques diffusées par la Commission européenne. Tout comme lorsqu'il est fait usage de la méthode ouverte de coordination, il est ici davantage question de convaincre chaque Etat de l'opportunité de réformer son droit au moyen de la diffusion d'informations sur les "résultats" obtenus à l'étranger.

2) Le vaste domaine du tableau de bord

Le tableau de bord, qui dispose d'un champ d'application étendu, est alimenté par des sources d'informations multiples.

L'étendue du champ d'application du tableau de bord. Ainsi que cela a été indiqué, le tableau de bord ici présenté s'adapte aux différents modèles de systèmes judiciaires. Ainsi, par exemple, la grande distinction entre Common Law et Civil Law ne constitue donc pas -du moins, a priori (12) - un obstacle à l'analyse des données statistiques collectées et ne remet pas en cause la pertinence des comparaisons effectuées à l'échelle de l'Union européenne.

Alors que les affaires pénales ne sont pas concernées par le tableau de bord, la Commission européenne a souhaité y inclure des statistiques concernant tant les affaires civiles et commerciales contentieuses, que les "affaires de droit administratif" (13). Elle justifie la prise en compte de ces dernières par l'importance du rôle joué par la justice administrative dans l'environnement des entreprises.

La Commission européenne n'exclut pas une extension prochaine du domaine couvert par le tableau de bord. Selon elle, "en concertation avec les Etats membres, le tableau de bord pourrait être progressivement étendu à d'autres volets du système de justice et d'autres maillons de la chaîne de la justice' par laquelle tout particulier ou toute entreprise doit passer pour obtenir effectivement justice (par exemple, de la phase initiale d'accès au système de justice à la phase finale d'exécution du jugement)" (14). Cette perspective d'évolution doit être approuvée (15). Plus le domaine couvert par les données statistiques est étendu, plus l'intérêt de diffuser le tableau de bord est grand. A titre d'exemple, on n'insistera jamais assez sur l'importance de la phase de l'exécution proprement dite des décisions de justice. Alors que l'obtention des décisions de justice permet l'établissement des droits des justiciables, leur exécution opère la réalisation effective de ces droits.

La diversité des sources des informations collectées. Pour rédiger ce tableau de bord de la justice dans l'Union européenne, la Commission européenne a sollicité différentes organisations et entités internationales. A titre d'exemples, elle a utilisé des informations en provenance de la Banque mondiale, du Forum économique mondial ainsi que du World Justice Project. Elle a également -et surtout- tiré profit des travaux de la Commission européenne pour l'efficacité de la Justice (CEPEJ). On le sait, depuis 2006, la CEPEJ diffuse tous les deux ans, sous l'égide du Conseil de l'Europe, un rapport très attendu sur l'efficacité et la qualité de la justice en Europe. La dernière édition de ce rapport a d'ailleurs été publiée en 2012 (16). On peut se réjouir des relations étroites qui existent entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe et, singulièrement, entre la Commission européenne et la CEPEJ. La question de la plus-value du tableau de bord diffusé par la Commission européenne peut néanmoins se poser. Si ce tableau de bord devait simplement se résumer dans la sélection de certaines données jugées les "plus pertinentes et significatives" (17) figurant dans le rapport de la CEPEJ, son utilité pourrait être -à court ou moyen terme- remise en cause. Cette plus-value doit impérativement apparaître dans l'analyse, que fait la Commission européenne, des résultats obtenus. Or, cette analyse est très succincte.

II - Les premiers résultats de l'évaluation des systèmes de justice nationaux

L'édition 2013 du "tableau de bord de la justice dans l'Union européenne" contient les premiers résultats de l'évaluation des systèmes judiciaires nationaux (18). A vrai dire, les indicateurs retenus pour réaliser les comparaisons (A) sont tout aussi intéressants que les conclusions que tire la Commission européenne des données collectées (B).

