Lexbase Social n°465 du 8 décembre 2011 : Protection sociale

[Jurisprudence] Instauration d'un régime de prévoyance par référendum : la majorité des électeurs inscrits doit approuver le projet d'accord

Réf. : Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-20.891, FS-P+B (N° Lexbase : A9348HZA)

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par Marion Del Sol, Professeur à l'Université de Rennes 1 (IODE - UMR CNRS 6262)

le 10 Décembre 2011

Sous l'effet des réformes successives du droit de la négociation collective, le vote référendaire a conquis une place dans le processus normatif au sein de l'entreprise. Pourtant, il est un domaine où cette place lui est reconnue depuis longtemps : celui de la protection sociale complémentaire. En effet, le décret n° 46-1378 du 8 juin 1946 (N° Lexbase : L5157A4R) et, après lui, la loi n° 94-678 du 8 août 1994 (N° Lexbase : L5156A4Q) font du référendum un des modes opératoires possibles d'instauration d'un régime de prévoyance et, ce à côté des normes classiques du droit du travail, que sont l'accord collectif et la décision unilatérale de l'employeur. Ainsi, l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2615HIP) dispose-t-il que la couverture sociale complémentaire peut être instituée "à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise". Mais le recours à la voie référendaire est empreint d'incertitude, le décret d'application devant en détailler le régime juridique n'étant jamais paru. Au terme de l'article L. 911-5 (N° Lexbase : L2619HIT), le texte réglementaire aurait notamment dû préciser les conditions de ratification et d'adoption du projet. Son absence soulève par conséquent des interrogations, en particulier sur la condition de majorité et rares sont les arrêts en la matière. Celui rendu le 15 novembre 2011 par la Cour de cassation doit donc être regardé avec attention et ce d'autant qu'il apporte une précision essentielle : la majorité requise doit être appréciée au regard des électeurs inscrits et non des seuls votants.
Résumé

Selon l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale, lorsqu'elles ne sont pas déterminées par voie de conventions ou d'accords collectifs, des garanties collectives en complément de celles de la Sécurité sociale ne peuvent être instaurées de manière obligatoire pour les salariés qu'à condition que les propositions de l'employeur aient été ratifiées par référendum à la majorité des intéressés, ce qui s'entend de la majorité des électeurs inscrits. En outre, ni un accord collectif, ni une décision unilatérale de l'employeur ne peuvent subordonner l'entrée en vigueur d'un régime obligatoire à des exigences moindres.

I - Le référendum de l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale

L'employeur peut envisager de faire bénéficier les salariés (1) de garanties collectives couvrant le risque décès, les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, les risques d'incapacité de travail ou d'invalidité, les risques d'inaptitude (2). En d'autres termes, il peut instituer un régime de prévoyance en faveur du personnel ou d'une catégorie objective de salariés (3). L'instauration de ces garanties collectives peut se réaliser selon trois modes opératoires différents : un accord collectif, une décision unilatérale de l'employeur, un référendum (CSS, art. L. 911-1).

Pour cet objet particulier qu'est la protection sociale complémentaire, les pouvoirs publics ont ouvert -et c'est assez rare pour le souligner- un choix normatif à l'employeur. Le référendum représente ici une alternative à l'accord collectif ou à la décision unilatérale (4) ; il est une source véritablement concurrente, et non subsidiaire ou par défaut. Autrement dit, quelle que soit la taille de l'entreprise, quelle que soit la configuration syndicale en son sein, qu'il existe ou non des institutions représentatives élues, l'employeur peut décider de privilégier la voie référendaire pour instaurer un régime de prévoyance.

