Lexbase Social n°461 du 10 novembre 2011 : Conventions et accords collectifs

[Jurisprudence] Nouvelle bataille gagnée par les pompistes contre les groupes pétroliers

Réf. : Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 10-14.175, FS-P+B, sur le quatrième moyen (N° Lexbase : A0633HZH)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 10 Novembre 2011

Décidément, la Cour de cassation n'en finit pas d'être saisie dans le cadre des très nombreux contentieux opposant les groupes pétroliers aux petits pompistes, chacun explorant tous les registres pour tenter d'obtenir gain de cause. C'est cette fois-ci l'application de la prescription quinquennale à une action en rappel de sommes versées au titre de la participation qui était en cause dans cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 26 octobre 2011, ainsi que les conditions dans lesquelles un couple de gérants avait été exposé à des produits toxiques (I). C'est l'application de la règle contra non valentem qui va permettre de mettre de côté la prescription quinquennale et la Convention collective de l'industrie du pétrole pour fonder leur action en responsabilité (II).
Résumé

La prescription de cinq ans ne s'applique pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui, comme en l'espèce pour la participation aux fruits de l'expansion de l'entreprise, ne sont pas connus du bénéficiaire.

Les gérants visés à l'article L. 7321-1 du Code du travail bénéficient des dispositions de ce code et notamment de celles du titre V Livre II relatif aux conventions collectives ; ils relèvent donc de la convention collective à laquelle est soumis le chef d'entreprise qui les emploie, notamment concernant la protection de la santé du personnel.

Commentaire

I - Questions de prescription

Rappel des épisodes précédents. Nous avions relaté, dans une précédente chronique, les grandes dates de la "guerre des pompes" opposant les "petits pompistes" et les "grands groupes pétroliers" (1). Dans de nombreuses hypothèses, plusieurs années de longues luttes acharnées ont vu les contrats de gérants de stations-service requalifiés en contrats de travail lorsque les conditions de l'article L. 7321-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1885IEK) le permettaient (2). Pensant pleinement profiter des effets de ces requalifications, de nombreux néo-salariés se sont heurtés à la prescription quinquennale des gains et salaires et ont tenté de faire valoir soit qu'ils avaient été placés dans l'impossibilité d'agir en justice, compte tenu du refus opposé par les pétroliers de leur reconnaître le statut de gérant-salarié, ce qui n'a pas été admis par la Cour de cassation (3), soit que l'application de la prescription quinquennale les privait de manière injustifiée de leur droit d'agir en justice ou d'un de leur bien, violant ainsi les articles 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) pour le premier et l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) pour le second, ce qui n'a pas non plus été admis (4).

L'affaire. Un couple de pompiste avait exploité une station-service dans le Val-d'Oise à compter du 15 juin 1978, leur activité d'exploitation de celle-ci s'exerçant, à partir de 1983, dans le cadre de divers contrats conclus entre la SARL qu'ils avaient constitué à la demande de la société T. et cette dernière, pour assurer notamment la distribution de ses produits pétroliers. Leurs relations contractuelles avaient cessé le 30 juin 2004 à la demande des époux. Ces derniers ont saisi le 8 février 2006 la juridiction prud'homale sur le fondement de l'article L. 781-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6860AC3), alors applicable, et présenté diverses demandes à ce titre. Ils ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 13 janvier 2010 qui a rejeté leurs demandes. La société a formé un pourvoi incident et a présenté à cette occasion un question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article L. 781-1 précité, devenu article L. 7321-2 du Code du travail, "en tant qu'il utilise le terme 'presque exclusivement'" et en ce que cet adverbe contreviendrait "aux articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H), 4 (N° Lexbase : L1368A9K), 6 (N° Lexbase : L1370A9M), 16 (N° Lexbase : L1363A9D) et 17 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, en lien avec les articles 34 (N° Lexbase : L1294A9S) et 37 de la Constitution". La Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que cette question n'était pas sérieuse "dès lors que les termes 'presque exclusivement' contenus dans l'article L. 7321-2 du Code du travail, tels qu'interprétés à de nombreuses reprises par la Cour de cassation, ne sont ni imprécis ni équivoques et ne peuvent porter atteinte aux objectifs à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ni, en conséquence, aux droits et libertés visés dans la question" (5).

