Lexbase Fiscal n°525 du 25 avril 2013 : Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Révélation du don manuel : le contribuable actif ou passif ?

Réf. : Cass. com., 16 avril 2013, n° 12-17.414, F-P+B (N° Lexbase : A4049KCX)

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par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 25 Avril 2013

Le 16 avril 2013, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s'est prononcée dans l'important contentieux relatif à la révélation des dons manuels, retenant, logiquement, que la simple mise à disposition de sa comptabilité par une contribuable, qui fait l'objet d'un contrôle fiscal, n'emporte pas révélation au sens de l'article 757 du CGI (N° Lexbase : L9389IQS). En effet, une contribuable a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à la suite de laquelle l'administration fiscale lui a adressé des redressements portant sur les droits d'enregistrement dus sur des dons manuels consentis par son père. La contribuable a présenté l'argument suivant, accueilli par la cour d'appel de Colmar (CA Colmar, 19 janvier 2012, n° A 10/05472 N° Lexbase : A3629IBZ) : par la mise à disposition de sa comptabilité, elle a participé à la découverte des dons manuels, et donc cet acte emporte révélation. La Haute juridiction judiciaire ne retient pas cet élément, et censure la décision d'appel. Une révélation est un acte volontaire, qui ne peut constituer en une remise passive (et obligatoire !) de documents lors d'une vérification de comptabilité. I - La sévérité d'une jurisprudence en faveur de l'administration

L'alinéa 1er de l'article 757 du CGI prévoit l'application des droits de mutation à titre gratuit aux dons manuels au jour de leur déclaration ou de leur enregistrement. L'alinéa 2 dispose que "la même règle s'applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l'administration fiscale".

Cet article reconnaît donc trois types de faits générateurs de l'imposition des dons manuels : la déclaration, la reconnaissance judiciaire et la révélation.

Si la déclaration et la reconnaissance judiciaire ne posent pas de difficulté, puisqu'il s'agit d'actes juridiques, la révélation est plus délicate, et c'est à la jurisprudence qu'il est revenu de clarifier cette notion.

A - La définition extensive de la notion de "révélation"

En l'espèce, la contribuable, entrepreneur individuel, a présenté à l'administration, lors d'une vérification de sa comptabilité, ses documents comptables. Parmi les lignes de comptes, l'administration a constaté, dans une ligne "compte de l'exploitant" l'inscription d'un montant, dont la contribuable a expliqué qu'il s'agissait d'un prêt consenti par son père. Ce compte 108 est celui où figurent tous les apports ou les retraits personnels de l'exploitant à titre individuel. Le service en a déduit qu'il ne s'agissait donc pas d'un prêt, qui aurait dû être enregistré dans un "compte de passif", mais d'une libéralité.

Les versements ayant été opérés par le biais de quatre chèques, l'administration a conclu à l'existence d'un don manuel, révélé par la comptabilité de l'entrepreneur individuel.

Révéler un don manuel entraîne sa taxation aux droits de mutation à titre gratuit. L'enjeu de la qualification d'un acte de "révélation" entraîne donc deux conséquences : pour l'administration, plus le champ de la révélation est large, plus elle peut élargir la base de l'impôt ; pour le contribuable, plus la définition de la révélation est restreinte, plus il est libre de faire échapper, ou non, à l'impôt les dons manuels dont il a bénéficié.

Devant l'imprécision de la loi, le juge a dû interpréter les textes. Cette interprétation a été extensive. Ainsi, il a été décidé qu'un don manuel avait été révélé par le conseil du contribuable dans un courrier adressé à l'administration fiscale (Cass. com., 19 janvier 2010, n° 08-21.476, F-P+B N° Lexbase : A4656EQI). En effet, le conseil représente son client par voie de mandat, sa révélation vaut donc révélation au nom du client.

De même, la présentation de relevés bancaires et les explications du contribuable sur l'origine des fonds valent révélation de dons manuels (Cass. com., 4 octobre 2011, n° 10-23.230, F-D N° Lexbase : A6013HYD).

Enfin, un don manuel peut être révélé par un jugement (Cass. com., 18 octobre 2011, n° 10-25.371, F-P+B N° Lexbase : A8698HYS).

La Cour de cassation retient donc une vision extensive de la révélation, qui n'est pas toujours un acte animé de l'intention de révéler. Il peut aussi s'agir d'une révélation "fortuite", non prévue -et non voulue- par le contribuable, mais saisie par l'administration. La construction prétorienne relative à la vérification de comptabilité en est le parfait exemple.

B - Quand "vérification" rime avec "révélation"

Dans l'affaire commentée, les juges du fond ont décidé que la révélation "doit être contenue dans un acte écrit du donataire et résulter d'un acte positif, peu important qu'elle soit spontanée, fortuite ou provoquée. Cette révélation peut ainsi résulter de la présentation d'une comptabilité lors d'une vérification régulièrement menée par l'administration fiscale, fût-elle la mise en oeuvre d'une obligation légale d'établissement et de présentation desdits documents, ou encore de l'examen de relevés bancaires et de copies de chèques obtenus dans l'exercice de son droit de communication auprès d'une banque" (CA Colmar, 19 janvier 2012, n° A 10/05472, précité).