A - Les indicateurs retenus

Le tableau de bord concerne l'ensemble des Etats membres et cela "quel que soit le modèle auquel obéit le système de justice national ou la tradition juridique dans laquelle il s'ancre" (19). La Commission européenne a donc dû identifier des paramètres d'évaluation qui soient suffisamment précis pour demeurer pertinents, tout en étant assez englobant pour être compatibles avec la diversité des situations rencontrées.

Il serait sans doute préférable que la Commission européenne retienne les mêmes indicateurs dans les éditions prochaines du tableau de bord, afin de faciliter les comparaisons et d'apprécier les effets des réformes opérées dans les Etats membres. De ce point de vue, les données contenues dans l'édition 2013 du tableau de bord serviront d'éléments de référence pour les analyses à venir. Notons toutefois que la Commission a d'ores et déjà annoncé que l'instrument créé est "évolutif". Cela permet de penser -de regretter (?)- que les indicateurs proposés pourraient faire l'objet de modifications (20).

Dans la présente édition du tableau de bord, la Commission européenne a principalement retenu les indicateurs suivants.

- La longueur des procédures : la Commission européenne se concentre principalement sur le délai moyen à respect avant d'obtenir une décision de justice de première instance. La notion de "procédure" ne comprend donc pas les éventuels recours (appel, cassation), pas plus que la phase d'exécution de la décision de justice obtenue (21). A titre de comparaison, rappelons à ce propos que la durée de la phase d'exécution est prise en compte, notamment par la Cour européenne des droits de l'Homme, dans le calcul du droit à être jugé dans un délai raisonnable (22).

- Le taux de variation du stock des affaires pendantes : il s'agit de mettre en relation le nombre d'affaires jugées et le nombre d'affaires nouvelles soumises à une juridiction dans une période donnée. Si le premier est inférieur au second, le stock augmente et des retards dans le traitement des nouveaux dossiers sont à craindre.

- Le nombre d'affaires pendantes : ce nombre correspond aux affaires soumises à une juridiction et qui ne sont pas encore jugées. Ainsi qu'on peut le constater, cet indicateur est étroitement lié aux deux premiers. Dans ce tableau de bord, l'accent est donc porté, par la Commission européenne, sur les délais avec lesquels les affaires sont tranchées.

- Le suivi et l'évaluation de l'activité des juridictions : cet indicateur tend à classer les Etats membres selon qu'ils prévoient ou non "un système de collecte d'informations complet et accessible au public" ayant trait à l'activité des juridictions (ex. rapport d'activité annuel) ainsi qu'une évaluation régulière de ces informations.

- L'utilisation par les juridictions des technologies de l'information et de la communication (TIC) : la Commission européenne retient un indicateur fondé sur l'usage des nouvelles technologies de communication. La dématérialisation des procédures -saisine des juridictions, échanges de documents, visioconférence...- constitue un mouvement de fond qui devrait sinon révolutionner, du moins fortement modifier le quotidien des professionnels du droit et le contenu des droits procéduraux nationaux. Il y a là un facteur puissant d'efficacité des procédures. Le développement de la justice en ligne et l'émergence d'une e-Justice européenne font d'ailleurs parties des grandes orientations définies par le Conseil européen dans le programme de Stockholm (23). A ce sujet, on peut également rappeler l'adoption, en novembre 2008, du "Plan d'action relatif à l'e-Justice européenne" (24) qui fixe le cadre au sein duquel l'action de l'Union européenne devra s'inscrire jusqu'à la fin de l'année 2013. Il n'est donc pas illogique que la Commission européenne retienne l'utilisation des TIC comme indicateur.

- Les méthodes de règlement extrajudiciaire des litiges : tout comme l'usage des nouvelles technologies, le développement des méthodes de règlements extrajudiciaires des litiges est une tendance lourde en Europe, encouragée par l'Union européenne. On peut signaler sur ce thème l'existence de la Directive 2008/52/CE (N° Lexbase : L8976H3T), adoptée en mai 2008, sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale (25) dont l'objet est précisément d'encourager le recours à ce mode de règlement des litiges. Il s'agit assurément d'un moyen efficace pour décharger les juridictions de certaines affaires.

