Lexbase Droit privé n°522 du 4 avril 2013 : Divorce

[Chronique] Prestation compensatoire : cas particuliers de la révision pour fraude et du divorce après remariage

Lecture: 10 min

N6455BTA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Prestation compensatoire : cas particuliers de la révision pour fraude et du divorce après remariage. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/8054017-chronique-prestation-compensatoire-cas-particuliers-de-la-revision-pour-fraude-et-du-divorce-apres-r
Copier

par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

le 04 Avril 2013

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique de droit patrimonial du divorce, réalisée par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var. La prestation compensatoire est fixée selon les besoins et ressources des époux, en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible. Que se passe-t-il lorsque l'un des époux ment sur ses revenus ou que, dans "cet" avenir prévisible, les époux se remarient puis "redivorcent" ! Voilà les deux thèmes sur lesquels la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 21 février 2013, n° 12-14.440, F-P+B) et la cour d'appel de Douai (CA Douai, 7 février 2013, n° 12/02468) ont dû se prononcer ces dernières semaines. Selon l'article 271 du Code civil (N° Lexbase : L3212INB), "la prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.

A cet effet, le juge prend en considération notamment :

- la durée du mariage ;
- l'âge et l'état de santé des époux ;
- leur qualification et leur situation professionnelles ;
- les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
- le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
- leurs droits existants et prévisibles ;
- leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa
".

Que faire lorsque l'un des époux a dissimulé des revenus ou déjà reçu une prestation compensatoire de son conjoint, lors d'un premier divorce entre eux ?

  • La révision pour dissimulation de revenus (Cass. civ. 2, 21 février 2013, n° 12-14.440, F-P+B N° Lexbase : A4372I8G)

Les revenus des époux sont un des éléments objectifs systématiquement pris en compte pour la fixation de la prestation compensatoire. D'ailleurs, l'alinéa 1er de l'article 272 du Code civil (N° Lexbase : L8783G8S) dispose que "dans le cadre de la fixation d'une prestation compensatoire, par le juge ou par les parties, ou à l'occasion d'une demande de révision, les parties fournissent au juge une déclaration certifiant sur l'honneur l'exactitude de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie".

Dans une affaire soumise à la Cour de cassation le 21 février 2013, un arrêt passé en force de chose jugée avait prononcé un divorce aux torts du mari et débouté l'épouse de sa demande de prestation compensatoire. Invoquant la fraude commise le mari, l'épouse a formé un recours en révision. Selon elle, son conjoint avait déclaré, dans son attestation sur l'honneur, qu'il avait pour toutes ressources le revenu minimum d'insertion d'un montant de 318 euros par mois, alors qu'il percevait un salaire mensuel d'une société de 7 000 euros.

En novembre 2011, la cour d'appel de Versailles a déclaré ce recours irrecevable au motif que, si l'époux avait menti sur le montant de ses revenus salariés, ce seul mensonge ne suffisait pas à caractériser la fraude exigée par l'article 595 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6752H79), dès lors qu'il n'était pas accompagné de manoeuvres destinées à le corroborer.

Sur pourvoi de l'épouse, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en février 2013. Les Hauts magistrats ont estimé qu'en statuant ainsi, alors que le patrimoine est un élément d'appréciation expressément prévu par la loi dont le juge doit tenir compte pour fixer la prestation compensatoire, de sorte que la dissimulation par l'époux de l'existence de revenus, nécessairement déterminants pour statuer sur la demande de l'épouse constitue une fraude, la cour d'appel a violé les articles 271 et 272 du Code civil et 595 alinéa 1er du Code de procédure civile.

La décision de la Cour de cassation doit être approuvée. L'objectif du recours en révision est de faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit à nouveau statué en droit et en fait (C. pr. civ., art. 593 et s. N° Lexbase : L6750H77). Il n'existe que quatre causes d'ouverture :

- s'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;
- si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ;
- s'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;
- s'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.

Dans tous ces cas, le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée.

En l'espèce, il était admis que, dans ses conclusions d'appel lors du divorce, en 2007, et dans sa déclaration sur l'honneur, l'époux avait dissimulé qu'il percevait un salaire depuis 2006. Or en principe, dans une telle situation, la Cour de cassation admet le recours en révision. Ainsi, dans une affaire jugée en 1992, elle a jugé que le recours en révision à l'encontre des dispositions relatives à la prestation compensatoire était recevable, la dissimulation par l'épouse, en l'espèce, de son non-chômage avait faussé l'évaluation concernant ses besoins et par conséquent l'évaluation de la prestation compensatoire (1).

