Réf. : Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 09-43.205, FS-P+B (N° Lexbase : A0634HZI)
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
le 10 Novembre 2011
Résumé
La faculté pour un employeur de conclure des contrats à durée déterminée successifs avec le même salarié afin de pourvoir un emploi saisonnier n'est assortie d'aucune limite au-delà de laquelle s'instaurerait entre les parties une relation de travail globale à durée indéterminée. |
Commentaire
I - Réaffirmation du principe : l'absence de requalification des contrats saisonniers durables
Comme son nom l'indique parfaitement, le contrat à durée déterminée comporte un terme extinctif, c'est-à-dire la prévision d'un événement futur et certain dont la survenance implique la fin de la relation contractuelle. Ce terme peut prendre différentes formes puisque le contrat peut être accompagné d'un terme certain (2) ou d'un terme incertain (3).
En cas de contrat assorti d'un terme certain (4), une durée maximale d'exécution du contrat a été imposée par le Code du travail. Etablie à dix-huit mois par principe, cette durée peut cependant varier au gré des cas de recours au contrat à durée déterminée et être ainsi abaissée à neuf mois ou, au contraire, allongée jusqu'à vingt-quatre mois (5). Le dépassement de cette durée maximale, qu'il soit prévu par le contrat ou qu'il découle d'une exécution du contrat prolongée au-delà du délai maximal, emporte requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
En cas de contrat assorti d'un terme incertain, au contraire, aucune durée maximale d'exécution n'est imposée aux parties. Ainsi, certains contrats à terme incertain peuvent comporter, de fait, une durée extrêmement longue comme certaines affaires ont pu l'illustrer (6). Les exceptions à la règle de délimitation d'une durée maximale sont cependant clairement précisées. Un terme incertain ne peut être prévu que s'agissant du remplacement d'un salarié absent, d'un salarié dont le contrat de travail est suspendu ou d'une personne mentionnée aux 4° et 5° de l'article L. 1242-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3209IMS), s'agissant de l'attente de l'entrée en service effective d'un salarié recruté par contrat à durée indéterminée ou, enfin, s'agissant des emplois saisonniers ou des emplois pour lesquels il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée.
La règle est cependant en partie superflue s'agissant des contrats dits saisonniers. En effet, par définition, le contrat saisonnier est conclu pour s'exécuter durant une "saison", sachant que le caractère saisonnier d'un emploi "concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs" (7).
Si cette règle n'a donc que peu d'intérêt pour limiter la durée des saisons qui ne peuvent naturellement excéder dix-huit mois, elle retrouve en revanche une utilité quant aux règles applicables à la succession de contrats à durée déterminée.
En principe, en effet, la conclusion de contrats à durée déterminée successifs avec le même salarié est interdite (8) sauf si les parties respectent un délai de carence entre les deux contrats (9). Cependant, cette règle de principe fait l'objet d'exceptions en fonction, à nouveau, du cas de recours invoqué par l'employeur pour conclure le contrat. Or, ces exceptions recouvrent très exactement les cas de figure dans lesquels le contrat à durée déterminée est conclu à terme incertain (10). Ainsi, il paraît parfaitement possible d'enchaîner, année après année, des contrats saisonniers avec un même salarié sans que la durée globale de la relation permette de la requalifier en contrat à durée indéterminée.
C'est ce raisonnement qu'adopte la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis plusieurs années en matière de requalification du contrat de travail saisonnier en contrat à durée indéterminée, lui apportant tout de même quelques nuances (11).
Par principe, la Chambre sociale affirme, en effet, que "la faculté pour un employeur de conclure des CDD successifs avec le même salarié afin de pourvoir un emploi saisonnier n'est assortie d'aucune limite au-delà de laquelle s'instaurerait entre les parties une relation de travail à durée indéterminée" (12). Cette règle supporte cependant trois exceptions, soit que le salarié ait été engagé pour toutes les saisons et pendant la durée totale de chaque saison, soit que l'emploi du salarié corresponde aux périodes d'activité de l'entreprise (13), soit que les contrats saisonniers aient été assortis de clauses de reconduction pour la saison suivante (14). C'est cette règle de principe qui est réaffirmée dans l'arrêt sous examen.
Dans cette affaire, une salariée avait été engagée pendant seize années successives, de mi-juillet à mi-septembre, comme saisonnière avec pour fonction le conditionnement de maïs doux, cela jusqu'à la saison 2005. A la fin de l'année 2005, l'employeur notifia à la salariée sa volonté de mettre fin à cette relation pour les années à venir. A cette occasion, la salariée demanda en justice la requalification de la relation en contrat de travail à durée indéterminée et, partant, la qualification de la rupture en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Les juges du fond ayant refusé de faire droit à sa demande, la salariée forma pourvoi en cassation. S'appuyant principalement sur le caractère exprès de la rupture de la relation à l'initiative de l'employeur et sur la durée exceptionnellement longue de leurs relations contractuelles, la salariée estimait que les juges d'appel avaient violé l'article L. 1242-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1428H9R), lequel dispose, il n'est pas inutile de le rappeler, qu'"un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise".
