La lettre juridique n°832 du 16 juillet 2020 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] La personnalité civile de l’AARPI de Poitiers

Réf. : CA Poitiers, 28 janvier 2020, n° 19/02107 (N° Lexbase : A16473DD)

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par Audrey Chemouli, Avocat au Barreau de Paris, Membre du CNB et Présidente de la commission "Statut professionnel"

le 15 Juillet 2020


Mots-clefs : Observations • Jurisprudence • Avocat • Personnalité civile • AARPI • Poitiers

La cour d'appel de Poitiers, tout en rappelant que l’AARPI n’est pas dotée de la personnalité morale, a relèvé que l’AARPI pouvait postuler auprès de tribunaux, dispose d’un numéro propre d’immatriculation auprès de l’Urssaf, qu’elle est titulaire de comptes bancaires et d’avoirs et qu’elle a une personnalité civile qui la met en mesure d’être « susceptible de succomber à une condamnation ».


 

Penchons-nous sur un arrêt de la cour d’Appel de Poitiers qui n’a pas fini de faire parler de lui !

En l’espèce, il s’agissait d’une avocate engagée en qualité d’avocate stagiaire en 1996 par une SELAFA devenue par la suite SELARL qui, développant son activité, s’associe avec une SCP au sein d’une AARPI en 2011. Soulignons pour être complets, qu’un pacte d’associés avait été rédigé prévoyant que les contrats de travail souscrits par les sociétés associées seraient transférés à l’AARPI au plus tard le 1er janvier 2016. Manifestement des tensions apparaissent dans l’association qui conduisent à l’exclusion de la SELARL, début décembre 2017. Par courrier recommandé du même mois, l’AARPI informait l’avocate salariée que cette séparation entraînait le retour partiel de son contrat de travail au sein de la SELARL, son employeur d’origine, de sorte que dès janvier 2018, elle ne serait plus liée qu’à mi-temps à l’AARPI. Par courrier envoyé par son conseil, ladite collaboratrice a répondu ne pas souhaiter se conformer à ces nouvelles conditions de travail considérant qu’il y avait là une modification d’un élément essentiel de son contrat de travail, en l’occurrence sa durée, qui nécessitait son accord. De son côté, la SELARL a fait savoir qu’elle n’entendait pas fournir à son ancienne collaboratrice un temps partiel de complément puisqu’elle considérait que seule l’AARPI était l’employeur de l’intéressée. A la mi-mars 2018, l’avocate saisissait le Bâtonnier de l’Ordre d’une demande de conciliation et prenait acte de la rupture de son contrat de travail. La conciliation s’avérant impossible, l’avocate saisissait le Bâtonnier d’une requête à l’encontre de l’AARPI en vue d’obtenir la condamnation de celle-ci à lui payer diverses sommes. Par conclusions, l’AARPI sollicitait, à titre principal, le rejet des demandes. La SELARL devenue SELAS a été mise dans la cause sollicitant que la décision à intervenir soit également opposable à la SCP. Par conclusions récapitulatives, l’AARPI et la SCP ont fait valoir que les demandes de l’ancienne collaboratrice étaient irrecevables, la première parce qu’elle ne disposait pas de la personnalité morale et la seconde parce qu’elle considérait que les demandes à son encontre étaient prescrites. La SELAS reprenait à son compte les développements sur l’absence de personnalité morale de l’AARPI soutenant que le contrat de travail aurait dû être transféré à la SCP. Par décision du 24 mai 2019, le Bâtonnier a, notamment, considéré que la prise d’acte était justifiée ceci entraînant des conséquences pécuniaires qui ne sont pas l’objet du présent article. Plus intéressant, on relèvera que le Bâtonnier a considéré que la rupture était imputable aux deux employeurs conjointement et solidairement, soit la SCP et la SELAS antérieurement SELARL, ce au motif que l’AARPI ne disposait pas de la personnalité morale. La SELAS a relevé appel de la décision sollicitant, en tout état de cause, être relevée indemne de toute condamnation par la SCP. L’AARPI et la SCP sollicitaient la confirmation de la décision du Bâtonnier en ce qu’il a déclaré l’action de l’avocate irrecevable. L’ancienne collaboratrice quant à elle, sollicitait la réformation de la décision notamment en ce qu’elle avait mis hors de cause l’AARPI.

Il convient de s’arrêter sur un point de son argumentaire : le fait qu’elle faisait valoir que l’AARPI a une personnalité morale - conformément à la doctrine.

