La lettre juridique n°755 du 27 septembre 2018 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Instance en cours au jour du jugement d’ouverture et contestation de créance

Réf. : Cass. com., 5 septembre 2018, n° 17-14.960, F-P+B+I (N° Lexbase : A3703X3K)

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N5499BXX

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice

le 26 Septembre 2018

Procédure collective / Contestation de créance / Instance en cours / Réponse à la lettre de contestation 

Le créancier, dont la créance est contestée, reçoit du mandataire judiciaire, ou selon le cas, du liquidateur, un courrier recommandé avec demande d’avis de réception, lui indiquant le motif de la contestation, la proposition de rejet de la créance, lui rappelant l’obligation de répondre dans le délai de 30 jours et la sanction attachée à l’absence de réponse, à savoir l’impossibilité de contester ultérieurement la décision du juge-commissaire si elle confirme la proposition de rejet du mandataire de justice. Cette sanction résulte de l’article L. 622-27 du Code de commerce (N° Lexbase : L7291IZ3).

 

Pour sa part, l’article L. 624-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L7295IZ9) dispose que, «au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit que l’instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence».

 

Il résulte notamment de ce dernier texte que le juge-commissaire se prononce sur le constat d’une instance en cours au vu des propositions du mandataire judiciaire.

 

En réalité, il appartient au créancier, qui se trouve dans les liens d’une instance en cours au sens de l’article L. 622-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L7289IZY), d’opérer un choix procédural au moment où il va déclarer sa créance. Soit il décide de se désister de son instance et de poursuivre la fixation de sa créance dans le cadre classique des opérations de vérification des créances en se soumettant à la décision du juge-commissaire, soit il décide de reprendre son instance en cours, laquelle a été interrompue par l’effet du jugement d’ouverture.  En ce dernier cas, il doit déclarer sa créance, en mentionnant qu’il se trouve dans une instance en cours, puis assigner en intervention forcée le mandataire judiciaire ou le liquidateur, selon le cas, aux fins de régulariser la procédure entamée contre le débiteur. 

 

Le mandataire judiciaire a alors l’obligation, lorsque le débiteur a mentionné qu’il était dans les liens d’une instance en cours, ce qui matérialise son intention de reprendre cette dernière, de préciser sur la liste des créances déclarées contenant ses observations, qu’il établit à la manière d’une procédure préliminaire d’instruction, afin de permettre au juge-commissaire de statuer sur la créance, en étant parfaitement éclairé, que la créance en cause fait l’objet d’une instance en cours.

 

Pour sa part, le juge-commissaire, informé que la créance en cause fait l’objet d’une instance en cours, n’a d’autre choix que de rendre une décision constatant que l’instance est en cours. La mention qu’il doit apposer est exhaustivement la suivante «Constat d’une instance en cours». Cette décision le dessaisit définitivement, ce qui est exclusif de la possibilité pour lui de surseoir à statuer.

 

Par conséquent, le juge-commissaire ne pourra pas statuer sur le fond de la créance déclarée et la procédure classique de vérification des créances, qui commence par l’examen de la régularité formelle et se poursuit par l’examen du fond de la créance déclarée, par le mandataire judiciaire, lequel recueille les observations du débiteur et, le cas échéant, des contrôleurs, ne pourra pas ici avoir lieu. 

 

En l’espèce, une société est mise en redressement judiciaire alors qu’était en cours, devant un tribunal, une instance tenant à sa condamnation au paiement d’une somme d’argent, instance l’opposant à une société de location financière.

Cette dernière a déclaré sa créance, objet de l’instance en cours, au passif. Le mandataire judiciaire, ensuite désigné liquidateur, l’a informée que sa créance était discutée et qu’elle entendait proposer son rejet au juge-commissaire, en l’invitant, de façon classique, à répondre dans le délai de 30 jours à la lettre de contestation. La société de location financière n’a pas répondu au courrier de contestation, puis a demandé au tribunal initialement saisi de fixer sa créance.

 

Curieusement, le tribunal va refuser cette demande qu’il va déclarer irrecevable au motif que le créancier n’avait pas répondu au courrier de contestation. La cour d’appel [1] va censurer la décision des premiers juges et c’est dans ces conditions que le liquidateur va se pourvoir en cassation, pour prétendre que l’absence de réponse à contestation de la créance interdisait au créancier de faire fixer sa créance devant la juridiction initialement saisie de l’instance.

