Le Quotidien du 31 mars 2021 : Avocats

[Portrait] Charles Joseph-Oudin, l’avocature sur ordonnance

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[Portrait] Charles Joseph-Oudin, l’avocature sur ordonnance. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/66250718-portrait-charles-josephoudin-lavocature-sur-ordonnance
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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 03 Mai 2021

Du riz sauté aux épices et aux légumes grillés. Le fumet agréable du déjeuner franchit la porte d’entrée en même temps que les jappements d’un petit chien blanc. « C’est celui d’une de nos stagiaires », explique sans désemparer Charles Joseph-Oudin dans le bric-à-brac qui tient lieu de vestibule. Derrière les cartons qui s’empilent et les drôles de sculptures qui attendent encore d’être fixées aux murs, deux jeunes femmes s’affairent à débarrasser la table de cette jolie maison située derrière la place Denfert-Rochereau, dans le 14ème arrondissement de Paris.

« Comme à nos débuts, on continue de cuisiner pour manger tous ensemble le midi. Enfin, on essaye... », poursuit l’hôte. Car, contrairement aux apparences, ce n’est pas une maison de famille mais bien un cabinet d’avocat en droit de la santé qui occupe les lieux. Comme en témoignent les tomes de procédures rouges, bien alignés sur une étagère, au fond du bureau qui fait face à la cuisine. « Nous n’avons pas d’escalier en marbre ni de voiture avec chauffeur, sourit Charles Joseph-Oudin. On n’est pas dans une logique de représentation. Et puis, nos clients viennent rarement nous voir... ». Et pourtant leurs noms s’affichent partout dans la maisonnée. D’abord, sur les tranches des dossiers qui peuplent chaque bureau. Et surtout dans l’esprit de l’équipe composée de sept avocats, un juriste et six stagiaires.

À chacun sa spécialité. Il y a les « 800 clients Dépakine », du nom de cet antiépileptique accusé d’engendrer des malformations chez les fœtus. « Les 200 clients H1N1 » rappelant le vaccin qui entraîne des narcolepsies. « Les clientes Essure » touchées par les effets secondaires de leurs stérilets. Androcur, Propetia, Lasik, viennent ensuite compléter la liste… Sans parler du Mediator et de sa litanie de morts et de malades qui ont vu, ce lundi 29 mars, condamner les laboratoires Servier pour « tromperie aggravée » et « homicides involontaires » [1] . « On fait tout ce qui touche au corps », résume l’avocat.

Et l’histoire se répète. Depuis 2009, elle met face à face de grands laboratoires pharmaceutiques et un jeune avocat aux cheveux en bataille dont ils ont fini par apprendre le prénom, Charles, et surtout le nom : Joseph-Oudin. « Celui de mon père accolé à celui de ma mère », décrypte-t-il, comme une évidence.

Le nom du bistrot et la chambre de la sœur

Les géniteurs étaient médecins. L’oncle et la tante aussi. Tout comme le grand-père et l’arrière-grand-père. C’est sans doute grâce à eux que ce pur produit parisien dirige aujourd’hui ce cabinet. « J’ai suivi des études hyper classiques de petit-bourgeois privilégié », reconnaît-il. Lycée Stanislas. Assas. Une année à Oxford. Et des stages dans de grands cabinets en droit bancaire. « Parce que c’est dans cette voie qu’on oriente ceux qui sont bons ». Mais ce père de deux enfants de 4 et 6 ans ne voulait pas travailler pour « le grand capital ». Il prête serment le 4 novembre 2009 et installe aussitôt son cabinet dans la maison… de sa mère à deux pas de son actuel cabinet.

« Je travaillais dans la chambre de mon frère. Ma collaboratrice, dans celle de ma sœur. Mais elle devait la libérer à 18 heures 30 quand celle-ci rentrait des cours », se marre-t-il. L’histoire de famille est en marche. Un soir, le tout jeune avocat dîne avec sa tante Catherine Hill. Épidémiologiste, celle-ci travaille alors avec la pneumologue Irène Frachon sur les effets secondaires du Mediator. On l’assure qu’il va se planter et perd son temps mais Charles Joseph-Oudin se passionne pour l’affaire et prend rendez-vous avec la lanceuse d’alerte dans un bistrot du boulevard Montparnasse. « Il est arrivé avec l’arrogance de sa jeunesse, se souvient aujourd’hui Irène Frachon. Je cherchais des avocats vers qui orienter les victimes. Mais pas n’importe qui… Je l’ai testé. Je n’ai pas été déçue. Et je ne suis pas du genre à passer de la pommade dans le dos des gens ».

