La lettre juridique n°445 du 23 juin 2011 : Consommation

[Jurisprudence] Le recours collectif toujours inconnu du droit français ?

Réf. : Cass. civ. 1, 26 mai 2011, n° 10-15.676, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4819HSB)

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N5833BST

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

le 24 Juin 2011

Les demandeurs à une action contre Bouygues Télécom avaient déposé un pourvoi en cassation contre l'arrêt d'appel qui avait déclaré leur demande irrecevable (CA Paris, Pôle 5, 11ème ch., 22 janvier 2010, n° 08/09844 N° Lexbase : A2055ERK), confirmant le jugement de première instance (T. com. Paris, 6 décembre 2007, aff. n° 2006057440 N° Lexbase : A0700D3C). L'enjeu du procès était l'indemnisation des consommateurs de téléphonie mobile à la suite d'une pratique anticoncurrentielle constatée par le Conseil de la concurrence. Comme nous l'avions écrit dans notre précédente note commentant l'arrêt d'appel (lire N° Lexbase : N3035BS9), il s'agissait d'un contentieux de masse, qui repose indubitablement la question de l'efficacité des actions collectives en droit de la consommation. Les critiques seront d'autant plus vives qu'en l'espèce, pour cette action en indemnisation, le fait générateur était établi (en l'occurrence par une décision du Conseil de la concurrence, aujourd'hui Autorité de la concurrence depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR) et que se posait uniquement la question de la possibilité d'une action collective pour des dommages relativement peu importants. Faut-il pour autant blâmer les juges, comme il est si souvent d'usage en bien des domaines ? Sans doute pas puisque, pour l'essentiel c'est le pouvoir législatif qui s'est jusqu'à présent refusé à introduire une véritable action collective en droit français. Il faudra alors s'interroger également sur les hypothèses d'évolution du droit positif.

Dans cette affaire, les demandeurs (des particuliers) demandaient l'indemnisation du préjudice qu'ils avaient subi par le fait de ce qui avait été appelé le "cartel de la téléphonie mobile". On se souvient que le Conseil de la concurrence avait sanctionné les trois opérateurs français de téléphonie mobile pour entente dans une décision du 30 novembre 2005 (décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005, relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile N° Lexbase : X4568ADK) sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6583AIN) et 81 du Traité UE (aujourd'hui article 101 du TFUE N° Lexbase : L2398IPI). Si le consommateur voulait être indemnisé, seul un recours collectif était à même de lui permettre d'obtenir satisfaction. Un tel recours a pourtant été refusé dans la présente affaire.

Les faits de l'espèce relevaient du cas d'école. L'enquête avait permis de révéler le cas le plus typique des pratiques anticoncurrentielles, celui d'un accord sur les prix. La décision du Conseil relevait que les trois opérateurs s'étaient accordés pour stabiliser leurs parts de marché respectives et pour pratiquer des prix identiques, révélant ainsi une entente anticoncurrentielle et prohibée. Sur le fondement de l'article L. 464-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L5682G49), le Conseil prononçait en conséquence une amende d'un montant impressionnant, de 534 millions d'euros au total pour les trois opérateurs. Il relevait, également, que les pratiques en cause avaient facilité "la mise en place [...] de mesures défavorables aux consommateurs telles que la hausse du prix des communications et l'instauration de la facturation par paliers de 30 secondes après la première minute indivisible, enfin infligé pour ce seul grief une sanction de 442 millions d'euros en tenant compte de l'atteinte au surplus du consommateur". La condamnation est aujourd'hui définitive, la Cour de cassation l'ayant confirmée dans un arrêt du 29 juin 2007 (Cass. com., 29 juin 2007, n° 07-10.303, FS-P+B+I N° Lexbase : A9648DWA).