La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette ce pourvoi par un arrêt rendu le 26 octobre 2011. Reprenant la règle prétorienne classique ci-dessus exposée, la Cour dispose que "la faculté pour un employeur de conclure des contrats à durée déterminée successifs avec le même salarié afin de pourvoir un emploi saisonnier n'est assortie d'aucune limite au-delà de laquelle s'instaurerait entre les parties une relation de travail globale à durée indéterminée". Or, remarque-t-elle, "l'emploi occupé correspondait à des tâches appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes en fonction de la maturité du produit de saison" si bien que "ces tâches confiées à la salariée étaient liées à cet accroissement cyclique" et "que l'emploi était saisonnier".
Cette décision qui, en apparence, ne révolutionne guère la matière, appelle cependant plusieurs commentaires pour ce qu'elle dit, mais aussi, pour ce qu'elle ne dit pas.
II - Renforcement du principe : le recul des exceptions permettant la requalification des contrats saisonniers durables
Quoique la décision ne fasse que reprendre une solution désormais bien ancrée dans la jurisprudence de la Cour de cassation, on peut malgré tout se demander si le maintien de cette solution était véritablement justifié. Sur le plan technique, nous l'avons vu, les contrats saisonniers font exception aux règles de durée maximale et aux règles afférentes à la succession des contrats à durée déterminée. La solution commentée paraît donc logique et justifiée, du moins sur le plan technique.
Pour autant, on peut légitimement se demander si la combinaison de ces règles ne mène pas à un résultat résolument opposé à l'objectif essentiel que s'était assigné le législateur en interdisant le recours au contrat à durée déterminée pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. En effet, si le secteur agroalimentaire constitue l'un des secteurs du travail saisonnier par excellence, cela n'empêche pas de considérer que le conditionnement du maïs doux auquel était assigné la salariée constitue une activité normale et permanente de l'entreprise. Peut-être, selon les saisons, la quantité de maïs à conditionner peut-elle évoluer, les dates auxquelles le maïs est prêt à être conditionné peuvent-elles varier. Pour autant, à moins d'un désastre météorologique, l'entreprise cultive, produit, conditionne et, probablement, commercialise ce maïs, ce qui entre très clairement dans son activité normale et permanente. Quant au caractère durable de l'emploi, si l'on ne saurait "lier l'écoulement du temps à la notion même d'emploi permanent" (15), comment nier qu'une activité menée seize années d'affilée, soit un tiers d'une vie professionnelle, soit une activité menée "durablement" ?
Le raisonnement adopté par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans ce domaine semble s'appuyer sur une articulation entre règle spéciale -la règle technique ne limitant pas la durée et la succession de contrats saisonniers- et règle générale -l'interdiction de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité permanente de l'entreprise. Specialia generalibus derogant... C'est en tous les cas ce que l'on peut déduire de l'attachement porté par la chambre sociale à caractériser le caractère saisonnier de l'emploi. Pour autant, la règle de conflit selon laquelle la règle spéciale doit écarter l'application de la règle générale ne devrait pas trouver à s'appliquer ici, précisément parce que l'article L. 1242-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1428H9R) interdit les contrats destinés à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise "quel que soit le motif" pour lequel il a été recouru au contrat à durée déterminée. En d'autres termes, ce n'est pas parce que l'emploi est un emploi saisonnier qu'il ne peut, dans le même temps, consister à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et, partant, ne pas permettre le recours au contrat à durée déterminée.
Si l'on peut donc considérer que le raisonnement de la Chambre sociale n'est peut-être pas le plus approprié, il nous semble, en outre, que la décision commentée porte en germe une évolution sérieuse du régime de la requalification des contrats saisonniers.
Comme nous l'avons relevé, depuis 2004, la Chambre sociale accepte trois exceptions à la règle selon laquelle l'emploi saisonnier n'est assorti d'aucune limite de temps au-delà de laquelle la relation globale serait à durée indéterminée, soit que le salarié ait été engagé pour toute la durée de la saison, soit que le salarié ne travaille que durant les périodes d'activité de l'entreprise, soit que le contrat ait comporté une clause de reconduction.
Il n'est en aucun cas possible d'affirmer que, dans l'espèce commentée, la salariée était engagée pour la durée entière de chaque saison ni, a fortiori, que l'activité de l'entreprise se limitait aux périodes d'emploi de la salariée. Le silence de la chambre sociale à propos de ces exceptions ne doit donc pas être sur interprété, il ne signifie pas nécessairement son intention de vouloir s'en départir.
