La lettre juridique n°860 du 1 avril 2021 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] L’article 1843-4 du Code civil n’est pas applicable au retrayant d’une association d’avocats !

Réf. : Cass. civ. 1, 17 février 2021, n° 19-22.964, FS-P (N° Lexbase : A61274HE)

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par Bastien Brignon, Maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille

le 02 Avril 2021


Mots-clefs : commentaire • avocat • sociétés • retrait • association • article 1843-4 du Code civil

Si une association d'avocats se trouve soumise aux dispositions des articles 1832 (N° Lexbase : L2001ABQ) à 1844-17 (N° Lexbase : L2037AB3) du Code civil, cependant, l'article 1843-4 (N° Lexbase : L1737LRR) ne lui est pas applicable en l'absence de capital social et ne peut être étendu aux comptes à effectuer lors du départ d'un avocat.


 

1. Par une décision en date du 17 février 2021 [1], la Cour de cassation précise, pour la première fois à notre connaissance, que l’article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L1737LRR) n’est pas applicable à l’évaluation des droits de l’avocat se retirant d’une association d’avocats. La solution, nouvelle, est d’autant plus importante que la Cour de cassation, bien que rejetant le pourvoi dudit avocat et confirmant ainsi la solution des juges du fond, procède par substitution de motifs, en considérant notamment qu’une association d'avocats se trouve soumise aux dispositions des articles 1832 (N° Lexbase : L2001ABQ) à 1844-17 (N° Lexbase : L2037AB3) du Code civil.

2. Les faits étaient simples. Trois avocats avaient décidé de se regrouper et avaient ainsi conclu ensemble une convention d’association. Mais l’un d’entre eux a décidé de se retirer de l’association à compter du 1er novembre 2016, ce dont sont convenus les associés par une convention du 15 novembre 2016. Aucun accord n’étant intervenu sur les modalités de son retrait, l’avocat retrayant a alors saisi le Bâtonnier de l’Ordre des avocats de la Haute-Loire d’une demande d’arbitrage. Le sujet était essentiellement financier, l’intéressé souhaitant que ses droits au sein du groupement lui soient rachetés à leur juste valeur. En effet, la cour d’appel de Riom avait limité à 14 664,64 euros la somme lui demeurant due par ses anciens associés, alors qu’il en espérait davantage. D’où son pourvoi en cassation. Il reprochait aux juges d’appel d’avoir refusé l’arbitrage à dire d’expert prévu par l’article 1843-4 du Code civil pour l’évaluation de ses droits dans l’association d’avocats dont il faisait partie. Plus précisément, pour l’avocat retrayant, la cour d’appel avait violé ce texte, ensemble l’article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : Z80327KW). Selon lui, l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 (N° Lexbase : L8851IPI), ne dérogeait pas à l’article 1843-4 du Code civil. Dès lors, en ayant refusé l'arbitrage à dire d'expert pour l'évaluation de ses droits dans l'association au motif que la procédure d'arbitrage par le Bâtonnier était dérogatoire au droit commun et excluait l'application de l'article 1843-4 du Code civil, la cour d'appel aurait donc violé ce texte, ensemble l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971. Ce faisant, l’avocat retrayant se prévalait de la solution retenue par la Cour de cassation il y a près de deux ans à propos de la valorisation des parts d’une société civile professionnelle d’avocats à la suite du retrait d’un avocat membre de cette société [2].

3. Toutefois, rappelant que « Selon l'article 1843-4 du Code civil, en cas de contestation sur la valeur des droits sociaux cédés par un associé ou rachetés par la société en cause, un expert désigné par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés détermine cette valeur », la Cour de cassation rejette le pourvoi de l’avocat retrayant : « Si une association d’avocats se trouve soumise aux dispositions des articles 1832 à 1844-17 du Code civil, cependant, l’article 1843-4 ne lui est pas applicable en l’absence de capital social et ne peut être étendu aux comptes à effectuer lors du départ d’un avocat ». « Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, (…) la décision [d’appel] déférée se trouve légalement justifiée ».

