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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 24 Juin 2011
Lexbase : Pourquoi l'Autorité de la concurrence a-t-elle estimé nécessaire de publier ce communiqué sur les sanctions pécuniaires imposées en cas d'entente ou d'abus de position dominante ? Que contient-il ?
Marta Giner Asins et Yann Anselin : L'Autorité avait, depuis un certain temps, annoncé son intention de publier un communiqué, à l'instar de ceux publiés par la Commission, afin de clarifier les méthodes de calcul des sanctions qu'elle applique et augmenter la transparence à cet égard. Cependant, ce débat a pris une dimension inattendue fin 2009 et début 2010, lorsque la cour d'appel de Paris a réduit de manière très considérable les amendes imposées par l'Autorité dans certaines affaires (1), remettant ainsi en cause la méthode de calcul utilisée par cette dernière. Dans ce cadre, la ministre de l'Economie a créé une commission spécifique, dite" Mission Folz", avec pour mission d'établir un rapport sur les méthodes de calcul des sanctions en matière de concurrence et de formuler des propositions d'amélioration. C'est à la suite de ce rapport, rendu en septembre 2010, que l'Autorité a élaboré ses lignes directrices, qui prennent partiellement en compte les recommandations de la "Mission Folz", notamment en ce qui concerne l'amélioration de la transparence.
Pour rappel, les sanctions pécuniaires en cas d'entente ou d'abus de position dominante sont fixées par rapport aux critères légaux édictés à l'article L. 464-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L8294IBS) que sont la gravité des faits, l'importance du dommage à l'économie, la situation de l'entreprise sanctionnée et l'éventuelle réitération des pratiques.
Or, jusqu'à l'adoption du communiqué, aucun texte ne précisait l'application de ces notions. Il est donc pour l'essentiel revenu à la pratique décisionnelle de l'Autorité de préciser l'application de ces critères. Si celle-ci s'est étoffée au cours du temps sous le contrôle de la cour d'appel de Paris, la marge de manoeuvre ainsi laissée à l'Autorité était perçue comme excessive par les entreprises et régulièrement critiquée par la doctrine, dans la mesure, notamment, où elle empêchait l'instauration d'un véritable débat contradictoire sur la fixation des sanctions devant l'Autorité et rendait plus difficile l'exercice par les entreprises de leurs droits de la défense devant la cour d'appel de Paris.
Le communiqué vise à répondre à ces critiques en articulant une méthodologie de calcul des amendes opposable à l'Autorité. Cette méthodologie en plusieurs étapes repose, tout d'abord, sur la fixation d'un montant de base, qui est, par la suite, ajusté en fonction de différents facteurs.
Lexbase : Les objectifs d'accroissement de la transparence et d'enrichissement du contradictoire sont-ils, selon vous, atteints ?
Marta Giner Asins et Yann Anselin : Sur le fond, la transparence et le contradictoire sortent indéniablement renforcés par l'articulation des critères édictés à l'article L. 464-2 du Code de commerce autour d'une méthodologie explicite (voir questions 3 et 4). La portée de ces améliorations est en outre accrue par la valeur juridique contraignante du communiqué qui constitue une "directive administrative" en principe opposable à l'Autorité.
De façon plus générale, le fait que la nouvelle méthodologie adoptée par l'Autorité se rapproche considérablement de celle de la Commission européenne est également de nature à renforcer la transparence des sanctions, cette convergence permettant d'enrichir la pratique nationale de l'expérience et des enseignements acquis au niveau communautaire, même si ceux-ci ne s'imposent pas à l'Autorité.
Sur le plan procédural, la transparence et le contradictoire sortent également renforcés par la nouvelle obligation de l'Autorité de communiquer aux entreprises, lors de l'instruction, les principaux éléments de droit et de fait susceptibles d'influer sur le montant de la sanction. Ce nouveau dispositif, réclamé de longue date par les entreprises, devrait contribuer à instaurer enfin un débat contradictoire sur le calcul de l'amende. Un autre progrès notable est constitué par l'engagement pris par l'Autorité de prendre en compte, sous certaines conditions, les analyses économiques soumises par les parties et à faire état du résultat de celles-ci dans ses décisions.