De plus, tant d'un point de vue juridique que pratique, la solution de la cour d'appel de Versailles est très critiquable. Elle revient à dire aux époux : "vous pouvez mentir sur vos revenus à condition de vous contenter de mentir". Il est possible de ne pas révéler l'existence d'un revenu à condition, par exemple, ne pas le faire disparaître de sa feuille d'imposition. L'omission mais pas la commission !

Selon l'article 602 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6759H7H), "si la révision n'est justifiée que contre un chef du jugement, ce chef seul est révisé à moins que les autres n'en dépendent". En l'espèce, le divorce ne va pas être remis en cause. La cassation de l'arrêt de la cour d'appel ne signifie pas que l'épouse va obtenir une prestation compensatoire mais seulement que les juges statueront en toute connaissance de cause. Le minimum requis pour une "bonne justice" !

Les réformes de 2000 et 2004, sur la prestation compensatoire en particulier, et le divorce en général, ont eu, entre autres objectifs, que les époux puissent mettre un terme à leurs relations, notamment patrimoniales, le plus pacifiquement et le plus rapidement possible. S'agissant de la prestation compensatoire, par exemple, le législateur a dissocié son attribution de la répartition des torts et posé le principe de son versement en capital. L'époux débiteur est ainsi rapidement libéré. Néanmoins, lorsque le couple se remarie et "redivorce", les juges doivent-ils tenir compte du versement d'une première prestation ? La disparité dans les situations respectives des époux peut-elle être prise en compte, alors qu'elle l'a déjà été dans le cadre de la première procédure de divorce ?

Telle fut la question posée à la cour d'appel de Douai, dans un arrêt du 7 février 2013.

En l'espèce, un couple s'était marié en 1989 et avait divorcé en juillet 2004. Le divorce avait été prononcé aux torts partagés. L'épouse avait été condamnée à payer au conjoint la somme de 213 000 euros, par l'abandon de ses droits dans l'immeuble indivis ; l'époux avait dû restituer certains meubles et la Ferrari avait été vendue et le prix réparti par moitié.

En décembre 2005, soit dix-huit mois plus tard, le couple s'était remarié avec un contrat de mariage de séparation de biens. En octobre 2008, l'épouse avait déposé une requête en divorce. A l'issue de l'ordonnance de non-conciliation, l'époux s'était vu attribuer la jouissance du domicile conjugal et avait été débouté de sa demande de pension alimentaire.

En mai 2009, la cour d'appel de Douai avait condamné l'épouse au paiement d'une pension alimentaire de 1 500 euros par mois, au titre du devoir de secours. En octobre 2009, le JAF du TGI de Lille avait fixé cette pension à 1 800 euros par mois, et cela avait été confirmé en appel en juillet 2010.

En mars 2012, le même JAF a :

- prononcé le divorce aux torts partagés des époux ;
- prononcé la dissolution du régime matrimonial ayant existé entre eux ;
- ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux ;
- déclaré irrecevable la demande de dommages et intérêts de l'époux présentée sur le fondement de l'article 266 du Code civil ;
- débouté les conjoints de leur demande de dommages et intérêts au titre de l'article 1382 du code civil ;
- débouté l'époux de sa demande de prestation compensatoire.

En avril suivant, l'époux a interjeté appel de ce jugement. Il souhaitait que son épouse soit déboutée de sa demande en divorce pour faute et que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs de cette dernière. Il réclamait également 10 000 euros de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ) et le paiement d'une prestation compensatoire sous forme de rente viagère de 4 000 euros indexée ou sous forme de capital d'un montant de 300 000 euros. De son côté, l'épouse, demandait que le divorce fût prononcé aux torts exclusifs de son mari ou, subsidiairement, pour altération du lien conjugal. Elle souhaitait que son époux n'eût ni dommages et intérêts, ni prestation compensatoire et qu'il fût condamné à lui verser 10 000 euros.

En février 2013, la cour d'appel de Douai a confirmé le jugement. Elle a décidé que le divorce devait être prononcé aux torts partagés des époux, que les demandes réciproques de dommages et intérêts devaient être rejetées et que le mari ne pouvait prétendre à une prestation compensatoire. C'est ce dernier point qui a soulevé le plus de débats et mérite d'être relevé.

