Réf. : Cass. soc., 4 octobre 2011, n° 10-18.862, FS-P+B (N° Lexbase : A5970HYR)
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N8229BSL
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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane
le 20 Octobre 2011
Résumé
Manque à son obligation de ne pas mettre en danger, dans l'enceinte de l'entreprise, d'autres membres du personnel, le salarié qui a laissé son chien pendant trois heures à l'intérieur de son véhicule stationné sur le parking de l'entreprise et qui n'a pas été en mesure de l'empêcher d'attaquer une salariée sur ce parking. Le licenciement prononcé en raison du manquement à cette obligation repose sur une cause réelle et sérieuse. |
Commentaire
I - La sanction disciplinaire du manquement à l'obligation de sécurité du salarié
Le comportement d'un salarié peut donner lieu à différentes conséquences selon, d'une part, le rattachement possible avec les obligations contractuelles dont il a la charge et, d'autre part, la gravité du comportement en cause.
Ainsi, dès lors que le comportement du salarié constitue un manquement aux obligations contractuelles ou légales auxquelles il est tenu de part l'effet du contrat de travail, ce comportement peut caractériser une faute disciplinaire. Au contraire, "un fait relatif à sa vie personnelle ne peut donc pas être qualifié de faute disciplinaire" (2), y compris d'ailleurs si ce comportement a été commis aux temps et lieu du travail (3). Un comportement fautif survenu hors de la sphère professionnelle peut, toutefois, justifier à titre exceptionnel un licenciement lorsque ce comportement génère un trouble objectif à l'entreprise (4). Reposant alors sur une cause réelle et sérieuse, ce licenciement n'est cependant pas un licenciement disciplinaire.
Si le comportement constitue une faute disciplinaire, sa qualification peut encore varier selon la gravité dudit comportement. On sait, depuis 2007, que "la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise" (5). Au contraire, si le comportement, quoique fautif, ne rend pas immédiatement impossible le maintien du contrat de travail, il sera qualifié de faute sérieuse qui justifie elle aussi un licenciement, voire de faute légère qui, cette fois, ne permet pas la rupture du contrat de travail. L'appréciation du degré de gravité de la faute, bien qu'il s'agisse d'une qualification faisant l'objet d'un contrôle par la Cour de cassation (6), demeure très empirique et donne lieu à des décisions bigarrées, si bien qu'il demeure à ce jour impossible de savoir, avec certitude, si tel ou tel comportement constituera une faute grave ou une simple faute sérieuse (7).
Quels manquements peuvent, plus précisément, caractériser un comportement fautif ?
La Cour de cassation précise, depuis longtemps, que lorsque un comportement relève "d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail" (8), il peut être qualifié de faute disciplinaire et donner lieu à sanction.
Bien entendu, le manquement sera caractérisé en cas de violation de l'obligation principale du salarié, à savoir de fournir une prestation de travail subordonnée. Bien sûr, cela concerne l'absence de travail ou l'imperfection de la prestation. Au-delà, c'est tout acte d'insubordination au pouvoir de direction de l'employeur qui peut être fautif.
Outre la manquement à l'obligation principale, d'autres manquements peuvent revêtir la qualification de faute grave lorsqu'ils caractérisent l'inexécution d'une obligation accessoire au contrat de travail : manquement à l'obligation de loyauté et manquement à l'obligation de sécurité sont les deux principaux avatars de cette catégorie.
En effet, si l'employeur est tenu, au premier chef, de garantir la sécurité des travailleurs sur leur lieu de travail, l'article L. 4122-1, alinéa premier, du Code du travail (N° Lexbase : L1458H9U) dispose qu'"il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions de travail". Le salarié qui met en danger ses collègues manque à cette obligation et commet, dès lors, une faute disciplinaire.
C'est le manquement à une telle obligation qui a donné lieu à l'arrêt commenté dans ces colonnes.
Un conducteur de bus avait laissé, pendant la durée de son service, son chien dans son véhicule personnel garé sur le parking de l'entreprise. Après son retour au dépôt, il libéra le chien qui, resté en plein soleil une partie de l'après-midi, adopta un comportement agressif et attaqua une collègue du chauffeur qui quittait l'entreprise à bicyclette. Le salarié partant en congés après cet événement, l'employeur attendit la fin de ces congés pour le mettre à pied à titre conservatoire et le licencia pour faute grave quelques jours plus tard.
Le conseil de prud'hommes, comme la cour d'appel de Riom, jugèrent que le report du point de départ de la mise à pied conservatoire était valable compte tenu des congés qui, de fait, avaient déjà permis d'écarter le salarié de l'entreprise. Ils estimèrent, ensuite, que si le licenciement reposait bien sur une cause réelle et sérieuse, le comportement du salarié ne permettait pas de caractériser une faute grave.