La requalification du contrat en contrat de gérants salariés déclenchant l'application du régime concerné et de nouveaux droits indemnitaires pour les salariés, dont le droit à participation, s'était posée également la question de l'application de la prescription quinquennale.

Pour la cour d'appel, celle-ci s'appliquait sans contestation possible dans la mesure où les sommes versées au titre de la participation ont une nature salariale.

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui casse sur ce point, au visa de l'article 2277 du Code civil (N° Lexbase : L7196IAR), et considère que "la prescription de cinq ans ne s'applique pas lorsque la créance, même périodique, dépend d'éléments qui, comme en l'espèce pour la participation aux fruits de l'expansion de l'entreprise, ne sont pas connus du bénéficiaire".

On reconnaît l'application d'une règle prétorienne (contra non valentem) consacrée en 2008 lors de la réforme de la prescription (C. civ., art. 2234 N° Lexbase : L7219IAM ; loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I) et dont la Chambre sociale de la Cour de cassation a déjà fait application, singulièrement en matière de participation (6), non pas seulement pour décaler le point de départ de la prescription de cinq ans mais pour l'écarter au profit de la prescription de droit commun. On sait toutefois que cette mise à l'écart n'a depuis la réforme de 2008 plus intérêt dans la mesure où le délai de droit commun a été ramené de trente à cinq ans.

Prescription de l'action en affiliation au régime général. Dans cette affaire, la cour d'appel avait également déclaré applicable la prescription quinquennale des gains et salaires à la demande des époux concernant leur affiliation au régime général et au paiement des cotisations correspondantes. Sur ce point, également, l'arrêt est cassé, la Chambre sociale de la Cour de cassation réaffirmant que "l'obligation de l'employeur d'affilier son personnel au régime général de la sécurité sociale et d'effectuer le paiement des cotisations sociales correspondantes est soumise à la prescription trentenaire" (7), confirmant au passage sa jurisprudence concernant les cotisations aux caisses de retraite (8). Cette action doit donc être logiquement distinguée de celle qui a pour objet d'obtenir un rappel de salaire correspondant à des cotisations indument versées et qui est bien soumise à la prescription quinquennale (9).

On peut s'étonner du rattachement à la prescription de droit commun d'actions concernant effectivement des cotisations dont le versement est réalisé sur une même périodicité que les salaires. Mais ici encore la question, qui conserve tout son intérêt théorique, a perdu aujourd'hui de son intérêt pratique compte tenu de l'alignement du délai de droit commun sur la prescription quinquennale des gains et salaires.

II - Du droit à la santé et à la sécurité des gérants de succursales

De l'obligation de sécurité de résultat des employeurs de gérants salariés. L'application du régime de gérant de succursale avait également entraîné un contentieux inédit entre le couple et la société T. mettant en cause la responsabilité de cette dernière à qui il était reproché de les avoir exposés à des substances dangereuses.

La cour d'appel, décidément bien mal inspirée dans cette affaire, avait débouté le couple de ses demandes après avoir considéré que la base légale de l'obligation de sécurité de l'employeur à l'égard des salariés figure aux articles L. 231-1 (N° Lexbase : L5950ACD) et suivants du Code du travail, sous l'ancienne codification applicable à l'espèce, et plus particulièrement à l'article L. 231-7 (N° Lexbase : L5967ACY), que ces articles appartiennent au livre II du Code du travail, sous l'ancienne codification, et que les prescriptions de ce Livre II ne sont pas applicables aux époux qui fixaient librement les conditions d'hygiène et de sécurité de leur propre travail ainsi que de celui de leurs salariés dans le cadre des obligations légales et réglementaires.

