La lettre juridique n°445 du 23 juin 2011 : Urbanisme

[Questions à...] Le nouveau champ d'application de l'étude de sécurité publique - Questions à Jean-Joseph Giudicelli - avocat senior au sein du cabinet AdDen avocats

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 24 Juin 2011

Le décret n° 2011-324 du 24 mars 2011, relatif aux études de sécurité publique (N° Lexbase : L8825IPK), entré en vigueur le 1er juin 2011 (sauf dans les cas particuliers prévus au II et III de son article 4), vise à étendre le champ d'application des études de sécurité prévues par l'article L. 111-3-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9194HWG). Les études de sécurité publique ont, notamment, pour objet d'apprécier les conséquences de ses opérations sur la protection des personnes et des biens, avant le commencement des travaux. Il abaisse, également, de 100 000 à 70 000 m² le seuil de la surface hors oeuvre nette (SHON) retenue pour soumettre les opérations d'aménagement à étude de sécurité. En outre, les études de sécurité publique viseront, dorénavant explicitement les extensions d'un établissement recevant du public (ERP). Pour faire le point sur les apports de ce décret, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Jean-Joseph Giudicelli, avocat senior au sein du cabinet AdDen avocats. Lexbase : Tout d'abord, pouvez-vous nous rappeler l'objectif assigné aux études de sécurité publique ?

Jean-Joseph Giudicelli : L'objectif de ce dispositif est de faire en sorte que la prévention de la malveillance dans l'urbanisme et la construction soit prise en compte par les maîtres d'ouvrage au même titre que le développement durable, les qualités environnementales, urbaines et sociales. Par malveillance, l'on entend les incivilités, le vandalisme, la délinquance ou la criminalité, mais aussi le risque terroriste (1). Bien évidemment, cette prise en compte sera protéiforme en fonction de l'opération et de son contexte géographique, urbanistique, social...

Les enjeux de sécurité publique sont, ainsi, différents si l'opération est située dans un quartier sensible ou si elle est implantée dans une zone touristique. Dans le même sens, l'implantation d'un collège ne pose pas les mêmes questions en matière de sécurité publique que celle d'un centre commercial. L'intérêt de l'étude est donc d'étudier les interactions entre le projet et son environnement en matière de sécurité publique (risques induits par le projet et risques pesant sur celui-ci), puis d'envisager les mesures permettant d'y faire face.

Par ailleurs, le fait de s'interroger en amont de la réalisation d'un projet, notamment, sur la nécessité de mettre en place des équipements de sécurité (l'on pense, par exemple, à la vidéoprotection), permet d'intégrer ces équipements plus efficacement, mais aussi plus harmonieusement à celui-ci. Dans ce cadre, l'étude de sécurité publique doit permettre d'engager, préalablement à la réalisation des travaux, un dialogue sur ces différents points entre le maître d'ouvrage et l'administration par le biais, notamment, de la consultation de la sous-commission départementale pour la sécurité publique créée au sein de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité.

Lexbase : Le décret du 24 mars 2011 étend le champ d'application de la procédure d'étude de sécurité publique. Quels changements cela implique-t-il ?

Jean-Joseph Giudicelli : Je dirai que le nouveau champ d'application de l'étude de sécurité publique est à la fois plus large et plus précis. Il est plus large, tout d'abord, parce qu'il concerne de nouveaux types d'opérations. Fait, ainsi, son apparition l'hypothèse où, dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, une opération de construction a pour effet de créer au moins 70 000 m² de SHON. Sont, également, nouvellement concernés par l'obligation de réalisation d'une étude de sécurité publique, les projets de rénovation urbaine comportant la démolition d'au moins 500 logements et qui sont désignés par arrêté préfectoral du fait de leurs incidences en matière de sécurité publique (l'on peut imaginer que cette nouvelle disposition vise, notamment, les destructions de "tours" d'habitation dans les quartiers sensibles).