Et le juge de citer la jurisprudence antérieure de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans une affaire retentissante rendue en défaveur des Témoins de Jéhovah (Cass. com., 5 octobre 2004, n° 03-15.709, FS-P+B N° Lexbase : A6171DDW). Dans son arrêt du 5 octobre 2004, la Haute juridiction fait application d'une jurisprudence plus ancienne, datant du 24 octobre 2000 (Cass. com., 24 octobre 2000, n° 97-21.594 N° Lexbase : A3525AU4), et qui, pour la première fois, a décidé que la découverte de sommes pouvant être qualifiées de dons manuels au cours d'une vérification de comptabilité valait révélation au sens de l'article 757 du CGI (lire les obs. de Nicolas Mahuzier, Retour sur l'imposition des dons manuels : vers une extension de la révélation ?, Lexbase Hebdo n° 103 du 14 janvier 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N0120AB3).

Le 5 octobre 2004, la solution se confirme : "le don manuel révélé à l'administration fiscale par le donataire est sujet au droit de donation, n'exige pas l'aveu spontané du don de la part du donataire [...] cette présentation par l'association de sa comptabilité lors d'une vérification régulièrement menée par l'administration fiscale, fût-elle la mise en oeuvre de l'obligation légale d'établissement et de présentation des documents comptables, valait révélation au sens de l'article 757, alinéa 2".

Depuis, la Haute juridiction judiciaire n'était pas revenue sur sa jurisprudence, qui semblait acquise, le juge rendant des décisions similaires classées comme des inédits, et non plus comme des décisions publiées, ce qui démontre la perte d'importance de ce type de jurisprudence, devenue "de routine" (Cass. com., 15 mai 2007, n° 06-11.844, F-D N° Lexbase : A2543DW4 et n° 06-11.845, F-D N° Lexbase : A2544DW7).

Cette jurisprudence, décriée par la doctrine, ne passera pas l'examen devant la Cour européenne des droits de l'Homme. L'association des Témoins de Jéhovah saisit le juge européen et, onze ans après la condamnation finale par la juridiction suprême de l'ordre judiciaire français, obtient gain de cause.

En effet, la Cour européenne des droits de l'Homme considère que, "si l'évolution de la jurisprudence relève de l'office du juge, une telle interprétation de la disposition litigieuse était difficilement prévisible pour l'association requérante dans la mesure où jusqu'alors les dons manuels échappaient à toute obligation de déclaration et n'étaient pas systématiquement soumis aux droits de mutation à titre gratuit [...]. L'imprécision de la notion de révélation contenue dans l'article 757 ne pouvait, en l'état du droit positif de l'époque, conduire la requérante à envisager que la simple présentation de sa comptabilité constituerait une telle révélation. La Cour observe qu'en définitive, la notion de révélation telle qu'interprétée en l'espèce a fait dépendre la taxation des dons manuels de la réalisation du contrôle fiscal, ce qui implique nécessairement une part d'aléa et donc une imprévisibilité dans l'application de la loi fiscale" (CEDH, 30 juin 2011, Req. 8916/05 N° Lexbase : A5586HUG ; lire les obs. de Bernard Thévenet, Dons manuels aux associations : un chemin de croix pour l'administration fiscale, Lexbase Hebdo n° 516 du 13 février 2013 - édition fiscale N° Lexbase : N5737BTN).

II - Le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation vers un rétrécissement du champ de la révélation

La décision de la CEDH signe l'arrêt de mort de la jurisprudence de la Cour de cassation quant à la qualification de révélation d'une vérification de comptabilité.

A - "Vérification de comptabilité" ne rime plus avec "révélation"

Le juge européen, par sa décision du 30 juin 2011, remet en cause la construction prétorienne de la Cour de cassation, et confirme sa position par trois arrêts du 31 janvier 2013 (CEDH, 31 janvier 2013, Req. 50471/07 N° Lexbase : A4409I43 ; Req. 50615/07 N° Lexbase : A4410I44 ; Req. 25502/07 N° Lexbase : A4408I4Z). Sans que cela soit dit clairement, il est implicitement compris que le manque de sécurité juridique d'un tel édifice ne lui permette pas de fonder un redressement. Dans l'affaire traitée devant la CEDH, il était évident qu'à l'époque à laquelle les dons manuels avaient été consentis, il n'était pas possible de prévoir la solution future de la Cour de cassation, celle-ci n'étant pas parfaitement logique.

Dans l'affaire qui nous occupe, les dons manuels ont été consentis en 2004, 2005 et 2006, c'est-à-dire à un moment où la jurisprudence avait déjà rendu ses deux décisions de principe. Si cette affaire avait été portée devant la CEDH, la solution n'aurait donc peut-être pas été la même.

Quoiqu'il en soit, la Cour de cassation a tiré les leçons de l'arrêt du juge européen, et opéré un revirement de jurisprudence.