4. Quels enseignements tirer de cette solution ?

5. D’abord, on rappellera que selon le I de l’article 1843-4 du Code civil, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 (N° Lexbase : L1321I4P), « dans les cas où la loi renvoie au présent article pour fixer les conditions de prix d’une cession des droits sociaux d’un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné soit par les parties, soit, à défaut d’accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. L’expert ainsi désigné est tenu d’appliquer, lorsqu’elles existent, les règles et modalités de détermination de la valeur prévues par les statuts de la société ou par toute convention liant les parties ». L’expert de l’article 1843-4 doit donc aujourd’hui respecter la méthode d’évaluation souhaitée par les parties, si méthode il y a. Mais ce texte, incontestablement d’ordre public, n’en demeure pas moins cantonné à son champ d’application. Il n’a en effet vocation à s’appliquer que dans les cas où la loi (ou un décret) y renvoie expressément, pour des hypothèses concernant des droits sociaux.

6. Or, l’article 21 de la loi du 31 décembre 1971 fait référence, du moins en creux, à cette procédure d’évaluation à dire d’expert, la question étant alors de savoir si ce texte prévoit une procédure dérogatoire à l’article 1843-4 ou si, au contraire, il ne prévoit aucune dérogation. Si, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 (N° Lexbase : L8851IPI), l’article 21 précité ne dérogeait pas à l’article 1843-4 du Code civil, aujourd’hui, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-331, il n’y déroge qu’en ce qu’il donne compétence au Bâtonnier pour procéder à la désignation d’un expert aux fins d’évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d’avocats [3]. Compte tenu de la date (15 novembre 2016) de la convention conclue en l’espèce entre les membres de l’association qui acte le retrait de l’un d’entre eux, c’est l’article 21 pris dans sa nouvelle rédaction qui devait logiquement s’appliquer. Par conséquent, l’article 1843-4 du Code civil devrait pouvoir s’appliquer ici, dans un différend entre avocats soumis à l’arbitrage du Bâtonnier compétent quant à l’évaluation de leurs droits sociaux.

7. Cela étant, encore faut-il que l’on se trouve dans le champ d’application dudit texte. Or, tel n’était pas le cas en l’occurrence dans la mesure où il s’agissait d’une association d’avocats. La cour d’appel était arrivée à la même conclusion mais selon un raisonnement erroné pour la Cour de cassation, d’où la substitution de motifs. En effet, les juges du fond avaient considéré, en substance, que l’article 21 de la loi de 1971 excluait le jeu de l’article 1843-4 du Code civil. Cependant, selon la Cour de cassation, si ce dernier texte devait être écarté, c’est tout simplement parce que la cession de droits tirée du contrat d’association d’avocats ne relève pas du champ d’application dudit texte. Autrement dit, l’article 21 était bel et bien applicable mais il n’était pas possible pour autant pour le Bâtonnier ou son délégué de désigner l’expert de l’article 1843-4 et ce, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’une cession de droits sociaux, mais d’un retrait d’une association d’avocats. Or, celle-ci, comme le considère la Cour de cassation, si elle se trouve soumise aux dispositions des articles 1832 à 1844-17 du Code civil, cependant, l'article 1843-4 ne lui est pas applicable en l'absence de capital social et ne peut être étendu aux comptes à effectuer lors du départ d'un avocat.

8. L’association d’avocats n’est pas une société d’avocats. Elle ne saurait avoir ni personnalité morale et donc ni capital social, ni parts sociales ni actions. Impossible, dans ces conditions, d’avoir recours à l’expert de l’article 1843-4 du Code civil. Néanmoins, l’association est, selon le Conseil National des Barreaux, une société [4] : « Dans la mesure où elle répond à la définition de la société figurant à l’article 1832 du Code civil (mise en commun d’apports en vue de partager des bénéfices), l’association d’avocats a la nature juridique d’une société. N’étant pas immatriculée, elle ne dispose pas de la personnalité juridique, ce qui conduit à la considérer comme une société créée de fait » [5]. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation rappelle que « l’association d’avocats est soumise aux articles 1832 à 1844-17 du Code civil, à savoir les règles du droit commun des sociétés » [6].