Cette décision apparaissait alors comme un appel aux consommateurs : reconnus expressément comme victimes de pratiques anticoncurrentielles, certains voulaient au-delà de cette victoire de principe, obtenir la réparation concrète de leur préjudice (tout comme les associations de consommateurs qui considéraient que si l'amende était d'un peu plus de 500 millions d'euros, le préjudice subi avoisinait le mémoire ce qui ne pouvait qu'inciter les plus cyniques à poursuivre leurs pratiques illicites). Il faut bien comprendre, en revanche, que, si le montant du préjudice porté à l'ensemble des consommateurs était énorme (les associations parlaient au total d'un milliard d'euros), le préjudice individuel de chaque consommateur était bien modeste (de l'ordre d'une centaine d'euros tout au plus, la plupart du temps quelques dizaines d'euros). Or, l'on n'agit pas en justice pour 20 euros, les frais et le temps perdu à préparer sa demande sont bien entendu sans commune mesure avec le gain escompté. Pour agir à titre individuel, il faut donc accepter de perdre de l'argent pour une "question de principe", diront certains. Dans cette perspective d'une multitude de petits dommages subis par de très nombreuses personnes, la seule action pertinente semblait être le recours collectif. Devant l'impossibilité de mettre en oeuvre des recours individuels bien trop coûteux, il est en effet nécessaire d'abaisser le coût de la procédure et donc de faire, comme nous l'avions écrit, des "économies d'échelle".

Le droit processuel français prévoit bel et bien un mécanisme de recours collectifs, mais dans des conditions particulièrement contraignantes. Le Code de la consommation donne ainsi qualité à agir aux associations de protection des consommateurs pour obtenir cessation d'agissements illicites (C. consom., art. L. 421-6 N° Lexbase : L6513ABT), pour recevoir indemnisation du fait de l'atteinte portée à l'intérêt collectif des consommateurs (C. consom., art. L. 421-1 N° Lexbase : L6814ABY), ou enfin pour représenter des consommateurs dans le cadre de leurs actions en justice (C. consom., art. L. 422-1 N° Lexbase : L6821ABA). C'est cette dernière action qu'avait mise en oeuvre l'association de consommateurs dans cette affaire mais avec une ambiguïté que chacun avait relevée et qui a justifié le rejet de l'action engagée, sans examen au fond.

L'article L. 422-1 du Code de la consommation dispose que "lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'un même professionnel, et qui ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national en application des dispositions du titre Ier peut, si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs. - Le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée. Il doit être donné par écrit par chaque consommateur".

L'action en représentation conjointe n'est cependant possible que si, c'est en tout cas l'interprétation de la jurisprudence, l'action est engagée à l'initiative de consommateurs qui mandatent une association pour les représenter dans l'instance en cours. Pour permettre une action sur ce fondement dans cette affaire, l'association a par conséquent fait en sorte qu'un premier consommateur assigne l'opérateur pour qu'elle puisse ensuite se joindre à la procédure sur le fondement de l'article L. 421-7 (N° Lexbase : L6514ABU cf. supra) et que d'autres encore la rejoignent. Elle présentait, ensuite, un mandat donné par chaque consommateur pour qu'elle puisse les représenter. L'arrêt de la Cour de cassation est rendu au visa de l'article L. 422-1, mais l'association UFC-Que Choisir était intervenue à l'instance introduite par un premier consommateur, conformément aux dispositions des articles L. 421-1 (dans l'intérêt collectif des consommateurs) et L. 421-7 (intervention à l'instance) du Code de la consommation pour obtenir paiement de dommages et intérêts à hauteur de l'atteinte à l'intérêt collectif des consommateurs estimé ici à 55 559,22 euros (et 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6906H7W) et l'indemnisation des préjudices particuliers de chaque consommateur partie à l'instance. Toutes ces personnes avaient le même avocat et l'association était seule maître de la procédure en demande.

Sur bien des plans, l'affaire dont il est question ici relevait des mécanismes de la "Class action" : l'association avait présenté sur son site internet un calculateur permettant à chacun d'évaluer son préjudice personnel ce qui l'incitait à se rapprocher de l'association pour engager une action en justice. La manoeuvre était en quelque sorte une mesure de publicité pour inciter les consommateurs qui s'estimaient lésés à rejoindre l'action.