Le salarié forma pourvoi en cassation au soutien duquel il contestait l'absence de caractère immédiat de la mise à pied conservatoire qui, selon lui, conférait à celle-ci un caractère disciplinaire interdisant à l'employeur de prendre une nouvelle sanction par la voie du licenciement. Il estimait, en outre, que son comportement était intervenu en dehors du temps de travail, si bien que, relevant de la sphère de sa vie privée, il ne pouvait caractériser un manquement à son obligation de sécurité ni une faute professionnelle.
La Chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 4 octobre 2011, rejette le pourvoi. S'agissant du comportement fautif du salarié, la Cour approuve les juges du fond d'avoir qualifié ses manquements de faute sérieuse. En effet, ayant constaté que le salarié "avait laissé son chien pendant trois heures à l'intérieur de son véhicule stationné sur le parking de l'entreprise et n'avait pas été en mesure de l'empêcher d'attaquer une salariée sur ce parking, la cour d'appel a ainsi caractérisé un manquement du salarié à son obligation de ne pas mettre en danger, dans l'enceinte de l'entreprise, d'autres membres du personnel". S'agissant de la mise à pied conservatoire, la Chambre sociale décide que "la cour d'appel a pu retenir que la mesure de mise à pied notifiée le jour de la convocation à l'entretien préalable, à l'issue du congé dont bénéficiait le salarié et dans l'attente de l'issue de la procédure, revêtait un caractère conservatoire".
II - L'appréciation du caractère professionnel du manquement à l'obligation de sécurité du salarié
L'article L. 1332-3 du Code du travail (N° Lexbase : L1865H9X) dispose que, "lorsque les faits reprochés au salarié ont rendu indispensable une mesure conservatoire de mise à pied à effet immédiat, aucune sanction définitive relative à ces faits ne peut être prise sans que la procédure prévue à l'article L. 1332-2 ait été respectée". Comme le prévoit expressément ce texte, la mise à pied conservatoire doit prendre effet immédiatement. Il est alors possible de s'interroger sur la solution rendue par la Chambre sociale en la matière, position qui n'est, en réalité, nullement contestable, cela pour au moins deux raisons.
D'abord, parce que la Chambre sociale a déjà eu l'occasion de juger que le point de départ de la mise à pied devait intervenir concomitamment avec l'engagement de la procédure de licenciement (9). Comme le définit la Chambre sociale, la mise à pied conservatoire ne pouvant être justifiée que par l'existence d'une faute grave (10), la procédure doit donc être engagée rapidement. L'employeur a réagi rapidement et a prononcé la mise à pied en même temps qu'il engageait la procédure de licenciement, si bien que la mise à pied est valable quand bien même elle n'aurait pas été prononcée immédiatement après la découverte des faits par l'employeur.
Ensuite, sur le fond, on remarquera que l'employeur a finalement attendu la fin des congés du salarié pour prononcer la mise à pied. Or, cette position est conforme à l'articulation des modes de suspension du contrat de travail (11). En effet, on considère généralement qu'en cas de cumul de causes de suspension du contrat de travail, c'est la cause de suspension intervenue chronologiquement à la première qui prévaut (12). Si l'employeur avait prononcé la mise à pied, qui est une cause de suspension du contrat, durant les congés du salarié, congés qui constituent une autre cause de suspension, c'est la qualification de congés payés qui l'aurait emporté, l'employeur étant tenu dans ce cas de rémunérer le salarié durant ces congés puisque, sauf faute lourde, le salarié ne peut être privé des indemnités de congés payés (13).
Enfin, sur un plan moins juridique il est vrai, on relèvera que l'attitude adoptée par l'employeur est, d'un certain point de vue, plutôt favorable au salarié. Bien sûr, la requalification de la mise à pied en mise à pied disciplinaire lui aurait permis, au nom de l'adage non bis in idem tel qu'appliqué en droit du travail, d'éviter à coup sûr un licenciement disciplinaire. Pour autant, le fait que l'employeur ait reporté le point de départ de la mise à pied après l'issue des congés permettait, comme nous l'avons vu, au salarié d'être rémunéré durant ces congés alors qu'il ne l'aurait pas été pour une mise à pied justifiée, cela tout en préservant l'objectif de la mise à pied conservatoire consistant à écarter le salarié de son poste de travail en attendant l'éventuelle sanction.
S'il n'y a donc rien à redire, sur le plan procédural, à la décision adoptée, la question de la violation de l'obligation de sécurité laisse davantage perplexe.
Le manquement du salarié à l'obligation de ne pas mettre ses collègues en danger a déjà pu être jugé comme constituant une faute disciplinaire par la Cour de cassation, notamment dans des cas d'exposition de collègues aux fumées de tabac (14). S'il n'y a donc pas de nouveauté sur cet aspect, il ne devrait pas être nécessaire, par ailleurs, de s'interroger sur le caractère professionnel de l'obligation : par leur appréciation des faits, les juges du fond ont estimé que le salarié se trouvait encore au temps et au lieu du travail, ce qui justifiait le caractère professionnel de l'obligation.
