Lexbase Social n°461 du 10 novembre 2011 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Défaut d'audience pour deux syndicats de même affiliation n'ayant pas présenté de liste commune

Réf. : Cass. soc., 26 octobre 2011, jonction, n° 11-10.290 et n° 11-60.003 , F-P+B (N° Lexbase : A0630HZD)

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par Bernard Gauriau, Professeur à l'université d'Angers, Avocat au barreau de Paris (Cabinet Idavocats)

le 10 Novembre 2011

Bien que les syndicats affiliés à une même confédération ne puissent présenter qu'une seule liste dans le même collège, la situation contraire s'est présentée et fut validée par un tribunal d'instance dans une décision devenue irrévocable. C'est sur la base de cette anomalie juridique, mais bien réelle, que deux syndicats de même affiliation ont présenté des listes aux élections professionnelles, obtenu chacun une audience inférieure à 10 % et cependant procédé à la désignation de divers représentants.
Pour contester le reproche de défaut de représentativité qu'il leur fut adressé, ces mêmes syndicats ont prétendu qu'il fallait prendre en compte la somme totale de leur score respectif, laquelle dépassait les 10 % fatidiques.
Cette argumentation, accueillie par un tribunal d'instance, fut invalidée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 26 octobre 2011 au motif que ces syndicats n'avaient jamais présenté de listes communes. La Chambre sociale rend un arrêt qui se situe dans le droit fil de ses positions précédentes.
Résumé

Lorsque deux syndicats de même affiliation ont chacun présenté leur propre liste au premier tour de l'élection des membres titulaires du comité d'entreprise, il n'y a pas lieu de procéder à la totalisation, au profit de l'un ou de l'autre, des suffrages recueillis en propre par chacun. Si ni l'un, ni l'autre de ces syndicats n'a recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés, il en résulte que ni l'un, ni l'autre n'est représentatif au sein de l'établissement et ne peut dès lors procéder aux désignations de ses représentants.

Commentaire

Des syndicats affiliés à une même confédération ne peuvent présenter qu'une seule liste dans le même collège. Telle est, chacun le sait, la position adoptée par la Cour de cassation avant (1) comme après l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 (N° Lexbase : L7392IAZ) (2).

Le maintien de cette jurisprudence n'allait pas de soi tant la suppression de la présomption irréfragable de représentativité et la démonstration de celle-ci dans les entreprises par rapport à l'audience obtenue aux élections professionnelles pouvaient laisser entrevoir une conception autonome du syndicat, qu'il soit affilié ou non, fondée sur une légitimité ascendante et non plus descendante. En conséquence, l'affiliation commune de deux syndicats pouvait ne plus constituer un obstacle à la présentation par ceux-ci de liste propre.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 22 septembre 2010 (préc.), a préféré maintenir sa jurisprudence antérieure (3). Outre qu'elle peut contenir les risques de conflits entre syndicats, elle prend en considération le fait que le syndicalisme français est un syndicalisme de tendance, qui ne peut s'abstraire de l'affiliation syndicale.

L'arrêt, ici commenté, rendu le 26 octobre 2011 par la Chambre sociale de la Cour de cassation, en témoigne à sa façon.

I - Présentation de l'espèce

Le syndicat CGT Douai (créé en 1974) et le syndicat CGT confédéré de Douai (crée en 2009) de la société R. ont présenté, chacun, des listes de candidats dans les mêmes collèges au premier tour de l'élection des membres du comité d'établissement de Douai. La contestation de l'employeur n'a surpris personne. Pourtant, le tribunal d'instance de Douai a débouté l'employeur de sa demande tendant à voir interdire pareille combinaison.

Aucun pourvoi n'a été formé par celui-ci, lequel a peut-être trouvé fort opportune cette division syndicale. Quoiqu'il en soit, le jugement est devenu irrévocable et cette solution considérée comme acquise.

C'est donc sur une anomalie juridique, mais une réalité pratique, que repose la suite du contentieux ayant donné lieu à l'arrêt ici commenté.

Les élections professionnelles ont, en effet, donné les résultats suivants : le syndicat CGT Douai n'a recueilli, tous collèges confondus, que 8,72 % des suffrages exprimés, et le syndicat CGT confédéré de Douai n'a pour sa port obtenu que 5,69 % des suffrages. La barre des 10 % n'était donc atteint par aucun d'entre eux.