Cette action avait été déclarée irrecevable par le tribunal de commerce de Paris, solution confirmée en appel. Le pourvoi contre cette seconde décision est rejeté par la Cour de cassation et l'action était donc bien semble-t-il irrecevable :

"mais attendu que la cour d'appel, après avoir constaté, par motifs propres et adoptés, que l'UFC Que choisir était, en réalité, l'initiatrice de la procédure, celle-ci qui savait ne pouvoir agir en introduisant l'instance et qui très rapidement avait pris conscience du caractère très limité du préjudice individuel de chaque abonné s'étant efforcée d'organiser et d'orchestrer l'assignation et les interventions volontaires des abonnés au mépris des interdictions de démarchage et d'appel au public qui y faisaient obstacle, ayant fait préalablement réaliser à cet effet un calculateur de préjudice et prévu sur son site internet la possibilité pour les internautes de souscrire un contrat d'engagement la mandatant pour agir en justice, mandat qui n'avait aucune réalité puisque l'association indiquait supporter toute la procédure et la conduire, a exactement retenu qu'elle n'avait pas respecté les dispositions de l'article L. 422-1 du Code de la consommation lequel, étranger à la préservation de l'image et de la présomption d'innocence, prohibe notamment tout appel public par moyen de communication de masse ou par lettre personnalisée".

La solution est exprimée en des termes clairs et complets qui permettent à la fois de bien comprendre la raison technique du rejet tout en rappelant les obstacles face auxquels le droit français place aujourd'hui le consommateur victime d'un "petit litige". L'arrêt d'appel est confirmé au motif que l'association aurait procédé à un appel à demandeurs illicite et n'aurait pas obtenu mandat pour agir en justice. L'arrêt n'est cependant pas confirmé sur l'ensemble de ses fondements : la loi du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) dispose que "Sera puni des peines prévues à l'article 72 [sanctions pénales] quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique. Toute publicité aux mêmes fins est subordonnée au respect de conditions fixées par le décret visé à l'article 66-6". On s'était interrogé sur la position de la cour d'appel. Selon elle, il était possible de prononcer l'irrecevabilité d'une assignation sur le fondement de ce texte qui ne prévoit qu'une peine d'amende ou d'emprisonnement pour le contrevenant et aucunement l'irrecevabilité d'actes pourtant présentés par le ministère d'un avocat, cet argument logiquement n'a pas été repris par l'arrêt de la Cour de cassation.

Pour ce qui est du démarchage public, les faits sont incontestables. C'est bien l'association qui est allée quérir les demandeurs dans cette action, construisant sur son site Internet un outil qui aidait les consommateurs à évaluer leur préjudice. L'outil était surtout un formidable mécanisme d'attraction des victimes pour une action civile. Une telle démarche est-elle souhaitable ? La question sera l'objet d'autres débats on l'espère, mais cette démarche peut en toute hypothèse être considérée comme actuellement illicite. L'article L. 422-1 du Code de la consommation dispose en effet que "le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée". Bien évidemment, la page internet n'est pas expressément visée (il faut rappeler que la rédaction de cet article du Code de la consommation date de 1973, modifié en 1993), mais l'on peut, comme l'ont fait les juges, retenir une conception plus extensive, plus proche sans doute de l'esprit du législateur de 1973, qui refusait de voir des sollicitations engagées avant par hypothèse qu'une décision de justice eut été rendue. Les arguments du pourvoi selon lequel "seule la préservation de l'image et de la présomption d'innocence de l'entreprise défenderesse justifie la prohibition de l'appel public" n'ont pas emporté la conviction de la Cour. Il n'y pas lieu, selon elle, de conditionner l'irrecevabilité de l'action à la preuve d'une atteinte à la présomption d'innocence ou à l'image de marque de l'entreprise. Là où la loi ne distingue pas, le juge n'est pas plus zélé.

Mais, plus important, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait surtout estimé que l'association était la véritable instigatrice de l'action en représentation conjointe. C'est incontestable mais ce faisant on pourrait être tenté de considérer qu'il y avait sans doute une manipulation processuelle qu'il fallait bien tenter. En premier lieu, pour s'assurer que le recours collectif en France, qu'il soit ou non masqué, est bien inexistant, et en second, lieu pour voire constater l'impasse législative dans laquelle le Code de la consommation place aujourd'hui les consommateurs victimes de préjudice minimes.

Nous avions écrit que cette action avait "indiscutablement permis de révéler les insuffisances du système français : triste constat alors, il est en France des préjudices colossaux qui ne peuvent être réparés". Les victimes d'un "préjudice de masse" n'ont qu'une option : laisser chacun engager seul une action pour récupérer une somme modeste au prix d'efforts processuels sans commune mesure ou que chaque victime mandate l'association mais sans que cette dernière puisse librement diriger la procédure dans l'intérêt de ses mandants. Sans doute faudra-t-il pour ce faire attendre alors l'intervention du Saint Esprit.

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