Réf. : Cass. civ. 2, 24 mai 2018, n° 17-18.548, F-P+B (N° Lexbase : A5490XPZ)
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N4639BX4
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par Emmanuel Raskin, Avocat au barreau de Paris, Associé Cabinet SEFJ, Membre du Conseil national des barreaux, Co-Président de la Commission Egalité - Diversité de l’ACE (Association des Avocats Conseils d’Entreprises) - Expert auprès du Conseil des barreaux européens
le 20 Juin 2018
Par un arrêt de la deuxième chambre civile du 24 mai 2018, la Cour de cassation précise que a réclamation soumise au Bâtonnier en matière d’honoraires, prévue par l’article 175 du décret n° 91-1197, organisant la profession d’avocat (N° Lexbase : L8168AID) qui instaure une procédure spécifique, échappe aux dispositions de l’article 58 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1442I8W).
Un particulier a contesté les honoraires qui lui ont été facturés par l’avocat qui avait assuré la défense de ses intérêts dans le cadre de diverses procédures.
Ce dernier, après s’être déchargé des intérêts de son client, a saisi le Bâtonnier de son Ordre afin d’obtenir la condamnation de son ancien client à lui payer les honoraires qu’il avait ainsi facturés.
Le Bâtonnier a fait droit à sa demande.
Appel fut interjeté de cette décision mais la cour d’appel de Lyon débouta l’appelant de sa demande tendant à voir prononcée l’annulation de la décision du Bâtonnier.
Un pourvoi fut alors formé, le demandeur soulevant en substance que la réclamation soumise au Bâtonnier dans le cadre d’une procédure de contestation d’honoraires doit mentionner, à peine de nullité de cette réclamation, les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.
Ainsi, selon le demandeur au pourvoi, en décidant qu’il ne pouvait se prévaloir de ce que la réclamation de l’avocat ne mentionnait pas les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, la cour aurait violé les articles 56 (N° Lexbase : L1441I8U) et 58 du Code de procédure civile ainsi que l’article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat.
La deuxième chambre civile rejeta le pourvoi par un attendu de principe net : «Mais attendu que la réclamation soumise au Bâtonnier en matière d’honoraires, prévue par l’article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 qui instaure une procédure spécifique, échappant aux prévisions de l’article 58 du Code de procédure civile, c’est à bon droit que le premier président a rejeté la demande de nullité présentée par Mme… sur ce fondement».
Si la procédure de contestation des honoraires d’un avocat répond à régime spécifique (1), l’arrêt commentée tend à confirmer l’absence de caractère juridictionnel à la décision rendue par le Bâtonnier en premier ressort (2).
1 - La procédure de taxation d’honoraires
L’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 définit les modes de fixation des honoraires de postulation, de consultation, d’assistance de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie, le principe de base étant la fixation avec l’accord du client.
La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (article 51 V), dite loi «Macron» (N° Lexbase : L4876KEC), a réformé notamment l’alinéa 3 de l’article 10 précité en exigeant la conclusion d’une convention d’honoraires entre l’avocat et son client, quel que soit le mode d’exercice, cette convention devant préciser le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles ainsi que les divers frais et débours envisagés.
Les dispositions de l’article 53, 6° de la loi précitée disposent que, «dans le respect de l’indépendance de l’avocat, de l’autonomie des conseils de l’Ordre et du caractère libéral de la profession, des décrets en Conseil d’Etat précisent notamment [...] la procédure de règlement des contestations concernant le paiement des frais et honoraires des avocats».
Ce sont les articles 174 à 179 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 qui régissent les litiges liés à une contestation sur les honoraires et les débours.
Ils donnent compétence exclusive au Bâtonnier pour rendre une décision en matière de fixation d’honoraires.
L’article 174 prévoit que cette procédure s’étend aux contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires des avocats lesquelles ne peuvent être réglées qu’en recourant à la procédure prévue aux articles suivants.
Selon l’alinéa 3 de l’article 175, le Bâtonnier, ou le rapporteur qu'il désigne, recueille préalablement les observations de l'avocat et de la partie. Il prend sa décision dans les quatre mois. Cette décision est notifiée, dans les quinze jours de sa date, à l'avocat et à la partie, par le secrétaire de l'Ordre, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. La lettre de notification mentionne, à peine de nullité, le délai et les modalités du recours.
Le délai de quatre mois prévu au troisième alinéa peut être prorogé dans la limite de quatre mois par décision motivée du Bâtonnier. Cette décision est notifiée aux parties, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans les conditions prévues au premier alinéa.
L’article 176 dispose que la décision du Bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d'appel, qui est saisi par l'avocat ou la partie, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Le délai de recours est d'un mois.
Lorsque le Bâtonnier n'a pas pris de décision dans les délais prévus à l'article 175, le premier président doit être saisi dans le mois qui suit.