9. S’il est évident que l’association d’avocats n’a pas de capital social, le fait qu’elle soit soumise au droit commun des sociétés, en ce qu’elle serait une société, c’est-à-dire une structure d’exercice, et avant, un contrat de société, ne va pas de soi. En effet, l’association d’avocats, dont la responsabilité des membres peut être limitée (cas de l’AARPI), n’a pas la personnalité morale, même lorsqu’elle opte pour l’impôt sur les sociétés. Il en résulte qu’elle ne saurait être propriétaire/titulaire de la ou des clientèle(s), à l’inverse d’une SCP, d’une SEL ou d’une société de droit commun. Ce sont les avocats membres (sociétaires), personnes physiques ou personnes morales, de l’association qui restent propriétaires de leurs clientèles, ce qui constitue, à bien des égards, un avantage fiscal indéniable. Si les clientèles restent la propriété des avocats membres de l’association, il est difficile d’assimiler l’association à une structure d’exercice. Dans ces conditions, il devient également difficile de lui appliquer les règles du contrat de société parce qu’elle n’est ne répond pas vraiment, du moins pas complètement, à la définition du contrat de société.

10. Qu’est-ce que donc l’association d’avocats ? Elle un groupement, propre à la profession d’avocats, hybride, sui generis. Elle n’est ni vraiment une association ni vraiment une société ; en même temps, elle est également un peu des deux à la fois. Preuve de ce caractère hybride, au fond assez mal défini, alors que l’association n’a pas la personnalité morale, ce qui n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes, la cour d'appel de Poitiers a pu juger, tout en rappelant que l’AARPI n’était pas dotée de la personnalité morale, qu’elle pouvait postuler auprès de tribunaux, qu’elle disposait d’un numéro propre d’immatriculation auprès de l’Urssaf, qu’elle était titulaire de comptes bancaires et d’avoirs et qu’elle avait une personnalité civile qui la mettait en mesure d’être « susceptible de succomber à une condamnation » [7]. On le répète, l’association d’avocats n’est pas une société : elle n’a pas de capital social. Les opérations d’augmentation et de réduction de capital social ne sont pas possibles en la matière. Par exemple, si une société d’avocats peut racheter les droits sociaux du retrayant, en procédant par voie de réduction de capital, ce qui peut être fiscalement et financièrement intéressant, un tel schéma n’est pas duplicable en association.

11. Surtout, étant donné que l’article 1843-4 du Code civil est inapplicable en association du fait de l’absence de capital social (tandis que des apports en jouissance ou indivision sont possibles), l’on peut se demander si des statuts d’association qui y feraient référence seraient valables. La volonté des parties peut-elle suffire à éviter que pareille clause soit réputée non écrite ? Rien n’est moins sûr, d’autant moins que la rédaction du II de l’article 1843-3 (« Dans les cas où les statuts prévoient la cession des droits sociaux d'un associé ou le rachat de ces droits par la société sans que leur valeur soit ni déterminée ni déterminable, celle-ci est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné dans les conditions du premier alinéa ») ne nous paraît pas de nature à admettre pareille stipulation/clause renvoyant à l’expert de l’article 1843-3 en cas de désaccord sur le prix. L’on peut également se demander comment faire alors en cas de conflit sur le prix. La référence à l’article 1592 du Code civil (N° Lexbase : L2395LR7) aux termes duquel « il [à propos du prix de vente] peut cependant être laissé à l'estimation d'un tiers ; si le tiers ne veut ou ne peut faire l'estimation, il n'y a point de vente », non prohibée, semble plausible.

12. Pour tout dire, l’association d’avocats n’étant pas propriétaire de la ou des clientèle(s), la question de la valorisation de ces dernières se joue nous semble-t-il non pas au niveau de ladite association mais à l’échelon en-dessous, c’est-à-dire au stade par exemple des sociétés associées/sociétaires de l’association.

