Réf. : Cass. crim., 8 juillet 2020, n° 20-81.739, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A71573Q7)
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par Adélaïde Léon
le 16 Juillet 2020
► Chargé de l’application de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH), le juge national doit tenir compte de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) condamnant la France pour défaut de recours préventif et effective permettant de mettre fin à des conditions de détention indignes, sans attendre d’éventuelles réformes législatives ou réglementaires ;
Le juge judiciaire, en sa qualité de gardien des libertés individuelles, doit veiller à ce que la détention provisoire soit mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes ; il doit à ce titre offrir aux personnes détenues dans des conditions indignes au mépris de l’article 3 de la Convention un recours préventif et effectif permettant de mettre fin à cette violation ;
Pour constituer un commencement de preuve permettant, au ministère public ou à défaut à la chambre de l’instruction, de vérifier la réalité des conditions de détention, la description du demandeur de ses conditions personnelles de détention doit être suffisamment crédible, précise et actuelle ; la constatation de l’atteinte alléguée doit conduire le juge à ordonner la mise en liberté de la personne.
Résumé des faits. Un homme a été mis en examen des chefs de meurtre commis en bande organisée, tentative de meurtre commis en bande organisée et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime. Il a été placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD). Il a par la suite présenté une demande de mise en liberté rejetée par le JLD. L’intéressé a interjeté appel de cette ordonnance.
En cause d’appel. La chambre de l’instruction a confirmé l’ordonnance et rejeté la demande de mise en liberté.
Moyen du pourvoi. L’intéressé fait grief à l’arrêt d’avoir confirmé l’ordonnance rejetant sa demande de mise en liberté et soutient également l’inconstitutionnalité des articles 137-3 (N° Lexbase : L7465LP8), 144 (N° Lexbase : L9485IEZ) et 144-1 (N° Lexbase : L2984IZK) du Code de procédure pénale lesquels ne prévoiraient pas de recours effectif permettant au juge d’instruction ou au JLD de mettre un terme au caractère inhumain et dégradant des conditions de détention.
Décision. La Cour rejette le pourvoi en s’appuyant sur la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme du 30 janvier 2020 (CEDH, 30 janvier 2020, Req. 9671/15, JMB et autres c/ France N° Lexbase : A83763C9) et, par arrêt distinct, renvoi au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles 137-3, 144 et 144-1 du Code de procédure pénale (Note explicative, titre 3).
Défaut de recours préventif et effectif s’agissant des conditions de détention. La Chambre criminelle rappelle que le 30 janvier 2020, la CEDH a condamné la France au visa des articles 3 (N° Lexbase : L4764AQI) et 13 (N° Lexbase : L4746AQT) de la CESDH réprimant respectivement les traitements inhumaines ou dégradant et l’absence de recours effectif (Note explicative, titre 1).
Office du juge judiciaire. Si ces recommandations émises à cette occasion s’adressaient avant tout au Parlement et au Gouvernement, la Chambre criminelle affirme que le juge national demeure tenu d’appliquer la Convention et, dans ce cadre, de tenir compte des décisions de la Cour sans attendre l’adoption de réformes réglementaires ou législatives (Note explicative, titre 4).
À ce titre, il doit offrir aux personnes détenues dans des conditions indignes au mépris de l’article 3 de la CESDH un recours préventif et effectif permettant de mettre fin à cette violation. La Haute juridiction rappelle, par ailleurs, qu’en sa qualité de gardien des libertés individuelles, le juge judiciaire doit veiller à ce que la détention provisoire soit mise en œuvre dans des conditions respectant la dignité des personnes et exemptes de caractère inhumain ou dégradant.
La Chambre criminelle précise enfin que, pour constituer un commencement de preuve, la description faite par un demandeur de ses conditions personnelles de détention doit être suffisamment crédible, précise et actuelle (Note explicative, titre 5). Il appartient alors à la chambre de l’instruction, lorsque le ministère public n’a pas lui-même fait vérifier ces allégations, de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’en apprécier la réalité. Si une atteinte devait être constatée, la mise en liberté doit être ordonnée, accompagnée, si nécessaire, du prononcé d’une mesure d’assignation à résidence, de surveillance électronique ou de contrôle judiciaire.
En l’espèce, la Chambre criminelle rejette spécifiquement le pourvoi formé par le détenu au motif que celui-ci s’est borné à décrire, dans sa demande de mise en liberté, les conditions générales de détention au sein de la maison d’arrêt sans apporter de précision sur sa situation personnelle (Note explicative, titre 6).
Contexte. Jusqu’à présent, la jurisprudence de la Cour de cassation (Note explicative, titre 2) consistait à affirmer que l’éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions dans lesquelles elle est détenue ne faisait pas obstacle au placement et au maintien en détention provisoire de l’intéressé (Cass. crim., 18 septembre 2019, n° 19-83.950, FS-P+B+I N° Lexbase : A6987ZN4). Ce n’était qu’en cas d’éléments propres à la personne concernée et attestant que son état de santé physique ou mentale était incompatible avec la détention et s’il n’existait pas de risque grave de renouvellement de l’infraction que sa mise en liberté pouvait être ordonnée. Désormais la constatation de conditions indignes de détentions peut constituer un obstacle au maintien de cette mesure.
Pour aller plus loin : Y. Carpentier, Mise en demeure de la CEDH à propos du surpeuplement carcéral en France, Lexbase Pénal, mars 2020 (N° Lexbase : N2631BY4). C. Carbonaro, Détention provisoire et contrôle judiciaire (juin 2019 à juin 2020), § 13, Lexbase Pénal, juillet 2020 (N° Lexbase : N4100BYI). |
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