Réf. : Cass. civ. 3, 1er juin 2011, n° 10-18.855, FS-P+B (N° Lexbase : A3136HTC)
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par Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Baux commerciaux"
le 24 Juin 2011
1 - Faits
En l'espèce, des locaux commerciaux avaient été donnés à bail à des époux en 1992. Ces derniers avaient divorcé par jugement du 17 décembre 1997. Le bailleur leur avait ensuite délivré congé sans offre de renouvellement ni indemnité d'éviction par acte du 23 avril 2007, en invoquant le défaut d'immatriculation au registre du commerce de l'époux. L'épouse a alors assigné le bailleur, en présence de son ex-époux, en paiement d'une indemnité d'éviction. Les juges du fond ayant fait droit à cette demande, le bailleur s'est pourvu en cassation. Il soutenait que le défaut d'immatriculation de l'un des cotitulaires du bail devait priver l'ensemble des copreneurs du bénéfice du statut des baux commerciaux.
2 - L'immatriculation, condition du droit au renouvellement
Aux termes de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L2327IBS), les dispositions du statut des baux commerciaux "s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce".
Si ce texte pourrait être interprété comme érigeant la condition de l'immatriculation en condition d'application du statut des baux commerciaux, la Cour de cassation a précisé que l'immatriculation du preneur n'était une condition du bénéfice du statut des baux commerciaux que pour le renouvellement du bail (Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842 N° Lexbase : A1903ACH ; Cass. civ. 3, 1er octobre 2003, n° 02-10.381, FS-P+B N° Lexbase : A6682C9D ; Cass. civ. 3, 11 décembre 2007, n° 06-21.926, F-D N° Lexbase : A0805D39).
A défaut de respecter cette condition, le locataire, qui n'est pas régulièrement immatriculé, ne peut se prévaloir d'un droit au renouvellement et au paiement d'une indemnité d'éviction.
3 - La date de l'immatriculation
Le preneur devra être immatriculé à la date de délivrance du congé (Cass. civ. 3, 18 octobre 2005, n° 04-15.348 [LXB= A0309DLZ] ; Cass. civ. 3, 1er avril 2008, n° 07-12.289, F-D N° Lexbase : A7711D7Q) ou de sa demande de renouvellement (Cass. civ. 3, 1er juin 2010, n° 08-21.795, F-D N° Lexbase : A2117EY3) et jusqu'à la date d'expiration du bail, mais non pendant le cours de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé (Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE et Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9 ; voir contra, avant ces arrêts, Cass. civ. 3, 27 mars 2002, n° 00-21.685, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3892AYS).
4 - L'immatriculation en présence de copreneurs
4.1 - Le principe : l'exigence de l'immatriculation de tous les copreneurs
Dans le silence, initial, des textes, la Cour de cassation avait été amenée à se prononcer sur la condition de l'immatriculation en présence de copreneurs.
Si aucun n'est immatriculé, les copreneurs ne pouvaient invoquer un droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 11 décembre 1991, n° 90-19.553 N° Lexbase : A3005ABW).
L'immatriculation d'un ou plusieurs cotitulaires du bail était en outre, en principe, insuffisante, s'ils n'étaient pas tous immatriculés (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-12.879 N° Lexbase : A8903AAY ; Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-12.472 N° Lexbase : A0026AUI ; Cass. civ. 3, 1er avril 2008, n° 07-12.289, F-D N° Lexbase : A7711D7Q), y compris ceux qui n'exploitaient pas le fonds de commerce (Cass. civ. 3, 9 novembre 1983, n° 81-16.747 N° Lexbase : A3716AGQ ; Cass. civ. 3, 15 mai 1991, n° 90-10.884 N° Lexbase : A4740ACK). Ces derniers doivent alors être inscrits en qualité de copropriétaires du fonds non exploitant (Cass. civ. 3, 14 novembre 2007, n° 06-19.062, FS-P+B N° Lexbase : A5935DZT), immatriculation qui a été jugée suffisante (Cass. civ. 3, 15 juin 2005, n° 04-11.322, FS-P+B N° Lexbase : A7578DII).
Les époux copreneurs mariés sous le régime de la séparation de biens étaient également soumis à cette exigence (Cass. civ. 3, 24 mai 2000, n° 98-22.732 N° Lexbase : A8752AHM ; cf., également, Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9 ; Cass. civ. 3, 31 octobre 2000, n° 97-20.732 N° Lexbase : A0294AUG).
