Le Quotidien du 4 mai 2021 : Actualité judiciaire

[Portrait] Assigné à résidence depuis 13 ans, Kamel Daoudi a le sentiment de vivre « un jour sans fin »

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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 19 Mai 2021

Edit, le 19 mai 2021 à 13 heures : le 12 mai 2021, la cour d’appel de Riom a condamné Kamel Daoudi à 4 mois de prison ferme pour avoir contrevenu aux termes de son assignation.

 

Il avait commencé par l’Amérique du Sud : Brésil, Argentine, Chili... Et puis, avait élargi le champ des recherches au Qatar et à l’Afrique du Sud. Poussé jusqu’au Japon, même. Mais aucun de ces pays n’était prêt à lui accorder l’asile. La plupart n’ont même pas répondu à ses courriers. Y croyait-il seulement ? Kamel Daoudi a abandonné l’idée, de toute façon. Et il s’est résigné à devoir se contenter de noms moins exotiques. Mais plus bucoliques, assurément. Du genre à illustrer le guide des villages les plus pittoresques de France. Aubusson dans la Creuse. Longeau-Percey dans la Haute-Marne. Fayl-Billot, dans le même département, mais un peu plus à l’Est. Lacaune puis Carmaux dans le Tarn. Saint-Jean-d’Angély et son musée des Cordeliers en Charente-Maritime. Et enfin Aurillac dans le Cantal.

Jusqu’à la prochaine destination... Comme les précédentes, il ne la choisira pas lui-même. Et comme les précédentes, il n’aura pas vraiment le temps de s’y intéresser avant de partir. « À chaque fois, on me donne une demi-heure pour rassembler mes affaires, raconte-t-il. La dernière fois, j’étais parti chercher du pain en vélo. Et j’ai été accueilli par le Raid [le groupe d’élite d’intervention de la police nationale]. Heureusement que ma femme a pu apporter ma valise sinon je serais parti avec mon vélo et les habits que je portais... »

Cela fait maintenant plus de treize ans que Kamel Daoudi est assigné à résidence. Ballotté de bourgade en bourgade par les autorités en raison de sa prétendue dangerosité. À devoir pointer deux fois par jour – quatre fois à certains endroits – à la gendarmerie du secteur pour prouver qu’il n’est pas en cavale ou en train de préparer un attentat. Car le nom de Kamel Daoudi, 46 ans aujourd’hui, reste associé à celui d’Al-Qaïda.

Ubu Roi de Jarry, le Procès de Kafka et Un jour sans fin

Mis à la porte par son père en 1995, ce colosse à la voix grave a, à ce moment-là, plongé à deux pieds dans la religion, tendance islam radical. Du genre à proposer des stages de maniement de kalachnikov dans les camps d’Afghanistan. Le 25 septembre 2001, il est interpellé à Londres. De l’autre côté de l’Atlantique, les tours jumelles viennent d’être mises par terre. Et les cendres fument encore. Accusé d’être l’informaticien d’une cellule visant l’ambassade des États-Unis en France, il est alors condamné, à Paris, à neuf ans de réclusion pour « association de malfaiteurs terroriste ». Une peine ramenée à six ans de prison en appel. Mais au surplus, Kamel Daoudi est déchu de sa nationalité française et visé par ce qu’on appelle « une IDTF » dans le jargon administratif. Une « interdiction définitive du territoire français ».

Sitôt sorti de prison, le 21 avril 2008, Kamel Daoudi aurait donc dû s’envoler pour l’Algérie, sans espoir de retour. Mais la Cour européenne des droits de l’Homme s’oppose au voyage, arguant du « risque » qu’il y aurait pour lui à retourner sur sa terre natale, pas vraiment encline à soigner les anciens terroristes islamistes. En un instant, Kamel Daoudi se retrouve donc dans une situation impossible. Indésirable en France mais inexpulsable en même temps. « Ma vie au carrefour d’Ubu Roi d’Alfred  Jarry et du Procès de Franz Kafka », décrit-il sur son profil Twitter.

Au téléphone, il ajoute une autre référence : Un jour sans fin, le film d’Harold Ramis dans lequel Bill Murray revit perpétuellement la même journée sans pouvoir sortir de la boucle « J’ai l’impression d’être en mode pause, résume-t-il. La routine finit par m’enterrer... » Car Kamel Daoudi ne doit pas seulement pointer au commissariat d’Aurillac deux fois par jour, à 10 heures et à 17 heures. Il ne peut pas travailler. Ni rejoindre sa femme et ses enfants, restés à Carmaux dans le Tarn. Et il doit se plier à un couvre-feu.

Il conteste aussi les arrêtés d’assignation à résidence

Mais après 14 000 pointages, selon le décompte effectué par ses avocats, Kamel Daoudi a voulu lâcher un peu la bride. Et fin septembre, à Aurillac, il a été interpellé dans un café alternatif, peu après 21h, alors qu’il était en train de préparer des repas. Condamné à un an de prison ferme en première instance pour cela, il attend désormais la décision de la Cour d’appel de Riom qui sera connue le 12 mai. Le ministère public a requis la confirmation de la peine.

« Le problème n’est pas vraiment de savoir si je suis encore condamné. Mais plutôt les termes de mon assignation qui me valent de risquer d’être condamné et perpétuellement surveillé, résume-t-il. Je ne peux rien faire. On me sort toujours trois fameuses notes blanches selon lesquelles je suis et demeure une menace... ».

Non datées, non sourcées, ces notes blanches sont des documents émanant des services de renseignement et qui justifient, selon les autorités, l’assignation de Kamel Daoudi. On y trouve par exemple les propos ambigus tenus par sa fille dans son école ou encore les menaces que l’intéressé aurait proférées à l’encontre du personnel de la mairie de Carmaux. « Mais tout cela a été monté en épingle et remonte à plusieurs années en arrière, se désole-t-il. Je ne suis plus là-dedans, mais tout le monde pense que je cache bien mon jeu, que je suis peut-être en train de préparer un attentat... ».

Mais Kamel Daoudi sait bien que l’on ne peut pas prouver ce dont on n’est pas coupable. Et le voilà qui cite le théorème mathématique de Fermat pour expliciter son désarroi. Comme il ne s’agissait pas de trouver un résultat, mais de démontrer qu’il était impossible de trouver des nombres entiers pour solutionner une équation particulière, il a fallu plus de trois siècles pour le résoudre…

Se rendant compte de la complexité du parallèle, il assure que c’est bien la preuve qu’il n’a pas le profil type du terroriste. « Mais je continue de payer pour un petit moment flottant dans ma réflexion ». Et il sait bien que, depuis 2015, la menace terroriste qui pèse sur la France ne joue pas en sa faveur. Le 28 janvier, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête en annulation des trois arrêtés d’assignation à résidence. Il a fait appel de la décision sans vraiment y croire. « Je commence à être fatigué de tout cela en fait... ».

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