- La formation des juges : la Commission européenne s'attache à la formation initiale, comme à la formation continue des juges, en soulignant -avec raison- l'influence de cette formation sur la qualité des décisions de justice rendues. Là encore, cet indicateur n'est pas sans liens avec la politique, menée par la Commission européenne à l'échelle de l'Union européenne, visant à améliorer le niveau de formation des juges des Etats membres (26).

- Les ressources investies dans le système judiciaire : cet indicateur est relatif au nombre de juges et d'avocats ainsi qu'au budget dont disposent les juridictions.

- La perception de l'indépendance du système de justice : ce dernier indicateur ne concerne pas tant l'indépendance " du système de justice ", que la perception que les justiciables (professionnels - entreprises/investisseurs - ou non professionnels) en ont. Un lien peut être établi ici avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme relative à l'indépendance des juges (27) et dans laquelle la Cour affirme qu'en la matière les apparences peuvent revêtir une grande importance. Ce critère est également retenu dans le cadre de différents travaux menés à l'échelle mondiale -tels que ceux réalisés par le Forum économique mondial ou le World Justice Project- et au sein desquels la Commission européenne a collecté des informations.

B - Les conclusions tirées

Dans sa communication, la Commission européenne tire différentes conclusions non seulement quant à la situation actuelle de la justice en Europe (1), mais également quant aux perspectives d'évolution (2).

1) La situation actuelle

Sans surprise, les résultats avancés par la Commission européenne font apparaître de grandes disparités entre les Etats membres (28).

Dans la première série de graphiques -1 à 4- relatifs au temps nécessaire pour trancher les catégories d'affaires sélectionnées par la Commission européenne (29), on constate que certains Etats -tels que Chypre, Malte et le Portugal- se situent généralement parmi les Etats où la longueur des procédures est la plus importante. Inversement, d'autres Etats -tels que l'Autriche, le Danemark ou les Pays-Bas- se classent en principe parmi ceux qui enregistrent les meilleurs résultats. Les écarts peuvent être importants. Par exemple, s'agissant du temps nécessaire pour trancher les "affaires non pénales", le Danemark annonce une durée moyenne inférieure à 50 jours, alors que le Portugal déclare une durée moyenne supérieure à 1100 jours. Il est à noter que la France se situe généralement dans la seconde moitié des classements.

Dans la deuxième série de graphiques -5 à 7- relatifs au taux d'affaires tranchées, les résultats observés sont un peu plus homogènes. On s'attache ici au taux de variation du stock d'affaires pendantes. La France avoisine (30) ou dépasse (31) le taux de 100 % et se classe dans la moyenne européenne. Ce taux de 100 % est important car il correspond à la situation dans laquelle le nombre d'affaires nouvelles soumises à une juridiction sur une période donnée correspond au nombre moyen d'affaires sur lesquelles elle est en mesure de statuer. En somme, dans cette situation, le nombre d'affaires non tranchées reste stable. On notera que le Luxembourg enregistre les meilleurs résultats, alors que d'autres Etats -tels que la Grèce, Malte et Chypre- présentent des résultats parfois (très) inférieurs au taux précité de 100 %. Autrement dit, dans ces derniers Etats, on peut conclure à l'existence de problèmes structurels qui ont pour conséquence un accroissement de l'arriéré judiciaire.

La troisième série de graphiques -8 à 10 (32) - est consacrée au nombre d'affaires pendantes devant les juridictions, au 1er janvier 2010. Là encore, on constate l'existence de très grandes disparités. A titre d'exemples, pour 100 habitants, le nombre d'affaires non pénales pendantes est inférieur à 2 au Luxembourg, en Suède, en Bulgarie, en Lituanie ou encore aux Pays-Bas. En revanche, ce nombre avoisine les 14 au Portugal et les 16 en Slovénie. En France, le nombre d'affaires non pénales pendantes, pour 100 habitants, est légèrement supérieur à 2. Plus généralement, la France se situe en milieu de classement.