On rappellera que l’association d’avocats est le mode le plus ancien d’exercice de la profession [1]. Ses règles de fonctionnement résultent de textes disparates qui ne sont pas compilés comme l’ont été les textes régissant les sociétés civiles professionnelles, puis les sociétés d’exercice libéral et depuis 2015, les sociétés de droit commun. Il en résulte des sources d’erreurs importantes et d’incompréhension de la part de nombreux praticiens. Ce n’est d’ailleurs qu’à l’occasion de la loi du 31 décembre 1990 [2] portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques que le législateur a entériné ce mode d’exercice, lequel a été complété par la suite par le décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat [3]. Constatant l’essor de ce type d’association mais aussi leurs limites, la loi du 30 décembre 2006 [4] et son décret d’application du 15 mai 2007 [5] ont « réformé en profondeur régime des associations en leur permettant d’individualiser la responsabilité professionnelle de leurs membres qui était jusque-là conjointe et indéfinie entre les associés [6] ». Telles sont les conditions dans lesquelles les AARPI sont nées : des associations d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle.

Depuis ces dernières années, il est essentiel d’avoir en mémoire que l’AARPI constitue un des modes privilégié de l’association entre avocats. La raison principale de son succès est la souplesse de son fonctionnement. En effet, étant contractuelle puisque les règles qui régissent les relations entre associés ne sont pas inscrites dans la loi, l’AARPI permet de proposer de nombreuses possibilités d’exercice en commun de la profession. Il est aussi vrai que n’étant pas dotée d’un capital social et les associés mettant à la disposition de celle-ci leur clientèle, elle permet de faire rentrer et sortir des associés sans valorisation a priori de titres sociaux source de nombreux conflits.

Néanmoins, l’exposé de l’état de la situation ne serait pas complet s’il n’était pas évoqué les problématiques que cette forme d’exercice pose. Notamment dus au fait qu’elle ne dispose pas de la personnalité morale, sans parler du fait qu’elle est très peu connue des services de l’état ou des agents économique au premier chef desquels l’on retrouve les banquiers et les experts-comptables. En effet, seuls les avocats connaissent ce type d’exercice !

Les conséquences principales de l’absence de personnalité morale sont que le régime des associés est donc celui d’une indivision et bien sûr le fait qu’elle ne peut ester en justice. C’est donc avec surprise que les auteurs ont découvert la condamnation de l’AARPI par la cour d’appel de Poitiers.

La juridiction, tout en rappelant que l’AARPI n’est pas dotée de la personnalité morale, relève que l’AARPI peut postuler auprès de tribunaux, dispose d’un numéro propre d’immatriculation auprès de l’Urssaf, qu’elle est titulaire de comptes bancaires et d’avoirs et qu’elle a une personnalité civile qui la met en mesure d’être « susceptible de succomber à une condamnation » [7] .

On rappellera que la personnalité civile est souvent reconnue à des groupements faisant valoir des intérêts tels que le CSE, les comités d’entreprises, certains syndicats... dont la jurisprudence détermine qu’ils disposent d’une « personnalité civile qui n’est pas une création de la loi mais qui appartient à tout groupement pourvu d’une expression collective pour la défense d’intérêts licites ce qui lui permet d’ester en justice [8] ».

A la lecture de cette définition, on comprend le lien qu’a pu faire la cour d’appel avec l’AARPI puisqu’elle est bien un groupement qui défend des intérêts. Mais peut-on parler d’une « expression collective » ? Peut-on comparer cette association d’intérêts privés à la mission qui est donnée aux syndicats par exemple ?

Rien n’est moins sûr. Il sera dès lors très intéressant de suivre le devenir de cette jurisprudence qui pourra à l’avenir, peut-être, régler un certain nombre d’incertitudes consubstantielles à l’AARPI.

 

[1] Décret n° 54-406 du 10 avril 1954 portant règlement d’administration publique sur l’exercice de la profession d’avocat pour l’application de la loi n°54-390 du 8 avril 1954 sur la profession d’avocat et la discipline du barreau, JO 11 avril, p. 3494

[2] Loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L7803AIT).

[3] Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, art. 124 et s. (N° Lexbase : C28398UP).

[4] Loi n° 2006-1771 du 30 décembre 2006, de finances rectificative pour 2006 (N° Lexbase : L9270HTI).

[5] Décret n° 2007-932 du 15 mai 2007 portant diverses dispositions relatives à la profession d'avocat

[6] Guide du Conseil National des barreaux (Extrait) [en ligne].

[7] Extraits de l’arrêt.

[8] V., éd. Francis Lefebvre.

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