13. Enfin, dans l’hypothèse où aucun expert ou tiers n’interviendrait ou ne pourrait intervenir pour résoudre ce conflit au moment du retrait de l’association de tel ou tel avocat membre, reste le cas du Bâtonnier ou de son délégué qui lui-même procèderait à la fixation du prix. Telle paraît être au demeurant la solution la plus proche de la lettre de l’article 21, alinéa 3, de la loi de 1971 précitée : « Tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier qui, le cas échéant, procède à la désignation d'un expert pour l'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats ». On voit que le recours à l’expert n’est prévu qu’à titre subsidiaire, « le cas échéant ». Il paraît même possible aux parties, dans leurs statuts d’association ou même de société, de désigner le Bâtonnier ou son délégué comme investi du pouvoir de trancher le litige et de procéder lui-même à l'évaluation des droits sociaux [8] ou des droits de jouissance dont l’association bénéficie, sans qu’un expert ne puisse être sollicité sauf pour le Bâtonnier ou son délégué à s’en remettre in fine à un sapiteur, mais uniquement dans les cessions - au sens large du terme - de droits sociaux, c’est-à-dire en dehors de tout groupement associatif quel qu’il soit, et non donc dans les cessions de droits [9] de jouissance dont bénéficie l’association.


[1] Cass. civ. 1, 17 février 2021, n° 19-22.964, FS-P, La lettre juridique, février 2021, n°855, note M. Le Guerroué (N° Lexbase : N6543BYY) ; Dalloz actualité, 9 mars 2021, note X. Delpech.

[2] Cass. civ. 1, 9 mai 2019, n° 18-12.073, FS-P+B (N° Lexbase : A0630ZBX) ; Dalloz actualité, 3 juin 2019, obs. J.-D. Pellier ; D., 2019. 1044 ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid., 2020, 108, obs. T. Wickers ; Rev. Sociétés, 2019. 688, note J.-F. Barbièri ; JCP E, 2019, 1489, note S. Nonorgue ; Dr. sociétés 2019, comm. n° 141, note R. Mortier ; Gaz. Pal., 3 déc. 2019, n° 364q6, p. 22, note B. de Belval et J. Villacèque ; BJS juill. 2019, n° 119x7, p. 31, note M. Storck ; Lexbase avocats, juin 2019, note B. Brignon (N° Lexbase : N9285BX8).

[3] Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 21, alinéa 3.

« Tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier qui, le cas échéant, procède à la désignation d'un expert pour l'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats. En cette matière, le Bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs aux anciens Bâtonniers ainsi qu'à tout membre ou ancien membre du conseil de l'Ordre. »

[4] CNB, Commission SPA, avis technique n°2014-004 du 13 juin 2014 : « L’association est bien une structure d’exercice, au même titre que la SCP ou la SEL ».

[5] CNB, Guide de l’exercice en association d’avocats [association & AARPI], oct. 2017, spéc. § n° 5.

[6] Le Guide du CNB est sur la même ligne (v. spéc. § n° 7) : « L’association est également régie par les articles 1832 à 1844-17 et suivants du Code civil applicables à toutes les formes de sociétés ainsi que par les articles 1871 à 1873 du Code civil relatifs aux sociétés en participation ».

[7] CA Poitiers, 28 janvier 2020, RG n° 19/02107 (N° Lexbase : A16473DD), La lettre juridique, juillet 2020, n° 832, note A. Chemouli.

[8] Cass. civ.1, 9 juillet 2014, n° 13-13.598, FS-P+B+I (N° Lexbase : A0579MUY), Rev. arb., 2015, p. 1103, note B. Castellane ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E1764E7H) ; JCP G, 2014, 1093, G. Pillet : « une clause compromissoire entre avocats est exclusive de l'application des dispositions de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 ».

[9] Cass. com., 15 mai 2012, n° 11-30.192, F-D (N° Lexbase : A6993ILL), Rev. Sociétés, 2013, p. 88, note B. Dondero : Comme dans la société en participation, les associés sont titulaires de « droits qu’ils tiennent du contrat de société », ces droits étant d’ailleurs cessibles.

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