La lettre juridique n°742 du 24 mai 2018 : Procédure pénale

[Questions à...] Projet de réforme des assises - Questions à Maître Henri Leclerc

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par Marie Le Guerroué

le 03 Août 2018

Mots-clefs : procédure pénaIe / interview / projet de réforme de la cour d'assises / tribunal criminel / jurés populaires

 

Dans un entretien accordé au journal Le Monde, le 9 mars dernier, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a annoncé l’expérimentation d’un nouveau tribunal criminel départemental. Cette nouvelle juridiction devrait remplacer, pour les crimes punis de moins de vingt ans de prison, les cours d’assises et n’être composée que de magistrats professionnels.

 

Alors qu’en 2010, c’est l’instauration des jurés populaires qui avait été expérimenté en correctionnel, c’est aujourd’hui leur suppression qui devrait l’être devant cette nouvelle juridiction.

 

L’avocat pénaliste et président d’honneur de la Ligue des droits de l'Homme, Henri Leclerc, fut au cours de sa carrière à la fois l’acteur et le témoin du fonctionnement des cours d’assises. Il a accepté, pour Lexbase Pénal, de revenir sur le rôle des citoyens dans l’audience pénale et sur les enjeux de cette nouvelle expérimentation.

Lexbase Pénal : Avant de revenir avec vous sur cette annonce surprise de la Chancellerie, pouvez-vous nous expliquer, Maître Henri Leclerc, le rôle des jurés populaires aux assises ?

 

Maître Henri Leclerc : Les jurés populaires, à l’origine, lorsqu’ils ont été crées en 1789, étaient des citoyens qui en hommes probes et libres devaient au vu des débats de l’audience donner leur réponse sur l’éventuelle culpabilité de l’accusé. Dans l’évolution, leur rôle a été peu à peu diminué puisque maintenant ils siègent avec les magistrats et assurent à l’audience la nécessaire oralité des débats et leur caractère contradictoire.

 

Lexbase Pénal : L’instauration de cette juridiction particulière qu’est le tribunal criminel, devrait, selon la garde des Sceaux, permettre d’accélérer le traitement des dossiers criminels et d’éviter la correctionnalisation de certaines affaires. Le remède vous semble-il répondre aux maux ?

 

Maître Henri Leclerc : D’abord, sur le premier point, si l’on souhaite accélérer la procédure, il faut commencer par faire accélérer les procédures d’instruction. Quant au tribunal criminel, il n’empêchera pas le double degré de juridiction en instruction, c'est-à-dire la possibilité, lorsqu’un juge d’instruction a renvoyé, de faire un recours devant la chambre de l’instruction ou même devant la Cour de cassation. Contrairement à ce que l’on dit, ce n’est pas le fait des jurés qui allonge les délais, c’est l’encombrement des cours d’assises. Dans ces conditions, le tribunal criminel va être lui aussi encombré. Même si je sais que l’on envisage le recours à des magistrats temporaires, c'est-à-dire des gens qui ne sont pas magistrats et qui ont été nommé dans des conditions tout à fait contestables juge de proximité, il sera difficile d’en trouver cinq et il y aura toujours une possibilité d’appel. Les délais devant le tribunal criminel seront donc, à mon avis, toujours aussi longs.

 

Ensuite, s’agissant de la correctionnalisation, quelquefois pratiquée pour des affaires de viols, souvent les victimes elles-mêmes préfèrent une décision dans des conditions plus grandes de confidentialité devant le tribunal correctionnel et le choix de correctionnaliser est soumis à leur approbation. S’il s’agissait en réalité, d’augmenter la compétence du tribunal correctionnel sur ce point, cela aurait été possible. Je crois donc que ces deux arguments ne résistent pas à l’examen.

 

Lexbase Pénal : Cette expérimentation conduirait donc à la suppression des jurés populaires pour les crimes punis jusqu’à vingt ans de prison en première instance. Quelles conséquences cette suppression pourrait avoir sur le jugement des affaires criminelles et particulièrement sur la procédure ?

 

Maître Henri Leclerc : Ce qui va changer, c’est que malheureusement, le dossier écrit prendra plus d’importance au détriment de l’oralité des débats. En effet, devant la cour d’assises les jurés n’ont pas connaissance du dossier écrit, et d’ailleurs ils ne peuvent en avoir connaissance car les dossiers sont beaucoup trop volumineux pour le faire, il faut donc que tous les arguments soient exposés à l’audience. Donc si c’est pour que l’on se réfère, désormais, au dossier écrit et que l’on juge en raccourcissant le débat, en évitant l’audition de témoins ou l’audition d’expert, alors c’est que l’on va vers une justice beaucoup plus mauvaise. Car l’avantage de la cour d’assises c’est que tout est remis à plat et que, effectivement, tout le monde, les jurés et le public, entendent tous les éléments à charge qui sont développés. Dans ces conditions, ce que je crains c’est que tous ces aspects contradictoires qui donnaient à la cour d’assises sa solennité, mais qui lui donnaient aussi une sûreté dans la décision, soient abandonnés.

 

Lexbase Pénal : Une des critiques également formulée à l’encontre des jurés populaires est leur manque de formation juridique et le risque de subjectivité de leurs décisions. Est-ce qu’une décision rendue par des magistrats professionnels serait le moyen d’éviter ce qui est parfois appelé l’«aléa des verdicts» ?

 

Maître Henri Leclerc : D’abord, il y aussi un aléa des verdicts devant le tribunal correctionnel. Ensuite, la grande idée c’est que les jurés jugent en toute bonne foi et qu’ils ont à apprécier des faits. On leur expose pourquoi, par exemple, Monsieur ou Madame untel est coupable, voilà ce qu’elle a fait, voilà ce que disent les témoins, voilà dans quelles circonstances cela s’est passé et, pour tout cela, il suffit de beaucoup de bon sens, il n’y pas besoin d’être un juriste. Je rappelle qu’aussi bien devant le tribunal criminel que devant la cour d’assises tous les problèmes juridiques ont été réglés en amont par la décision de la chambre de l’instruction, voire du juge d’instruction selon les circonstances.

 

Aujourd’hui, ils apprécient aussi la peine mais comme l’éventail sur les peines est extrêmement large ils l’apprécient en fonction de ce qu’ils ont vu, de l’accusé, des explications qu’il a donné, des raisons -indépendamment de savoir s’il est coupable ou innocent-, des explications de l’avocat, des réquisitions de l’avocat général, d’un débat oral. Dire qu’aujourd’hui les jurés, qui sont tirés au hasard sur les listes électorales, seraient incompétents, c’est remettre en cause les règles fondamentales de la démocratie.

  

Lexbase Pénal : Les jurés ont, peut-être aussi, plus de liberté dans leurs décisions, ils sont moins «formatés» que les magistrats ?

 

Maître Henri Leclerc : C’est un des arguments que l’on utilisait beaucoup au 18ème siècle selon lequel «les magistrats ne pensent qu’à condamner». Moi, je n’en suis pas sûr du tout. Je pense que les jurés sont libres de leurs décisions, ils peuvent parfois être moins mais aussi plus sévères que les magistrats. Les jurés sont des citoyens et aux élections leurs voix coûtent exactement la même chose que celle d’un magistrat, il n’y a pas de raisons que dans l’appréciation de la sanction que doit porter la société contre un homme leur voix n’ait pas aussi une grande objectivité.

 

Lexbase Pénal : Et vous que redoutez-vous le plus, un jury populaire ou des magistrats professionnels ?

 

Maître Henri Leclerc : Pour ma part, je redoute tout le monde !

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