Ces améliorations significatives ne doivent toutefois pas occulter certaines limites posées par le communiqué. Il convient, en effet, de garder à l'esprit que l'objectif de l'Autorité n'est pas de mettre en place un "barème mécanique" ; bien au contraire, elle entend conserver une marge de manoeuvre significative dans l'appréciation des sanctions, ce qui constitue une limite incontestable, bien qu'encadrée, à la transparence et au contradictoire.
Au reste, cette marge de manoeuvre est imposée tant par le Code de commerce lui-même (l'article L. 464-2 imposant que les sanctions reflètent la situation de l'entreprise sanctionnée), que par l'objectif de dissuasion recherché par l'Autorité, qui impose qu'une certaine imprévisibilité des sanctions soit maintenue.
En pratique, la marge de manoeuvre de l'Autorité se traduit notamment par la grande latitude dont elle dispose pour fixer le montant de base, celui-ci devant simplement se situer dans une fourchette comprise entre 0 et 30 % de la valeur des ventes (questions 3 et 4). En filigrane, elle s'exprime aussi par l'imprécision de certaines notions employées dans le communiqué, permettant à l'Autorité d'accroître sensiblement le montant des sanctions, en particulier à l'encontre des grands groupes (question 5).
Lexbase : Quels sont les "points clés" de ce document ?
Marta Giner Asins et Yann Anselin : Les points clés du nouveau système sont les suivants :
- La communication aux entreprises, au stade du rapport, des principaux éléments de droit et de fait susceptibles d'influer sur le montant de la sanction. Il s'agit là d'une innovation majeure de la nouvelle approche adoptée dans le communiqué, même si on peut regretter que l'Autorité n'ait pas choisi la possibilité d'un échange écrit sur ces éléments (voir question n° 2) ;
- la détermination d'un "montant de base" de l'amende dans une fourchette comprise entre 0 et 30 % de la valeur des ventes ;
- l'instauration d'un "seuil plancher" de 15 % pour les infractions les plus graves au droit de la concurrence ;
- la prise en compte de la durée de l'infraction avec augmentation annuelle de 50 % du montant de base dès la deuxième année d'infraction ;
- l'individualisation de l'amende en fonction de divers éléments dont les circonstances aggravantes et/ou atténuantes ;
- l'augmentation de 15 à 50 % d'augmentation de l'amende en cas d'atteinte répétée au droit de la concurrence.
Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer quelle est la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ? Quelles modifications induit-elle ?
Marta Giner Asins et Yann Anselin : Le communiqué ordonne, désormais, les critères de l'article L. 464-2 du Code de commerce de façon systématique.
En résumé :
- les critères de gravité et de dommage à l'économie servent à présent à calculer un "montant de base" de l'amende (1) ;
- ce montant de base est ensuite, le cas échéant, majoré pour tenir compte de la durée des pratiques excédant une année (2) ;
- puis individualisé à la hausse ou à la baisse au regard des circonstances propres à chaque entreprise (3) ;
- enfin, l'Autorité tient éventuellement compte de l'existence d'une réitération (4) ;
- et procède, le cas échéant, à des ajustements finaux tenant éventuellement compte d'une demande de clémence de l'entreprise (5).
Revenons sur chacun de ces éléments.
Détermination d'un montant de base de l'amende au regard de la gravité des pratiques et du dommage à l'économie. S'agissant du calcul de l'amende proprement dit, l'innovation majeure apportée par le communiqué réside dans l'introduction d'un mode de calcul de l'amende axé autour de la détermination préalable d'un "montant de base" compris entre 0 et 30 % de la valeur des ventes de catégories de produits ou de services en relation avec les pratiques. Le communiqué précise qu'il s'agit, en principe, des ventes réalisées en France au cours du dernier exercice comptable complet de participation de l'entreprise à l'infraction.