C'est ainsi que, par une décision du 15 janvier 2013, la Haute juridiction décide que "l'association n'avait rien révélé volontairement à l'administration et que seule la vérification de sa comptabilité, par les contrôleurs, avait fait apparaître les dons manuels litigieux [...] la procédure de vérification de comptabilité mise en oeuvre ne pouvait être le support de l'appel des droits de donation" (Cass. com., 15 janvier 2013, n° 12-11.642, FS-P+B N° Lexbase : A4920I3M).

L'arrêt rendu le 16 avril 2013 offre à cette règle son attendu de principe, selon lequel "la révélation ne saurait résulter de la présentation par le contribuable de sa comptabilité à l'administration fiscale au cours du contrôle dès lors qu'une telle interprétation va au-delà de la loi et fait dépendre la réalisation du fait générateur de l'impôt d'un événement aléatoire portant ainsi atteinte au principe de prévisibilité de la loi fiscale". La leçon européenne est retenue.

Il est à noter que l'administration fiscale ne fait pas mention de la possibilité d'une révélation par voie de vérification de comptabilité. Si elle traite du cas de la révélation par un avocat, elle ne parle pas de la vérification (BOI-ENR-DMTG-20-10-20-10 N° Lexbase : X5214ALP).

Ainsi, la révélation n'ayant pas pu provenir de la présentation de sa comptabilité par la contribuable, elle n'a pas eu lieu. Les dons manuels dont elle a bénéficié sont toujours exonérés, jusqu'à ce qu'ait lieu l'un des trois évènements suivants : déclaration, reconnaissance judiciaire et révélation.

B - Vers une démarche volontariste ?

La révélation des dons manuels a été rendue possible par l'article 15 de la loi n° 91-1322 du 30 décembre 1992, de finances pour 1992. Auparavant, les dons manuels faisaient l'objet d'une déclaration ou d'une reconnaissance judiciaire.

La révélation doit-elle être passive ou active ? Malheureusement, l'exposé des motifs de la loi de finances pour 1992 et les débats parlementaires ne sont pas accessibles facilement, il n'est donc pas aisé de procéder à une interprétation téléologique de la loi. Toutefois, la procédure de la révélation a été instituée pour assouplir et simplifier les procédures.

La révélation d'un don manuel doit être un acte volontariste, comme justement dit par la Cour de cassation dans son arrêt du 15 janvier 2013. En effet, donner ce pouvoir à l'administration, de se révéler à elle-même finalement, puisque c'est elle qui redressera le contribuable sur les droits de donation, peut entraîner des abus. Les associations non reconnues par l'Etat comme étant cultuelles, et n'ayant, par conséquent, pas droit à l'exonération de droits de mutation sur les donations qu'elles reçoivent, étaient devenues une cible de choix pour le service, d'autant plus que la jurisprudence avait rappelé que la modicité des sommes données ne suffit pas à exclure la qualification de libéralité (Cass. com., 5 octobre 2004, n° 03-15.709, précité).

Lors d'une vérification de comptabilité, le contribuable n'a, pour ainsi dire, pas le choix : il doit présenter sa comptabilité, ou alors il se rend coupable d'une opposition à contrôle fiscal, dont les conséquences peuvent être très lourdes. Comment imaginer que le respect des prescriptions légales puisse valoir révélation ? Le manque de logique des décisions passées des juges avait alerté la doctrine, et fait considérablement baisser les garanties du contribuable.

En allant plus loin, l'administration pouvait même, au cours d'une vérification de comptabilité, décider que la somme figurant à un compte d'une entreprise, comme l'entrepreneur individuel dans l'arrêt du 16 avril 2013, constituait un don manuel, faute pour l'entrepreneur de démontrer qu'il en était autrement. Or, dans la décision commentée, la Cour de cassation, invoquant la liberté de gestion, considère qu'une personne physique qui exploite une entreprise individuelle peut décider de ne pas porter au passif de l'entreprise l'emprunt qu'elle a souscrit auprès d'un tiers, cet emprunt ayant alors un caractère personnel et non professionnel. Ainsi, l'inscription de sommes prêtées par un tiers au crédit de l'exploitant en lieu et place du passif de l'exploitation ne permet pas, en soi, de qualifier la somme de don manuel. Le pouvoir de l'administration est donc circonscrit un peu plus étroitement qu'auparavant. Le service ne peut pas qualifier une somme de don manuel sous prétexte qu'elle n'est pas inscrite au passif de l'entreprise.

Il s'agit là d'une avancée importante pour le droit des contribuables, face à une administration puissante et "agressive" en cette période.

Quid de l'affaire dans laquelle il a été jugé que la présentation de relevés bancaires et les explications du contribuable sur l'origine des fonds valent révélation de dons manuels (Cass. com., 4 octobre 2011, précité) ? Le juge devrait aller plus loin dans la définition de la révélation comme démarche volontariste et acte positif, actif, effectué par le contribuable, en décidant, plus généralement, que le respect de la loi et la réponse du contribuable à une demande de l'administration ne peut pas emporter pour lui taxation des dons manuels ainsi révélés. Sinon, l'administration utilisera ce moyen, beaucoup moins protecteur des droits du contribuable que la vérification de comptabilité (notamment, le débat contradictoire avec le vérificateur et la présence d'un avocat ne sont pas prévus), pour traquer les dons non révélés.

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