L'arrêt est également cassé sur ce point au visa de l'article L. 781-1, devenu L. 7321-1 et L. 7321-3 (N° Lexbase : L3465H99) du Code du travail. Pour la Haute juridiction, en effet, "les travailleurs visés à l'article L. 781-1 du code du travail devenu les articles L. 7321-1 et L. 7321-3 bénéficient des dispositions de ce code et notamment de celles du titre V Livre II relatif aux conventions collectives", et "que par suite ils relèvent de la convention collective à laquelle est soumis le chef d'entreprise qui les emploie", et que les juges auraient dû "examiner les demandes des époux formées au titre de dispositions de la convention collective de l'industrie du pétrole concernant la protection de la santé du personnel".

Une cassation méritée. La cassation était méritée, même si les arguments retenus en appel n'étaient pas totalement ineptes.

Le principe posé par l'article L. 7321-1 du Code du travail est, en effet, bien celui de l'application par principe des dispositions du Code du travail aux gérants de succursales, sous les réserves liées aux dispositions particulières du Titre deuxième qui leur est spécialement consacré dans le Livre 3 de la septième partie. Or, certaines de ces réserves concernent bien la santé et la sécurité, et l'article L. 7321-3 du Code du travail, qui définit le cadre général applicable aux gérants de succursales, dispose que "le chef d'entreprise qui fournit les marchandises ou pour le compte duquel sont recueillies les commandes ou sont reçues les marchandises à traiter, manutentionner ou transporter n'est responsable de l'application aux gérants salariés de succursales des dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés et de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail que s'il a fixé les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ou si celles-ci ont été soumises à son accord". Ce même article dispose que "dans le cas contraire, ces gérants sont assimilés à des chefs d'établissement" et que "leur sont applicables, dans la mesure où elles s'appliquent aux chefs d'établissement, directeurs ou gérants salariés, les dispositions relatives : [...] 5° à la santé et à la sécurité au travail prévues à la quatrième partie". On pouvait donc s'interroger ici sur l'opposabilité à la société des dispositions prévues par le Code du travail en matière d'obligation de sécurité.

Une solution justifiée. La solution retenue nous semble toutefois justifiée.

Il est tout d'abord erroné de situer le siège de l'obligation de sécurité de l'employeur exclusivement dans les dispositions législatives du Code du travail. On sait, en effet, que la Cour de cassation a considéré, depuis 1994 (10), que cette obligation était fondée avant tout sur le contrat de travail (11), ce qui conduit à en faire bénéficier également les gérants de succursale.

Par ailleurs, les époux se fondaient sur un certain nombre de dispositions conventionnelles applicables en matière d'hygiène et de sécurité. Il pouvait certes être tentant d'interpréter ces dispositions au regard de la désignation des personnes responsables par application de l'article L. 7321-3 du Code du travail, et de lier les deux en considérant que les dispositions conventionnelles ne s'appliquaient que dans la mesure où les époux ne fixaient pas par eux-mêmes "les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement", sans que ces mesures ne soient jamais soumises à l'accord de la société. Mais, il semblait tout aussi légitime de considérer que les dispositions conventionnelles s'appliquaient de manière autonome, c'est-à-dire sans condition, et que si elles conféraient aux gérants de succursales plus de droits que ceux qu'ils tiennent du Code du travail ces dispositions doivent s'appliquer par application du principe de faveur. Il semblait donc légitime d'analyser la situation du couple de gérants au regard de ces dispositions conventionnelles, sans les rejeter a priori comme cela avait été fait de manière abusive par la cour d'appel. La Cour de cassation reprend donc les termes de précédentes décisions dans lesquelles elle avait affirmé que "les travailleurs visés à l'article L. 781-1 du Code du travail devenu les articles L. 7321-1 et L. 7321-3 bénéficient des dispositions de ce code et notamment de celles du titre V Livre II relatif aux conventions collectives et que par suite ils bénéficient de la convention collective à laquelle est soumis le chef d'entreprise qui les emploie" (12).