Il est, également, plus étendu en ce qu'il concerne, plus largement qu'auparavant, les opérations d'aménagement. Lorsqu'elles sont situées dans une agglomération de plus de 100 000 habitants, celles-ci sont, désormais, soumises à étude de sécurité publique dès qu'elles ont pour effet de créer ("en une ou plusieurs phases" précise le texte) plus de 70 000 m² de SHON alors que, dans l'ancienne version de l'article R. 111-48 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L8842IP8), ce seuil était fixé à 100 000 m² de SHON. Il en va de même des ERP qui n'étaient auparavant soumis à cette étude, par principe, que s'ils faisaient partie de la première catégorie et se trouvaient dans une agglomération de plus 100 000 habitants (2) et qui sont, désormais, obligatoirement concernés au titre de la deuxième catégorie, voire, pour certains établissements, de la troisième catégorie et en dehors des agglomérations de plus de 100 000 habitants (3).

L'on note, également, une nette amélioration de la précision de la rédaction de l'article R. 111-48 du Code de l'urbanisme, dont l'ancienne rédaction, qui avait, certes, l'avantage d'une certaine simplicité, laissait, cependant, subsister quelques points sujets à interprétation. A cet égard, c'est certainement la question des travaux sur des établissements recevant du public existant qui posait le problème le plus sérieux en pratique. L'ancienne version de l'article R. 111-48 faisait, ainsi, référence à la "création d'un établissement recevant du public de première catégorie".

Des décisions du juge administratif, intervenues à propos de dispositions analogues (4), invitaient alors à une lecture littérale de ce texte en considérant que l'utilisation du terme "création" visait uniquement l'hypothèse de la constitution d'un nouvel établissement et ne concernait donc pas l'extension d'un ERP existant. Mais que fallait-il alors penser des cas où, par exemple, un projet d'extension d'un centre commercial avait pour effet de transformer un ERP de deuxième catégorie (ou inférieure) en ERP de première catégorie ou, encore, si le projet d'extension du centre comportait en son sein la création d'un ERP de première catégorie autonome...

La nouvelle rédaction tente opportunément de clarifier ces différents points en ajoutant aux cas de "création" d'ERP soumis à étude de sécurité publique les hypothèses de "travaux et aménagements soumis à permis de construire exécutés sur un établissement recevant du public existant de première ou de deuxième catégorie ayant pour effet soit d'augmenter de plus de 10 % l'emprise au sol, soit de modifier les accès sur la voie publique". L'on peut, cependant, s'interroger sur la pertinence de l'utilisation de certaines expressions... A quoi correspondent, ainsi, ces "aménagements" qui seraient soumis à permis de construire, alors que le champ d'application du permis de construire ne concerne que les constructions et les travaux ...

Il faut, en tout cas, noter qu'il s'agit là d'une extension très importante des travaux qui seront, désormais, soumis à l'obligation de réalisation d'une étude de sécurité publique en espérant que le surcroît d'activité généré n'aura pas pour effet de nuire à l'efficacité du contrôle qui sera effectué par la sous-commission pour la sécurité publique sur la qualité de ces études. Précisons, toutefois, que, contrairement à ce que pourrait laisser penser à première vue cette disposition, la seule modification des accès sur la voie publique ne devrait impliquer que rarement la réalisation d'une étude de sécurité publique, dès lors qu'en principe ce type de travaux n'est pas soumis à permis de construire (le plus souvent, le projet ne sera, ainsi, soumis à étude de sécurité publique que si la modification des accès sur la voie publique se trouve intégrée à un projet de construction plus important).

Lexbase : Le décret modifie également le contenu de ce document. Quelle en sera dorénavant la teneur ?

Jean-Joseph Giudicelli : Effectivement, le contenu de l'étude de sécurité publique est modifié corrélativement à l'extension du champ d'application de cette étude. Il faut rappeler, à cet égard, que l'étude de sécurité publique comporte trois parties : le diagnostic qui porte, en principe, sur "le contexte social et urbain", ainsi que sur "l'interaction entre le projet et son environnement immédiat", l'analyse des risques du projet, et les mesures envisagées pour y faire face.