La lecture combinée des articles L. 911-1 et L. 911-5 du Code de la Sécurité sociale permet de souligner la nature juridique hybride du référendum, à mi-chemin de la décision unilatérale et de l'accord collectif. Dans la phase préalable au vote des salariés, le référendum s'apparente théoriquement davantage à une décision unilatérale qu'à un accord collectif. En effet, l'article L. 911-1 mentionne que le projet soumis au vote est proposé par le chef d'entreprise. Ne pèse sur lui nulle obligation de discussion et, encore moins, de négociation du projet avec les organisations syndicales (5). En revanche, en aval du vote, la ratification référendaire se rapproche de l'accord collectif. On recourt d'ailleurs à l'expression d'accord référendaire. Ainsi, l'article L. 911-5 dispose expressément que la ratification produit certains des effets d'un accord collectif. Lui sont en effet applicables les dispositions des articles L. 2251-1 (N° Lexbase : L2406H9Y) (respect du principe de faveur) et L. 2222-4 (N° Lexbase : L2247H94) du Code du travail (durée déterminée ou indéterminée de l'accord) (6).

Malheureusement, l'encadrement juridique de ce processus est pour le moins incomplet, le texte réglementaire d'application de l'article L. 911-1 - mentionné par l'article L. 911-5 - n'ayant pas été pris. Font notamment défaut les précisions relatives aux règles de remise en cause lato sensu de l'accord référendaire, c'est-à-dire les conditions dans lesquelles ce type particulier d'accord peut être modifié, mis en cause à raison notamment d'une fusion, d'une cession ou d'une scission ou d'un changement d'activité ou encore dénoncé. Les règles relatives aux modalités du scrutin sont également quasi inexistantes. Quant à la condition de majorité énoncée à l'article L. 911-1, elle soulève des interrogations et est source d'incertitudes comme l'illustre fort bien l'espèce à l'origine de l'arrêt du 15 novembre 2011.

II - L'apport de l'arrêt : la majorité exigée par l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale se calcule à partir des électeurs inscrits et non des seuls votants

Il ne fait aucun doute qu'en l'absence de dispositions spéciales, c'est le droit commun électoral qu'il convient d'appliquer. Cependant, l'article L. 911-1 apporte une précision dont on peut se demander si elle relève de la catégorie des dispositions spéciales : "ratification à la majorité des intéressés".

Le texte soulève, en effet, une difficulté d'interprétation au coeur du contentieux dont la Cour de cassation a eu à connaître. Il s'agit de déterminer quelle est l'"assiette" de calcul de cette majorité, sachant que plusieurs solutions sont envisageables : majorité des électeurs inscrits, majorité des suffrages valablement exprimés (7), majorité des votants. Les deux dernières solutions peuvent conduire à ce que le vote favorable d'une minorité de personnes intéressées permette la ratification ; autrement dit, si le taux de participation est faible, la ratification peut intervenir dès lors qu'une majorité des personnes ayant pris part au scrutin a voté favorablement... quand bien même, en pourcentage, cela ne représente pas la majorité des électeurs inscrits. Telle était la situation à l'origine de la décision de la Chambre sociale.

Le contentieux. Au cas d'espèce, les salariés de l'AFPA avaient bénéficié pendant une dizaine d'années d'un contrat de prévoyance à adhésion facultative. Celui-ci a été dénoncé en 2006 par l'employeur désireux d'instaurer une couverture maladie complémentaire à adhésion obligatoire avec un autre assureur (en l'occurrence l'assureur N.). Le contenu de ce nouveau contrat "frais de santé" est discuté et -semble-t-il- élaboré avec les organisations syndicales. Mais ces dernières n'étant pas favorables à une adhésion obligatoire, il s'avéra impossible de fixer d'un commun accord les modalités du référendum. L'employeur choisit donc de les déterminer unilatéralement par un règlement prévoyant notamment que "le référendum est acquis à la majorité de 50 % plus un des votants" et précisant que "les votants sont constitués par l'ensemble des inscrits moins les abstentions" et que "sont considérés comme votants les votes blancs et nuls" (8). Face à l'imprécision de l'article L. 911-1, l'employeur a décidé de fixer une condition de majorité a minima, peut-être par crainte d'être désavoué dans un contexte un peu tendu puisque les organisations syndicales n'étaient pas favorables à la mise en place d'un dispositif à adhésion obligatoire. En application du règlement de la consultation, 60,53 % des votant ont voté "oui" et l'employeur en a déduit le caractère obligatoire pour l'ensemble des salariés de l'adhésion au régime de prévoyance. Mais ce pourcentage de votants représentant seulement 40,67 % des inscrits, les organisations syndicales ont contesté ce caractère obligatoire considérant que la condition de majorité énoncée par l'article L. 911-1 n'était pas atteinte.