Les graphiques 11 et 12 concernent respectivement l'existence d'un suivi de l'activité des juridictions et la tenue d'une évaluation de l'activité des juridictions. A cet égard, si la majorité des Etats bénéficie d'un système de suivi assez complet -rapport d'activité annuel et retranscription du nombre d'affaires renvoyées, du nombre d'affaires nouvelles, de la durée des procédures-, on constate l'existence de plus grandes disparités en ce qui concerne l'évaluation de cette activité. A titre d'exemple, ainsi que le souligne la Commission européenne, plus de la moitié des Etats n'a pas défini de normes de qualité.

Les graphiques 13 à 17 sont relatifs à l'usage des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Là encore, des différences notables existent entre les Etats membres de l'Union européenne. Si la grande majorité des Etats membres bénéficie d'un système de technologie de l'information et de la communication en ce qui concerne l'enregistrement et la gestion des affaires, des différences apparaissent à l'égard de la communication électronique entre les juridictions et les parties. Les disparités sont encore plus nettes s'agissant du traitement électronique des petits litiges. En effet, alors que ce traitement est possible dans toutes les juridictions d'un premier groupe d'Etats (République Tchèque, Estonie, Lettonie, Lituanie, Malte, Autriche, Portugal, Slovénie, Finlande, Angleterre) ; ce traitement informatique est impossible dans un deuxième groupe d'Etats (Belgique, Bulgarie, Danemark, Allemagne, Chypre, Espagne, Grèce, Luxembourg, Hongrie, Pays-Bas, Roumanie, Slovaquie, Suède, Irlande du Nord, Ecosse). On retrouve ce même type de situation à l'égard du recouvrement électronique des créances non contestées ou du dépôt électronique des requêtes. Il est à noter que sur ces différents aspects de la dématérialisation des procédures, la France se situe en milieu de classement, voire dans la seconde moitié.

Le graphique 18 révèle que la quasi-totalité des Etats membres est dotée de dispositifs permettant un règlement extrajudiciaire des litiges, à savoir l'arbitrage, la médiation judiciaire et non judiciaire et/ou la conciliation. La Commission européenne s'interroge toutefois sur leur utilisation effective dans les litiges commerciaux et recommande aux Etats membres d'encourager l'usage de ces dispositifs.

Le graphique 19 a trait à l'obligation de formation des juges. Si la quasi-totalité des Etats impose une formation initiale obligatoire -font exceptions l'Irlande du Nord, Chypre, Malte et la Finlande-, la situation est différente en ce qui concerne la formation continue. Seuls onze Etats -dont fait partie la France- imposent une formation continue générale. Notons, qu'à cette formation continue générale, s'ajoute, dans certains Etats, une nécessaire formation continue pour des fonctions spécialisées ou pour l'utilisation des outils informatiques (par exemple, au Luxembourg, en Roumanie et en Ecosse).

Les graphiques 20 à 22 sont regroupés sous le thème des "ressources" et concernent respectivement le budget alloué aux juridictions ainsi que le nombre de juges et le nombre d'avocats (pour 100 000 habitants). Là encore, les disparités sont saisissantes. Par exemple, alors qu'au Luxembourg, le budget alloué aux juridictions est environ de 140 euros par habitants, il est inférieur à 20 euros en Lituanie et en Bulgarie. Remarquons qu'il affleure les 60 euros en France. Le même type d'écarts existe pour le nombre d'avocats ou de juges. Pour ne retenir que ce dernier indicateur, le nombre de juges dépasse les 70 pour 100 000 habitants en Slovénie alors qu'il est proche de 10 en France, en Italie ou à Malte.

Enfin, les graphiques 23 et 24 sont consacrés à la perception de l'indépendance de la justice. Contrairement à l'ensemble des graphiques évoqués précédemment, pour lesquels la Commission européenne a recueilli les données pertinentes auprès de la CEPEJ, ces deux derniers graphiques ont été élaborés sur la base d'informations collectées auprès du Forum économique mondial et du World Justice Project. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne est à même de donner un classement en référence à un très grand nombre d'Etats.

