La lettre juridique n°860 du 1 avril 2021 : Fiscalité du patrimoine

[Focus] Vers un allègement des droits de donation ?

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par Virginie Pradel, Fiscaliste

le 01 Avril 2021


Mots-clés : donations • successions • transmission de patrimoine • abattements

Se dirige-t-on vers un allègement de la (très lourde!) fiscalité des donations en France ? Ce sujet est, comme on le sait, hautement inflammable. D’aucuns considèrent en effet que l’allégement de celle-ci représenterait un nouveau cadeau aux « riches »  [1] après ceux de la suppression de l’ISF et de l’instauration de la flat tax de 30 % sur les revenus du patrimoine. Force est toutefois de constater qu’un tel allégement serait nécessaire pour permettre une meilleure circulation du patrimoine entre les différentes générations et in fine une économie plus dynamique.


 

La France a fait le choix de sensiblement renforcer la fiscalité applicable aux donations depuis plusieurs années.

En 2013, le taux d’imposition marginal applicable en ligne directe a été augmenté de 40 % à 45 %.

En 2021, le montant de l’abattement applicable en ligne directe aux enfants a été réduit de plus d’un tiers, passant de 159 325 euros à 100 000 euros.

Du reste, les conditions pour bénéficier dudit abattement ont été sensiblement renforcées dans la mesure où le délai de « rapport fiscal », à savoir le délai applicable pour qu’un donataire puisse bénéficier de l’abattement après en avoir bénéficié au titre d’une donation antérieure a été plus que doublé : fixé initialement à 6 ans, il a été porté à 15 ans en 2012.

Enfin, le barème d’imposition a été gelé depuis 2012. Ce dernier était auparavant indexé sur l’inflation, comme le barème de l’impôt sur le revenu.

Contrairement à la France, un certain nombre de pays font le choix de ne pas taxer les donations [2]. Parmi ces derniers figurent la Suède, l’Autriche, l’Estonie, la Lituanie, Malte, le Liechtenstein, la Roumanie, le Royaume-Uni [3], la Norvède, l’Argentine [4], l’Australie, la Chine, Hong Kong, le Cambodge, le Congo, l’Égypte, Gibraltar, l’Indonésie, Israël, la Jordanie, le Kazakhstan, Madagascar, la Malaisie, la Mauritanie, l’île Maurice, la Mongolie, la Nouvelle-Zélande, le Nigéria, Oman, le Pakistan, le Panama, le Paraguay, le Quatar, le Rwanda, la Russie, Sainte-Lucie, l’Arabie Saoudite, Singapour, le Sri Lanka, la Tanzanie, l’Ouganda, le Turkménistan, les Émirats arabes unis, l’Uuguay, le Zimbabwe.

La fiscalité applicable aux donations en France

En ligne directe, les donations sont actuellement taxées selon un barème progressif allant de 5 % à 45 % [5]. Un abattement de 100 000 euros [6] peut s’appliquer par parent et par enfant. Les donations faites aux petits-enfants et arrière-petits-enfants sont taxées également selon le même barème progressif. Des abattements de 31 865 euros [7] et de 5 310 euros [8] peuvent respectivement s’appliquer à ces derniers.

Les donations entre époux sont taxées selon un barème progressif allant de 5 % à 45 % [9]. Un abattement de 80 724 euros [10] peut s’appliquer.

Les donations entre frères et sœurs sont taxées aux taux de 35 % et 45 %. Un abattement de 15 932 euros peut s’appliquer. Les donations au neveu et nièces sont taxées au taux de 55 %, avec un abattement possible de 7 967 euros, tandis que les autres donations jusqu’au 4ème degré inclus sont taxées au taux de 55 %, sans abattement. Les donations entre parents au-delà du 4ème degré ou entre personnes non parentes sont taxées au taux de 60 %, sans abattement.

Une personne handicapée a droit à un abattement spécifique de 159 325 euros qui se cumule avec les autres.

Les abattements s’appliquent aux donations consenties par un même donateur à un même donataire sur une période de 15 ans. Il n’est donc possible de bénéficier de l’abattement qu’une fois tous les 15 ans. À titre d’exemple, un parent effectuant un don de 100 000 euros à son enfant le 12 avril 2021 pourra de nouveau lui donner cette somme en exonération de droits à partir du 12 avril 2036.

S’ajoutent à ces abattements, les dons de sommes d’argent qui ne sont pas soumis au paiement de droits de donation, sous certaines conditions :

  • le donateur doit avoir moins de 80 ans ;
  • le bénéficiaire du don doit être majeur (ou émancipé) et être soit l’enfant, le petit enfant ou l’arrière-petit enfant du donateur ou, si le donateur n’a pas de descendants, son neveu ou sa nièce, ou par représentation, son petit-neveu ou sa petite-nièce.

Le bénéficiaire peut recevoir jusqu’à 31 865 euros [11] sans avoir à payer de droits. Ce plafond d’exonération s’applique aux donations effectuées d’un même donateur à un même bénéficiaire. L’exonération est renouvelable tous les 15 ans. À titre d’exemple, un parent effectuant un don à son enfant de 31 865 euros le 5 mai 2020 pourra de nouveau lui donner cette somme d’argent sans droits à payer à partir du 5 mai 2035.

