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N6234BT3
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par Frédéric Dal Vecchio, avocat à la cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
le 26 Mars 2013
La mondialisation des échanges commerciaux suscite visiblement l'imagination des contribuables. Parfois même, elle les entraîne dans des lieux paradisiaques qui se révèlent in fine être un enfer fiscal : les montages de certains particuliers basés sur une "vraie-fausse" entreprise domiciliée dans des juridictions réputées plus "compréhensives" avec les contribuables étrangers trompent rarement l'administration fiscale française et les magistrats. L'arrêt du 12 février 2013 en est la parfaite illustration : M. B. personne physique, par ailleurs dirigeant de la société étrangère C. C. domiciliée dans les Seychelles, a réalisé des prestations de service pour l'entreprise S. T., entraînant l'émission de factures impayées pour 22 963,30 euros. Cette société a fait l'objet d'une vérification de comptabilité en 2007, à l'issue de laquelle un redressement a été notifié pour avoir omis de déclarer et payer la retenue à la source au titre des sommes versées à la société étrangère C. C. (CGI, art. 182 B N° Lexbase : L3273HLS (1)). En juillet 2008, M. B. a alors assigné la société S. T. devant le tribunal de commerce aux fins d'obtenir le paiement de ses créances impayées. La société S. T., qui a réglé la retenue à la source à l'administration fiscale à l'issue de la vérification de comptabilité, a alors demandé la compensation (C. civ., art. 1289 N° Lexbase : L1399ABG et s.) des factures impayées avec la retenue à la source objet du redressement ci-dessus rappelé. Selon les conseillers de la cour d'appel (CA Aix-en-Provence, 2ème ch., 5 novembre 2010, n° 09/19205 N° Lexbase : A7608GIM), la société C. C., enregistrée aux Seychelles en 1999, mais radiée dès 2000 pour défaut de paiement d'une taxe annuelle, était une société de façade masquant les activités de M. B.. En effet, outre que l'avocat de la société S. T.. fera valoir que deux lettres recommandées adressées au domicile postal suisse de la société C. C. reviendront avec les mentions "le destinataire est introuvable" et "a déménagé", il est apparu, lors de la vérification de comptabilité, que le paiement des prestations apparemment servies par la société étrangère C. C. a été effectué au moyen de virements sur le compte bancaire de M. B. ou par chèques libellés à son ordre et non à celui de la société seychelloise. De plus, M. B. ne sera pas en mesure de justifier l'existence et l'activité de cette société. Par conséquent, constatant le caractère fictif de l'entreprise prestataire étrangère, la Cour mettra à la charge de M. B. le montant de la retenue à la source et ordonnera la compensation entre les condamnations réciproques à due concurrence : lorsqu'une entreprise prestataire étrangère se révèle être fictive, la retenue à la source peut être mise à la charge de celui qui rend personnellement la prestation ; c'est-à-dire, au cas d'espèce, le dirigeant de la société fictive seychelloise. La Cour de cassation confirmera l'arrêt d'appel, sauf en ce qui concerne la condamnation au paiement des pénalités et de l'intérêt de retard, qui doivent rester à la charge de la société S. T. qui aurait dû effectuer la déclaration de la retenue à la source et procéder à son versement dans les délais légaux. Pour les Hauts magistrats, le débiteur de la retenue à la source peut parfaitement "réclamer au prestataire le montant de l'imposition qu'il a versée pour son compte au Trésor public sans l'avoir déduit au préalable du prix des prestations". Même si le débiteur des sommes versées à un prestataire visé par l'article 182 B du CGI est redevable, à l'égard de l'administration fiscale, des retenues à la source, le mécanisme de compensation issu des articles 1289 et suivants du Code civil peut être, le cas échéant, mis en oeuvre dans le cadre d'un litige commercial entre un client et son prestataire, quelle que soit la nature des dettes réciproques.