En effet, il est admis que le juge doit pendre, notamment, en considération, pour la fixation de la prestation compensatoire, la durée du mariage, l'âge et l'état de santé des époux, leur qualification et leur situation professionnelles, leurs droits existants et prévisibles, leur situation respective en matière de pensions de retraite, selon l'article 271 du Code civil, mais aussi par exemple, selon la jurisprudence, la prestation compensatoire versée à un précédent conjoint (2).

En l'espèce les époux avaient été mariés une première fois et avaient alors vécu ensemble pendant 15 ans. Dans le cadre de la première procédure de divorce, les juges avaient constaté que le divorce allait créer une disparité dans les conditions de vie respective des conjoints et l'épouse avait été condamnée à payer au mari une prestation compensatoire de 213 600 euros.

Le second mariage avait duré sept ans et la vie commune trois ans. Les conjoints étaient âgés de 58 et 55 ans. L'époux, en invalidité à la suite de problèmes de santé, percevait une rente de la CRAM et d'une assurance complémentaire pour un revenu mensuel de 4 185 euros. L'épouse, chirurgien en hôpital et dans le privé, justifiait d'un revenu mensuel de 24 101,41 euros. Outre cette disparité dans les revenus, il existait également entre les époux une disparité entre les patrimoines. Celui de l'époux était évalué à 934 376 euros et celui de l'épouse à 1 350 000 euros, auquel s'ajoutaient les parts dans une SCI commune. Néanmoins, si la situation de la femme était très largement supérieure à celle du mari, tant en termes de ressources qu'en termes de patrimoine, ce dernier disposait de revenus réguliers et d'un patrimoine conséquent de nature à lui permettre de maintenir un train de vie tout à fait confortable. La disparité de revenus entre les époux n'avait pas été créée par la rupture du lien conjugal. Tous deux ayant eu des carrières très différentes, la disparité substantielle dans leurs revenus existait déjà lorsqu'ils s'étaient remariés. Elle ne s'était pas accrue pendant le mariage, les revenus étant restés stables.

Enfin, la disparité des revenus et des patrimoines entre les conjoints avait déjà été prise en compte dans le cadre de la précédente procédure de divorce, l'époux ayant alors perçu une prestation compensatoire.

L'objectif de la prestation compensatoire n'est pas d'aider un époux dans le besoin mais de compenser un déséquilibre financier, entre les conditions de vie respectives des époux, résultant de la rupture du mariage. Deux hypothèses doivent être distinguées :

- si les situations des époux étaient inégales avant le mariage, que celui-ci a contribué à un rééquilibrage et que le divorce aboutit à un retour aux situations d'origine, c'est-à-dire à un nouveau déséquilibre, une prestation compensatoire peut être accordée. Cela est logique dès lors que le but de la prestation compensatoire est de limiter les conséquences du divorce ;

- si, au contraire, les situations des époux étaient différentes, que le mariage n'y a rien changé et que donc l'éventuel déséquilibre ne résulte pas du divorce, il n'y a pas lieu d'attribuer une prestation compensatoire (3).

L'attribution d'une prestation compensatoire relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Et, justement, les magistrats ont souverainement estimé que, en l'espèce, il n'y avait pas lieu d'attribuer une seconde prestation compensatoire, après sept ans d'union, à l'époux qui en avait déjà touché une, lors de la dissolution du premier mariage du couple, lequel avait alors duré 15 ans. Les divorces peuvent se suivre mais doivent être indépendants, qu'il s'agisse des fautes des conjoints ou de l'attribution d'une prestation compensatoire. L'époux fautif lors de la première séparation ne l'est, dans la seconde, que si les conditions posées par l'article 242 du Code civil sont de nouveau remplies. L'époux qui a bénéficié d'une prestation compensatoire lors de la première séparation n'en obtient une, dans la seconde, que si les conditions de l'article 270 du Code civil sont remplies !


(1) Cass. civ. 2, 4 mars 1992, n° 90-20.339 (N° Lexbase : A2694CMQ).
(2) Cass. civ. 1, 20 février 2007, n° 06-10.763, FS-P+B (N° Lexbase : A3036DUY), Bull. civ. I, n° 69.
(3) Cass. civ. 1, 9 décembre 2009, n° 08-16180, F-D (N° Lexbase : A4381EPX).

newsid:436455