Par ailleurs, la troisième loi de finances rectificative pour 2020 [12] a instauré, à titre temporaire, un nouvel abattement de 100 000 euros jusqu’au 30 juin 2021 au profit des enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants. Un même bénéficiaire peut recevoir plusieurs dons de 100 000 euros, par exemple, un don de ses parents et un autre de ses grands-parents. Pour bénéficier de l’exonération, le don doit financer :

  • la construction de la résidence principale du bénéficiaire ;
  • la réalisation de travaux énergétiques éligibles à la prime de transition énergétique dans la résidence principale du bénéficiaire ;
  • l’investissement au capital d’une petite entreprise (moins de 50 salariés, en activité depuis moins de 5 ans, n’ayant pas encore distribué de bénéfices et avec un bilan inférieur à 10 millions d’euros) dont la direction est assurée par celui qui reçoit le don pendant une durée de 3 ans. Il peut s’agir d’une création d’entreprise ;

La somme reçue par le donataire doit être utilisée dans les 3 mois après son versement.

Ce don d’argent est cumulable avec les autres abattements en vigueur précités. En l’état actuel, un parent peut donc, sous certaines conditions, donner jusqu’à 231 865 euros sans droits à payer une fois tous les 15 ans.

Vers un allégement des droits de donation ?

Une quarantaine de députés les Républicains ont récemment déposé une proposition de loi [13] visant à alléger la fiscalité applicable aux donations, [14] mais aussi aux successions.

Pour ces derniers, « Face à la situation difficile que vivent nombre de nos concitoyens depuis le début de la crise sanitaire du Covid-19, il est urgent de relancer la consommation. Pour cela, il faut permettre le déblocage de l’épargne des Français ». Les députés rappellent que l’« On hérite de plus en plus tard en France. En 1980, l’âge moyen des héritiers s’établissait à 42 ans ; il est de 50 ans aujourd’hui et il sera, si aucune évolution législative et réglementaire n’intervient d’ici là, de 58 ans, en 2050. Le poids des droits de mutation à titre gratuit appliqué à la succession s’avère vite très lourd pour les héritiers, car, au-delà d’un abattement consenti en fonction du lien de parenté et qui culmine à 100 000 euros pour les héritiers en ligne directe, les taux s’envolent rapidement pour atteindre un maximum de 45 % en ligne directe et de 60 % pour les héritiers dépourvus d’un lien de parenté. Par conséquent, en 2016, le montant des droits de succession perçus par l’État a atteint 10,8 milliards d’euros et les droits de donation 1,8 milliard d’euros, ce qui, en cumulé, représente 1,2 % du PIB et place la France au deuxième rang des pays de l’OCDE ».

S’agissant du volet « donation », les députés proposent tout d’abord de

  • ramener la tranche marginale en ligne directe à 30 % (au lieu de 45 %), avec une tranche principale à 15 % ;
  • alléger le taux normal applicable aux autres donations familiales ;
  • ramener le taux marginal à 40 % pour les donations entre non-parents (au lieu de 60 %) ;
  • restaurer l’abattement de 200 000 euros au lieu de 100 000 euros aujourd’hui ;
  • indexer les barèmes.

Les députés proposent ensuite l’exonération totale des donations entre époux. Le conjoint survivant est actuellement exonéré de droits de succession alors que les donations entre époux restent curieusement soumises aux droits de donation (abattement de 80 724 euros puis barème quasi identique à celui en ligne directe).

Les députés proposent également de porter le plafond de dons d’argent à 100 000 euros tous les cinq ans. Chaque enfant pourrait ainsi recevoir, en exonération de droits, jusqu’à 100 000 euros de chacun de ses parents, grands-parents et arrière-grands-parents. Du reste, toute donation intervenant moins de quinze ans avant le décès du donateur est actuellement à réintégrer fiscalement dans la succession de ce dernier. Ce délai est trop long et interdit aux familles toute stratégie de transmission du patrimoine sur le long terme. Les députés proposent donc de ramener ce délai à deux ans pour accélérer encore les transmissions.

On attend impatiemment les propositions du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance. Ce dernier devrait faire des propositions en ce sens dans les prochaines semaines. Selon les dernières informations, le ministre souhaiterait privilégier les petites donations de l’ordre de 10 000 euros, afin de ne pas heurter l’aile gauche de la majorité.

 

[1] Catégorie fiscale non clairement identifiée.

[2] PWC, Worldwide Tax Summaries, Inheritance and gift tax, 2021.

[3] Sauf si le donateur décède dans un délai de 7 ans.

[4] Les donations ne sont pas taxées au niveau fédéral. La région de Buenos Aires taxe toutefois les donations de certains actifs.

[5] CGI, art. 777 (N° Lexbase : L4680I7H).

[6] CGI, art 779 (N° Lexbase : L6869IZG).

[7] CGI, art 790 B (N° Lexbase : L9408ITM).

[8] CGI, art 790 D (N° Lexbase : L9407ITL).

[9] Au-delà de 1 805 677 euros.

[10] CGI, art 779.

[11] À compter du 1er janvier 2012.

[12] Loi n° 2020-935, du 30 juillet 2020, de finances rectificative pour 2020, art. 19 (N° Lexbase : L7971LXI).

[13] Assemblée nationale, proposition de loi visant à alléger la fiscalité applicable aux successions et aux donations afin de faciliter la transmission de patrimoine aux jeunes générations, n° 3962.

[14] Et également aux successions.

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