La décision. En appel, les juges du fond ont refusé de faire application des règles électorales établies unilatéralement par l'employeur, considéré que la majorité requise par l'article L. 911-1 n'était pas satisfaite et que, par voie de conséquence, le régime de prévoyance présentait un caractère facultatif pour les salariés de l'AFPA. L'employeur se pourvoit en cassation mais sans plus de succès.

En effet, dans son arrêt de rejet, la Chambre sociale prend, tout d'abord, soin d'affirmer que l'exigence d'une ratification à la "majorité des intéressés" ne peut être abaissée ni unilatéralement ni même par voie conventionnelle (9). Elle précise, ensuite, que, sur la base des résultats du référendum, la cour d'appel a fait une exacte application de l'article L. 911-1 en considérant que la majorité des suffrages exprimés lors du scrutin organisé par l'AFPA ne représentait pas la majorité des inscrits. Enfin, elle conclut en estimant que les juges du fond ont exactement déduit que le régime de prévoyance présentait un caractère facultatif pour l'ensemble des salariés qui ne pouvaient dès lors être contraints par leur employeur d'y cotiser.

Le sens de la décision. La décision du 15 novembre 2011 lève une des incertitudes relatives au régime juridique du référendum de l'article L. 911-1 ; il convient d'y prêter une attention toute particulière puisque cet arrêt, pourtant de rejet, fera l'objet d'une double publication, au bulletin des arrêts de la Cour mais aussi au BICC. On sait désormais que la majorité ne peut pas être appréciée sur la base des seuls votants. La ratification suppose qu'une majorité des électeurs inscrits se soit prononcée en faveur du projet soumis à leur suffrage.

La solution est conforme à la lettre du texte qui évoque les "personnes intéressées" et ne fait nullement référence aux seuls votants. Pour la Cour, les personnes intéressées s'entendent des électeurs inscrits. Une question subséquente apparaît donc que la décision ne tranche pas : les modalités de constitution de la liste électorale. Il s'agit notamment de savoir par qui et sur quel(s) critère(s) sera établie cette liste. Par analogie avec les principes régissant l'organisation des élections professionnelles, il revient sans nul doute à l'employeur de constituer la liste car c'est lui qui détient les informations sur les salariés permettant de savoir s'ils remplissent les conditions pour être électeur. En revanche, davantage d'incertitude plane sur les critères à retenir. Ils seront en grande partie dépendants du champ d'application personnel du régime de prévoyance. Et la solution de bon sens énoncée par la Direction de la Sécurité sociale dans un courrier en date du 29 mai 2099 semble s'imposer : les personnes intéressées au sens de l'article L. 911-1 sont "les salariés susceptibles de bénéficier de la couverture et de cotiser" (10). Par conséquent, s'il s'agit d'un régime catégoriel, ce sont les salariés relevant de cette catégorie qui constitueront la base électorale.

La solution semble également conforme à l'esprit du texte. En effet, lorsque le droit social permet le recours au référendum, il recherche en général à asseoir la légitimité de l'accord qui en découlera, le vote majoritaire étant l'expression d'un certain consensus dans l'entreprise sur la question, objet du scrutin. Ainsi, l'article L. 3312-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0861ICU) autorise qu'un dispositif d'intéressement soit institué par voie référendaire et il subordonne la validité de l'accord à un vote favorable des deux tiers du personnel. Dans ce domaine, la légitimité de l'accord trouve sa source dans l'exigence d'une majorité qualifiée. En matière de prévoyance, l'article L. 911-1 du Code de la Sécurité sociale ne donne aucune précision sur le seuil majoritaire et l'on peut considérer que, par défaut, une majorité simple est requise. Dès lors, exiger que la majorité soit vérifiée sur la base des électeurs inscrits (et non sur celle des suffrages exprimés) est un moyen tout à fait efficace de dégager un consensus. Encore faut-il cependant que les "personnes intéressées" l'aient été suffisamment, c'est-à-dire qu'il y ait un taux de participation assez élevé. Cela suppose en amont du scrutin une démarche d'information adaptée à la complexité et aux enjeux du dispositif de prévoyance envisagé ; cela suppose également de retenir des modalités matérielles de vote qui facilitent la participation au scrutin.