A - Rappel sur la fiscalité applicable en cas de restructuration de personnes morales relevant de l'impôt sur les sociétés
En droit fiscal, les opérations de restructuration telles que les fusions, les scissions et les apports partiels d'actif sont considérées, pour les personnes morales apporteuses ou absorbées, comme relevant du régime de la cessation d'entreprise. Les conséquences sont loin d'être neutres, notamment quant à la taxation des plus-values latentes et du bénéfice non encore imposé, la reprise des provisions, et les droits d'enregistrement à raison de l'augmentation de capital de la personne morale absorbante. Afin de ne pas freiner la nécessaire restructuration des entreprises françaises (P. Bertoni, Les politiques fiscales sous la cinquième république - Discours et pratiques (1958 - 1991), L'Harmattan, collection logiques juridiques, 1995, p. 100), alors perçue comme ayant un caractère intercalaire, le législateur a prévu une option (2) (CGI, art. 210 A N° Lexbase : L3936HLD ; loi du 28 décembre 2001, n° 2001-1275, de finances pour 2002, art. 85 N° Lexbase : L0938AWN (3) ; BOI-IS-FUS-10-20, 12 septembre 2012 N° Lexbase : X6132ALP) ne profitant qu'aux personnes morales ou organismes passibles de l'impôt sur les sociétés (CGI, art. 210 C N° Lexbase : L3945HLP). Les personnes morales placées sous ce régime sont alors tenues de formuler une option en ce sens. Elles doivent respecter les engagements issus de l'article 210 A-3 du CGI (4) et produire à chaque déclaration de résultat un état de suivi des plus-values qui n'ont pas fait l'objet d'une imposition lors de la réalisation de l'opération de restructuration, ainsi qu'un registre de suivi des plus-values sur éléments d'actif non amortissables dont l'imposition a été reportée (5). Le régime des déficits a subi de substantielles modifications entre le début des années 2000 et 2012 : c'est ainsi que, s'agissant des déficits de la personne morale absorbée, à compter du 1er janvier 2002, un régime d'agrément de droit (loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001, de finances pour 2002 ; CGI, art. 209 N° Lexbase : L1156ITY) a été substitué au régime d'agrément discrétionnaire délivré jusqu'alors (6). Le régime d'agrément de droit est accordé lorsque l'opération est justifiée du point de vue économique et qu'elle obéit à des motivations principales autres que fiscales ; l'activité à l'origine des déficits dont le transfert est demandé doit être poursuivie par la ou les sociétés bénéficiaires des apports pendant un délai minimum de trois ans ; l'opération est effectuée sous le régime de l'article 210 A du CGI. Depuis le 1er janvier 2005, le montant des déficits transférés n'est plus plafonné (7) (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, art. 42). La loi de finances rectificative pour 2012 (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L9357ITQ) a apporté des modifications (CGI, art. 209, II N° Lexbase : L9518ITP) qui concernent également les personnes morales ayant opté pour le régime de l'intégration fiscale (CGI, art. 223 A N° Lexbase : L5189IRM ; CGI, art. 223, I, 6 N° Lexbase : L9516ITM) : les déficits et intérêts susceptibles d'être transférés ne doivent provenir ni de la gestion d'un patrimoine mobilier par des sociétés dont l'actif est principalement composé de participations financières dans d'autres sociétés ou groupements assimilés, ni de la gestion d'un patrimoine immobilier. De plus, l'agrément est subordonné au fait que le transfert des déficits n'a pas fait l'objet, par la société absorbée ou apporteuse, pendant la période au titre de laquelle ces déficits et ces intérêts ont été constatés, de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité. Puis, l'activité transférée doit être poursuivie, par les structures absorbantes ou en bénéficiant pendant trois ans : il ne doit pas y avoir de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en oeuvre, de nature et de volume d'activité.
B - La décision du 11 février 2013
A la suite d'une vérification de comptabilité au terme de laquelle une notification de redressement fut notifiée en 2002, l'administration fiscale a constaté la dissolution-confusion d'une filiale, décidée par une assemblée générale tenue le 18 juillet 1999, entraînant, d'une part, l'annulation des 510 000 titres détenus dans son capital, d'autre part, une moins-value à court terme. Une fraction de ces titres était détenue dans le cadre d'un apport partiel d'actif effectué le 30 juillet 1998 placé sous le régime de faveur issu des dispositions des articles 210 A et suivants du CGI rappelées ci-dessus (cf. A). Ces titres avaient été acquis par la société apporteuse en 1988, 1991 et 1996. Pour apprécier le délai de détention de deux ans (CGI, art. 39 duodecies N° Lexbase : L1431HLL) qui permet de qualifier la moins-value à court ou à long terme, l'administration fiscale a alors considéré qu'il fallait se placer à la date d'acquisition d'origine par l'apporteuse et non celle de réalisation de l'apport : la moins-value était, selon l'administration, à long terme et ne pouvait être déduite des résultats de l'entreprise. La cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 1ère ch., 29 novembre 2011, n° 10VE02229, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7328IIA) avait considéré que la date d'acquisition des titres s'entendait de la date de réalisation de l'apport (en 1998 en l'espèce) et non la date à laquelle les titres sont entrés initialement au capital de la société apporteuse. Ce raisonnement est censuré par le Conseil d'Etat pour erreur de droit. Réglant l'affaire au fond (CJA, art. L. 821-2 N° Lexbase : L3298ALQ) et rétablissant l'entreprise, au titre de l'exercice 1999, au rôle de l'impôt sur les sociétés, de la contribution à cet impôt et de la contribution temporaire, les Hauts magistrats disent pour droit que la date à retenir est celle relative à l'acquisition des titres et non la date de leur apport ce qui entraîne, pour la société requérante, une conséquence fiscale d'une ampleur non négligeable : la moins-value constatée est à long terme, ce qui interdit sa déductibilité du résultat imposable.
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