 

Sans surprise, la Cour de cassation va rejeter cette argumentation et confirmer la décision rendue par la cour d’appel. Elle juge en effet que «c’est à bon droit que l’arrêt retient que l’article L 622-27 du Code de commerce, qui interdit aux créanciers, qui n’a pas répondu à l’avis du mandataire judiciaire dans le délai de 30 jours, de contester ultérieurement la proposition de ce dernier, n’a pas vocation à s’appliquer lorsque l’instance au fond était en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective du débiteur».

 

Divers arguments ont conduit inéluctablement la Cour de cassation à statuer ainsi.

 

Certes le texte de l’article L. 622-27 du Code de commerce sanctionne le créancier qui ne répond pas à la contestation en lui interdisant de contester ultérieurement la proposition du mandataire judiciaire.  Ce texte, pris isolément, pourrait conduire au résultat posé par le tribunal.

 

Cependant, ce texte doit immédiatement être rapproché de l’alinéa 2 de l’article L. 624-3 du Code de commerce, selon lequel «le créancier dont la créance est discutée en tout ou en partie qui n’a pas répondu au mandataire judiciaire dans le délai mentionné à l’article L. 622-27 ne peut pas exercer de recours contre la décision du juge-commissaire lorsque celle-ci confirme la proposition du mandataire judiciaire».

 

Il résulte par conséquent de la combinaison des articles L. 622-27 et L. 624-3 du Code de commerce que l’interdiction de contester la proposition du mandataire judiciaire ne porte que sur la décision du juge-commissaire qui confirme celle-ci. Elle ne porte pas sur la décision rendue par le tribunal, initialement saisi de l’instance en cours au jour du jugement d’ouverture, appelé à fixer la créance au passif, et qui déclare irrecevable la demande du créancier. Il y avait là incontestablement une première confusion commise par le liquidateur.

 

Ensuite, la logique juridique commande nécessairement la solution. En effet, il appartient au créancier, dans les liens d’une instance tendant au paiement d’une somme d’argent engagée contre le débiteur avant le jugement d’ouverture, c’est-à-dire une instance en cours au sens de l’article L. 622-22 du Code de commerce, d’opérer le choix procédural suivant : soit il se désiste de son instance en cours et se soumet intégralement à la procédure de  vérification des créances, soit il décide de reprendre son instance en cours, après avoir déclaré sa créance, mais alors il ne se soumet pas à la vérification des créances.

 

Par conséquent, si on applique le régime de l’instance en cours au jour du jugement d’ouverture, qui conduit à la fixation de la créance par le tribunal initialement saisi, il n’y a pas matière à vérification de la créance. Le mandataire judiciaire n’a donc pas à faire parvenir de courrier recommandé contestant la créance et imposant au créancier une réponse. La discussion sur la créance déclarée sera menée exclusivement devant le tribunal initialement saisi puisque, outre le créancier, seront présents à cette instance, le débiteur mais également le mandataire judiciaire, voire l’administrateur judiciaire ou le commissaire à l’exécution du plan, comme cela résulte des dispositions de l’article L. 622-22.

 

Puisque les procédures de fixation de la créance par le biais du régime des instances en cours et celle de vérification des créances sont inconciliables, on ne peut appliquer les obligations régissant la seconde à la première. Par conséquent, on ne peut davantage appliquer à la première les sanctions strictement réservées à la seconde.

 

C’est pourquoi, il est hors de propos d’interdire au créancier de faire fixer sa créance devant le tribunal initialement saisi au fallacieux prétexte qu’il n’aurait pas répondu à un courrier de contestation de sa créance, courrier qui n’aurait jamais dû être envoyé, le mandataire judiciaire s’étant incontestablement fourvoyé dans la procédure applicable au cas qu’il avait à traiter.

 

[1] CA Paris, Pôle 5, 10ème ch., 28 novembre 2016, n° 15/20197 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 36315910, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CA Paris, 5, 10, 28-11-2016, n\u00b0 15/20197, Infirmation", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A4000SLQ"}}).

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