Malgré ce défaut d'audience, et donc de représentativité, chacun des deux syndicats, successivement les 8 novembre et 17 novembre 2010, a procédé à la désignation de quatre délégués syndicaux d'établissement et de six représentants syndicaux conventionnels au sein de divers CHSCT.

Sur recours formé par l'employeur, le tribunal d'instance a retenu que les deux syndicats totalisaient, ensemble, 14,41 % des suffrages exprimés et validé les désignations des délégués syndicaux opérées par le syndicat CGT Douai comme étant les seules portant sur des candidats ayant obtenu au moins 10 % des suffrages ainsi que celles des représentants syndicaux aux CHSCT opérées par ce même syndicat comme étant chronologiquement les premières.

La Chambre sociale a cassé le jugement, sous le visa des articles L. 2324-4 (N° Lexbase : L3771IBB), L. 2324-22 (N° Lexbase : L3748IBG), L. 2121-1 (N° Lexbase : L5751IAA), L. 2122-1 (N° Lexbase : L3823IB9),L. 2122-3 (N° Lexbase : L3740IB7) et L. 2143-3 (N° Lexbase : L3719IBD) du Code du travail, en décomposant sa démonstration en deux temps.

Tout d'abord, les syndicats CGT Douai et CGT confédéré de Douai avaient présenté chacun leur propre liste au premier tour de l'élection des membres titulaires du comité d'entreprise, il n'y avait pas lieu de procéder à la totalisation, au profit de l'un ou de l'autre, des suffrages recueillis en propre par chacun.

Ensuite, ni l'un, ni l'autre de ces syndicats n'ayant recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés, il en résultait que ni l'un, ni l'autre n'était représentatif au sein de l'établissement de Douai et ne pouvait dès lors procéder aux désignations contestées.

La solution adoptée est, à la vérité sans surprise, dans la mesure où les syndicats n'ont pas réussi à s'entendre sur une liste commune.

II - L'absence de liste commune

A - Le constat

1 - Rappel des modalités attachées à la présentation d'une liste commune

La seule option envisageable, pour que les syndicats puissent totaliser leurs suffrages, était qu'ils présentent une liste commune, ce qu'ils n'avaient pas fait.

L'article L. 2122-3 du Code du travail dispose que "lorsqu'une liste commune a été établie par des organisations syndicales, la répartition entre elles des suffrages exprimés se fait sur la base indiquée par les organisations syndicales concernées lors du dépôt de leur liste. A défaut d'indication, la répartition des suffrages se fait à part égale entre les organisations concernées".

La Chambre sociale a interprété ce que recouvrait le terme "indiquée" alors que deux syndicats s'étaient contentés d'informer l'employeur de leur base de répartition 55 % et 45 % sans en informer les salariés.

La Cour de cassation a relevé l'absence d'information des électeurs pour imposer contre la volonté des syndicats une répartition des suffrages par parts égales (4) ce qui eut pour effet de renvoyer les deux syndicats sous le seuil des 10 %.

Ces difficultés associées à la présentation d'une liste commune ne sauraient toutefois être confondues avec d'éventuels conflits nés de désignations concurrentes

2 - La question voisine d'un éventuel conflit lié à des désignations concurrentes

On sait que, "sauf accord collectif plus favorable, une confédération syndicale et les organisations syndicales qui lui sont affiliées ne peuvent désigner ensemble un nombre de délégués syndicaux supérieur à celui prévu par la loi".

Il appartient aux syndicats de "justifier des dispositions statutaires déterminant le syndicat ayant qualité pour procéder aux désignations des délégués syndicaux ou à leur remplacement, ou de la décision prise par l'organisation syndicale d'affiliation pour régler le conflit conformément aux dispositions statutaires prévues à cet effet".

"A défaut, par application de la règle chronologique, seule la désignation notifiée en premier lieu doit être validée" (5).

La Cour de cassation a clairement voulu éviter que le seul critère chronologique n'opère dans ce genre de circonstances ; elle préfère de beaucoup s'appuyer sur les statuts afin de sortir de ce genre de complications (6) quitte à les interpréter quelque peu si cela s'avère nécessaire (7). Si les statuts sont silencieux, c'est alors l'organisation syndicale d'affiliation qui doit trancher (un bureau fédéral dans l'espèce évoquée). A défaut, la règle chronologique doit l'emporter.

