La lettre juridique n°719 du 16 novembre 2017 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Absence de présomption irréfragable d'abus de droit fondée sur l'article 150-0 B

Réf. : CE 10° et 9° ch.-r., 22 septembre 2017, n° 412408, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7392WSL)

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N1233BXX

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par Jean-Marie Garinot, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne (CREDIMI) et Avocat au barreau de Paris

le 16 Novembre 2017

Selon le Conseil d'Etat, l'article 150-0 B du CGI (N° Lexbase : L3216LC4) ne pose aucune présomption irréfragable d'abus de droit dès lors que la jurisprudence autorisait, avant même l'introduction de l'article 150-0 B ter (N° Lexbase : L3209LCT), le réinvestissement dans une activité économique du prix de cession de titres précédemment apportés à une société soumise à l'IS (CE 10° et 9° ch.-r., 22 septembre 2017, n° 412408, mentionné aux tables du recueil Lebon). L'arrêt rendu le 22 septembre 2017 montre que la question de l'apport de titres suivi de leur cession continue d'alimenter le contentieux. Il ressort de la décision de première instance (1) que le contribuable avait créé une société dont il était seul associé avant de lui apporter les titres d'une seconde société. La plus-value d'apport réalisée à cette occasion fut placée sous le régime du sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du CGI. Le jour même de l'apport, l'assemblée générale de la seconde société décida une réduction de capital non motivée par des pertes et réalisée par le rachat de ses propres actions à une valeur identique à celle retenue lors de l'apport. Le prix fut payé à la première société au moyen de SICAV monétaire.

On rappellera que l'article 150-0 B (dont la rédaction n'a, sur ce point, pas changé à ce jour) prévoit que les règles d'imposition des plus-values constatées à l'occasion des cessions de titres ne sont pas applicables en cas d'apport de ces mêmes titres à des sociétés soumises à l'IS. Dans cette hypothèse, l'article 150-0 D (N° Lexbase : L3043LCP) prévoit l'imposition de plein droit des plus-values effectivement réalisées l'année de la cession des titres reçus lors de l'échange.

Ce dispositif ayant pour effet de différer l'imposition vise à faciliter la restructuration des groupes de sociétés et les échanges de titres, en évitant au contribuable d'être imposé sur une plus-value alors qu'il n'a pas perçu les liquidités lui permettant de payer l'impôt. Il résulte en outre des travaux préparatoires que ce mécanisme a également vocation à favoriser les réinvestissements de produits de cession de titres dans des activités économiques.

En l'espèce, l'administration a entendu remettre en cause les opérations passées sur le fondement de l'abus de droit et, plus précisément, de la fraude à la loi. Le contribuable soutenait, quant à lui, que faute d'appréhension effective du prix de cession des titres (celui-ci étant versé à la société bénéficiaire de l'apport), aucun avantage fiscal n'avait été retiré de l'opération. Ces arguments n'ont pas convaincu le tribunal administratif de Paris, qui a jugé que l'abus de droit caractérisé.

Frappée d'appel, la décision de première instance est soumise à la cour administrative d'appel de Paris (2), à laquelle le contribuable a demandé de transmettre au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur l'égalité de l'impôt.

Selon la haute juridiction, l'article 150-0 B du CGI ne méconnaît pas le principe d'égalité devant l'impôt et n'institue pas une présomption irréfragable d'abus de droit (I). L'argument tiré de la violation de la Directive "fusions" (N° Lexbase : L7670AUM), dont l'article 8 prévoit la neutralité fiscale de ces opérations, n'a pas davantage prospéré (II).

I - Absence de présomption irréfragable d'abus de droit fondée sur l'article 150-0 B

Les règles d'imposition des plus-values de cession et d'opérations assimilées sont fixées par l'article 150-0 A du CGI (N° Lexbase : L3207LCR) et, comme le précise l'article 150-0 B, ces règles ne sont pas applicables aux fusions, scissions et opérations assimilées, ni aux apports de titres à des sociétés soumises à l'IS. Bien connue, l'opération d'apport-cession permet donc d'échapper à l'imposition immédiate de la plus-value d'apport et, lorsque la cession des titres apportés est réalisée à bref délai, aucune plus-value n'est constatée lors de cette seconde opération. Appliqué de manière littérale, cet article permet donc de céder des titres sans imposition immédiate de la plus-value puisque le contribuable reste détenteur des titres reçus en échange de l'apport, tandis que la société bénéficiaire du même apport appréhende le prix de cession. Tel était d'ailleurs le cas en l'espèce.