Le caractère exécutoire de la décision du Bâtonnier ne peut résulter que d’une ordonnance du premier Président du tribunal de grande instance, rendue sur requête de l’avocat ou de la partie concernée, lorsque la décision du Bâtonnier n’a pas été déférée au premier Président de la cour d’appel.
S’agissant de la délimitation du domaine d’application de cette procédure, la Cour de cassation a eu à se prononcer à plusieurs reprises.
Ainsi, la demande qui a pour objet la réparation d’un préjudice constitué par le versement inutile d’honoraires en raison d’une faute de l’avocat, et non la vérification des honoraires de celui-ci, ne s’analyse pas en une contestation d’honoraires [1].
En mars 2015, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser qu’est soumise à la prescription biennale de l’article L. 137-2 (ancien) du Code de la consommation (N° Lexbase : L7231IA3) la demande de l’avocat en fixation de ses honoraires dirigée contre une personne physique ayant eu recours à ses services à des fins n’entrant pas dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale [2] ; l’actualisation de ce principe avec l’article L. 218-2 (nouveau) du Code de la consommation (N° Lexbase : L1585K7T) a été confirmée en septembre 2015 par la même chambre [3].
Les règles en matière d’arbitrage, interne ou international, prévues par les articles 1442 et suivants du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2266IPM) ne s’appliquent pas aux contestations en matière d’honoraires d’avocat [4].
Dans un arrêt de principe du 29 mars 2012 [5], la deuxième chambre civile de la Cour de cassation -faisant écho à la décision du Conseil constitutionnel rendue le 29 septembre 2011 [6] prononçant la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions relatives à la définition des règles relatives à la déontologie et la fixation des règles des sanctions disciplinaires et celles afférentes à la contestation d’honoraires- a précisé que les dispositions législatives et réglementaires régissant la procédure de contestation d’honoraires ne sont pas contraires à l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L7558AIR).
Cette décision prenait le soin de préciser que la procédure de contestation des honoraires d’avocat, très strictement encadrée tant par les textes que par la jurisprudence, est une procédure orale obéissant aux règles de la procédure civile en la matière (orale) et que le Bâtonnier ou son délégué exerce une fonction juridictionnelle avec la possibilité pour le client d’exercer un recours contre la décision devant le premier président de la cour d’appel compétente.
Ainsi, il était logique d’en déduire que la procédure civile s’appliquât, sauf texte dérogatoire, à cette procédure spécifique.
Il en est tout autrement avec l’arrêt rendu le 24 mai 2018 par la deuxième chambre civile, dès lors qu’il pose comme principe que la réclamation soumise au Bâtonnier en matière d’honoraires, prévue par l’article 175 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, échappe aux prévisions de l’article 58 du Code de procédure civile.
Cette décision s’inscrit à l’évidence dans un courant malheureusement suivi qui nie à la décision du Bâtonnier tout caractère juridictionnel, alors que, dans son arrêt du 29 mars 2012 précité [7], la même chambre précisait dans un attendu important que le Bâtonnier ou son délégué exerçait un pouvoir juridictionnel…
2/ Le refus persistant à reconnaître le caractère juridictionnel de la décision rendue par le Bâtonnier
Les moyens du demandeur au pourvoi soulevaient, en substance, que la nullité de la réclamation de l’avocat requérant devait être prononcée faute pour lui de ne pas avoir respecter les dispositions des articles 56 et 58 du Code de procédure civile.
L’article 56 dispose que :
«L'assignation contient à peine de nullité [8], outre les mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice :
1° L'indication de la juridiction devant laquelle la demande est portée ;
2° L'objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit ;
3° L'indication des modalités de comparution devant la juridiction et la précision que, faute pour le défendeur de comparaître, il s'expose à ce qu'un jugement soit rendu contre lui sur les seuls éléments fournis par son adversaire ;
4° Le cas échéant, les mentions relatives à la désignation des immeubles exigées pour la publication au fichier immobilier.
Elle comprend en outre l'indication des pièces sur lesquelles la demande est fondée. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé.
Sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, l'assignation précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige [9].
Elle vaut conclusions».
L’article 58 dispose que :
«La requête ou la déclaration est l'acte par lequel le demandeur saisit la juridiction sans que son adversaire en ait été préalablement informé.
Elle contient à peine de nullité [10] :
1° Pour les personnes physiques : l'indication des nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance du demandeur ;
Pour les personnes morales : l'indication de leur forme, leur dénomination, leur siège social et de l'organe qui les représente légalement ;
2° L'indication des nom, prénoms et domicile de la personne contre laquelle la demande est formée, ou, s'il s'agit d'une personne morale, de sa dénomination et de son siège social ;
3° L'objet de la demande.
Sauf justification d'un motif légitime tenant à l'urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu'elle intéresse l'ordre public, la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige [11].
Elle est datée et signée».
La procédure de contestation d’honoraires n’est pas introduite par voie d’assignation mais par réclamation formalisée par lettre recommandée avec accusé de réception (décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, art. 174).