Par ailleurs, le montant de base ne peut être inférieur à 15 % de la valeur de ces ventes dans le cas des accords horizontaux entre concurrents ayant pour objet une fixation des prix, une répartition des marchés ou des clients, ou encore une limitation de la production. Au delà, l'Autorité se réserve le droit d'appliquer ce seuil plancher dans le cas d'autres pratiques anticoncurrentielles d'une "gravité particulière".
Majoration du montant de base pour les infractions d'une durée supérieure à un an. Le "montant de base" ainsi obtenu est ensuite modulé en fonction de la durée de l'infraction. A cet égard, le communiqué clarifie considérablement la pratique antérieure, qui ne permettait pas d'apprécier de façon précise la manière dont l'Autorité prenait en compte la durée des infractions aux règles de la concurrence dans le calcul des sanctions pécuniaires.
En pratique, il fait ainsi l'objet d'une majoration annuelle de 50 %, dès la deuxième année d'infraction. Par ailleurs, au-delà de la dernière année complète de participation à l'infraction, la période restante est prise en compte au mois près.
Individualisation du montant de base. D'abord, le montant obtenu après prise en compte de la durée peut ensuite être revu à la hausse ou à la baisse en fonction, notamment, de circonstances atténuantes ou aggravantes. Comme sous l'empire de l'ancien système, les circonstances atténuantes sont définies de façon restrictive et ne devraient conduire qu'exceptionnellement à une réduction du montant des sanctions infligées. S'agissant des circonstances aggravantes, outre les critères traditionnels que sont le rôle joué dans l'infraction ou la mise en oeuvre de contraintes, la "capacité d'influence" ou l'"autorité morale" particulières pourront également conduire à une majoration de la sanction, ce qui constitue assurément un critère plus flou.
Par ailleurs, d'autres "éléments d'individualisation", tels la taille ou la puissance économique de l'entreprise, son appartenance ou non à un groupe européen ou international, la diversité de ses activités, pourront encore être pris en compte par l'Autorité pour augmenter le montant de base de l'amende.
Le communiqué prévoit également une possibilité de révision à la baisse du montant de base lorsque l'entreprise concernée mène l'essentiel de son activité sur le marché en relation avec l'infraction (entreprise "mono-produit") ou lorsqu'elle rencontre des difficultés financières particulières.
Majoration de 15 à 50 % en cas d'infraction répétée aux règles de concurrence. Le communiqué précise encore que le constat d'une précédente infraction identique ou similaire au droit de la concurrence doit être pris en compte de manière autonome et conduit à majorer le montant de l'amende imposé à une entreprise, dans une fourchette comprise entre 15 et 50 %, à condition que ce constat soit devenu définitif à la date à laquelle l'Autorité statue sur la nouvelle pratique et que le délai séparant les deux pratiques soit inférieur à 15 ans. Ces éléments traduisent une approche particulièrement large vis-à-vis de la réitération.
Ajustements finaux et prise en compte d'une éventuelle demande de clémence. En dernier lieu, l'Autorité vérifie que la sanction issue des étapes précédentes ne dépasse pas le maximum légal (10 % du chiffre d'affaires mondial de l'entreprise ou, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient).
Après cette vérification, elle peut également tenir compte de l'exonération ou de la réduction de sanction dont une entreprise ou un organisme bénéficie au titre du programme de clémence ou de la procédure de non-contestation des griefs.
Lexbase : La méthodologie proposée porte-t-elle en germe certains risques juridiques ?
Marta Giner Asins et Yann Anselin : Comme tout nouveau texte, la méthodologie de calcul adoptée par l'Autorité suscite de nombreuses interrogations, ce d'autant plus que le communiqué introduit des éléments de détermination des sanctions qui n'ont jusque là jamais été appliqués en France.