Le défaut d'immatriculation d'un seul copreneur faisait perdre le droit au renouvellement et au règlement de l'indemnité d'éviction à tous les copreneurs, même à ceux qui étaient immatriculés (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-14.984 N° Lexbase : A8962AA8 ; Cass. civ. 3, 21 mars 2006, n° 05-12.919, F-D N° Lexbase : A8086DNS).
4.2 - Les tempéraments à l'exigence d'une immatriculation de tous les copreneurs
La Cour de cassation avait, toutefois, introduit des tempéraments à cette exigence de l'immatriculation de tous les copreneurs. Elle avait ainsi précisé que "la qualité de commerçant immatriculé au registre du commerce, au sens de l'article 1er du décret du 30 septembre 1953, n'est requise qu'en la personne de celui des époux communs en biens ou de celui des membres d'une indivision successorale qui exploite le fonds pour le compte et dans l'intérêt commun des époux ou des indivisaires" (Cass. civ. 3, 3 juillet 1979, n° 77-11.445 N° Lexbase : A3321AG4). Cette solution a été réaffirmée ensuite de manière plus lapidaire : "le défaut d'immatriculation de l'un des cotitulaires du bail prive l'ensemble des copreneurs du bénéfice du statut [...], sauf si les copreneurs sont des époux communs en biens ou des héritiers indivis" (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-14.984 N° Lexbase : A8962AA8 ; Cass. civ. 3, 15 mai 1991, n° 90-10.884 N° Lexbase : A4740ACK ; Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-12.472 N° Lexbase : A0026AUI).
Dans ce cas, l'immatriculation du seul époux exploitant était suffisante (Cass. civ. 3, 8 mai 1979, n° 77-15.885 N° Lexbase : A3327AGC).
Il avait également été jugé qu'en cas de divorce d'époux qui étaient mariés sous le régime de la séparation de biens, chacun des ex-époux coindivisaires devait être immatriculé dès lors que le fonds de commerce exploité dans les lieux loués était demeuré dans l'indivision après le divorce (Cass. civ. 3, 1er juin 1994, n° 92-11.232 N° Lexbase : A6778ABN).
S'agissant d'époux divorcés, précédemment mariés sous le régime de la communauté, la cour d'appel de Paris avait considéré que pendant la période d'indivision post-communautaire, ils se trouvaient dans la même situation que les époux séparés de biens ou de tout copreneur du fonds exploité dans les lieux loués et acquis en indivision entre eux : chacun des époux divorcés devait donc être immatriculé pour bénéficier d'un droit au renouvellement (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 27 juin 2007, n° 05/13713 N° Lexbase : A4452DYK). Cette approche pouvait être critiquée dans la mesure où l'indivision post-communautaire est, en principe, régie par les règles applicables à l'indivision successorale et que, dans ce type d'indivision, il avait été jugé qu'il suffisait que le membre de l'indivision successorale, qui exploite le fonds pour le compte et dans l'intérêt commun des indivisaires, soit immatriculé (Cass. civ. 3, 3 juillet 1979, n° 77-11.445, préc.).
L'arrêt rapporté consacre une solution différente. En effet, la Cour de cassation y affirme que pendant la période d'indivision post-communautaire, dès lors que les époux divorcés étaient mariés sous le régime de la communauté, il suffit que l'époux qui exploite le fonds de commerce dans l'intérêt de l'indivision soit immatriculé.
Cette solution est à rapprocher des nouvelles règles issues de l'article 42 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR), dite "LME", entrée en vigueur le 6 août 2008, qui a modifié les solutions dégagées précédemment par la jurisprudence. Ces nouvelles règles n'étaient pas applicables à l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt du 1er juin 2011.
L'article L. 145-1 du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi LME, dispense en effet d'immatriculation, au regard du statut des baux commerciaux, les copreneurs ou coindivisaires non exploitants du fonds, sans distinction de la nature du lien juridique unissant les copreneurs ou coindivisaires. En revanche, et a contrario, le ou les copreneurs qui exploitent le fonds doivent être immatriculés.
L'article L. 145-1 du Code de commerce, modifié par la "LME", prévoit, par ailleurs, une dispense d'immatriculation des coindivisaires en cas de décès du titulaire du bail lorsque les héritiers ou ayants droit, bien que n'exploitant pas de fonds de commerce ou de fonds artisanal, demandent le maintien de l'immatriculation de leur ayant cause pour les besoins de sa succession.
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