De la même manière, il est fort peu probable que les contrats saisonniers successivement conclus ait comporté une clause de reconduction, auquel cas l'argument aurait nécessairement été avancé par le conseil de la salarié. Là encore donc, la décision de la cChambre sociale ne remet pas formellement en cause l'exception traditionnelle. Pour autant, la notification expresse par l'employeur de sa volonté de mettre fin à la relation contractuelle pour l'avenir répond clairement à une logique similaire à l'existence d'une clause de reconduction.
En effet, si l'employeur prend le soin d'informer la salariée qu'il ne comptera plus sur elle pour les saisons à venir, c'est fort probablement parce que la salariée était en droit de s'attendre à ce que l'on fasse à nouveau appel à ses services l'année suivante. Dit autrement, quand bien même aucune cause de reconduction expresse n'avait été conclue, la notification de la fin de la relation par l'employeur traduisait l'existence d'un engagement tacite de reconduction auquel l'employeur croyait être tenu, duquel la salariée pouvait légitimement penser être créancière. Dès lors, en refusant de prendre en compte l'argument s'appuyant sur la notification de la fin de la relation contractuelle, la Cour de cassation s'oppose sur le fond, si ce n'est sur la forme, à l'idée selon laquelle la reconduction attendue, année après année, de l'emploi saisonnier, constituerait une exception à la règle interdisant de voir dans une relation de longue durée une relation à durée indéterminée.
(1) C. trav., art. L. 1221-2, alinéa 1er (N° Lexbase : L8930IAY).
(2) Matérialisé par une date d'échéance ou par une durée précise d'exécution du contrat.
(3) Matérialisé par un événement dont la survenance est acquise sans pour autant pouvoir être datée, par exemple, le retour du salarié remplacé à son poste de travail.
(4) C. trav., art. L. 1242-7 (N° Lexbase : L1439H98).
(5) Sur l'ensemble de ces durées maximales, v. C. trav., art. L. 1242-8 (N° Lexbase : L5746IA3).
(6) V. en particulier Cass. soc., 4 février 2009, n° 08-40.184, FS-P+B (N° Lexbase : A9643EC7) et nos obs., Il était sur la route de son CDD..., Lexbase Hebdo n° 340 du 4 mars 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N7637BIP).
(7) Cass. soc., 12 octobre 1999, n° 97-40.915 (N° Lexbase : A4714AGP), Dr. soc., 1999, p. 1097, obs. Cl. Roy-Loustaunau ; Cass. soc., 9 mars 2005, n° 02-44.706, FS-P+B (N° Lexbase : A2507DHC) et les obs. de N. Mingant, Le caractère saisonnier d'un emploi, Lexbase Hebdo n° 160 du 23 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2287AIK).
(8) C. trav., art. L. 1243-11 (N° Lexbase : L1475H9I).
(9) C. trav., art. L. 1244-3 (N° Lexbase : L1484H9T).
(10) C. trav., art. L. 1244-1 (N° Lexbase : L1480H9P).
(11) D'une manière générale sur les différentes hypothèses de requalification du contrat saisonnier, v. Cass. soc., 4 avril 2007, n° 06-40.343, F-D (N° Lexbase : A9173DUB) et nos obs., Petit vade-mecum de la requalification du contrat de travail saisonnier, Lexbase Hebdo n° 258 du 2 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N9193BAQ).
(12) Cass. soc., 30 mai 2000, n° 98-41.134, publié (N° Lexbase : A8755AHQ) ; Cass. soc., 15 octobre 2002, n° 00-41.759, publié (N° Lexbase : A2522A3S), Dr. soc., 2002, p. 1140, obs. Cl. Roy-Loustaunau.
(13) Sur ce cas de figure, v. Cass. soc., 2 février 1994, n° 89-44.219 (N° Lexbase : A9467AAU) : Dr. soc., 1994, p. 372 ; Cass. soc., 6 juin 1991, n° 87-45.308 (N° Lexbase : A4379ABS) : Bull. civ. V, 1991, n° 288.
(14) Cass. soc., 16 novembre 2004, n° 02-46.777, F-P+B (N° Lexbase : A9488DDR) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Contrat saisonnier sur contrat saisonnier ne vaut pas forcément requalification, Lexbase Hebdo n° 145 du 1er décembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3695ABH ; SSL, 2004, n° 1193, obs. V. F.
(15) Cl. Roy-Loustaunau, Dr. soc., 2002, p. 1140, préc..
Décision
Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 09-43.205, FS-P+B (N° Lexbase : A0634HZI) Dispositif : CA Pau, ch. soc., 10 septembre 2009 Textes concernés : C. trav., art. L. 1242-2 (N° Lexbase : L3209IMS) Mots-clés : contrat de travail à durée déterminée, emploi saisonnier, requalification (non). Liens base : (N° Lexbase : E7730ES4) |
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