Ainsi, par exemple, sur 144 pays, la Finlande, les Pays-Bas et l'Irlande arrivent respectivement en 2ème, 3ème et 4ème positions en ce qui concerne la perception que les justiciables ont de l'indépendance de la justice. Inversement, la Roumanie et la Slovaquie sont classées à la 114ème et à la 115ème places. La France figure quant à elle à la 37ème place. Au regard de ces chiffres, le degré de confiance que les justiciables ont dans l'indépendance de la justice apparaît donc très variable d'un Etat à l'autre. Sans doute, les Etats européens les plus "mal classés" devront-ils s'interroger sur les causes d'une telle situation. Il convient néanmoins de se garder d'interprétations attentives de ces résultats, les explications pouvant être multiples (33).

2) Les perspectives d'évolution

En plus d'appeler de ses voeux la tenue d'une réflexion approfondie sur le rôle de la Justice dans l'Union européenne -laquelle devrait notamment se matérialiser par l'organisation des "Assises de la Justice", en novembre 2013 (34)-, la Commission européenne se penche sur les suites à donner aux différentes conclusions tirées dans cette première édition du tableau de bord de la justice européenne ainsi que sur les améliorations possibles dans la collecte des données dans l'optique de la rédaction des prochaines éditions de ce tableau de bord.

Tout d'abord, la Commission européenne souhaite qu'une "contribution" aux réformes des systèmes judiciaires nationaux soit opérée par le Fonds européen de développement régional et le Fonds social européen, au titre du prochain cadre financier pluriannuel. Il s'agirait donc d'apporter une aide financière aux Etats membres désireux de réformer leur système juridique. La Commission indique, par ailleurs, sa volonté d'exploiter les données recueillies dans ce tableau de bord lors des travaux qui seront prochainement réalisés au sein des programmes d'ajustement économique.

Ensuite, la Commission européenne déplore le fait que certains Etats ne collectent pas les données de nature à permettre leur comparaison objective à l'échelle de l'Union européenne. Elle encourage donc les Etats concernés à redoubler d'efforts en la matière par exemple en coopérant pleinement avec la CEPEJ, dont le rôle "essentiel" est mis en exergue. Parallèlement à cela, elle entend notamment définir, avec les réseaux d'autorités judiciaires et de juges, les moyens permettant d'"améliorer, au niveau national, la qualité et la disponibilité de données comparables". Sans doute faudra-t-il également que la Commission européenne lance une réflexion sur la définition de standards communs en matière de suivi des données.


