La lettre juridique n°744 du 7 juin 2018 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Confidentialité du pli remis par un avocat à un client maintenu sous escorte

Réf. : CEDH, 24 mai 2018, Req. 28798/13, L. c/ France (N° Lexbase : A7768XNZ)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

le 06 Juin 2018

Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’Homme a, par un arrêt du 24 mai 2018, considéré que les membres d’un service d’escorte avaient méconnu la confidentialité des correspondances entre un avocat et son client en interceptant un papier plié que le conseil avait remis à son client alors qu’ils attendaient le délibéré du juge des libertés et de la détention. La décision rendue présente un intérêt indéniable en ce qu’elle rompt avec la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Le 1er avril 2008, un avocat inscrit au barreau de Brest, assurant la permanence pénale, a assisté deux personnes déférées en vue d’être présentées devant le juge d’instruction. A l’issue de l’interrogatoire de première comparution et du débat de placement en détention provisoire, le juge des libertés et de la détention a annoncé, à la fin du débat contradictoire, qu'il rendrait sa décision à l'issue d'un délibéré. Pendant que les personnes déférées, leur avocat et les policiers de l'escorte attendaient la décision dans la salle d'accueil du tribunal, l’avocat, toujours revêtu de sa robe, s'est entretenu avec ses deux clients. Il leur a remis à chacun un papier, plié en deux, comportant ses coordonnées professionnelles. Ce pli a été remis au vu du personnel de l’escorte. Le fonctionnaire de police, chef d'escorte, a saisi successivement chacun des deux papiers pliés, les a lus et les a restitués à leurs destinataires qui ont pu en disposer. L’avocat s’est indigné que le fonctionnaire de police ne respecte pas la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client. Une plainte a été déposée devant le procureur de la République du tribunal de grande instance de Brest, lequel a classé sans suite, tout en adressant une note de service aux escortes afin que de tels incidents ne se reproduisent plus. L’avocat et l’Ordre des avocats du barreau de Brest ont déposé une plainte avec constitution de partie civile du chef d'atteinte au secret des correspondances par personne dépositaire de l'autorité publique, qui a conduit à ce que le juge d’instruction, saisi de l’information judiciaire rende une ordonnance de non-lieu. Appel a été interjeté de cette décision.

 

Par un arrêt confirmatif en date du 28 octobre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes a dit n’y avoir lieu à suivre aux motifs que «le fait de plier une feuille de papier, comme en l'espèce, avant de la remettre à son destinataire ne permet pas d'analyser cette feuille comme une correspondance au sens des articles 226-15 (N° Lexbase : L0412IZB) et 432-9 (N° Lexbase : L9879GQX) du Code pénal» et que «si l'interception de cette feuille a indéniablement pu porter atteinte au principe de la libre communication d'un avocat avec son client, elle ne peut cependant constituer une atteinte au secret des correspondances». Par un arrêt en date du 16 octobre 2012, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en cassation en retenant que «circulant à découvert, les billets litigieux ne répondaient pas à la notion de correspondance protégée, au sens de l'article 432-9 du Code pénal». Ayant épuisé les voies de recours internes, l’avocat a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme, arguant d’une violation de l’article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR). C’est l’occasion pour la Cour d’européenne des droits de l’Homme de désapprouver, fermement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

 

Avant toute chose, le juge strasbourgeois considère que la feuille pliée transmise par l’avocat constitue une correspondance au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (I). Dans un second temps, elle s’assure que cette ingérence à la confidentialité des correspondances n’était pas prévue par la loi et n’était pas nécessaire dans une société démocratique (II).

 

 

I - Une correspondance protégée

 

L’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’Homme marque un profond désaveu à l’égard de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Rappelons que dans son arrêt, rendu en date du 16 octobre 2012, la juridiction suprême de l’ordre judiciaire français avait considéré que «circulant à découvert, les billets litigieux ne répondaient pas à la notion de correspondance protégée» [1]. Cette décision a partagé les acteurs de la justice judiciaire. Alors que les conseillers référendaires de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en charge d’un panorama de jurisprudence y ont vu une décision se situant dans «la droite ligne de sa jurisprudence en matière de protection des correspondances» tout en attribuant leurs louages aux conclusions de l’avocat général qui indiquait que «l'existence d'un intermédiaire implique logiquement qu'une correspondance au sens de la loi ne peut être échangée entre deux personnes présentes» [2], les auteurs issus du barreau ont été nettement plus critiques. L’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation a été qualifié de «jurisprudence inacceptable» [opérant une] «distinction byzantine entre la lettre sous enveloppe et la feuille remise sans enveloppe» [3], ou s’inscrivant dans «une tendance destructrice des droits de la défense et de méfiance à l'égard des avocats» [4].