On peut malgré tout s'interroger sur la signification de la précision apportée par la Chambre sociale s'agissant des circonstances de la violation de l'obligation de sécurité. En effet, celle-ci dispose qu'est caractérisé "un manquement du salarié à son obligation de ne pas mettre en danger, dans l'enceinte de l'entreprise, d'autres membres du personnel" (15). Pourquoi s'intéresser ici au lieu du manquement à l'obligation et non au temps de ce manquement ? Faut-il déduire de cette seule incidente que le salarié peut manquer à son obligation de sécurité en dehors de son temps de travail, lors d'une visite de courtoisie à ses collègues sur son temps de repos par exemple ? La question a d'autant plus d'intérêt que, dans les faits, le salarié avait terminé sa tournée, était rentré au dépôt, allait emprunter son véhicule pour rentrer chez lui, bref, semblait avoir terminé sa journée de travail.
Si l'on peut donc estimer que cette précision est insuffisante et qu'il aurait convenu que la Cour attache davantage d'importance au temps de l'accident, il est également possible de considérer, à l'inverse, que la précision du lieu de la violation de l'obligation était superflu. En effet, il est généralement considéré que les obligations accessoires au contrat de travail, telle l'obligation de sécurité, ne se trouvent pas suspendues durant la suspension du contrat de travail au contraire de l'obligation principale du salarié qui, pour sa part, cesse de s'exécuter durant la suspension (16). Si l'obligation n'est pas suspendue, elle demeure une obligation professionnelle y compris lorsque le salarié n'est pas sur son lieu de travail et ne se trouve pas au temps du travail (17). Peut-être n'était-il donc pas utile de rechercher si le manquement du salarié était survenu "dans l'enceinte de l'entreprise"...
(1) C. trav., art. L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ).
(2) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Dalloz, 26ème éd., 2011, p. 741.
(3) Par ex., Cass. soc., 9 mars 2011, n° 09-42.150, FS-P+B (N° Lexbase : A2470G9D).
(4) Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, P+B+R+I (N° Lexbase : A3179DWN) et les obs. d'O. Pujolar, Les correspondances privées reçues sur le lieu de travail ne relèvent pas du pouvoir disciplinaire de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 263 du 7 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N3660BB8), RDT, 2007, p. 527, note T. Aubert-Monpeyssen ; JCP éd. G, 2007, II, 10129, note G. Loiseau.
(5) Cass. soc., 27 septembre 2007, n° 06-43.867, FP-P+B+R (N° Lexbase : A5947DYW), RDT, 2007, p. 650, obs. G. Auzero ; JCP éd. S, 2007, II, 10188, note D. Corrignan-Carsin.
(6) Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 08-43.499, FS-P+B (N° Lexbase : A6257GMP) et nos obs., Le contrôle de la qualification de faute grave : refus de la modification du lieu de travail et propos désobligeants du salarié, Lexbase Hebdo n° 422 du 5 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N0336BRU).
(7) Pour une illustration récente de ce pragmatisme judiciaire, v. CA Douai, 31 mai 2011, n° 10/02589 (N° Lexbase : A2329HUS) et nos obs., Qualification de faute grave : illustration du pragmatisme judiciaire, Lexbase Hebdo n° 453 du 15 septembre 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7638BSP).
(8) Cass. soc., 26 février 1991, n° 88-44.908 (N° Lexbase : A9347AAG).
(9) Cass. soc., 19 juin 2002, n° 00-43.684, F-D (N° Lexbase : A9637AYL), Dr. soc., 2002, p. 865.
(10) Cf. note n° 5.
(11) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, préc., pp. 353 et s..
(12) Ibid. Ces auteurs montrent cependant une évolution qui pourrait aboutir à l'abandon de ce critère chronologique.
(13) C. trav., art. L. 3141-26 (N° Lexbase : L0576H99).
(14) Cass. soc., 1er juillet 2008, n° 06-46.421, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A4244D93) et nos obs., Le tabac nuit gravement... à l'emploi du salarié, Lexbase Hebdo n° 314 du 24 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6732BGG) ; RJS, 2008, 819, n° 1003; JCP éd. S, 2008, 1509, obs. A. Bugada ; SSL, 2008, n° 136, p. 14.
(15) Nous soulignons.
(16) J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, préc..
(17) Pour des illustrations à l'égard de l'obligation de loyauté, v. l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E3216ETB).
Décision
Cass. soc., 4 octobre 2011, n° 10-18.862, FS-P+B (N° Lexbase : A5970HYR) Rejet, CA Riom, 4ème ch., 17 novembre 2009, n° 09/00042 (N° Lexbase : A0282E7L) Textes visés : néant Mots-clés : obligation de sécurité du salarié, licenciement disciplinaire, procédure disciplinaire. Liens base : (N° Lexbase : E9171ESH) |
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