(1) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Le tableau de bord de la justice dans l'UE : Un outil pour promouvoir une justice effective et la croissance, COM(2013) 160 final, 27 mars 2013.
(2) Aucune précision n'est apportée sur la fréquence à laquelle les différentes éditions de ce tableau de bord seront publiées. Il est seulement indiqué qu'il s'agit d'un "exercice régulier" et la publication d'"éditions futures" est d'ores et déjà évoquée (COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1).
(3) Ce second type d'évaluation peut être mis à profit pour améliorer les instruments européens déjà créés et pour identifier les obstacles auxquels l'Union européenne devra faire face lors de la création de nouveaux instruments.
(4) Programme de La Haye : renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne, JOUE n° C 53, 3 mars 2005, p. 1 (spéc. point 3.2. de la partie III). Selon le Conseil européen, "afin de faciliter la pleine mise en oeuvre du principe de reconnaissance mutuelle, il faut mettre en place un système d'évaluation objective et impartiale de la mise en oeuvre des politiques de l'UE dans le domaine de la justice qui, dans le même temps, respecte pleinement l'indépendance du pouvoir judiciaire et soit compatible avec tous les mécanismes européens existants". Voir, plus récemment, Conseil européen, Le programme de Stockholm - Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, JOUE n° C 115, 4 mai 2010, p. 1 (spéc. n° 3.2).
(5) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, Evaluer les politiques de l'Union européenne en matière de liberté, de sécurité et de justice, COM(2006) 332 final, 28 juin 2006. L'adoption de cette communication était prévue dans le Plan d'action du Conseil et de la Commission mettant en oeuvre le programme de La Haye visant à renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne, JOUE, C 198 du 12 août 2005, p. 1.
(6) Aux termes de cet article, "Sans préjudice des articles 258 à 260, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures établissant des modalités par lesquelles les Etats membres, en collaboration avec la Commission, procèdent à une évaluation objective et impartiale de la mise en oeuvre, par les autorités des Etats membres, des politiques de l'Union visées au présent titre [en l'occurrence, le titre intitulé "l'espace de liberté, de sécurité et de justice"], en particulier afin de favoriser la pleine application du principe de reconnaissance mutuelle. Le Parlement européen et les parlements nationaux sont informés de la teneur et des résultats de cette évaluation".
(7) COM (2013) 160 final, spéc. introduction.
(8) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1.
(9) A ce sujet, voir notre étude, Résolution du Conseil du 28 novembre 2008 sur l'institution d'un réseau de coopération législative des ministères de la Justice de l'Union européenne : une nouvelle forme de coopération juridique entre les Etats membres, RTDEur., oct.-déc. 2009, p. 844.
(10) COM (2013) 160 final, spéc. introduction.
(11) A cet égard, voir l'article 67, § 1 du TFUE (N° Lexbase : L2717IPC).
(12) La Commission reconnaît toutefois que la "comparabilité des données peut être limitée par les divergences de procédures et de cadre juridique" (COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1).
(13) Sont ici visés les litiges entre des personnes privées et des autorités administratives (locales, régionales ou nationales).
(14) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1.
(15) Il en va différemment pour les modifications pouvant concerner les indicateurs de comparaisons (voir ci-après).
(16) CEPEJ, Systèmes judiciaires européens - Edition 2012 (données 2010) : Efficacité et qualité de la Justice, éd. du Conseil de l'Europe, coll. Les études de la CEPEJ n° 18, 2012.
(17) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1.
(18) Sauf précisions contraires, les données exploitées par la Commission européenne datent de 2010.
(19) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 1.
(20) Idem.
(21) Notons, néanmoins, que les "affaires relatives à l'exécution d'une décision de justice" sont visées dans le graphique consacré au "temps nécessaire pour trancher les affaires non pénales" (COM (2013) 160 final, spéc. pt. 3.1.).
(22) Ce droit est notamment garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR).
(23) Programme précité, spéc. n° 3.4.1. Plus généralement, voir notre étude, Programme de Stockholm et coopération judiciaire civile : des orientations du Conseil européen au plan d'action de la Commission européenne, R.R.J., 2010/4, p. 1809.
(24) Conseil de l'Union européenne, Plan d'action pluriannuel 2009-2013 relatif à l'e-justice européenne (2009/C75/01), JOUE, C 75 du 31 mars 2009, p. 1.
(25) JOUE, L 136 du 24 mai 2008, p. 3.
(26) Sur ce sujet, voir notre étude, Formation judiciaire européenne : les grandes orientations de l'action à venir de la Commission européenne, Lexbase Hebdo n° 461 du 10 novembre 2011, édition privée (N° Lexbase : N8689BSM).
(27) Il en va de même dans la jurisprudence relative à l'impartialité desdits juges.
(288) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 3.
(29) Graphique 1 : temps nécessaire pour trancher les affaires non pénales ; graphique 2 : temps nécessaire pour trancher les affaires civiles et commerciales contentieuses ; graphique 3 : temps nécessaire pour trancher les affaires de droit administratif ; graphique 4 : temps nécessaire pour trancher les affaires d'insolvabilité.
(30) En ce qui concerne le taux d'affaires non pénales tranchées (graphique 5) et le taux d'affaires civiles et commerciales contentieuses (graphique 6).
(31) En ce qui concerne le taux d'affaires de droit administratif (graphique 7).
(32) Respectivement : nombre d'affaires non pénales pendantes ; nombre d'affaires civiles et commerciales contentieuses pendantes ; nombres d'affaires de droit administratif pendantes.
(33) On perçoit d'ailleurs en cela la limite du tableau de bord élaboré par la Commission européenne.
(34) COM (2013) 160 final, spéc. pt. 4.3.

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