Non, ça, c’est plutôt le genre de l’avocat dans une drôle d’inversion des rôles. Quand il évoque ses dossiers, il parle plus facilement de « patients » que de « clients ». Et quand on lui demande de raconter un souvenir marquant, ce n’est pas une plaidoirie qui vient en premier. « Un jour, à Rennes, j’ai raccompagné une malade du Mediator à la gare après une expertise. Je venais de la laisser dans son TER quand j’ai vu passer, sur le quai, un agent de la SNCF avec un défibrillateur. Elle venait de faire un arrêt cardiaque. Il l’a ranimée. Je ne suis pas retourné bosser. Et je suis resté deux jours à son chevet ».

Surtout, il l’a défendue pendant des années jusqu’à ce qu’elle finisse par décéder, à l’automne dernier, en plein procès Mediator. Aujourd’hui, sa photo orne le bureau de l’avocat, à côté d’un petit mobile en bois, conçu par le maître des lieux. « L’ébénisterie, c’est ma passion. Mais je n’ai plus trop le temps d’en faire... ». Suffisamment tout de même pour plancher sur les lits de ses deux fils et de se lancer dans le projet fou de réaliser une table d’extérieur pour 20 personnes « avec un empiétement en fer », commandée par une amie.

Chargée, la décoration des lieux propose aussi un drôle de tableau simplement composé du mot « Dante ». Du nom du poète. Du nom du cabinet d’avocat. Du nom du bistrot qui lui fait face, surtout. « Je ne voulais pas donner mon nom de famille à la structure, confie encore Charles Joseph-Oudin. Je ne voulais pas représenter le cabinet à moi tout seul. J’ai choisi le nom de mon premier client. Le bistrot pour qui j’avais rédigé les contrats d’acquisition du fond de commerce... ».

De l’aspirine dans le tiroir de son bureau

Mais, à elle toute seule, la gentillesse n’a jamais permis à un avocat de gagner une affaire. Charles Joseph-Oudin ne s’en contente donc pas. Il s’est organisé pour tout connaître de ces dossiers médicaux complexes. Exemple : il a ainsi recruté des collaborateurs chargés de disséquer, à temps plein, la brouette de « dossiers Dépakine » que la postière amène chaque matin sur place. De quoi être plus serein au moment d’entrer dans le prétoire comme il l’a fait sur le dossier Mediator. De quoi être droit dans ses bottes au moment de réclamer 100 000 euros de dommages et intérêts pour chacun de ses clients accusant la firme de « tromperie aggravée ».

Pour cela, il n’a pas manqué beaucoup des 517 heures et quelques minutes de débats devant le tribunal consacrées au scandale sanitaire « Seulement un jour ou deux parce que j’ai eu la grippe », se marre-t-il. L’occasion de découvrir que Charles Joseph-Oudin n’est pas opposé par principe aux médicaments. Seulement à ceux qui dissimulent des effets indésirables en toute connaissance de cause… En en parlant, il ouvre d’ailleurs le tiroir de son bureau où dorment un tube d’aspirine et deux boîtes de comprimés. Dont une porte la signature des laboratoires Servier « Vous voyez bien que je n’en fais pas un cas personnel... ».

Quand on lui raconte l’anecdote, Hervé Témime, l’un des avocats de Servier, sourit. « Charles Joseph-Oudin se débrouille très bien avec les médias, commente-t-il quand on l’interroge. Ce qui n’est pas difficile dans son cas ». Une forme d’hommage et une vérité. Quand on le relance sur ses clients, Charles Joseph-Oudin précise qu’il défend les victimes des effets secondaires de médicaments mais aussi « Monsieur tout le monde ». Qu’il soit embêté par une histoire de dégât des eaux ou en instance de divorce. Logique. Le serment d’Hippocrate ne prévoit-il pas de « donner des soins à quiconque le demandera » ?

 


[1] Lire L. Bedja, Mediator : un jugement hors normes, Lexbase Droit privé, avril 2021, n° 860 (N° Lexbase : N7000BYW).

           

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