La lettre juridique n°742 du 24 mai 2018 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] L’arbitrage du Bâtonnier exige à peine d’irrecevabilité le déroulement préalable d’une phase de conciliation

Réf. : CA Nîmes, 19 avril 2018, n° 17/03219 (N° Lexbase : A4084XLT)

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N4085BXL

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par Dominique Vidal, Professeur émérite, CREDECO GREDEG UMR 7321 CNRS/UNS

le 23 Mai 2018

L’arbitrage a le vent en poupe ; mais se pourrait-il qu’il soit actuellement débordé par la conciliation, en pratique mais aussi dans l’esprit de certains magistrats ? C’est la question que suggère l’arrêt du 19 avril 2018 de la cour d’appel de Nîmes ici rapporté.

 

On connaît le développement de la conciliation dans les textes récents relatifs à la compétence judiciaire en divers domaines. On sait aussi que, dans le domaine contractuel, une clause de conciliation préalable à un arbitrage doit être rigoureusement respectée et mise en œuvre préalablement à la saisine des arbitres, sous peine d’irrecevabilité.

 

Avec la jurisprudence ici rapportée, la question se pose dans le cadre d’un arbitrage original et institutionnel, l’«arbitrage du Bâtonnier».

 

Dans cet arrêt du 19 avril 2018, ainsi d’ailleurs que dans quatre autres arrêts rendus le même jour dans les mêmes termes (CA Nîmes, 19 avril 2018, n° 17/03220 N° Lexbase : A3880XLB, 17/03221 N° Lexbase : A3963XLD, 17/03222 N° Lexbase : A3690XLA, 17/03223 N° Lexbase : A3534XLH ; cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E1764E7H), la cour de Nîmes décide trois choses :

 

- la procédure de l’«arbitrage du Bâtonnier» doit  nécessairement commencer par une phase préalable de conciliation ;

- à défaut, il y a fin de non-recevoir ;

- cette fin de non-recevoir n’est pas éligible à un quelconque procédé de régularisation

Les motifs relatifs à la qualification de fin de non-recevoir et à l’absence de régularisation, à raison de leur classicisme et de la clarté de leur expression, n’appellent pas de commentaire particulier (dans le même sens, le défaut de mise en oeuvre d'une clause contractuelle, qui institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, n'est pas susceptible d'être régularisée par la mise en oeuvre de la clause en cours d'instance : Cass. ch. mixte, 12 décembre 2014, n° 13-19.684, P+B+R+I N° Lexbase : A2998MQ4, Procédures, 2015, comm. 32, obs. H. Croze ; JCP éd. G, 2015, 115, obs. N. Dissaux ; Cass. civ. 3, 16 novembre 2017, n° 16-24.642, FS-P+B N° Lexbase : A7115WZK ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E5590EUL).

 

En revanche, le point de savoir si la procédure de l’«arbitrage du Bâtonnier» doit  nécessairement commencer par une phase préalable de conciliation suggère une analyse et la solution ici apportée suscite une certaine réserve.

 

En application de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) qui dispose que les litiges nés à l'occasion d'un contrat de collaboration libérale sont, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du Bâtonnier, l'article 142 du décret du 27 novembre 1991 précise que pour tout litige né à l'occasion d'un contrat de collaboration, à défaut de conciliation, le Bâtonnier du barreau auprès duquel l'avocat collaborateur ou salarié est inscrit, est saisi par l'une ou l'autre des parties, soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l'ordre des avocats, soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

 

Chacun de ces deux textes comporte la proposition «à défaut de conciliation». Comment doit-on la comprendre ? On peut concevoir deux interprétations : la première n’implique pas une procédure de conciliation, la seconde implique le déroulement d’une telle procédure.

 

D’un premier point de vue, en effet, on peut concevoir que l’expression «à défaut de conciliation» signifie seulement que c’est en cas de persistance du litige que l’une des parties sollicite un arbitrage du Bâtonnier.

 

On peut soutenir à rebours que cette situation est entièrement décrite par la référence expresse à la notion de litige et que dès lors l’expression «à défaut de conciliation» ne serait pas utile à définir le cas de figure ; elle ajouterait donc le visa d’une procédure de conciliation.

 

Certes, mais on peut aussi estimer que cette expression a pour finalité, dans le cadre d’un litige dont l’existence est avérée, de rappeler les avocats à leurs devoirs de confraternité, en essayant, autant que faire se peut, de se concilier. Ce serait simplement le rappel d’une telle préférence pour la recherche d’un règlement amiable ; une préférence : pas une obligation.

 

Au demeurant, la pratique des barreaux enseigne que sauf exception très particulière, non seulement les avocats en litige ne manquent pas de voir s’ils peuvent identifier un cheminement amiable, ce qu’ils savent faire (c’est leur métier !) ; elle enseigne de surcroît que lorsqu’un tel litige vient sur le bureau du Bâtonnier, ce dernier commence immanquablement par envisager le même cheminement. Toutes ces préoccupations, interrogations, propositions ou démarches à finalité amiable sont le plus souvent tout à fait informelles, couvertes en outre par un secret professionnel évident. En substance, elles constituent une tentative de conciliation. Mais en la forme, elles ne manifestent pas les étapes d’une «procédure de conciliation».

 

D’ailleurs, l’intimé soutient en réponse au moyen tiré du défaut de conciliation «qu’une phase de conciliation sollicitée par les deux parties s’est bien déroulée avant l’arbitrage du Bâtonnier et n’a pas abouti», sans que l’on sache si cette phase fut antérieure ou non à la saisine du Bâtonnier.