S'il est trop tôt pour évaluer de façon précise l'étendue des risques entraînés, plusieurs facteurs objectifs peuvent en tout état de cause laisser craindre une inflation considérable du montant des amendes. Ainsi en est-il :
- d'abord, de la marge d'appréciation importante dont dispose l'Autorité de la concurrence pour la détermination du montant de base de l'amende, compris entre 0 à 30 % de la valeur des ventes de produit en relation avec la ou les pratiques sanctionnées. Si l'Autorité se doit de justifier, au regard de la gravité des pratiques et du dommage à l'économie, dans quelle "tranche" de cette fourchette elle choisit de fixer le montant de base, sa latitude reste néanmoins significative à cet égard ;
- ensuite, de l'instauration d'un "seuil plancher" de 15 %, susceptible d'être appliqué par l'Autorité dès que les pratiques en cause revêtent une "gravité particulière". A titre d'exemple, dans l'affaire de la "téléphonie mobile", l'application du simple seuil de 15 % aurait eu pour conséquence, pour l'infraction d'entente horizontale de répartition du marché, de multiplier par plus de 800 % le montant de la sanction (2), soit 3.5 milliards d'euros au lieu de 442 millions d'euros. La fixation de ce plancher est particulièrement critiquable, dans la mesure où il fait prévaloir le critère de la gravité des pratiques sur d'autres critères, tels que le dommage à l'économie : en effet, il est possible de s'interroger sur l'approche qu'adoptera l'Autorité dans le cas d'une infraction grave mais qui aurait entraîné un dommage à l'économie limité. En théorie, l'Autorité serait en toute hypothèse contrainte d'appliquer le "droit d'entrée" de 15 %, en dépit d'un dommage à l'économie peu important, relativisant ainsi l'importance de ce critère.
Par ailleurs, dans le cas des entreprises "mono-produit" actives uniquement en France, l'application du seuil de 15 % entraînera automatiquement le dépassement du maximum légal de 10 % du chiffre d'affaires global. En pratique, cela implique que, pour ces entreprises, le seuil sera en réalité de 10 %, ce qui donne lieu à une situation inégalitaire par rapport aux autres entreprises ;
- enfin, de la majoration considérable du montant de base pour les infractions de longue durée. Ce critère pourrait avoir des effets particulièrement importants d'inflation des amendes, d'autant plus que parfois la durée des pratiques est difficile à apprécier (par exemple dans le cas des cartels mis en oeuvre de manière intermittente) et que l'Autorité a, dans certaines affaires, interprété de manière large la notion d'infraction unique et continue.
Ce risque semble particulièrement sensible pour les grands groupes pour au moins deux raisons.
Tout d'abord, la taille de l'entreprise paraît pouvoir être prise en compte à plusieurs titres afin d'augmenter le montant de l'amende. Ainsi, alors que le fait qu'une entreprise jouisse d'une "capacité d'influence" ou d'une "autorité morale particulières" constitue une circonstance aggravante, le Communiqué prévoit que l'Autorité peut également adapter le montant de base à la hausse, au titre des "autres facteurs d'individualisation" de l'amende, lorsque l'entreprise concernée dispose d'"une taille, d'une puissance économique ou de ressources globales importantes, notamment par rapport aux autres auteurs de l'infraction". En l'absence de définition précise de ces termes par l'Autorité, il semble donc bien exister un risque que les grands groupes soient pénalisés plusieurs fois à raison de leur seule importance économique et financière sur le marché.
Par ailleurs, la notion large de réitération retenue par le communiqué est susceptible d'impacter tout particulièrement les grands groupes multinationaux. Par exemple, dans le cas notamment des groupes de sociétés, une entreprise peut légitimement ignorer que l'une des autres sociétés de son groupe a été précédemment condamnée.
En conclusion, la mise en oeuvre du communiqué devrait ainsi aboutir à un risque concurrence plus important pour les entreprises, non seulement en raison de la probable inflation des sanctions, mais également du fait que les demandes de clémence pourraient devenir plus fréquentes. Les entreprises devraient ainsi être encore davantage encouragées à mettre en place des programmes de sensibilisation et de conformité en interne afin de réduire ce risque dans toute la mesure du possible.
(1) Particulièrement dans l'affaire du cartel du négoce de l'acier, CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 19 janvier 2010, 2009/00334 (N° Lexbase : A4542EQB).
(2) En comptant l'incidence de la durée, qui s'ajoute au seuil de 15 %.
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