On sait que le Conseil d'Etat a eu l'occasion de juger, dans ses arrêts "Bazire" et "Bauchart" (3), que le grief d'abus de droit devait être écarté lorsque le produit de cession des titres apportés était réinvesti dans des activités économiques (par opposition à des activités purement patrimoniales). Dans la présente affaire, le prix de cession n'avait, semble-t-il, pas été réinvesti et le contribuable faisait valoir que cette différence de traitement méconnaissait l'égalité devant l'impôt.

Sans surprise, ce raisonnement n'est pas accueilli par le Conseil d'Etat qui rappelle que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur traite différemment des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, en lien direct avec l'objet de la loi établissant cette inégalité.

Plus précisément, le Conseil d'Etat se fonde sur les travaux préparatoires pour rechercher les intentions du législateur quant au mécanisme de sursis d'imposition prévu par l'article 150-0 B du CGI. Ainsi, le législateur aurait entendu favoriser les restructurations d'entreprises en plaçant en sursis d'imposition la plus-value réalisée à l'occasion d'une opération ne dégageant pas de liquidités. Dans cette optique, lorsque le prix de cession est réinvesti dans une autre activité économique, l'objectif du législateur serait satisfait. A l'inverse, faute de réinvestissement, l'apport des titres suivi de leur cession pourrait être regardé comme une opération à but exclusivement fiscal puisqu'il conduirait à différer dans le temps le paiement de l'impôt.

De tout cela, le Conseil d'Etat conclut à l'absence d'une présomption irréfragable d'abus de droit en cas d'apport-cession. Sur ce point, la décision soumis à notre examen paraît devoir être approuvée dans la mesure où le réinvestissement du prix de cession faisant échapper l'opération à la qualification d'abus de droit, celle-ci n'est à l'évidence pas automatique.

En revanche, on peut douter que la volonté du législateur soit de faciliter les restructurations d'entreprises. En effet, le régime de l'article 150-0 B ne paraît pas réservé aux sociétés hébergeant des activités économiques et rien n'interdit, en apparence, qu'il s'applique aux titres de sociétés patrimoniales. En réalité, le véritable objectif du législateur semble être de différer la taxation de plus-values constatées à l'occasion d'opérations ne dégageant pas de liquidités pour l'apporteur. Dans cette optique, et comme le soutenait d'ailleurs le contribuable dans la présente espèce, il convient de ne pas perdre de vue que le prix de cession est versé à la société bénéficiaire de l'apport et non à l'apporteur lui-même. On peut donc douter que celui-ci en dispose de manière effective...

Quoi qu'il en soit, le mécanisme de l'apport-cession est aujourd'hui codifié par l'article 150-0 B ter du CGI, qui oblige bel et bien la société bénéficiaire de l'apport à réinvestir le prix de cession dans une activité économique ; les activités patrimoniales demeurant exclues du dispositif.

II - Absence de contrariété à la Directive "fusions"

Le requérant soutenait également que l'article 150-0 B du CGI découle de la Directive "fusions" dont l'article 8 précise qu'aucune imposition au titre du revenu, des bénéfices ou des plus-values, ne sera appliquée sur la tête de l'associé en cas de fusion, de scission ou d'échange d'actions. Néanmoins, l'article 11 de cette même Directive permet à chaque Etat membre d'en refuser l'application en cas d'opération ayant pour objectif principal la fraude ou l'évasion fiscale.

Fort logiquement, le Conseil d'Etat en déduit que la Directive n'interdit pas aux Etats membres de considérer que le fait d'interposer une société en vue d'appréhender les liquidités générées par la cession caractérise une opération ayant pour objectif principal la fraude ou l'évasion fiscales. Il n'est donc guère surprenant que ce dernier argument ait également été rejeté par la Haute juridiction administrative.


(1) TA Paris, 4 février 2016, n° 1400260 (N° Lexbase : A0036R8T).
(2) CAA Paris, 8 juillet 2016, n° 16PA01157 (N° Lexbase : A2485SIU).
(3) CE 3° et 8° s-s-r., 8 octobre 2010, n° 313139, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3503GBD) et n° 301934, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3490GBU).

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