La lettre juridique n°445 du 23 juin 2011 : Santé

[Questions à...] L'indemnisation par la cour d'appel de Versailles d'une victime de la troisième génération du distilbène - Questions à Martine Verdier, avocat au barreau d'Orléans, SELARL Verdier & associés

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N5794BSE

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[Questions à...] L'indemnisation par la cour d'appel de Versailles d'une victime de la troisième génération du distilbène - Questions à Martine Verdier, avocat au barreau d'Orléans, SELARL Verdier & associés. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4731880-questionsalindemnisationparlacourdappeldeversaillesdunevictimedelatroisiemegeneration
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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

le 24 Juin 2011

Alors que l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité, le 14 juin 2011, un dispositif d'indemnisation pour les victimes du Mediator (article 22 du projet de loi rectificative pour 2011), plusieurs médicaments ont occupé le devant de la scène ces derniers jours. D'une part, l'Afssaps retirait du marché l'Actos et le Competact, deux antidiabétiques susceptibles d'être à l'origine de cancers de la vessie. D'autre part, la cour d'appel de Versailles reconnaissait, jeudi 9 juin 2011, l'indemnisation d'une victime de la troisième génération du distilbène, ce médicament interdit à la fin des années soixante-dix mais provoquant toujours des séquelles des décennies plus tard. Le diéthystilbestrol, ou DES, commercialisé principalement sous le nom de distilbène est une molécule qui a les effets d'une hormone sexuelle féminine sans y ressembler dans sa structure. Des millions de femmes y ont été exposées. Non pas qu'elles l'aient avalée, leurs mères l'ayant prise alors que, foetus, elles se développaient dans leur ventre. On estime qu'entre 1950 et 1976 en France, 160 000 femmes ont été traitées par DES pendant leur grossesse. On peut évaluer ainsi que 80 000 filles et 80 000 garçons âgés aujourd'hui de 25 à 50 ans ont été exposés au DES in utero, le pic de prescription de cette molécule se situant autour des années 1970. Il a été clairement établi à ce jour que l'exposition au DES in utero est susceptible de provoquer des atteintes de l'appareil génital chez la femme en particulier avec des anomalies structurelles et morphologiques et des conséquences sur la reproduction, des risques d'adénocarcinome à cellules claires du vagin (1 pour mille des patientes exposées au DES in utero) et du col de l'utérus. L'occasion a été donnée à de nombreuses reprises de présenter, au sein de Lexbase Hebdo, les différentes décisions de justice rendues en matière de Distilbène (1). La dernière en date est l'arrêt rendu le 9 juin 2011 par la cour d'appel de Versailles, condamnant le laboratoire UCB Pharma à verser 1,7 millions de dommages et intérêts à un enfant né grand prématuré, après avoir considéré que l'exposition au distilbène de sa mère était responsable, à travers les malformations dont elle était porteuse, de l'accouchement très prématuré qui lui-même expliquait de façon directe le handicap majeur dont il était atteint (CA Versailles, 3ème ch., 9 juin 2011, n° 09/04905 N° Lexbase : A4747HTY).

Pour aller plus loin sur cette décision, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Maître Martine Verdier, avocate de la famille de la victime.

Lexbase : Sur quel fondement a été retenue la responsabilité du Laboratoire dans cette affaire ?

Martine Verdier : La responsabilité du laboratoire a été examinée par la cour d'appel de Versailles dans un cadre délictuel, en l'absence de tout lien contractuel de Mme C. et de son fils avec le laboratoire. La responsabilité délictuelle était recherchée dans la mesure où Mme C. se prévalait d'un préjudice résultant d'un manquement du laboratoire à ses obligations. C'est le non-respect de l'obligation générale de diligence et de vigilance imposée à un laboratoire pharmaceutique qui a été ici sanctionné.

La responsabilité du laboratoire UCB PHARMA est ainsi retenue en raison des fautes commises lors de la commercialisation du distilbène puisque dès 1938, des doutes portaient sur l'innocuité du produit, des inconvénients tumoraux à la suite de la prise d'oestrogènes ayant été mis en évidence, et que, à partir de 1953, l'efficacité du médicament était mise en cause.

Ainsi en maintenant la commercialisation du distilbène à l'époque de la grossesse de la mère de Mme C. sans avoir fait de réserve dans la notice de ce médicament et alors que plusieurs effets nocifs et tératogènes étaient connus, les juges ont estimé que le laboratoire avait manqué à son devoir de vigilance.

Lexbase : Peut-on considérer que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles reconnaît une "présomption de causalité" ?

Martine Verdier : Non, la cour d'appel de Versailles n'a pas retenu de présomption de causalité.

Au contraire, les juges ont indiqué que les demandeurs devaient établir le lien de causalité entre l'exposition in utero de Mme C. à la molécule DES du distilbène et les inconvénients subis par leur fils Louis, tout en précisant que "cette preuve peut résulter de la réunion de divers éléments et circonstances dès lors qu'ils ont un caractère grave, précis et sont concordants et que ce lien de causalité a un caractère suffisamment probable, la parfaite certitude n'étant jamais acquise en matière scientifique".

Ils ont déduit des documents présents au dossier, et notamment des constatations expertales relatives aux problèmes gynécologiques particuliers de Mme C. et à l'historique de sa grossesse terminée prématurément, que se trouvaient réunis "différents phénomènes caractéristiques d'une exposition à la molécule DES ; que leur présence à différents stades du processus menant à la naissance de Louis, constitue suffisamment des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir le rôle causal de l'exposition in utero au distilbène, dans la prématurité et ses conséquences dans l'état de Louis".

Cet arrêt constitue ainsi une étape décisive pour l'indemnisation des préjudices des petits-enfants du DES et pour leurs proches parents.

Lexbase : L'indemnisation est portée à 1,7 millions d'euros contre plus de 2 millions accordés par le TGI de Nanterre. Quels éléments n'ont pas été retenus par la cour ?

Martine Verdier : L'annonce d'une diminution de l'indemnisation globale du handicap de Louis n'est pas exacte.

La cour d'appel n'a pas ventilé les postes d'indemnisation de même manière et a, notamment, retenu une rente mensuelle pour le préjudice professionnel de Louis.

En revanche, la cour a diminué les postes relatifs aux réparations des préjudices moraux des parents de Louis, ce qui apparaît d'autant plus contestable que le préjudice de la souffrance endurée par les parents est celui d'une vie entière consacrée au handicap et que les indemnisations des premiers juges étaient conformes aux décisions rendues par d'autres cours dans des hypothèses de grand handicap proche de celui de Louis.

Lexbase : Où en est-on s'agissant de la reconnaissance d'un préjudice de troisième génération ?

Martine Verdier : Les préjudices de troisième génération sont à l'étude et des commissions de travail ont été créées au sein de l'AFFSAPS.


(1) Cass. civ. 1, 24 septembre 2009, deux arrêts, n° 08-10.081, FS-P+B (N° Lexbase : A3172EL3) et n° 08-16.305, FS-P+B (N° Lexbase : A3172EL3), lire Anne-Laure Blouet-Patin, Affaire du "Distilbène" : la Cour de cassation inverse la charge de la preuve !, Lexbase Hebdo n° 371 du 12 novembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N3674BMZ).

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