(1) A certaines conditions, les bénéficiaires peuvent également être les ayants droit des salariés mais aussi des anciens salariés.
(2) L'article L. 911-2 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2616HIQ) envisage également la possibilité de couvrir le risque chômage et la constitution d'avantages sous forme de pensions de retraite, d'indemnités ou de primes de départ en retraite ou de fin de carrière.
(3) Depuis la LFSS pour 2011 (loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 N° Lexbase : L9761INT), le 6ème alinéa de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9723ING) permet de réserver le bénéfice d'un régime à une partie seulement des salariés à condition qu'ils appartiennent à une catégorie établie à partir de critères objectifs. Le décret d'application relatif à la notion de catégorie objective n'est cependant toujours pas paru à ce jour mais devrait être pris très prochainement.
(4) Ce type d'alternative normative existe également en matière d'intéressement. L'article L. 3312-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0861ICU) prévoit, en effet, qu'un accord d'intéressement peut être conclu selon plusieurs modalités : par convention ou accord collectif de travail ; par accord entre l'employeur et les représentants d'organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ; par accord conclu au sein du comité d'entreprise ; mais également à la suite de la ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d'un projet d'accord proposé par l'employeur.
(5) Cependant, lorsqu'il existe des interlocuteurs salariaux ad hoc dans l'entreprise, il est de bonne politique de les associer au projet afin d'en renforcer la légitimité et peut-être aussi d'en favoriser l'adoption par les salariés.
(6) Auxquelles il convient d'ajouter celles de l'article L. 2314-25 du Code du travail (N° Lexbase : L2644H9S), relatives au contentieux électoral.
(7) Le droit des élections professionnelles (C. trav., L. 2314-24 N° Lexbase : L3759IBT) et le droit de la négociation collective (C. trav., L. 2232-27 N° Lexbase : L5832IEQ) utilisent les termes de "votants" ou "de suffrages exprimés". Cela s'entend en réalité des suffrages valablement exprimés. V. Ass. plén., 20 juillet 1979, n° 79-60.024, publié (N° Lexbase : A5467AAQ), Bull. Ass. plén., n° 5.
(8) L'employeur n'avait retenu ici une conception "extensive" des votants non limitée aux seuls suffrages valablement exprimés. En elle-même, cette conception était en contradiction avec la jurisprudence - bien établie depuis l'arrêt d'Assemblée plénière de 1979 (v. note précédente) - qui n'admet pas le décompte des votes blancs et nuls.
(9) "Ni un accord collectif ni une décision unilatérale de l'employeur ne peuvent subordonner l'entrée en vigueur d'un régime obligatoire à des exigences moindres".
(10) Lettre de la DSS en date du 29 mai 2009 en réponse à une demande de précisions de la FFSA portant sur certains points de la circulaire DSS 2009-32 du 30 janvier 2009, relative aux modalités d'assujettissement aux cotisations et contributions de Sécurité sociale des contributions des employeurs destinées au financement de prestations de retraite supplémentaire et de prévoyance complémentaire (N° Lexbase : L9384ICK). Sur la question du référendum, la fiche n° 2-I-C avait, en effet, semé le trouble puisqu'il y est écrit que la ratification s'opère à la majorité du personnel, soit 50 % des effectifs est-il ajouté.

Décision

Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-20.891, FS-P+B (N° Lexbase : A9348HZA)

Rejet, CA Paris, Pôle 6, 2ème ch., 27 mai 2010, n° 08/19064 (N° Lexbase : A5686EYA)

Textes visés : CSS, art. L. 911 (N° Lexbase : L2615HIP)

Mots-clés : régime de prévoyance, référendum, ratification, majorité, électeurs inscrits, votants

Liens base : (N° Lexbase : E2592ADD)

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