 

En outre, n’oublions pas le contexte. Cet article 7 de la loi du 31 décembre 1971 et cet article 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) figurent au sein de textes fondateurs de l’organisation actuelle de la profession d’avocat. Il ne serait donc pas irrationnel, pour le moins, de les interpréter en fonction de ce contexte formel et fondamental tout à la fois. Il est bon de donner à la loi le sens qui convient à la matière à laquelle elle est destinée.

 

Enfin, aussi bien sur ce plan du contexte rationnel que d’un point de vue formel, il est remarquable que l’article 142 in fine du décret du 27 novembre 1991 dispose que l’acte de saisine précise, à peine d’irrecevabilité, l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant. Il n’y est pas question d’une quelconque procédure de conciliation. Assurément, si le «législateur», entendons les auteurs du décret, avaient prévu l’exigence d’une procédure de conciliation préalable à l’arbitrage du Bâtonnier, il est plus que raisonnable de considérer qu’ils auraient ajouté une référence à ladite conciliation préalable.

 

Dernier argument en faveur de cette analyse, la Cour de cassation a décidé (Cass. com., 29 avril 2014, n° 12-27.004, F-P+B N° Lexbase : A6953MKQ ; JCP éd. E, 2014, 1290, obs. N. Dissaux ; JCP ed. G, 2014, II, 607, obs. H. Croze ; JCP éd. G, 2014, II, 711, obs. O. Sabard) que la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions particulières de mise en oeuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s'imposant à celui-ci.

Rendue en matière contractuelle, la solution ne vaut à première vue que par analogie dans le domaine de l’arbitrage institutionnel du Bâtonnier. Mais on ne voit pas quelle considération rationnelle pourrait conduire à écarter une telle application par analogie. Bien au contraire, le contexte institutionnel ne fait que renforcer les relations (fussent-elles le cas échéant frictionnelles) entre les parties, et met en scène les démarches conciliatoires informelles évoquées plus haut. C’est donc non seulement par analogie, mais aussi à plus forte raison que cette solution pourrait s’appliquer à l’arbitrage du Bâtonnier.

 

Voilà pour une première lecture qui voit dans l’expression légale relative à la conciliation la référence à une conciliation «en substance», pour en rappeler l’intérêt, mais qui n’exige pas une procédure préalable de conciliation en la forme dont il faudrait prouver qu’elle s’est déroulée.

 

 

C’est une autre lecture du texte à laquelle procède la cour de Nîmes dans la décision rapportée.

 

La cour fait de la mention «à défaut de conciliation» une condition formelle préalable à l’arbitrage du bâtonnier, la condition qu’une procédure de conciliation se soit formellement déroulée et bien entendu, que le demandeur soit en mesure d’en apporter la preuve.

 

Le motif de la décision est parfaitement clair : «ces dispositions statutaires applicables à la profession d’avocat imposent une procédure de conciliation obligatoire préalable à l’engagement d’une action afin [sic] d’arbitrage auprès du bâtonnier. Il s’agit bien là d’une obligation dont la méconnaissance constitue une cause d’irrecevabilité de la saisine du bâtonnier d’une demande d’arbitrage».

 

Dont acte.

 

Il n’en demeure pas moins, à notre humble avis, que cette solution n’est pas la meilleure, outre les raisons exposées plus haut en faveur de l’éventuelle solution contraire.

 

Quelles sont en effet les conséquences pratiques de la solution adoptée ?

 

Dans l‘immédiat, le demandeur va devoir recommencer sa procédure, en la faisant précéder d’une procédure de conciliation. Eu égard au contexte c’est  quelque peu «téléphoné», inutilement chronophage pour ne pas dire avec un soupçon de ridicule.

 

Bien plus, c’est l’esprit même et la raison d’être de la conciliation en général qui est ici détourné si ce n’est violé : la conciliation en général a pour finalité d’ajouter de la simplicité au règlement des litiges. Ici, on ajoute de la complexité.

 

Mais ce n’est pas le plus important. Le plus grave est ceci. Lorsque dans un litige interviennent successivement une procédure de conciliation et, en cas d’échec de cette dernière, une procédure d’arbitrage, il est de la plus haute importance que le conciliateur ne soit pas ensuite l’arbitre ou l’un des arbitres. Il y a à cela deux excellentes raisons. La première tient au principe d’indépendance de l’arbitre, à sa fonction juridictionnelle et aux qualités processuelles que doit comporter tout arbitrage. Ces qualités ne sont pas garanties lorsque le juge, fût-il arbitral, a préalablement entendu les parties dans un contexte non juridictionnel dont la finalité est d’être favorable aux confidences ou au dévoilement des derniers intérêts.

 

A moins que les parties restent rigoureusement et passivement campées sur leurs positions ; mais la procédure de conciliation perd alors définitivement tout intérêt.

 

Intervient dès lors la seconde raison : chacune des parties serait pour le moins embarrassée d’exposer le fond de sa pensée, de faire des propositions ou d’envisager d’en accepter devant un tiers qui aurait par la suite qualité à prendre une décision qui lui fera grief.

 

Faudra-t-il que les ordres organisent une procédure spéciale de conciliation préalable à l’arbitrage du Bâtonnier dans le but de mettre en place un processus de désignation du conciliateur qui ne soit pas le Bâtonnier ou son délégué en charge de l’arbitrage ?

 

Si la jurisprudence ici rapportée devait se confirmer, cette question se poserait assurément.

 

En définitive, cette décision illustre l’intérêt et l’actualité sans cesse renouvelée des propos de François Gény : avant de se livrer à la construction du droit, il faut au préalable attentivement analyser «le donné» en toutes les composantes de la pratique. C’est ce «donné» qui doit influencer «le construit» et non l’inverse. La substance de la relation sociale doit l’emporter sur la construction intellectuelle qui n’a d’autre légitimité que d’être au service du réel.

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