 

Ces critiques ont été entendues par la Cour européenne des droits de l’Homme qui consacre une analyse diamétralement opposée de celle de la juridiction interne en considérant qu’«une feuille de papier pliée en deux, sur laquelle un avocat a écrit un message, remise par cet avocat à ses clients, doit être considérée comme une correspondance protégée au sens de l’article 8 de la Convention. Partant, elle estime que constitue une ingérence dans le droit au respect de la correspondance entre un avocat et ses clients le fait, pour un policier, d’intercepter les notes rédigées par le requérant puis remises à ses clients» [5]. L’apport de cet arrêt est important : la Cour européenne des droits de l’Homme refuse d’entrer dans les distinctions byzantines consacrées par la jurisprudence interne : c’est la confidentialité de la communication qui est protégée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. D’ailleurs, elle a eu l’occasion de rappeler que le secret de la correspondance est protégé «quel que soit le contenu de la correspondance dont il est question et quelle que soit la forme qu’elle emprunte» [6]. Il n’est donc pas nécessaire que la correspondance soit fermée ou scellée. Le fait de plier le document suffisait à extérioriser la volonté de l’avocat de le rendre confidentiel.

 

 

II - Une ingérence injustifiée

 

La feuille pliée en deux ayant le caractère d’une correspondance au sens de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, il appartenait encore à la Cour européenne des droits de l’Homme de vérifier si elle se trouvait face à une situation justifiant l’atteinte au respect de la correspondance. Après avoir énoncé cette protection, en son premier paragraphe, l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme en limite la portée en précisant, en son deuxième paragraphe, qu’«il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui».

 

Or, en l’occurrence, la lecture de la feuille litigieuse n’entrait pas dans cette limitation admise par le droit européen. D’une part, et bien que la Cour européenne des droits de l’Homme ne soit guère prolixe à ce sujet, aucune base légale ne pouvait justifier que le chef de l’escorte ne puisse lire la correspondance entre un avocat et une personne mise en examen. En droit interne, le Code de procédure pénale n’aménage guère d’exception au principe de la libre communication entre un mis en examen et son conseil. Ainsi, si l’article 145-4 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2774LBD) autorise le juge d’instruction à suspendre les correspondances du mis en examen placé sous mandat de dépôt durant dix jours, il prévoit aussi que «l'interdiction de communiquer ne s'applique à l'avocat de la personne mise en examen». Et surtout, l’article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 (N° Lexbase : L9344IES)  a clairement prévu que «ne peuvent être ni contrôlées ni retenues les correspondances échangées entre les personnes détenues et leur défenseur». Ce faisant, la loi ne permettait pas au chef de l’escorte de lire la correspondance de l’avocat et de son client, bien au contraire. Même le magistrat instructeur, qui est en charge du dossier, n’a pas de prise sur la correspondance entre l’avocat et le mis en examen. D’autre part, la Cour européenne des droits de l’Homme relève que le chef de l’escorte ne disposait d’aucun motif légitime de soupçonner que la correspondance litigieuse pouvait causer un problème en termes de sécurité : en effet, le requérant, en sa qualité́ d’avocat, avait rédigé́ et remis les papiers en cause à ses clients à la vue du chef d’escorte, sans tenter de dissimuler son action. Dès lors, en l’absence de tout soupçon d’acte illicite, l’interception des papiers en cause ne saurait se justifier au regard du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

 

En définitive, cette décision ne pourra que rassurer la profession qui trouve, en la Cour européenne des droits de l’Homme, un gardien attentif à la confidentialité des correspondances de l’avocat.

 

[1] Cass. crim., 16 octobre 2012, n° 11-88.136, F-P+B (N° Lexbase : A7225IU7 ; cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E6625ETK).

[2] C. Roth, B. Laurent, P. Labrousse et M.-L. Divialle, Chronique de jurisprudence de la Cour de cassation, D., 2013, p. 124 et s. spéc. n° 6.

[3] Conseil national des barreaux, novembre 2012, édito du Bâtonnier Charrière-Bournazel.

[4] D. Piau, Secret des correspondances de l'avocat versus Chambre criminelle : sortez couverts !, Gaz. pal. 2-6 novembre 2012, p. 19.

[5] CEDH, 24 mai 2018, Req. 28798/13, L. c/ France, n° 36.

[6] CEDH, 6 décembre 2012, Req. 12323/11, n° 90 (N° Lexbase : A3982IY7 ; cf. l’Ouvrage «Procédure pénale» N° Lexbase : E4428EUK).

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