Quoiqu'il en soit, ces questions n'ont pas eu lieu d'être dans la mesure où seule la mesure de l'audience propre à chacun des deux syndicats a retenu l'attention des magistrats, pour constater qu'aucun des deux ne franchissait la barre fatidique des 10 %.

Cet arrêt souligne combien la mesure de l'audience n'est pas détachée de l'affiliation syndicale et combien la suppression de la présomption irréfragable de représentativité n'a pas conféré à tous les syndicats une indépendance et une liberté totale d'action. Au demeurant, les arrêts du 18 mai 2011 ont souligné combien l'affiliation confédérale est un élément essentiel du vote des électeurs (8).

B - Conséquence de ce qui précède

L'article L. 2122-1 reprend le chiffre minimum de 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections -affirmé dans la Position commune- en précisant qu'il ne concerne que les titulaires dans ces différentes institutions élues et ce "quel que soit le nombre de votants", ce qui évacue la question d'un quorum éventuel à respecter.

La Cour de cassation considère que l'exigence d'un seuil ne porte pas atteinte au principe de la liberté syndicale (9).

Ce seuil se calcule tous collèges confondus, peu important que le syndicat n'ait pas présenté de candidats dans chacun des collèges (10), en décomptant chaque suffrage pour chaque liste, peu important les listes incomplètes et les ratures (11).

L'audience électorale est calculée à partir des résultats des élections au CE. Elle n'est calculée à partir des résultats des élections des DP que s'il ne s'est pas tenu d'élections au CE ou à la DUP dans l'entreprise (12).

Quoiqu'il en soit, dans l'arrêt ici commenté, le calcul ne laissait pas la place au doute : les chiffres de 8,72 % et de 5,69 % des suffrages exprimés en faveur des deux syndicats parlaient d'eux-mêmes.


(1) Cass. soc., 16 octobre 2001, n° 00-60.203, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4735AWB).
(2) Cass. soc., 22 septembre 2010, n°10-60.135, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2465GAK) et aussi Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 09-60.435, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2357GAK) sur la représentativité d'une confédération au niveau d'une UES, laquelle prend en compte les résultats de chacun des syndicats affiliés à la confédération dans les entités distinctes constitutives de l'UES.
(3) V. M-L. Morin, L. Pécaut-Rivolier et Y. Struillou, Le guide des élections professionnelles, 2ème édition, Dalloz, 2011, n°123-31.
(4) Cass. soc., 13 janvier 2010, n° 09-60.208, FS-P+B (N° Lexbase : A3136EQ9).
(5) Cass. soc., 29 octobre 2010, jonction, n° 09-67.969 et n° 09-68.207, F-P+B+R (N° Lexbase : A5612GD9).
(6) V. Cass. soc., 16 décembre 2009, n° 09-60.118, F-P+B (N° Lexbase : A0948EQ8).
(7) Dans l'arrêt du 16 décembre 2009 (préc.), les statuts n'envisageaient formellement que les difficultés relatives aux sections syndicales.
(8) Cass. soc., 18 mai 2011, n°10.60.069, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2903HRX).
(9) Cass. soc., 18 juin 2010, n° 10.40-005, P+B (N° Lexbase : A4056E3M) : JCP éd. S, 2010, 1354, étude B. Gauriau.
(10) Cass. soc., 22 septembre 2010, n° 10-10.678, FS-P+B (N° Lexbase : A2455GA8) : JCP éd. S, 2010, 1454, note J.-Y. Kerbourc'h.
(11) Cass. soc., 6 janvier 2011, deux arrêts, n° 10.17-653, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7331GNT) et n° 10.60-168, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7332GNU).
(12) Cass. soc., 13 juillet 2010, n° 10-60.148, FS-P+B (N° Lexbase : A6917E4X), JCP éd. S, 2010, 1402, note B. Gauriau ; Cass. soc., 10 novembre 2010, n° 09.72-856, FS-P+B (N° Lexbase : A9085GGL) ; JCP éd. S, 2011, 1116, étude B. Gauriau.

Décision

Cass. soc., 26 octobre 2011, jonction, n° 11-10.290 et n° 11-60.003 , F-P+B (N° Lexbase : A0630HZD)

Cassation, TI Douai, 29 décembre 2010

Mots-clés : confédération syndicale, élections professionnelles, audience

Liens base : (N° Lexbase : E1798ETR)

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