(1) V. nos obs., De la conformité de la prescription quinquennale des gains et salaires aux engagements internationaux de la France : l'épilogue de la "guerre des pompes" ?, Lexbase Hebdo n° 425 du 26 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1676BRI), à propos de Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-69.348, FS-P+B, sur le troisième moyen (N° Lexbase : A9779GPU).
(2) Dernièrement, s'agissant de la distribution d'abonnements ; Cass. soc., 1er février 2011, jonction, n° 08-45.223, n° 08-45.295 et n° 09-65.999, F-D (N° Lexbase : A3489GRN). S'agissant de la vente de produits de beauté ; Cass. soc., 9 mars 2011, n° 09-42.901, FS-P+B (N° Lexbase : A2473G9H).
(3) Cass. soc., 26 novembre 2008, n° 06-45.104, FS-P (N° Lexbase : A5137EBU), Dr. soc., 2009, p. 372, obs. Ch. Radé ; Cass. soc., 7 avril 2009, n° 07-43.409 et 07-43.414, F-D (N° Lexbase : A1031EGB) ; Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07-45.615, F-D (N° Lexbase : A5764EIC) et Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 08-40.049, F-D (N° Lexbase : A5920EI4) ; Cass. soc., 17 novembre 2010, n° 09-65.081, FS-P+B, sur le 3ème moyen (N° Lexbase : A5850GKU).
(4) Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-69.348, FS-P+B, sur le troisième moyen, préc..
(5) Cass. QPC, 28 septembre 2010, FS-D, n° 10-40.027(N° Lexbase : A1250GBW) et n° 10-40.028. (N° Lexbase : A1251GBX) ; Cass. QPC, 30 novembre 2010, n° 10-14.175, F-D (N° Lexbase : A6275GMD).
(6) Cass. soc., 26 janvier 1989, n° 86-43081, publié au bulletin, (N° Lexbase : A1350AAA). Sur la mise à l'écart de la prescription quinquennale pour les subventions de fonctionnement des comités d'entreprise, v. nos obs., Imbroglio autour de la prescription applicable aux actions en paiement des subventions du comité d'entreprise, Lexbase Hebdo n°428 du 16 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3626BRQ), Cass. soc., 1er février 2011, n° 10-30.160, FS-P+B (N° Lexbase : A3713GRX).
(7) Dans le même sens, Cass. soc., 8 décembre 2010, n° 09-67.447, F-D (N° Lexbase : A9126GMX).
(8) Cass. soc., 28 juin 2000, n° 98-42.145, inédit (N° Lexbase : A6865C4Z) ; Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-40.021, F-D (N° Lexbase : A7910D8H) ; Cass. soc., 13 avril 2010, n° 09-41.508, F-D (N° Lexbase : A0684EWA).
(9) Cass. soc., 2 décembre 2003, n° 01-45.097, publié (N° Lexbase : A3648DAD).
(10) Cass. soc., 11 octobre 1994, n° 91-40.025, publié (N° Lexbase : A0874ABY), D., 1995, jur. p. 440, note Ch. Radé.
(11) Sur cette obligation, v. notre chron., Autorité et responsabilités au sein de l'entreprise, RLDC, 2008, supp., n° 51, p. 39.
(12) Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-41.242, FS-P+B (N° Lexbase : A1974EET), à propos des dispositions de l'accord collectif en matière d'ancienneté.

Décision

Cass. soc., 26 octobre 2011, n° 10-14.175, FS-P+B, sur le quatrième moyen (N° Lexbase : A0633HZH)

Cassation partielle, CA Versailles, 17ème ch., 13 janvier 2010, n° 07/04144 (N° Lexbase : A0422EWK)

Texte visé : C. civ., art. 2277 (N° Lexbase : L5385G7L) (dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008)

Liens base : (N° Lexbase : E8374ESX)

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