L’article 56 du Code de procédure civile n’était donc pas logiquement applicable, ce qui explique que l’arrêt rendu le 24 mai 2018 n’y fasse pas référence.
En application de l’article 1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1106H4Q), «Seules les parties introduisent l'instance, hors les cas où la loi en dispose autrement. Elles ont la liberté d'y mettre fin avant qu'elle ne s'éteigne par l'effet du jugement ou en vertu de la loi».
Dans le titre quatrième du code de procédure civile consacré à la demande en justice, l’article 53 dispose que la demande initiale est celle par laquelle un plaideur prend l’initiative d’un procès en soumettant au juge ses prétentions. Elle introduit l’instance.
L’article 54 délimite 5 modes déterminés de saisine, à savoir :
- la présentation volontaire des parties ;
- l'assignation ;
- la requête conjointe ou unilatérale ;
- la déclaration au secrétariat de la juridiction.
La réclamation prévue à l’article 174 du décret s’apparente à une requête unilatérale.
Alors que la procédure civile a été jugée comme applicable à la procédure de contestation d’honoraires, que l’introduction de l’instance de contestation d’honoraires devant le Bâtonnier prend la forme d’une réclamation via requête transmise par la voie recommandée avec accusé de réception, l’article 58 est exclu du périmètre de la procédure de contestation d’honoraires par l’arrêt commenté du 24 mai 2018.
La position de la Cour de cassation, dans son arrêt du 24 mai 2018, semble donc plus proche de l’institution que des textes.
Sans contestation, le Bâtonnier, dans le cadre de la procédure prévue par les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991, tranche un contentieux entre les parties, délimité au montant et au recouvrement des honoraires de l’avocat.
Le principe de la contradiction doit être respecté, l’article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG) est applicable et la Cour de cassation a jugé que les règles de la procédure civile venaient à s’appliquer [12], sauf spécificités des textes propres à la procédure de contestation d’honoraires.
Or, aucun des textes propres à cette procédure spécifique ne prévoit de dérogation aux dispositions de l’article 58 dernier alinéa du Code de procédure civile qui pose l’obligation à la charge du demandeur de préciser les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.
Alors que le Bâtonnier examine la recevabilité de l’action du demandeur et le bien-fondé de sa demande, que la Cour de cassation elle-même précisait dans son arrêt du 29 mars 2012 que «le Bâtonnier ou son délégué exerce une fonction juridictionnelle» et que les garanties procédurales posées par le code de procédure civile sont applicables, le Bâtonnier n’est toujours pas reconnu comme étant une juridiction.
Le Conseil d’Etat a ainsi jugé que «[…] lorsqu'il intervient dans le règlement des contestations en matière d'honoraires et de débours, le Bâtonnier, dont la décision n'acquiert de caractère exécutoire que sur décision du président du tribunal de grande instance, n'est lui-même ni une autorité juridictionnelle ni un tribunal au sens de l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales» [13]
Le Conseil constitutionnel en a jugé de même [14].
L’article 58 prévoit bien en son premier alinéa la saisine d’une juridiction.
Dès lors, sauf à en retirer cet attribut au Bâtonnier, rien ne justifia que cet article fût exclu de la procédure de contestation des honoraires de l’avocat.
Hélas parfois, si “la nature agit, l'homme fait.” [15]
[1] Cass. civ. 2, 30 juin 2016, n° 15-22.152, F-P+B (N° Lexbase : A2090RWC ; cf. l’Ouvrage “La profession d’avocat» N° Lexbase : E2705E4X)
[2] Cass. civ. 2, 26 mars 2015, n° 14-11.599, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4643NEP ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).
[3] Cass. civ. 2, 10 septembre 2015, n° 14-24.301, F-D (N° Lexbase : A9432NNN ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E2710E47).
[4] Cass. civ. 2, 13 septembre 2012, n° 10-21.144, FS-D (N° Lexbase : A7467ISD ; cf. l’Ouvrage «La profession d'avocat» N° Lexbase : E2704E4W).
[5] Cass. civ. 2, 29 mars 2012, n° 11-30.013, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9965IG8 ; cf. l’Ouvrage “La profession d'avocat"» N° Lexbase : E2704E4W)
[6] Cons. const., décision n° 2017-630 QPC, 19 mai 2017 (N° Lexbase : A4791WDS ; cf. l’Ouvrage «La profession d'avocat» N° Lexbase : E9180ET8).
[7] Cf. note 5 supra.
[8] Souligné par nous.
[9] Souligné par nous.
[10] Souligné par nous.
[11] Souligné par nous.
[12] Cf. note 5 supra.
[13] CE 1° et 6° s-s-r, 2 octobre 2006, n° 282028 (N° Lexbase : A6891DRN).
[14] Cons. const., décision n° 2011-171/178 QPC, du 29 septembre 2011 (N° Lexbase : A1170HYY ; cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E9180ET8).
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