Or, dès lors que le champ d'application de l'étude de sécurité publique est désormais étendu à certaine extension ou modification des ERP existants, il était logique d'en adapter le contenu dans ce cas particulier. C'est pourquoi, la nouvelle version de l'article R. 111-49 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L4031IQD) précise in fine que, dans cette hypothèse, la partie diagnostic de l'étude porte uniquement sur "l'interaction entre le projet et son environnement immédiat". De plus et surtout, le nouveau texte ajoute que, "si une étude a été réalisée depuis moins de quatre ans pour le même établissement", la nouvelle étude ne concerne alors que "la partie de l'établissement donnant lieu à la modification de plus de 10 % de l'emprise au sol ou modifiant l'accès sur la voie publique".

Dans cette mesure, l'on peut ainsi dire que le contenu de l'étude de sécurité est désormais à géométrie variable, et l'on ne peut que s'en réjouir. En effet, il ne serait pas raisonnable et, d'ailleurs, inutile de demander à un maître d'ouvrage de refaire une étude de sécurité publique complète chaque fois qu'il entend modifier un peu substantiellement son établissement. Notons, enfin, que le nouveau texte précise, par ailleurs, expressément que l'étude de sécurité doit se prononcer sur "l'opportunité d'installer ou non un système de vidéoprotection".

Lexbase : Enfin, quelles sont les opérations auxquelles les dispositions des articles R. 111-48 et R. 111-49 du Code de l'urbanisme résultant du décret demeurent inapplicables ?

Jean-Joseph Giudicelli : Comme nous l'avons vu, le champ d'application de l'étude de sécurité publique est largement étendu dans le cadre de la nouvelle rédaction de l'article R. 111-48 du Code de l'urbanisme issue du décret du 24 mars 2011. Force est, cependant, de constater qu'il continue de concerner uniquement soit des opérations d'aménagement ou de constructions très importantes (le seuil de 70 000 m² de SHON reste très élevé, de sorte que seules des opérations de grande envergure se trouvent concernées), soit des opérations considérées comme sensibles du point de vue de la sécurité publique (ERP et, en particulier, les établissements d'enseignement et les gares). Il en résulte, notamment, que les programmes d'habitation et de bureaux (qui ne constituent pas en principe des ERP) sont exclus du champ d'application de cette disposition dès lors qu'ils n'atteignent pas le seuil de 70 000 m².

Ce point ne nous paraît pas choquant dès lors que, comme nous l'avons déjà indiqué, une définition trop large du champ d'application de l'étude de sécurité publique serait de nature à empêcher l'administration de se concentrer sur les opérations pour lesquelles les enjeux sont réellement importants. Il convient, d'ailleurs, de préciser sur ce point que l'ensemble des programmes de logements et de bureaux qui sont aujourd'hui réalisés à l'intérieur d'opérations d'aménagement plus larges sont, également, d'une certaine manière, indirectement soumis à la procédure d'étude de sécurité publique par ce biais.


(1) Circulaire INT/CAB, n° 07/00103 du 1er octobre 2007 (N° Lexbase : L7111HYZ), relative à l'application de l'article L. 111-3-1 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L9194HWG).
(2) Les ERP de première catégorie sont ceux dont l'effectif du public reçu est supérieur à 1 500 personnes.
(3) La nouvelle rédaction de l'article R. 111-48 prévoit, par principe, que les "établissements d'enseignement du second degré" sont soumis à la réalisation d'une étude de sécurité de publique jusqu'à la troisième catégorie sur l'ensemble du territoire national, de même que les "gares ferroviaire, routière, ou maritime" de première et deuxième catégorie. Les ERP de deuxième et de troisième catégorie sont ceux dont l'effectif du public reçu est respectivement compris entre 701 et 1 500 personnes et 301 et 700 personnes.
(4) Le juge administratif a, ainsi, considéré dans la matière de l'urbanisme commercial qu'un texte visant les seules créations n'est pas applicable en cas de simple modification (CE 4° et 5° s-s., 5 avril 2006, n° 269883, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9460DNP).

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